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Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut
L’étude initiée par Prescrire faisant état de 231 morts liées à la dompéridone a fait l’objet de critiques virulentes mais la revue reste sur ses positions. Et réitère sa demande de retrait de la molécule du marché européen. Ce n’est pas au programme.
Le feuilleton pharmaco-épidémiologique continue. En 2014, Prescrire
Loin de faire consensus, cette estimation a été très critiquée par le monde médical et la presse n’a pas hésité à la qualifier « d’intox ». Malgré cela, la revue médicale préconise toujours le déremboursement de la molécule et, surtout, son retrait du marché européen. Le point en sept questions…
Il est issu d’une étude pharmaco-épidémiologique française publiée au mois de mars 2015 dans la revue internationale Pharmacoepidemiology and Drug Safety
Interrogé dans Le Figaro en avril, Dominique Martin, directeur de l’ANSM, déclare que « l’estimation à 231 morts ne fait pas consensus et serait à confirmer ». De son côté, le médecin blogueur Dominique Dupagne titre sur www.atoute.org « Les 231 morts fictifs de la dompéridone expliqués à ma fille » et n’hésite pas à parler d’« extrapolations hasardeuses ».
La querelle porte essentiellement sur la méthodologie de l’estimation. Ses détracteurs lui reprochent notamment de se baser sur des études rétrospectives après événements de mort subite. Même s’il est démontré que la consommation de dompéridone était plus importante chez ces patients, estimer qu’un certain nombre d’entre eux sont morts à cause de cette molécule reste controversé.
Pour le professeur François Chast, chef du service de pharmacie clinique des Hôpitaux universitaires de Paris, cette estimation est néanmoins valable car « ce nombre de morts est un ordre de grandeur, comme pour toutes les évaluations pharmaco-épidémiologiques. On a eu les mêmes contestations lors de l’affaire du Mediator ou du retrait de la pioglitazone ». Un ordre de grandeur qui a cependant nettement augmenté entre les 25 à 120 morts de 2014 et les 231 morts de l’étude publiée en 2015.(
« L’estimation a été revue mais qu’importe finalement, ce qui compte est que l’on ne sous-estime pas le risque de la dompéridone, sur lequel tous les experts s’accordent », estime le docteur Caroline Semaille, directrice des médicaments d’hépato-gastro-entérologie à l’ANSM. Elle rappelle d’ailleurs que les premières estimations de Prescrire ont été prises en compte lors de la dernière réévaluation européenne de la molécule, initiée en 2013 et pour laquelle la France était rapporteur.
Dès les années 1980, le risque cardiaque de la dompéridone a justifié le retrait des formes injectables puis, pour les autres galéniques, des modifications successives d’AMM. Relancée en 2013 suite à de nouveaux signalements cardiaques, la réévaluation européenne de la molécule en 2013-2014 a confirmé le risque d’effets indésirables cardiaques graves. « Comme ce risque était déjà bien documenté, nous sommes allés plus loin en émettant des contre-indications, des restrictions d’utilisation et en retirant du marché les formes les plus dosées (voir encadré ci-dessous), explique Caroline Semaille. C’est une molécule que l’on continue à suivre de façon rapprochée et nous espérons que ces nouvelles mesures vont en faire baisser la consommation en France ».
Toujours dans Le Figaro du 22 avril, Dominique Martin soulignait « la situation atypique » de la France, avec une surconsommation de dompéridone relevant selon lui du mésusage. Selon les données de l’Assurance maladie, environ 3 millions de personnes adultes sont exposés chaque année à la molécule en France
Pour François Chast, c’est le médicament en lui-même qui est cardiotoxique et non l’usage qu’on en fait : « Je ne sais pas si on consomme deux fois trop ou dix fois trop de dompéridone, car dire cela signifierait qu’on sait définir une consommation normale ».
Les réactions publiées par la revue
Que la toxicité cardiaque du produit est prouvée. Qu’un risque d’accident cardiaque grave existe même s’il est très rare, la probabilité de survenue étant de quelques cas pour 100 000 personnes par an. Sa balance bénéfice/risque, notamment quand la dompéridone est prescrite en « confort » dans des affections aiguës (gastro-entérites), doit être davantage pesée. « L’officinal doit rappeler au patient que c’est un médicament qui doit être arrêté dès amélioration des symptômes et qu’il ne doit pas être conservé dans l’armoire à pharmacie pour un usage familial », rappelle Caroline Semaille. Pour François Chast, on peut aller plus loin en rassurant les patients qui hésitent : « L’arrêt ne perturbe aucune fonction vitale, il n’y a pas de risque à le stopper et le médecin traitant peut proposer une alternative, ou dire simplement : on va essayer de s’en passer ».
(1) Dompéridone : une approche du nombre de morts subites en France évitables en écartant ce médicament peu efficace, Prescrire, 19 février 2014 (www.prescrire.org/fr/3/31/49187/0/NewsDetails.aspx)
(2) Dompéridone et morts subites en France (suite), Prescrire en questions, Revue Prescrire n° 369, juillet 2014 (www.prescrire.org/fr/3/31/49375/0/NewsDetails.aspx)
(3) Estimating the number of sudden cardiac deaths attributable to the use of domperidone in France, Hill C. et coll., Pharmacoepidemioly and Drug Safety 2015, 31 mars 2015.
De nouvelles mesures de minimisation des risques ont été prises en 2014 :
• retrait du marché des formes dosées à plus de 10 mg ;
• recommandations d’emploi revues : limiter l’utilisation au seul « soulagement des symptômes de type nausées et vomissements », dose journalière maximale à 30 mg chez les plus de 12 ans et 35 kg et 0,75 mg/ kg dans les autres cas, durée de traitement de sept jours maximum ;
• contre-indications en cas de risque élevé (et non plus seulement mises en garde) : insuffisance hépatique, affections cardiaques, prise concomitante d’inhibiteurs du cytochrome P 450 ou de médicaments qui allongent l’intervalle QT.
“Nous espérons contribuer à ce que les patients soient mis à l’abri d’une mort prématurée et injustifiée causée par la dompéridone”
Pourquoi votre revue s’est donnée comme mission d’estimer le nombre de victimes de la dompéridone en France ?
Estimer le nombre de victimes rend les risques davantage perceptibles par les autorités sanitaires, par les professionnels de santé et par les patients eux-mêmes. Les agences du médicament sont, à notre avis, plus occupées à examiner les demandes d’AMM qu’à informer les patients d’un risque qui les concerne alors que peu d’entre eux ont le réflexe de consulter les mises en garde sur le site de l’ANSM… En rendant ce risque plus visible, nous espérons contribuer à ce que les patients soient mis à l’abri d’une mort prématurée et injustifiée causée par la dompéridone.
Comment réagissez-vous aux critiques qui considèrent vos estimations hasardeuses ?
Bien sûr, il y a des incertitudes dans notre démarche d’estimation : on applique à la France, grande consommatrice de médicaments, des risques relatifs établis par d’autres pays. On prend en compte le nombre de boîtes de dompéridone présentées au remboursement sachant que certains patients n’ont peut-être pas pris le médicament, et on extrapole des données épidémiologiques de mort subite en France uniquement disponibles pour quelques départements. C’est justement pourquoi Prescrire a préféré donner une fourchette d’accidents par morts subites, un ordre de grandeur qui prend en compte toutes ces réserves. Notre démarche été critiquée dès 2014 ; on la jugeait peu sérieuse car non incluse dans un circuit scientifique « normal ». C’est ce qu’a fait l’épidémiologiste Catherine Hill en la soumettant à une revue scientifique, qui l’a acceptée en 2015
Pourquoi tant de réactions négatives à la publication de cette donnée ?
Ce chiffre est discutable, bien sûr, mais il est surtout choquant. Chaque année, environ 20 000 personnes meurent en France à cause des médicaments. Si c’est bien visible pour certains traitements comme les anticoagulants ou les anti-néoplasiques, ça l’est beaucoup moins pour un médicament courant comme la dompéridone, que l’on prescrit sans réticence alors que son efficacité dans les nausées et les vomissements n’est guère prouvée. Dans cette situation, ce chiffre est dérangeant et c’est peut-être ce qui explique en partie la réaction négative de certains prescripteurs.
Vers quelles alternatives se tourner ?
On constate à Prescrire qu’en matière de nausées et vomissements bénins, il n’y a pas vraiment de médicaments satisfaisants. Le métoclopramide et la métopimazine sont également des dérivés neuroleptiques dont la toxicité cardiaque est prouvée pour le premier et incertaine pour le second. Dans le cadre de la grossesse, la moins mauvaise solution est la doxylamine mais elle n’est pas parfaite non plus car sédative. Dire que l’on doit se passer de la dompéridone dès que c’est possible peut paraître facile mais c’est dans ce sens qu’il faut néanmoins agir car, même rare, le risque est très sérieux : 95 % des patients victimes de mort subite ne sont pas réanimés. Or la toxicité de la dompéridone sur le cœur est aiguë et non cumulative, donc possible même sur une courte durée. On doit petit à petit réaliser que certains médicaments sont plus dangereux qu’on ne le croit et que dans beaucoup de situations, le jeu n’en vaut pas la chandelle.
(*) Prescrire est une revue médicale de formation et d’information indépendante, sur abonnement et sans publicité.
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