La loi de la jungle - Pharmacien Manager n° 162 du 26/10/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 162 du 26/10/2016
 

DOSSIER

Auteur(s) : Fabienne Colin

Exercer dans la plus belle ville du monde ne fait pas forcément rêver. Dans la capitale envahie par les enseignes officinales, la concurrence fait rage. Chaque titulaire doit se battre pour fidéliser sa clientèle, résister aux charges élevées, essayer de s’agrandir…

Aujourd’hui, la Ville Lumière compte 960 officines. « Avec une population de 2,2 millions de personnes, théoriquement, il devrait y en avoir 640 », pointe Laurent Ortiz, titulaire de la Pharmacie Félix Faure, dans le 15e. Le chiffre d’affaires moyen dans la capitale s’élève à 1,86 M€ (source : ARS, 2014) mais le réseau est devenu très disparate. Quoi de commun entre une minuscule pharmacie dans le quartier de la Goutte d’Or qui génère 600 000 € à l’année, et la « Citypharma » de la rue du Four avec ses caisses par dizaines ? Mais une chose est sûre : « Avec l’explosion des enseignes dans Paris, tout le monde fait du prix. Il faut pouvoir s’adapter… », rapporte Sarah Guatel, titulaire dans le Val-de-Marne après avoir exercé près de 10 ans dans Paris. La pharmacienne est aussi co-fondatrice du groupement Escale Santé implanté en Île-de-France. « Ici, c’est la jungle », résume à sa manière Roger Ouaknine, installé depuis 27 ans rue Lafayette entre les gares du Nord et de l’Est, près de l’hôpital Lariboisière. Pour survivre dans cette guerre des prix, le titulaire de la Pharmacie Centrale du Nord a rejoint l’enseigne Univers Pharmacie. Mutation du modèle économique oblige, 12 officines parisiennes ont fermé en 2015 et 7 durant les neuf premiers mois de 2016, selon l’ARS Ile-de-France.

Marques de territoire

« Dans deux ans, 80 % des pharmacies parisiennes seront sous enseigne », prédit Alexandre Mergui, fondateur du groupement Pharmavance. 14 des 30 officines de ce réseau sont implantées dans la capitale. La première a vu le jour fin 2010 rue de Vaugirard dans le 15e arrondissement, plus densément peuplé que la moyenne. Et Alexandre Mergui a bien l’intention de poursuivre son maillage « kilomètre par kilomètre ». Ces cinq dernières années, le paysage officinal de Paris intra-muros a changé à vue d’œil. Cette évolution rapide se remarque dès les vitrines aux couleurs de Pharmavance, Leader Santé, Paris Pharma, Well & Well, Suprapharm… « L’effet de l’enseigne fonctionne et fait des émules, remarque Stéphane Delouya, titulaire de la Pharmacie Centrale dans le 13e arrondissement, à l’enseigne Paris Pharma (plus de 4 M€ de chiffre d’affaires). Les titulaires qui n’avaient pas une vision très industrielle de l’officine, qui faisaient plutôt de la pharmacie de comptoir, passent aujourd’hui au retail. Du coup, ils améliorent leur choix de produits, leur signalétique, leurs offres commerciales. Ainsi, au moins au démarrage, ils vendent davantage ». Cette adaptation des officines aux codes du commerce moderne n’a rien du hasard. « La concurrence à Paris a permis l’émergence des enseignes beaucoup plus vite qu’en banlieue et qu’en province où on ressent moins la nécessité de se différencier, car chacun est suffisamment éloigné de la pharmacie la plus proche », explique Alexis Berreby, directeur expansion de Leader Santé Groupe, un réseau de 200 officines dont 33 à l’intérieur du périphérique.

Chacun pour soi

Autre particularité de la capitale, la ville est riche en bons emplacements commerciaux. Comme chacune des sorties du métro… dans une cité où les stations sont en moyenne à moins de 600 m les unes des autres ! « On dit qu’on voit en moyenne 3,5 croix depuis n’importe quel carrefour », relève Stéphane Delouya, installé près du croisement des rues Patay et Tolbiac d’où l’on aperçoit cinq croix ! « Dans ce condiv, le seul déplacement d’un arrêt de bus peut entrainer une redistribution du trafic d’une officine vers une autre ». La densité des officines est parfois perçue comme un avantage. Ainsi, Pharmavance n’hésite pas à examiner des dossiers dans des zones fortement concurrentielles. « La concurrence signifie qu’il y a un potentiel. C’est un de nos critères de choix pour choisir un emplacement, confie Alexandre Mergui. Avant d’acheter, nous étudions l’importance du passage des piétons. Pour mettre une officine à nos couleurs, nous sommes en mesure de mener des travaux en 4 jours. L’avant/après permet un bel effet “Waouh”. » Le groupement étudie prioritairement les dossiers de 2 M€.

Mais ne dénigre pas pour autant la reprise d’une officine qui ferait 600 000 € de CA, dans un quartier fortement peuplé – et donc pas le 8e. « Aujourd’hui, chose spécifique à Paris, on peut développer un gros volume d’affaire dans de petites surfaces. C’est possible parce que nous avons le concept Pharmavance derrière : nous disposons d’une centrale donc de stock, et nous formons nos titulaires… », explique Alexandre Mergui.

Chasse à la surface

Chez Pharmavance – qui espère ouvrir 10 officines dans Paris courant 2016 –, chaque mètre carré supplémentaire compte. Ainsi depuis son arrivée dans le groupement fin 2010, la Pharmacie Vaugirard a été agrandie de 50 à 250m² en réduisant le back office au minimum possible et en abattant un mur porteur… Et ça paie : la fréquentation y a quadruplé. Le chiffre d’affaires a bondi de 800 000 € à 3 M€, et la croissance annuelle est encore à deux chiffres six ans plus tard. Idem pour la Pharmacie Rochechouart. Elle réalisait 800 000 € de CA en 2010 avant de passer à l’enseigne Pharmavance. Deux agrandissements plus tard, elle génère environ 2 M€. « Celui qui veut s’installer à Paris doit comprendre qu’il va s’asseoir dans un champ de bataille. Avant d’acheter, il doit s’assurer qu’il aura la possibilité d’agrandir sa surface de vente et mener une étude de marché très précise, pour évaluer sa capacité à étendre sa zone de chalandise, et cerner ses futurs concurrents », estime Stéphane Delouya, titulaire à l’enseigne Paris Pharma. Entre deux portes cochères, on ne peut rien faire. Il faut aller chercher des surfaces supplémentaires. Regardez la Pharmacie Montorgueil, elle a racheté un grand café. Et la Pharmacie Monge vient encore de reprendre trois boutiques. Ces grandes officines ne l’étaient pas au départ. »

Charges dévorantes

À Paris, la masse salariale est élevée, d’autant plus que l’amplitude horaire est large. Les officines sont volontiers ouvertes non-stop 6 jours voire 7 jours/7. Plusieurs servent 24h/24. Aux charges salariales, s’ajoute le prix du m2. « Globalement, les charges d’exploitation dans la capitale sont plus lourdes en termes de personnel et de loyer », confirme Christian Hayaud, responsable du cabinet de transactions Villard, spécialiste de l’officine parisienne. Alexis Berreby, de Leader Santé, n’y voit rien de rédhibitoire. « Certes, le loyer est plus élevé, les préparateurs sont payés 10 ou 20 % de plus qu’en banlieue, mais cela peut être compensé par des marges plus fortes. » Une remarque sans doute vraie pour les pharmacies au chiffre d’affaires supérieur à la moyenne. Mais Christian Hayaud, amené à examiner des dossiers très variés observe que dans l’ensemble, dans la capitale, « la marge brute est inférieure à celle dégagée en province. En région, elle se situe à 31 % voire 32 % tandis qu’à Paris la moyenne s’établit à 27-28 %. »

En fait, la valorisation d’une officine parisienne varie considérablement selon son profil. Premier cas de figure : les emplacements premium (zones touristiques, sorties de métro…), où les pharmacies se vendent très (voire trop) chères. « Le marché parisien fonctionne alors sur l’ancien modèle avec des rentabilités médiocres, des prix d’acquisition élevés mais l’espoir de gagner en patrimoine à la revente sans avoir gagné d’argent pendant son activité, analyse Nicolas Sakellis associé au cabinet d’expertise comptable Sapec. Je passe mon temps à conseiller aux jeunes d’investir en banlieue plutôt que dans Paris intra-muros. Les alentours de la capitale offrent plus de potentiel de croissance. » Seconde typologie : les officines traditionnelles de quartier. « En moyenne, celles de 2 millions d’euros se vendent entre 75 % et 80 % du CA, et celles de moins de 1 M€ entre 40 % et 50 % », témoigne Alexandre Mergui. Dans ce condiv là, détenir aujourd’hui une pharmacie parisienne n’est donc pas forcément la garantie de se constituer un pactole pour sa retraite.

Manger son voisin

Aujourd’hui, chaque arrondissement a ses petites officines de quartier. Mais pour combien de temps encore ? Certaines sont délicieusement rétro comme la Pharmacie Chabrol – du nom de sa rue dans le 10e – où les étagères en bois soignées, sont décorées au sommet par des pots d’apothicaire. L’officine d’une vingtaine de mètres carrés de surface de vente a tout d’un commerce de proximité. Emile Smadja, qui la pilote depuis 38 ans, connaît bien les habitants du quartier. En témoigne une annonce qui proposait cet été la location d’un appartement à Cannes. Mais le charme ne suffit pas. Le titulaire a mis son établissement en vente et les mois passent sans qu’il ne trouve acquéreur. Peut-être est-il trop « gourmand » ? « Pendant longtemps, les pharmacies à petits CA ne se vendaient pas parce qu’elles étaient trop chères.

Aujourd’hui, elles se vendent, pas chères, mais elles se vendent. Cela permet de s’installer avec peu d’apport », remarque Laurent Sebaoun, négociateur associé du cabinet de transactions Channels. « Désormais, le rachat de clientèle et le regroupement sont des solutions de valorisation du fonds de commerce pour les petits CA », commente Christian Hayaud, qui revendique avoir accompagné « neuf absorptions par des voisins » dans Paris en 2015. « Ceux qui pensent que toutes les petites pharmacies en mauvaise passe vont tomber en liquidation et disparaître ont tort. La plupart seront reprises », prévoit Nicolas Sakellis qui conseille aux titulaires proches de ces officines en bout de course de racheter leur fonds ou leur clientèle. L’enjeu : prendre la main avant qu’une enseigne ou qu’un jeune ambitieux ne puisse la redynamiser et ajouter à la concurrence. Parallèlement, tous les experts pensent que les grosses officines vont continuer à voir leur activité augmenter à Paris. Selon eux, cela passera notamment par des rachats des petites officines, plutôt par des regroupements (aucun depuis début 2015, selon l’ARS). Alexandre Mergui chiffre cette concentration à « 20 % de pharmacies en moins d’ici à cinq ans ». Une rationalisation qu’il imagine sans impact négatif sur le service de santé.

Témoignages

Roger Ouaknine

Pharmacie Centrale du Nord (Univers Pharmacie)

Emile Smadja

Pharmacie Chabrol

Stéphane Delouya

Pharmacie Centrale (Paris Pharma)

Laurent Ortiz

Pharmacie Félix Faure (Népenthès)

Mathilde Clément

Pharmacie Bailly (PharmaBest)

LES EXPERTS

Christian Hayaud

Responsable du cabinet de transactions Villard

Nicolas Sakellis

Associé au cabinet d’expertise comptable Sapec

Sarah Guatel

Co-fondatrice du groupement escale santé

Laurent Sebaoun

Négociateur associé chez Channels

Alexandre Mergui

Fondateur du groupement pharmavance

Alexis Berreby

Directeur expansion de Leader Santé groupe

STATU QUO

Aucune officine n’a été transférée dans Paris intra-muros en 2016, alors que cinq l’avaient été l’an dernier. (source ARS)

Paris à part

Le règne des Big Pharma

Certes, on rencontre souvent à Paris des officines de quartier, d’à peine 20 m2, où le titulaire exerce au comptoir et connaît quasiment tous ses clients. Mais il y a aussi des pharmacies au flux très important comme celles aux abords des gares. Telle la Pharmacie Bailly, près de la gare Saint-Lazare. Elle a récemment frôlé les 2 000 clients en un jour et a quadruplé son chiffre d’affaires depuis 2010 pour tutoyer les 16 M€ cette année, selon sa titulaire Mathilde Clément. Loin de se contenter de cette croissance à faire rêver, cette officine, membre du groupement PharmaBest (ex-G7), veut aller plus loin. Elle vient de se doter d’un site marchand et, plus rare, d’une agence de relations presse pour faire connaitre cette nouvelle activité aux journalistes et au grand public. Et puis… Il y a aussi quelques pharmacies encore plus gigantesques qui se sont spécialisées dans la vente aux touristes : la Pharmacie Monge (photo), ou encore celle de la rue du Four. Ces établissements aux airs de drugstores à l’américaine attirent par leurs prix bas et leur vaste choix de produits cosmétiques « made in France ».

POTENTIEL

à Paris, le revenu fiscal de référence moyen est le plus élevé de France avec 36 085 €. Le montant de l’impôt sur le revenu est de 6 801 €, soit le triple de la moyenne nationale. (Source : Atlas fiscal de la France)

Paris à part

Personnel à apprivoiser

Aux abords de la gare du Nord, il faut être en mesure de servir le junky du coin, comme le touriste migraineux qui passe là avant d’attraper son train. Dans le Marais, il faut aussi bien satisfaire les touristes que les bobos ou encore les personnes sous trithérapie… Les titulaires essaient de recruter des collaborateurs au profil commercial, parfois avec une partie de la rémunération variable. Souvent à Paris, les collaborateurs sont plus jeunes et il y a davantage de changements dans l’équipe. Il y est encore plus difficile qu’ailleurs de recruter des préparateurs. Car au-delà de la faible demande, ils souhaitent se rapprocher de leur domicile en banlieue. En revanche, la capitale attire les jeunes adjoints. « Ils veulent acquérir de l’expérience. Et ici, on a souvent des ordonnances particulières, des demandes d’hôpital… », raconte Laurent Ortiz, titulaire dans le 15e. « Les salariés ne sont pas différents à Paris, ici c’est la relation au salarié qui change. Sur un marché où le turnover est important, on paie couramment 20 à 30 % plus cher qu’ailleurs, on forme beaucoup et on chouchoute notre personnel pour le conserver », confie Stéphane Delouya, installé sous enseigne Paris Pharma, dans le 13e.

CHARME

La capitale française se positionne à la 4e place des métropoles les plus dynamiques et attractives du monde derrière Londres, Singapour et Toronto, selon la 7e édition du « Cities of opportunity », du cabinet PwC.

Paris à part

Les clients font leur loi

De fait, la clientèle parisienne est structurellement moins fidèle qu’ailleurs. On y trouve, selon les endroits, des habitants du quartier, des touristes (par définition de passage), ou encore des employés de bureau. De plus, le client parisien a souvent un horaire à respecter, un métro à prendre, un train à ne pas rater. Il est moins enclin à attendre. Il choisit volontiers d’aller dans l’officine la moins fréquentée selon le moment de la journée. La volatilité s’explique aussi par la densité du réseau. Les pharmacies étant parfois situées à quelques dizaines de mètres les unes des autres, les clients peuvent facilement comparer les prix et opter pour le moins cher. « À Paris, on a plus affaire à un consommateur qu’à un patient, résume Alexandre Mergui, fondateur de l’enseigne Pharmavance. D’où l’importance d’essayer de fidéliser sur des produits exclusifs et services différenciants, comme les marques propres, le conseil technique, ou encore une spécialisation. » Globalement, la clientèle parisienne est plus éduquée. « Dans certains quartiers bourgeois, on se sent alors moins considéré. Nous avons moins de rôle d’information », analyse Alexis Berreby, dirigeant du groupe Leader Santé. Et sa consoeur Sarah Guatel, à la tête du groupement Escale Santé, d’abonder en son sens : « Dans des riches arrondissements comme le 8e ou le 16e, par exemple, les gens sont parfois très exigeants, ils vont facilement nous contredire. »

900 000

C’est le nombre de personnes qui entrent chaque jour dans Paris. 350 000 la quittent, selon l’Apur.

L’ESSENTIEL

→ À Paris, le passage sous enseigne est en pleine croissance.

→ En moyenne, une pharmacie parisienne a des charges (loyer, personnel) plus élevées et une rentabilité moins bonne qu’ailleurs.

→ La concurrence est forte en raison de la densité des pharmacies.

→ Les petites officines de la capitale se vendent, mais à prix bas ou se voient racheter leur clientèle.

→ Avant de reprendre une officine à Paris, il faut étudier son potentiel, en termes de fréquentation et d’agrandissement.

→ On observe une diminution du nombre de petites officines au profit des grosses pharmacies.

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