Rester dans une logique de diagnostic pour la cosmétique - Pharmacien Manager n° 161 du 26/09/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 161 du 26/09/2016
 

NEWS

Auteur(s) : Fabienne Colin

Le marché du soin en officine se porte bien, au détriment de la parfumerie. Une opportunité que le pharmacien a intérêt à exploiter pour fidéliser. Conseils de Philippe Jourdan, expert en marketing.

« Pharmacien Manager ». Votre dernier livre, s’intitule « Le marketing de la grenouille », quel parallèle faites-vous entre ce batracien et une marque ?

Philippe Jourdan. Les consommateurs ont évolué sous l’influence de différents facteurs et notamment de la digitalisation de l’économie. Les annonceurs sont bien informés à ce sujet. Mais si la plupart ont pris conscience de ces mutations, ils estiment disposer de temps pour s’adapter. Or le changement en cours est à la fois profond, rapide et porteur de conséquences sur un horizon beaucoup plus court terme qu’ils ne l’envisagent. D’où notre mise en garde : échappez au syndrome de la grenouille. Plongée dans une eau réchauffée lentement, elle meurt sans s’être aperçue du changement de son environnement. Au contraire, dans une eau rapidement montée en température, elle a un réflexe de survie.

P.M. Les officines ont-elles changé assez rapidement ?

P.J. Nous observons cela à travers la parapharmacie. Menant nos études à l’international, nous ne sommes pas réellement surpris du poids que prend la pharmacie sur les marchés du soin de la peau en France. C’est déjà le signe du rattrapage d’un certain retard. On remarque aussi que le consommateur se tourne de plus en plus vers la pharmacie pour le soin et notamment sur l’hydratation et la prévention des effets de l’âge. Et ce pour trois bonnes raisons : la recherche de produits naturels, le questionnement sur l’efficacité et une certaine méfince face à des marques qui ne présenteraient pas toutes les garanties à propos des effets secondaires. Enfin, on sent une montée de la réglementation, notamment européenne, sur les composants. On adopte de plus en plus un discours de transparence scientifique et le consommateur semble y être favorable. Cela correspond assez bien au discours blouse blanche de la pharmacie.

P.M. Comment le pharmacien doit-il s’adapter à ce besoin de transparence ?

P.J. Certains clients n’avaient pas l’habitude de s’adresser au pharmacien pour des problématiques de soin et le font aujourd’hui. Jusque-là, ils avaient le réflexe de se rendre en pharmacie uniquement pour l’ordonnance. Ce n’est pas évident de fréquenter une officine pour d’autres envies. Il est beaucoup plus facile de rentrer chez Sephora où l’ambiance, l’aménagement du magasin, l’ouverture vers la rue, l’accueil des beauty consultants… font qu’on y vient par plaisir et qu’il est rare d’en sortir sans achat. L’officine doit se réorienter, passer d’un magasin fermé où la routine d’achat est figée et sous contraintes, à un magasin beaucoup plus ouvert, qui doit attirer une clientèle. Certains concepts de pharmacies l’ont compris.

P.M. Cela signifie-t-il qu’il faut passer au libre service comme en grande distribution ?

P.J. Dans l’univers du soin, même si la notion du libre service et du « try and test » est important, si le sentiment de liberté est un driver clé en matière de fréquentation et d’achat, on voit émerger un vrai besoin de conseil et de prise en charge. Le pharmacien est très bien placé pour cela à condition de spécialiser des conseillères de vente. Celles-ci ne doivent pas hésiter à aller à la rencontre du client, de l’autre côté du comptoir. Cela demande de la formation et de l’expertise.

De plus, le discours n’est plus centré sur la vente du produit, mais sur la détection vraie du besoin du client à qui ensuite on va proposer la routine de soin adaptée. C’est un virage compliqué à prendre, où la parfumerie investit énormément. Sephora, Marionnaud et Nocibé engagent beaucoup d’argent pour que leurs conseillères partent de l’expertise du besoin avant de diriger ensuite le client non vers un seul produit, mais vers une routine.

P.M. Dans ce condiv, quelles sont les marques qui sortent du lot ?

P.J. Pour certaines catégories de produits et certains cas, le consommateur est dérouté par la surabondance de marques et d’offres. Il perd ses repères, zappe, et du coup il est moins consciencieux dans le suivi d’une routine. Or on sait que l’efficacité du soin est liée au produit et à la régularité de son application pendant un temps suffisamment long. Le nombre de marques et le rythme d’innovation sont parfois de nature à perturber le consommateur. De son côté, la pharmacie a le grand avantage d’avoir une offre resserrée autour de marques fortes, souvent clairement identifiées par un bénéfice majeur. Le repérage est plus facile. La Roche-Posay a fait un très bel effort pour s’assurer une visibilité en pharmacie autour de bénéfices peu nombreux mais clairement identifiés.

P.M. Comment présenter au mieux cette offre resserrée ?

P.J. J’encourage à présenter l’offre en fonction des besoins. On va traditionnellement en pharmacie pour acheter un médicament à l’issue d’un diagnostic. On a telle pathologie, on fait confiance à son médecin et à son pharmacien pour vous donner non pas le produit qu’il veut vendre mais le plus adapté à vous. Il faut que le pharmacien reste dans cette même logique concernant le soin. Face à un besoin de prévention de la ride, de comblement, d’hydratation…, le pharmacien ne doit pas aborder le client par la promotion du moment ou par une marque, mais par un diagnostic. Puis il oriente vers les produits adéquats, au sein non pas de 36 marques, mais d’une sélection qu’il a faite lui-même en amont.

P.M. La crise a fragilisé le rapport aux institutions et aux marques. Comment le pharmacien peut s’adapter à cette période d’incertitude ?

P.J. Plus que jamais, il est important qu’il joue son rôle de diagnostic et de conseil de façon extrêmement avisée. Certes, il doit faire du marketing parce qu’il a face à lui d’autres acteurs, et notamment les réseaux de parfumeries qui ont beaucoup plus de moyens, et l’accès à des marques exclusives… Mais surtout, il doit principalement valoriser son expertise « blouse blanche ». L’abondance de promotions dans certaines pharmacies est un peu décalée par rapport au positionnement gagnant de ce secteur.

Diplômé d’HEC, Philippe Jourdan a travaillé dans le domaine des études marketing avant de créer les sociétés Panel on the web et Promise Consulting qui ont fusionné. Il est spécialisé dans l’accompagnement des marques de cosmétique, dans la définition de leur stratégie. Il est également enseignant à l’université et de chercheur au CNRS sur le comportement du consommateur.

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