Comprendre
Enquête
Auteur(s) : Annabelle Alix
Envisager une carrière en officine pour un jeune préparateur est toujours possible. Pour ce faire, il doit bâtir des projets, prendre des risques et s’armer de persévérance. En un mot, adopter l’esprit d’entreprise.
Demandez à Sylvain, Élise, Laure ou Olivier où ils se projettent dans cinq ou dix ans. Ces jeunes préparateurs vous répondront qu’ils l’ignorent. Et qu’ils n’ont pas de raisons d’y penser tant qu’ils s’épanouiront dans l’« ici et maintenant ». Pour les nouvelles générations, le rapport au travail s’est transformé. La notion même de carrière – « vie professionnelle considérée comme un ensemble d’étapes » selon le dictionnaire Larousse – est en train de changer. Jour après jour, Sylvain, Élise, Laure ou Olivier sèment ainsi les graines de leur évolution à l’officine. Et mènent une carrière des plus florissantes. Leur leitmotiv ? Aller de l’avant. Leurs atouts ? Oser entreprendre, proposer, innover. Leur astuce ? Cibler la bonne officine et s’y rendre indispensable. Ces préparateurs ont surfé sur la vague de la crise. Et réinventé leur métier au fil de leurs projets.
La notion de carrière a changé. « À l’époque moderne, qui se termine, elle s’entendait comme une progression professionnelle sécurisante, linéaire, ou par paliers, effectuée au sein d’un même métier, voire d’une même société, explique Stéphan Laclare, consultant au Creci,cabinet de conseil en formation et management. Désormais, la projection à demain n’est plus un objectif en soi, ni même un levier de motivation. Dans les grandes entreprises, des cadres délaissent même un poste et un salaire confortables pour ouvrir une auberge ou un restaurant ». Aujourd’hui, « le bonheur au travail passe par le plaisir immédiat, la liberté de créer ou de réinventer son métier et par la gestion d’un projet qui fait sens aux yeux de celui qui le mène, ajoute le consultant. La vie professionnelle devient ainsi un chemin chaotique, faite de projets successifs entrecoupés de périodes de chômage et de formation ».
Ainsi, le préparateur qui veut s’épanouir « ne doit pas chercher un contrat de travail aux conditions confortables, mais un projet, une réalisation professionnelle », estime Muriel Darniche, docteur en pharmacie, consultante en recrutement et fondatrice du site www.team-officine.fr, plate-forme de recrutement en ligne pour les officinaux. Puis, il doit en changer quand l’engouement retombe, si besoin en allant dans une autre pharmacie. « Il ne doit se projeter qu’à cinq ans dans l’emploi qu’il occupe, estime la consultante, car face à lui, la pharmacie aussi a changé. Elle ne reste plus la même pendant trente ans : elle se revend, se regroupe, elle est transférée ou parfois fermée ».
Les préparateurs épanouis dans leur métier que Porphyre a rencontrés avaient des objectifs en tête et se sont donné les moyens de leurs ambitions. Ils ont cherché sans relâche l’officine et le titulaire en phase avec l’accomplissement de leur projet (voir l’encadré « 5 astuces pour trouver la bonne officine » p. 24). Laure n’a pas hésité à quitter son premier emploi au bout d’un mois. « J’avais fait part à ma titulaire de mon désir de suivre le CQP de dermo-cosmétique pharmaceutique, explique-t-elle. Elle m’avait dit que si tout se passait bien le premier mois, elle m’inscrirait à la formation. Or, au bout d’un mois, rien ne s’est passé. Ma titulaire faisait traîner les choses… Alors, je suis partie ». Quant à Marie
« Nous sommes tous les chefs d’entreprise de notre parcours professionnel », résume Emmanuelle Deglaire, directrice MSC Entrepreneurship et professeure associée à l’Edhec Business School, à Paris. Muriel Darniche conseille, elle, à chacun de « se questionner sur ses points forts et ses aspirations ». La responsabilisation ne vient pas souvent du titulaire. Si certains d’entre eux délèguent naturellement, d’autres y sont potentiellement ouverts mais restent dans l’attente d’une proposition. Quelles initiatives pourrais-je prendre ? Dans quelle spécialité ? Ai-je des connaissances particulières, des facilités, ou suis-je attiré par la dermo-cosmétique ? Suis-je davantage intéressé ou compétent sur le conseil aux patients atteints de pathologies lourdes ? Le préparateur doit s’interroger pour ensuite proposer des choses en accord avec ses envies : développer la parapharmacie, réaliser des entretiens avec tel type de patients…
Dans le même temps, ce projet doit répondre à un besoin de l’officine. À l’instar de l’intrapreneuriat parfois déployé dans les grandes entreprises (voir encadré ci-contre), ce projet ne peut se développer que s’il profite aussi à la société, même s’il se déploie à l’extérieur. « Certains se désolent de passer du temps sur les vitrines sans se sentir valorisé mais cette mission ne crée pas de valeur », affirme Marie. Elle ne peut donner lieu à une évolution professionnelle. Même chose pour « le fait d’en faire plus à cause de l’évolution du métier. Il ne s’agit pas d’un projet, c’est seulement normal », pointe à son tour Julie
Sylvain, Laure et Mélanie, nos préparateurs épanouis, gèrent un rayon de parapharmacie de A à Z, managent une équipe, endossent la responsabilité du marché « PDA » de la pharmacie… Ils sont mis en avant et participent activement aux projets de leur officine. « Quand mon titulaire a décidé de s’agrandir, j’ai travaillé sur l’organisation de l’espace de vente avec l’architecte. J’ai défini les zones ‘‘chaudes’’, les zones ‘‘froides’’ et j’ai décidé du futur emplacement des marques », témoigne Sylvain, 29?ans, préparateur à Clouange (57).
Olivier, 26 ans, a, lui, bûché l’an dernier « sur les plans, les rayons, les gammes à référencer. J’ai donné mon avis sur l’agencement et l’esthétique à donner à la pharmacie. J’ai aussi facturé à mon titulaire, en tant qu’auto-entrepreneur, des prestations sur le management, l’animation commerciale et l’aide au recrutement ». Dans les Hauts-de-Seine, Marie « crée des listes de naissance pour capter une clientèle nouvelle, forme les jeunes préparateurs au merchandising… » Quant à Élise, dans le Nord, elle gère les relations avec la maison de retraite que sa pharmacie fournit en médicaments. Du haut de ses 22 ans, elle règne également en maître sur le préparatoire, pour lequel elle a participé au réaménagement : « Quand je suis arrivée, ma titulaire voulait le refaire à neuf. Elle m’a invitée à noter sur un papier tout ce dont j’avais besoin pour aller l’acheter… J’ai le sentiment d’être valorisée. Je me sens reconnue dans mon travail », ajoute-t-elle, du bout des lèvres.
Acquérir cet esprit d’entreprise et être force de proposition n’est pas si simple. Ceux qui ont eu un autre parcours professionnel avant l’officine ou les plus âgés, s’ils sont observateurs, semblent mieux armés que les préparateurs de 20?ans qui sortent de l’apprentissage. « Ceux-là n’ont jamais été ‘‘challengés’’ », pointe Muriel Darniche. « Les CFA nous enseignent le droit du travail, mais pas les bases en comptabilité, les notions de ‘‘chiffre d’affaires’’ ou de ‘‘bénéfices’’, ni les leviers de rentabilité d’un rayon, la politique de prix, les bases en marketing », regrette Olivier, préparateur.
Approcher les problématiques d’un chef d’entreprise est possible en échangeant avec des titulaires : « J’ai discuté avec des amis pharmaciens de choses dont on ne peut pas parler avec les patrons, comme la gestion, les problématiques rencontrées lorsque l’on s’installe, etc. », raconte Marie. Les forums dédiés aux échanges sur les problématiques de l’officine – www.pharmechange.com par exemple – sont une porte d’entrée pour comprendre l’univers de l’entreprise officine. Par ailleurs, « rien n’empêche d’ouvrir un manuel de gestion pour se donner des idées, propose Olivier. Les préparateurs ont déjà quelques notions de chiffres à force de sortir les listings des ventes. » Et les pharmaciens ne sont pas plus formés qu’eux à la gestion, à la comptabilité… Ni d’ailleurs aux stratégies commerciales, de développement ou au management (voir l’enquête Porphyre, n° 509, février 2015).
Pour évoluer, le préparateur peut observer les points faibles de sa pharmacie et investir les créneaux vacants. Il y a des chances que le titulaire le laisse assumer une tâche qu’il n’aime pas ou ne maîtrise pas bien. « Dans mon ancienne officine, il y avait des problèmes relationnels et de planning, se souvient Laure. J’ai proposé au titulaire de manager l’équipe en lui disant que j’aimais écouter les problèmes et trouver des solutions. Il a accepté ». Observer les patients est aussi générateur d’idées. Au comptoir, Mélanie s’est souvent retrouvée face à des patients diabétiques ou avec une hypercholestérolémie mal informés sur les règles diététiques préconisées. Elle a proposé à son titulaire de réaliser des journées d’accueil et des ateliers de conseils à leur attention. Côté parapharmacie, formuler des suggestions en se basant sur les ventes et garder un œil sur les tendances, via les chiffres générés par secteurs, peut être un premier pas vers la prise de responsabilités.
Développer un projet nécessite parfois de suivre une formation. « L’État a mis en place le compte personnel de formation, qui permet d’accéder à de nouvelles compétences, rappelle Philippe Gasparac, consultant chez PG Consulting. Les préparateurs peuvent aller se renseigner sur le site emploi.gouv.fr ». Mélanie compte bien profiter de ce droit à la formation pour suivre un DU de diététique afin de pouvoir mener ses entretiens-conseils. Parfois, des compétences ou une expertise suffisent, une formation n’est pas toujours indispensable. « Ceux qui ont déjà une passion ne doivent pas hésiter à la faire pénétrer dans l’entreprise, explique Emmanuelle Deglaire. Le geek peut très bien se lancer dans la digitalisation de la pharmacie, créer une application ou un site d’e-commerce ». Et quand la formation nécessaire est refusée alors qu’elle conditionne un projet qui vous tient à cœur, il est encore possible d’évaluer la situation et de prendre une décision en pesant le pour et le contre. Lorsqu’elle a quitté sa première officine, faute de pouvoir suivre la formation promise, Laure s’est inscrite en agence d’intérim avec l’idée de se former sur le terrain. « Je n’ai accepté que des missions dans des pharmacies développées sur la dermo-cosmétique, explique-t-elle. Chacune d’elles commercialisait des gammes différentes. Je questionnais les collègues, fouillais les tiroirs à la recherche de classeurs, je prenais des notes et j’apprenais tout par cœur ! » De son côté, Mélanie a profité de l’intérim pour progresser dans le domaine de la vente : « J’ai osé me lancer davantage parce que je ne connaissais pas les clients Ensuite, les réflexes s’installent… »
Les préparateurs bien dans leur job ont un salaire moyen classique. Ils ne gagnent pas forcément plus qu’un autre (lire enquête Porphyre n° 507, novembre 2014). « Lorsque le préparateur fait progresser le chiffre d’affaires d’un rayon mais que celui d’à-côté diminue, la trésorerie n’augmente pas et une récompense peut être difficile à envisager, pointe Hervé Fein. Un titulaire peut même refuser de responsabiliser son collaborateur, par crainte de ne pouvoir assumer une augmentation en cas de résultats positifs sur son secteur ». À l’inverse, « certains préparateurs qui ont évolué vite et atteint un salaire élevé auraient du mal à se revendre ailleurs au même prix, relève Muriel Darniche. Souvent, c’est un feeling, une complémentarité avec le titulaire qui a permis cette évolution ».
Pour autant, le salaire ne doit pas être un frein au départ si l’engouement au travail est définitivement retombé. « La démission de cadres bien rémunérés dans les entreprises montre bien que le salaire ne crée pas la motivation ni le bonheur au travail, note Stéphan Laclare, du Creci. Comme la carrière, la progression du salaire n’est plus linéaire et n’est plus un marqueur fondamental de la réussite ». Les plaintes sur la paie sont pourtant fréquentes, mais pour le consultant, « elles englobent toujours des revendications plus larges. Quand un salarié s’ennuie, quand il a l’impression de faire toujours la même chose ou lorsqu’il travaille dans des conditions difficiles, il n’est jamais assez bien payé pour compenser sa souffrance ». Laure admet que « la meilleure reconnaissance au travail, c’est de se sentir bien. Et une fois qu’on a suffisamment travaillé pour s’accomplir, la reconnaissance de l’autre, financière ou verbale, peut se manifester… Mais on se rend compte alors qu’elle est devenue accessoire ».
Comme une majorité de Français, les préparateurs interrogés ne diraient pas non à de meilleurs salaires, mais il n’est pas leur motivation première. Et quoi qu’il arrive, si votre rémunération ne couvre pas vos frais, si vous la jugez trop faible et qu’elle n’est pas négociable, vous vous poserez la question de partir… Faites-en part à votre titulaire, il saura probablement vous retenir. Se rendre indispensable a également le mérite d’équilibrer les négociations.
(1) Le prénom de ces préparatrices a été modifié à leur demande afin de préserver leur anonymat.
Gagner la confiance du titulaire est un préalable nécessaire à la délégation.
Muriel Darniche, docteur en pharmacie, consultante en recrutement et fondatrice du site www.team-officine.fr, cite quatre attitudes incontournables, par ordre d’importance.
• Maîtriser le cœur de métier : accueil de qualité, conseil adapté, sourire au rendez-vous, attitude sympathique, bonne élocution…
• Respecter les règles en place : bonne intégration du poste de travail, prise en main rapide des outils (logiciels, etc.).
• Proposer des idées… en douceur. Le préparateur ne peut pas les mettre en œuvre à sa manière sans l’accord du titulaire. Rappelons que le respect des règles en place prime sur la force d’initiatives. Au titulaire frileux à l’idée de bouleverser ses habitudes, il convient de glisser une idée argumentée puis d’y revenir de temps en temps, sans s’impatienter.
• Disposer de compétences dans un domaine particulier.
Le concept de l’intrapreneuriat a été inventé en 1976 par Ginford Pinchot, dans son livre Why You Don’t Have to Leave the Corporation to Become an Entrepreneur (Pourquoi tu n’as pas besoin de quitter l’entreprise pour devenir un entrepreneur). Dans les grandes structures, l’intrepreneuriat consiste à « stimuler la créativité de son équipe par la mise en place de processus dont le format le plus simple est la boîte à idées », explique Emmanuelle Deglaire, directrice MSC Entrepreneurship et professeure associée à l’Edhec Business School. Les projets développés par le salarié doivent être en phase avec la vision et les intérêts de l’entreprise, mais ils ne se déploient pas forcément en son sein. Ainsi, se développent « des spin-off, des structures indépendantes créées par scission de l’entreprise initiale, mais qui contribuent à la faire prospérer », décrit Emmanuelle Deglaire. En pharmacie, ce pourrait être l’ouverture d’une parapharmacie par un préparateur avec entrée au capital de son titulaire. »
• Se questionner sur ses envies.
• Cibler les officines correspondant à ses projets dans un rayon de 30 km : petite pharmacie de village, officine développée sur la parapharmacie, etc.
• Se projeter sur le lieu de travail et dans l’équipe, en se rendant sur place acheter un produit.
• Si aucun poste n’est vacant, envoyer une candidature spontanée en expliquant vos motivations de rejoindre cette pharmacie en particulier : parler de vos projets de spécialisation, de vos atouts en la matière, etc.
• En cas d’entretien d’embauche, ne pas hésiter à questionner le titulaire. A-t-il des projets pour son entreprise ? Si oui, lesquels et cadrent-ils avec les vôtres ? Le titulaire responsabilise-t-il ses collaborateurs ? Quelles sont les responsabilités de chacun des membres de l’équipe ?
Avant la crise économique, il était possible de rencontrer des officines en sureffectif, employant des préparateurs qui exécutaient tranquillement leurs tâches pour un salaire motivant. Mais en temps de crise, il est nécessaire d’adopter l’esprit d’entreprise. Les préparateurs doivent sortir du « salariat fonctionnaire », partager la vision de leur pharmacie et s’impliquer dans son développement. Le métier est en train de changer et nous devons changer avec lui en décidant de ce que l’on veut y mettre ! Or, si les préparateurs se voient comme de la main-d’œuvre bon marché qui remplit les missions d’un pharmacien, ils seront considérés comme telle !
Valoriser chacun pour le bien-être de tous et de l’entreprise, tel est le concept du « happy » management. Celui de l’« entreprise libérée », popularisé par Isaac Getz en 2009, « délivre » les salariés de l’autorité hiérarchique.
La responsabilisation est un levier de motivation. C’est l’avis d’Alexandre Gérard, directeur général d’Inov On, un groupe de services (conseil, communication, interventions sur site) composé de trois cents personnes et divisé en plusieurs entités distinctes et libérées. Chacune d’elles est gérée de A à Z par les salariés opérationnels, sans procédures ni contrôles hiérarchiques. Seul un leader est choisi par et parmi eux afin d’éviter l’anarchie. À l’officine, la loi impose au titulaire de gérer personnellement sa pharmacie. En revanche, « il est possible de changer les croyances, estime Alexandre Gérard. Au lieu d’imposer des horaires à ses collaborateurs, le titulaire pourrait leur communiquer les horaires d’ouverture et laisser les préparateurs organiser leur planning pour les responsabiliser ».
J’ai choisi ma première officine pour le confort de vie : elle était situé près de chez moi. Mais, très rapidement, je m’y suis sentie mal. Le titulaire était obnubilé par l’objectif rentabilité, il faisait jouer la compétition dans l’équipe et j’avais droit à des remontrances dès que je passais plus de dix minutes avec un client. Je perdais totalement confiance en moi. Puis j’ai passé un entretien dans une pharmacie située à plus d’une heure de chez moi. La titulaire m’a parlé des projets qu’elle avait pour son officine, des tâches qu’elle déléguait. Elle faisait partie d’un groupement très investi sur le conseil. J’ai été embauchée, et aujourd’hui, je suis très épanouie. Pendant plus d’un mois, le temps de trouver un appartement, j’ai dû faire les allers et retours et je passais trois heures et demie sur la route tous les jours. Certains soirs, je n’étais pas chez moi avant 23 heures. Maintenant, je vis à plus d’une heure de ma ville d’origine mais je m’épanouis dans mon travail, et c’est le plus important.
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