La profession de pharmacien doit être sur ses gardes - Pharmacien Manager n° 162 du 26/10/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 162 du 26/10/2016
 
L’INVITÉ BLAISE MONTFORT

NEWS

Auteur(s) : Fabienne Colin

Les consommateurs et leur santé. Pro des études sur le sujet, Blaise Monfort scrute plus particulièrement l’impact des nouvelles technologies sur la prise en charge des malades et la pharmacie de demain. Rencontre.

« Pharmacien Manager ». On parle beaucoup de santé connectée, les Français sont-ils prêts ?

Blaise Montfort. Les Français y sont totalement préparés, notamment les plus jeunes. On vit une révolution technologique extrêmement récente. Pour rappel, l’Iphone n’est lancé que depuis 2007. En seulement neuf ans, on a assisté à une explosion d’objets connectés et d’applications. Aujourd’hui, on dénombre environ 160 000 applis santé. C’est considérable !

Nos concitoyens sont prêts à collecter eux-mêmes leurs données et les délivrer à leur médecin. Ils voient dans les objets connectés une façon de favoriser la prévention des pathologies, de retarder la dépendance, d’améliorer le suivi des patients – notamment ceux souffrant de maladies chroniques. Les Français attendent d’ailleurs des professionnels de santé qu’ils se mettent à la santé connectée. Cela étant, ils expriment en parallèle de fortes craintes quant à la protection de leurs données personnelles. C’est l’enjeu qui se pose aujourd’hui, et de nombreuses questions doivent être résolues : qui a accès à la data ? Pour en faire quoi ? Comment la protéger ?

P.M. Y-a-t-il vraiment un marché pour cette santé connectée ?

B.M. Sur environ 160 000 applis santé, près d’un tiers relève du registre médical. Le reste concerne le wellbeing, le fitness… Cela reflète bien une tendance de société, la volonté de se prendre en charge, de s’autonomiser en matière de santé. Cela change radicalement le rapport à son corps, à sa santé et à son médecin. C’est d’autant plus intéressant que dans 10-20 ans, le patient aura la capacité de collecter lui-même énormément de paramètres biologiques grâce aux objets connectés qui bénéficient d’une explosion de créativité. Google travaille, par exemple, à un système de mesure permanente de la glycémie dans les larmes. Ce phénomène de médecine en continu impacte fondamentalement la place des acteurs de santé. Tout l’écosystème de la prise en charge sera modifié, selon ce que l’on décidera d’en faire. Car ces évolutions profondes de société sont assujetties à des décisions politiques, des corporations ( professionnels de santé, associations de patients, etc) et à des investissements financiers. Tout l’écosystème de la prise en charge sera modifié, selon ce que l’on décidera d’en faire.

P.M. On voit des objets connectés à la Fnac, dans les supermarchés, dans les pharmacies, le consommateur se repère-t-il ?

B.M. Cet état de fait est perturbant pour le consommateur, mais aussi pour le professionnel de santé, et pour la mise en place du nouvel écosystème. Aujourd’hui, il n’y a pas de label généralisé pour ces objets connectés. Il n’y a pas non plus un Vidal des applications. De plus, il n’existe aucune interopérabilité universelle entre ces outils et les logiciels des professionnels de santé. Pour que tout se mette en marche, il faut aller plus loin : être très strict sur la sélection des objets connectés, des applis, sur leurs portées et leurs limites. Un jour alors, le pharmacien pourra les conseiller, voire les « prescrire ». On peut trouver un tensiomètre fiable en hypermarché mais cela nécessite un accompagnement dès lors qu’on se situe sur le registre médical.

P.M. Internet s’invite désormais dans le parcours d’achat. Comment cette tendance affecte-t-elle la santé ?

B.M. Cela fait déjà plusieurs années qu’Internet a modifié les relations entre le patient et les professionnels de santé. Très souvent, le patient se renseigne en ligne avant de rencontrer son médecin, son pharmacien. Mais en termes d’achat, les pharmacies online en France n’ont pas explosé. Les consommateurs s’autolimitent sur l’univers de la santé et du médicament qu‘ils considèrent comme des biens « pas comme les autres ». Il y a sans doute aussi une raison sécuritaire au fait que le chiffre d’affaires des e-pharmacies reste marginal. En achetant sur Internet, on ne sait pas toujours d’où vient le produit. Or chez le pharmacien, on a une sécurité absolue de ce point de vue. Les Français expriment une vraie confiance dans leur pharmacien, perçu comme un professionnel de santé de proximité auquel ils sont très attachés. Cela ne signifie pas pour les pharmacies qu’il faille s’exonérer de services tels que la livraison à domicile ou la précommande.

P.M. Qu’attendent les Français d’un pharmacien ?

B.M. Il a un statut hybride. Les uns le considèrent comme professionnel de santé à part entière. Pour d’autres, c’est un commerçant ou bien il porte les deux casquettes. Nos enquêtes montrent un attachement très fort au pharmacien d’officine pour sa proximité et son savoir autour du médicament. Il pourrait tout à fait jouer un rôle prépondérant demain dans le circuit de prise en charge du patient. En Suisse par exemple, il représente la porte d’entrée dans le parcours de soin. On le sollicite plus souvent pour avis, conseil et orientation. Il y a là potentiellement des missions à étoffer. La mise en place des entretiens pharmaceutiques va dans la bonne direction. Sauf que les officinaux n’ont pas été rémunérés à la hdiv de la mission confiée.

P.M. Pensez-vous que l’exercice officinal va être bouleversé par les nouvelles technologies ?

B.M. Pour l’instant, rien ne laisse présager que le métier des pharmaciens va être profondément modifié par les outils digitaux. Mais les nouvelles technologies (Ndrl, via le suivi des données issues des objets connectés de santé) peuvent être, pour les officinaux, une opportunité de revaloriser leur mission, leur expertise et même de retrouver de la marge.

P.M. L’avenir se dessine donc de manière positive…

B.M. Pas vraiment… Le modèle économique de la pharmacie a du mal à trouver sa place. Il est tiraillé entre, d’un côté les économies faites sur les médicaments, et de l’autre, les menaces telles que la vente de médicaments en hypermarché, ou leur livraison, demain, par des acteurs comme Amazon. On voit émerger de nouveaux modes de commerce, possibles grâce aux nouvelles technologies, et qui changent l’univers concurrentiel. La profession de pharmacien doit être sur ses gardes, évoluer et ne pas se refermer sur elle-même.

Biochimiste de formation initiale, Blaise Montfort est ensuite entré à l’ESSEC. Il a mené l’ensemble de sa carrière chez des professionnels des études de marché, en se spécialisant dans le secteur de la santé. Il débute chez AplusA, poursuit son chemin chez Harris Médical International et Kantar Health, avant d’intégrer en 2007 l’institut CSA où il dirige actuellement le département santé.

DIRECTEUR DU DÉPARTEMENT SANTÉ DE L’INSTITUT CSA

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