Envoyez l’addition ! - Pharmacien Manager n° 171 du 29/09/2017 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 171 du 29/09/2017
 

PRATIQUES

Auteur(s) : Fabienne colin

A la pharmacie de la Mandragore à Grenoble (38), il n’est pas rare que Raphaël Jankovski passe une demi-heure au comptoir avec un de ses clients. Multidiplômé en médecines naturelles, il aime prendre le temps d’écouter et de conseiller. Et quand la file d’attente s’allonge, il propose une « consultation en naturopathie » (lire PHM 162). Le rendez-vous se déroule, alors, pendant les heures de fermeture de l’officine à la mi-journée et il est facturé 60 €. Cet exemple illustre la schizophrénie latente des pharmaciens. Faut-il faire payer ces conseils et sur quels critères ?

UN NOUVEAU modèle économique

Pour les experts, la question ne se pose pas. « Il faut toujours faire payer un service à forte valeur ajoutée », tranche Xavier Pavie, professeur à l’Essec business school. « Un entretien ne se mène pas sur un bout de comptoir. Prenons l’exemple du sevrage tabagique. Ce suivi s’envisage sur plusieurs mois et, non pas, en un seul rendez-vous. Le titulaire doit d’abord construire son offre : combien de temps consacrer au patient pour comprendre sa situation ? Faire un suivi personnalisé par téléphone, par e-mail ou SMS, déterminer à quel rythme faut-il faire venir un addictologue à l’officine pour rencontrer ses clients ?, etc. Cette réflexion aboutit à un suivi structuré. » Mûrement réfléchi, l’entretien apporte un conseil qui va au-delà du commentaire d’ordonnance et de la vente de produits associés. Dans ce cas, il peut même devenir une pièce maîtresse de l’économie de l’officine. « Dans le cadre de la prévention et de l’accompagnement, un entretien nécessite de se former et de développer un outil de suivi… : Ce service doit être rémunéré et est partie intégrante du modèle économique de l’officine d’aujourd’hui, pour développer son chiffre d’affaires et fidéliser », estime Marie Henry, directrice de l’Executive MBA « stratégie et management de l’officine » et fondatrice du cabinet Capital pharma consulting.

MAJORER sa valeur ajoutée

En réalité, les rendez-vous ne sont pas toujours aussi préparés ! Certes, pour les questions de santé comme le tabac, la diététique ou le cholestérol, le pharmacien met souvent en place, seul ou avec son groupement, un protocole de suivi en face-à-face, avec un questionnaire, des documents à remettre au patient… àl’inverse, d’autres rendez-vous plus informels ressemblent davantage à une conversation ou à un atelier collectif. Dans ce cas, faut-il facturer ? « On peut réunir une dizaine de patients, par exemple sur le thème du diabète, dans la pharmacie, ou ailleurs. L’officine s’inscrit alors dans une démarche d’initiation, d’éducation et de sensibilisation. Cet atelier doit déboucher sur un accompagnement personnalisé, mais la réunion elle-même n’est pas facturée », considère Philippe Lebas, fondateur du cabinet de coaching Evok. Dans le même genre, les ateliers de présentation d’une marque sont généralement gratuits. « Quand il s’agit de services packagés par les laboratoires, la rémunération vient de la vente des produits et l’entretien ou l’atelier peut être gratuit », explique Marie Henry. « En fait, tout dépend du contenu, de la qualité du conseil scientifique apporté, c’est-à-dire de la valeur ajoutée de l’officine. »

GRATUIT un jour, gratuit toujours

Bizarrement, la gratuité a des inconvénients ! « Le titulaire risque de ne pas être crédible, car ce qui est gratuit n’a pas de valeur », rappelle Xavier Pavie. Mais surtout, il sera compliqué de revenir en arrière. Un service gratuit un temps deviendra difficilement payant. Le patient ne comprendrait pas, sauf à déployer d’énormes efforts d’explication et de marketing. Annaïg Galivel, titulaire de la Pharmacie des Halles à Dinard (35), a voulu éviter cet écueil. Dès leur lancement en 2015, elle a proposé des entretiens en médecines naturelles payants. Les rendez-vous durent, au minimum, une demi-heure, dans son bureau. À la fin de l’échange, le patient règle : 23 € les trente premières minutes, et le temps restant au prorata sur la base de 40 € de l’heure. Ensuite, la titulaire prend quelques jours pour analyser l’information récoltée pendant la consultation et rédiger ses préconisations. « Certains patients me demandent combien coûtera cette analyse ? En fait, je ne facture pas deux fois. Mais, ils ont pris conscience du travail réalisé et sont prêts à le rémunérer. Payer n’a jamais posé de problème aux patients. Ce sont les titulaires qui mettent des freins à la rémunération de leurs actes », conclut-elle.

LE JUSTE prix

Quoi qu’il en soit, il est nécessaire de fixer un prix raisonnable et qui reste rentable pour l’officine. Pour Xavier Pavie, l’adéquation est simple comme un premier cours de gestion. « Mettre en place une offre de sevrage tabagique coûte 5 000 € et vous estimez à dix le nombre de patients potentiels, il faudra donc les facturer 500 € minimum en six mois. Ce qui n’est rien par rapport au prix d’un paquet de cigarettes ! Reste qu’il faudra mettre en place une démarche active pour trouver ces dix fumeurs, puis les suivants et assurer, ainsi, la rentabilité du service. » Sans oublier que cet échange doit rester un procédé gagnant/gagnant entre la pharmacie et son patient.

LE CAS DU MOIS

La loi Hôpital patients santé et territoires (HPST) a bousculé les habitudes des officines. Son article 38 indique que les « pharmaciens peuvent participer à l’éducation thérapeutique (ETP) et aux actions d’accompagnement des patients. » Depuis, les officines se sont dotées de pièces de confidentialité. Les pharmaciens y reçoivent leurs patients pour tenir les entretiens dits conventionnels (asthme et anticoagulants), pour lesquels ils sont rémunérés. Certains ont saisi l’opportunité de cette nouvelle mission pour proposer leurs propres « rendez-vous santé ». Des consultations thématiques sur la diététique, l’aromathérapie, la prévention, le dépistage… Curieusement, elles sont tantôt gratuites tantôt payantes. Alors que faire : les offrir ou les tarifer ?

LES EXPERTS

Xavier Pavie

PROFESSEUR DE L’ESSEC BUSINESS SCHOOL

Marie Henry

PRÉSIDENTE DE CAPITAL PHARMA CONSULTING

Philippe Lebas

GÉRANT DU CABINET DE COACHING EVOK

AH OUI !

Structurer ses entretiens. Pour justifier un paiement, il faut une équipe formée, un protocole et des supports de rendez-vous.

OH NON !

Passer du gratuit au payant. Un entretien habituellement offert doit rester gratuit. Il ne peut devenir tarifé, que s’il devient plus pointu.

TÉMOIGNAGE

« La rémunération des entretiens est obligatoire ! »

Maud Mingeau, titulaire de la Pharmacie du bien-être à Pouilly-sur-Loire (58) et div du livre « Pratiquer la micronutrition à l’officine » publié par Le Moniteur des Phamacies, considère « qu’il est normal de vivre de son métier. Il faut rentabiliser la formation suivie, le temps passé, le matériel dans lequel on investit… De plus, ne pas valoriser un acte de conseil, c’est laisser croire qu’il ne vaut rien ! Au-delà de la rentabilité de l’entreprise, il s’agit aussi de se crédibiliser. », justifie t-elle. Au départ, elle a toutefois hésité sur la forme de rémunération à adopter pour ses entretiens en micronutrition. « Je pensais me faire payer par une mutuelle, un réseau de soins, ou par les patients… En fait, le plus difficile a été de passer le cap de demander une rémunération. Au début, je facturais 10 € de l’heure et 5 € la demi-heure », se souvient la titulaire. « Pas assez cher ! », lui suggère un président d’une commission du Conseil de l’Ordre de l’époque, à la grande stupeur de la titulaire, qui n’ose pas, toutefois, changer ses prix sans explications. Qu’à cela ne tienne ! Elle suit une formation complémentaire en neuro-nutrition. Et fort de cette nouvelle compétence, elle augmente ses tarifs, qui passent à 23 € la demi-heure et 46 € l’heure en micronutrition. « Le prix n’a jamais posé problème. Quand l’équipe parle de ces rendez-vous et de leur tarif, certains patients demandent à réfléchir. Leur interrogation porte davantage sur la démarche de suivi que sur le prix », confie-t-elle. Depuis 2015, elle s’est, également, mise au sevrage tabagique. Aujourd’hui, l’adjointe et les préparatrices proposent, elles aussi, des rendez-vous anti-tabac. Si bien que, cet été, vingt patients étaient suivis en micronutrition et trois pour arrêter de fumer. Quant au prix, il n’a pas évolué. « Il faudrait que j’y songe ! », lâche-t-elle décomplexée

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