Une femme sous lithium avec hypothyroïdie iatrogène - Porphyre n° 509 du 28/01/2015 - Revues
 
Porphyre n° 509 du 28/01/2015
 

Savoir

L’ordo

Auteur(s) : Anne-Gaëlle Harlaut

Madame D., 36 ans est traitée depuis trois ans pour une dépression résistante par un antidépresseur et des sels de lithium. Son bilan thyroïdien a révélé une hypothyroïdie liée à la prise du lithium. En accord avec l’endocrinologue, le psychiatre ajoute une hormone thyroïdienne.

Prescription

Dr B., psychiatre

Mme D., 36 ans 62 kg, 1,68 m

• Téralithe LP 400 mg : 1 cp le soir.

• Prozac 20 mg : 1 gélule le matin.

• Lévothyrox 50 µg : 1 cp le matin.

• Alprazolam 0,5 mg : 1 cp 3 fois par jour.

QSP 1 mois.

Ce que je dois savoir

Législation

Cette ordonnance respecte la législation.

Condiv

C’est quoi ?

L’ordonnance prend en charge des troubles anxieux et une dépression résistante traitée par un antidépresseur potentialisé par le lithium. Elle comporte un nouveau traitement destiné à corriger l’hypothyroïdie d’origine iatrogène.

Pourquoi cette hypothyroïdie ?

Le lithium se concentre dans la thyroïde, où il inhibe la synthèse et la libération des hormones thyroïdiennes, T3 (triiodothyronine) et T4 (thyroxine). Ces modifications favorisent le développement d’un goitre isolé ou associé à une hypothyroïdie. Chez Madame?D., le bilan thyroïdien montre une TSH (voir encadré) élevée et un taux abaissé de T4 libre, signes d’une hypothyroïdie patente. L’absence d’anticorps anti-thyropyroxydase exclut une origine auto-immune.

Quels sont les signes cliniques ?

Le bilan thyroïdien annuel pour la surveillance sous lithium a été avancé par le psychiatre après détection d’un léger goitre (hypertrophie de la thyroïde) et de récents symptômes – constipation, prise de poids et asthénie - qui faisaient craindre à Madame D. une rechute de sa dépression. Autres symptômes d’une hypothyroïdie : frilosité, tendance à l’hypothermie, diminution de la sudation, de l’appétit, bradycardie, ralentissement psychomoteur, douleurs musculaires, troubles menstruels et de la libido.

Objectif

En cas d’hypothyroïdie sous lithium, soit le médecin arrête le lithium et prescrit des hormones thyroïdiennes jusqu’à normalisation du fonctionnement thyroïdien, soit il le maintient et ajoute, comme ici, une hormonothérapie substitutive. Celle-ci va corriger les symptômes d’hypothyroïdie, qui, similaires à ceux de la dépression, pourraient déstabiliser l’état de la patiente. Et normaliser la TSH, qui reflète l’imprégnation tissulaire en hormones thyroïdiennes.

Médicaments

Téralithe (carbonate de lithium)

Les sels de lithium sont des régulateurs de l’humeur habituellement indiqués dans la prévention des rechutes de troubles bipolaires et des états schizo-affectifs intermittents et le traitement des états d’excitation maniaque. Ici, ils potentialisent l’action de l’antidépresseur dans le cadre d’une dépression sévère.

Prozac (fluoxétine)

Antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine (IRS) indiqué ici dans le traitement d’épisodes dépressifs majeurs.

Alprazolam

Anxiolytique benzodiazépinique prescrit ici en traitement symptomatique des manifestations anxieuses accompagnant la dépression.

Lévothyrox (lévothyroxine sodique)

Hormone thyroïdienne utilisée comme thérapie substitutive en cas d’hypothyroïdies. La lévothyroxine (T4) est une prodrogue de la triiodothyronine (T3), active au niveau tissulaire, mais sa demi-vie longue permet une prise par jour.

Repérer les difficultés

L’ajout d’un nouveau traitement chronique

Expliquer l’intérêt de la lévothyroxine, les modalités de prise, les précautions, les interactions médicamenteuses et la surveillance des symptômes qui évoquent un surdosage.

La marge thérapeutique étroite du lithium

Certaines situations entraînent une diminution des capacités du rein à éliminer le lithium : association avec les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine, les AINS, les diurétiques, les IEC… Ce qui peut augmenter la lithiémie, dont la toxicité (tremblements, vertiges, myoclonies, convulsions, confusion, stupeur, voire coma) est proche de l’effet thérapeutique. Lévothyrox n’est a priori pas concerné, mais toute introduction de nouveau traitement est à risque.

Ce que je dis à la patiente

J’ouvre le dialogue

« Parfois, le lithium “ralentit” le fonctionnement de la thyroïde, c’est pourquoi le médecin ajoute un traitement pour corriger la situation ». Madame D. est soulagée qu’on lui laisse le lithium mais demande si cette correction prendra du temps. « Quelques semaines, et il est possible que le médecin adapte peu à peu la dose d’hormones pour trouver le dosage qui vous convient. Par contre, c’est un traitement qu’il faudra suivre tant que vous prendrez Téralithe ».

J’explique le traitement

Mécanisme d’action

• Prendre des hormones thyroïdiennes chaque jour corrige la diminution de leur « fabrication ». En rétablissant un taux normal, cela évite les conséquences du manque d’hormones thyroïdiennes comme la constipation, la prise de poids et les troubles de l’humeur, qui pourraient à nouveau vous déstabiliser.

Horaires d’administration

• Téralithe : 1 comprimé au cours du dîner, vers 20 heures.

• Fluoxétine : 1 gélule le matin, si possible à heure fixe.

• Alprazolam : 1 comprimé trois fois par jour.

• Lévothyrox : 1 comprimé le matin, de préférence à jeun, 20 à 30 minutes avant le petit déjeuner car la nourriture ralentit l’absorption, ou deux heures après ; dans tous les cas, dans les mêmes conditions chaque jour (heure, espacement du repas…) pour maintenir un taux le plus constant possible. En cas d’oubli, ne pas doubler la dose suivante.

Effets indésirables

• Téralithe : nausées, vomissements, diarrhée, sédation, léthargie, tremblement des mains, vertiges, prise de poids, goitre isolé ou associé à une hypothyroïdie, soif, polyurie, acné, habituellement réversibles à l’arrêt du traitement. Possible insuffisance rénale lors de traitements prolongés, pouvant évoluer vers une atteinte irréversible.

• Fluoxétine : céphalées, nausées, insomnie, fatigue, diarrhée.

• Alprazolam : troubles de la mémoire, irritabilité, agitation, céphalées, confusion, somnolence, cauchemars, risque de dépendance, troubles cutanés (éruptions) et gastro-intestinaux.

• Lévothyrox : signes de surdosage, donc d’hyperthyroïdie, avec tachycardie, tremblements, insomnie, excitabilité, température, sueurs, amaigrissement, diarrhée.

J’accompagne

Surveillance

• Sous lithium : doser la lithiémie tous les quatre mois en moyenne. Une prise de sang 12 heures après la dernière prise mesure la lithiémie minimale efficace (0,5 à 0,8 mEq/l), ainsi que la fonction rénale tous les six mois au moins (clairance de la créatinine, calcémie, protéinurie…).

• Sous Lévothyrox : suivis clinique (de surdosage, voir ci-dessus) et biologique par dosage de la TSH, paramètre le plus sensible (valeur de référence : 0,4 à 4 mUI/l) quatre à six semaines après l’instauration, après chaque modification du dosage, puis tous les six à douze mois à l’équilibre. Rappeler à Madame D. de bien le faire.

Hygiène de vie

→ La compétition entre sodium et lithium lors de l’élimination rénale explique des variations importantes de lithiémie. La déplétion sodée expose à un surdosage toxique en lithium, notamment lors de vomissements ou diarrhées profuses, sueurs abondantes et fortes chaleurs ou de fièvre. Bien boire dans ces situations et toujours garder des apports sodés alimentaires suffisants ; pas de régime sans sel sans avis médical. Éviter les apports sodés importants (médicaments effervescents) car ils risquent de réduire l’efficacité du lithium.

→ La caféine pouvant diminuer la lithiémie, prévenir que l’arrêt brutal d’une consommation habituelle et quotidienne de café expose à un surdosage en lithium. Et vice versa pour une consommation brusquement augmentée.

→ Pour lutter contre la constipation, rappeler les bienfaits d’une alimentation riche en fibres (légumes verts, fruits…) et boire suffisamment.

→ Sels de calcium, fer, sels d’aluminium et de magnésium (topiques antiacides) pourraient diminuer l’absorption du Lévothyrox : les prendre à deux heures de distance au moins. Éviter aussi le soja, aliment ou complément alimentaire, qui diminue l’action du Lévothyrox.

Vente associée

Conseillez un laxatif osmotique type lactulose si la constipation ne cède pas malgré les mesures diététiques mais ponctuellement car le risque de diarrhée, responsable de troubles hydro-électriques, pourrait accroître la lithiémie.

Hormones et thyroïde

L’hypothalamus sécrète la TRH (thyrotropin releasing hormon), qui stimule la production hypophysaire de la TSH (thyréostimuline hypophysaire). La TSH stimule la synthèse des hormones thyroïdiennes T3 et T4 par la thyroïde. Quand le taux circulant de T3 et T4 augmente, le rétrocontrôle négatif freine la libération de?TRH et TSH. Sous lithium, la synthèse de T3 et T4 est diminuée ; le rétrocontrôle négatif est moindre et le taux de TSH est augmenté (> 4 mU/l).

La patiente me demande

« Je me suis fait mal au dos à mon cours de gym, je voudrais de l’Advil… »

L’Advil contient de l’ibuprofène, un anti-inflammatoire non stéroïdien qui peut diminuer l’élimination du lithium par le rein. En prendre vous expose à un risque d’augmentation du lithium dans le sang, et donc à des effets toxiques. Je vous conseille de prendre plutôt du paracétamol pour vous soulager et, si ce n’est pas suffisant, de consulter votre médecin.

À noter : tous les AINS sont concernés sauf les salicylés (aspirine).

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