Entrez dans la pharmacie de 2025 - Pharmacien Manager n° 156 du 25/03/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 156 du 25/03/2016
 

DOSSIER

Auteur(s) : Yves Rivoal

Nous avons demandé à 34 experts de se projeter pour esquisser la pharmacie demain.

En compilant leurs visions prospectives, nous avons imaginé la journée de travail de Yann Coatalem, titulaire à concarneau et adhérent à l’enseigne orange pharma. Scénario souhaitable ? À vous de juger…

8 h 20, le 4 avril 2025

CE VENDREDI comme tous les matins, c’est moi qui dépose mes deux enfants, Erwan et Soizic, à l’école primaire de la Forêt-Fouesnant. Ma Google Car à conduite automatisée m’emmène ensuite en une dizaine de minutes à Concarneau où se trouve mon officine. Pendant le trajet, j’en profite pour consulter ma messagerie et mon programme de la journée sur ma tablette flexible connectée à Internet en 6G. Ma Google Car se gare sur le parking de l’office du tourisme de Concarneau situé juste en face de la pharmacie. Je plie et range la tablette dans la poche de ma veste, prêt à attaquer une nouvelle journée de travail.Cela fait maintenant trois ans que je suis installé avec mes deux associés dans cette superbe bâtisse. Une installation intervenue suite au regroupement de nos trois pharmacies situées en centre-ville. Ce choix s’est imposé comme une évidence. La ville, qui compte près de 20 000 habitants, 50 000 si on englobe la communauté d’agglomération, a vu ces dernières années le nombre de médecins généralistes passer de 18 à 10. Après la fermeture définitive de l’hôpital du Porzou, qui a été délocalisé à Quimper et à Brest, la communauté de communes Concarneau Cornouaille Agglomération a financé la construction d’une maison de santé dans les locaux de l’ancien hôpital. Inaugurée en 2021, elle réunit trois généralistes, un dentiste, un gynécologue, un ophtalmologue, trois infirmières ainsi que notre pharmacie. Nous avons dès le départ été partie prenante de ce projet, seule façon pour nous d’exister face aux deux officines installées dans les centres commerciaux Leclerc et Intermarché. Il nous aurait aussi été impossible, pour cause de CA et d’effectifs insuffisants, d’investir comme nous l’avons fait dans les nouvelles missions dévolues aux pharmaciens depuis 2022. Pour pallier la désertification médicale qui s’est aggravée dans les zones rurales et périurbaines, le gouvernement a élargi le champ des compétences des pharmaciens. Nous sommes devenus la porte d’entrée du parcours de soin pour une dizaine de pathologies bénignes. On nous a aussi confié la gestion des soins de premier recours et l’Etat encourage les officines à investir dans la télémédecine. Nous sommes par ailleurs habilités à effectuer des tests biologiques de routine et à assurer des entretiens de dépistage. Cerise sur le gâteau, les pouvoirs publics ont instauré pour toutes ces nouvelles missions un vrai système de rémunération avec honoraires. En parallèle, pour combler le déficit abyssal de la Sécurité sociale, les médicaments obtenus sans ordonnance ne sont désormais plus remboursés par l’assurance maladie, celle-ci se concentrant sur la prise en charge des pathologies lourdes. Une décision qui a conduit les mutuelles à prendre le relais via des forfaits de prise en charge spécial automédication.

8 h 45

TOUTE L’ÉQUIPE du front-office (les trois titulaires, l’adjoint, les cinq préparatrices, la diététicienne et l’esthéticienne) est à pied d’œuvre pour accueillir les clients. Comme tous les matins avant l’ouverture, la journée commence par un point informel où l’on expose les problèmes rencontrés la veille et rappelle les temps forts de la journée qui commence. La pharmacie est structurée en cinq grands pôles. Un de mes associés a en charge l’ordonnance, l’autre les nouvelles missions. Le pharmacien adjoint supervise, lui, le libre accès et la parapharmacie. Je pilote, moi, le digital (le site Internet, les réseaux sociaux et la télémédecine) et tout ce qui touche au MAD et à l’HAD. Le back-office est, lui, géré par un logisticien que nous avons recruté dans la grande distribution.

9 h 00

MON IWATCH me rappelle que je reçois un confrère de Lannion qui s’interroge sur l’opportunité de rejoindre Orange Pharma, l’enseigne à laquelle nous avons adhéré au moment du transfert. Nous avons décidé de tenter le pari de cette filiale du groupe de communication Orange qui venait de racheter l’un des groupements les plus importants après l’ouverture du capital des pharmacies décidé par le gouvernement en 2022, pendant le fameux big bang. Les officines Orange Pharma se positionnent comme des centres de santé et de bien-être qui ont pour ambition d’aider les patients à rester en bonne santé le plus longtemps possible. C’est ce concept, en phase avec les attentes des patients, qui nous a séduits. Les promesses de retour sur investissement ont aussi beaucoup compté au moment du choix, tout comme les solutions innovantes qui nous étaient proposées en matière de merchandising (rayons indépendants, espace de détente), de services (dépistage, click & collect…) et de technologies digitales. L’adhésion à Orange Pharma suppose le respect intégral de la charte d’enseigne. C’est contraignant mais le résultat est là. Lors de l’aménagement, nous avons d’ailleurs été accompagnés par un expert d’Orange Pharma qui vérifiait les moindres détails en vitrine, sur le point de vente et en back-office.

10 h 00

JE PRENDS CONGÉ de mon collègue car madame Guivarc’h vient d’arriver. Cette patiente diabétique a rendez-vous pour une téléconsultation avec un dermatologue du CHU de Brest qui la suit pour une plaie au bras qui ne cicatrise pas. Nous prenons l’ascenseur pour monter à l’étage où est installée notre salle de téléconsultation. C’est aussi dans cette salle que nous assurons les entretiens de dépistage sur la tension, la glycémie, la cholestérolémie, l’IMC… Se trouvent aussi à l’étage les deux salles d’entretiens médicaux, le robotautomate et la réserve.

À L’HEURE convenue, le dermatologue apparaît à l’écran 3D. On a vraiment l’impression qu’il est dans la même pièce que nous ! Le spécialiste zoome avec la caméra, qu’il pilote à distance, pour observer l’évolution de la plaie. Après avoir posé quelques questions, il met fin à la consultation. Je refais le pansement de Mme Guivarc’h et l’invite à s’asseoir devant le bureau, le temps de traiter l’ordonnance qui est déjà arrivée via la messagerie sécurisée. Je sélectionne sur l’écran tactile les médicaments prescrits et invite la patiente à poser son index sur le lecteur d’empreintes digitales du terminal de paiement afin qu’elle règle les 2,50 € restant dus. Moins d’une minute plus tard, les médicaments arrivent sur le plateau de distribution. C’est en effet le robot-automate qui achemine les produits sur les différents îlots de conseil et d’encaissement à l’étage et sur le point de vente. Finis donc les incessants aller-retours dans le backoffice. L’équipe peut désormais se consacrer à l’écoute des patients et au conseil à leur prodiguer. C’est aussi le robot-automate qui gère les codes Datamatrix, les dates de péremption et l’inventaire des produits stockés. Ces données d’inventaire sont transmises en temps réel au système d’information d’Orange Pharma et de notre grossiste-répartiteur partenaire qui pilote pour nous l’approvisionnement des stocks et le planning des ventes.

Cette nouvelle organisation logistique nous a fait gagné en productivité et en qualité en back-office, les erreurs de stocks et les manquants se faisant de plus en plus rares.

11 h 00

JE VIENS DE TERMINER la rétinographie non mydriatique de Mme Naour grâce à mon équipement de télémédecine. Le cliché a été automatiquement intégré à son dossier patient qui est hébergé sur un serveur sécurisé du GIE DataHealth. Son ophtalmologue pourra le télécharger et nous retourner ses commentaires sous 48 heures. Depuis le déploiement du dossier patient par ce GIE créé par les industriels spécialisés dans les logiciels santé, sous le strict contrôle de la CNIL et de la HAS, l’interopérabilité entre tous les acteurs de la chaîne de santé est devenue une réalité. Après l’opération de la cataracte de Mme Naour nous avons immédiatement reçu son ordonnance, en tant que pharmacie référente. Ce qui nous a permis de la livrer à domicile alors qu’elle venait juste de rentrer de l’hôpital.

Jusqu’à 13 h 00

JE SUIS sur le point de vente comme toute l’équipe pour absorber le flux de clientèle plus important à ce moment de la journée, surtout le vendredi qui est jour de marché. Monsieur Le Mat, un ami de mes parents atteint d’un cancer de la prostate, se dirige vers moi. Il me connaît depuis que je suis gamin. Je lui demande comment s’est passée sa dernière séance de radiothérapie. Pour soulager les effets secondaires qu’il m’expose, je l’invite à patienter dans le canapé installé au centre de l’officine. Mon associé spécialisé en oncologie viendra le chercher pour échanger tranquillement dans l’un des trois box de confidentialité installés au fond de l’officine.

JE REÇOIS UNE ALERTE sur mon iWatch m’indiquant que je dois me rendre au rayon des objets connectés. Un client, M. Kerbrach, s’est vu prescrire par son cardiologue un tensiomètre connecté qui sera pris en charge par la Sécurité sociale et sa mutuelle. Je lui montre les deux modèles que nous avons en exposition sur une belle table en bois et lui fait découvrir via la tablette incrustée dans la table ceux que nous avons en stock dans le robot-automate. Sur mes conseils, et après une démonstration, il opte pour un tensiomètre de poignet Orange Connect, une filiale du groupe depuis qu’Orange Pharma a racheté Visiomed l’an passé. Ce modèle a l’avantage d’utiliser nativement l’application Orange Health, ce qui me permet de programmer en deux clics la transmission des données d’automesure dans le dossier patient, après avoir obtenu l’accord de M. Kerbrach. Grâce à cette simple manipulation, je serai alerté en même temps que son généraliste et son cardiologue des données anormales ou inquiétantes. Au moment de valider son achat, je vois que le panier virtuel de mon client comprend déjà une boîte de Doliprane 1 000 mg. Il me confirme qu’il a effectué cette commande en passant devant le linéaire digital où sont exposées les références stars de l’OTC. Un linéaire bien pratique puisqu’il nous évite d’avoir à le réapprovisionner.

14 h 00

MA GOOGLE CAR me conduit au domicile de madame Duquesne, une patiente cardiaque de 80 ans. Suite à un double signalement de son opérateur de téléphonie mobile, qui a détecté une diminution des déplacements, et d’EDF qui a relevé des consommations d’électricité la nuit grâce aux ampoules connectées, son médecin coordinateur de soins a décidé de la placer en HAD. Il m’a demandé de lui installer un Cardionexion, dispositif médical qui se niche dans les vêtements des patients et qui est connecté à un système d’évaluation des risques de pathologies cardiovasculaires. Madame Duquesne étant par ailleurs très isolée, elle a obtenu le droit à la compagnie du robot Pepper qui aura pour mission de lui faire la conversation. Il assurera aussi un premier niveau d’intervention grâce à l’ECG et au défibrillateur embarqués qui sont régulés par le centre 15.

SUR LA ROUTE du retour, j’appelle le professeur Heart, un cardiologue du CHU de Brest qui doit animer lundi prochain à l’officine une conférence sur l’insuffisance cardiaque. Il me confirme sa présence. A la fin de cette conférence, j’organiserai un atelier conseils sur les régimes, les activités et les exercices à pratiquer lorsque l’on est insuffisant cardiaque. Ce sera aussi l’occasion pour moi de faire un focus sur les tensiomètres connectés. Une ou deux fois par mois, nous organisons des conférences et des ateliers conseils dans notre salle de réunion qui se substitue à nos trois espaces confidentiels. Ces derniers étant modulables, ils peuvent en effet se transformer en une salle de 30 places. C’est aussi là que nous accueillons les patients atteints d’une même pathologie qui viennent échanger sur leur maladie, partager leur expérience…

16 h 00

JE SUIS DE RETOUR à la pharmacie pour rejoindre mon équipe sur la surface de vente. J’ai cependant dû m’isoler dans un espace de confidentialité avec un patient qui débutait son traitement sous interféron, pour bien lui en expliquer les modalités et effets indésirables.

17 h 00

JE REÇOIS UNE ALERTE sur mon iWatch m’indiquant que Mme Jaouen est là. Je la connais de longue date car elle venait déjà dans mon ancienne pharmacie. Elle est venue avec sa fille Maud, 8 ans, qui tousse beaucoup et a mal à la tête. Nous prenons l’ascenseur pour aller dans la salle de consultation. Après avoir regardé la gorge de la petite, je lance le questionnaire médical développé par un collectif de pharmaciens et médecins. L’algorithme d’aide à la décision indique une suspicion d’angine et le traitement à prescrire. Comme dans 70 % des cas, pas besoin d’aller consulter le médecin référent. Le coût de la consultation, 15 €, sera entièrement pris en charge par l’assurance maladie et sa mutuelle.

19 h 00

C’EST LA FIN D’UNE JOURNÉE bien remplie puisque je ne suis pas de l’équipe de permanence qui assurera la fermeture d’ici une heure. Je ne serai pas à la pharmacie demain samedi non plus grâce au roulement mis en place avec les trois autres pharmaciens qui me permet de bénéficier d’un week-end de libre sur deux. Aussi, je prends tous mes mercredis après-midi pour pouvoir m’occuper de mes enfants, chose qui était impensable dans mon ancienne officine où j’étais sur le pont six jours sur sept. Résultat : je suis moins fatigué que par le passé, et aussi moins stressé car j’envisage l’avenir avec sérénité, même si la vente de médicaments OTC en grande surface sera autorisée à partir du 1er janvier 2026… Grâce au regroupement et au transfert, je suis passé d’une petite officine qui réalisait un peu plus de 1 millions d’euros de CA par an, à une autre qui devrait franchir cette année la barre des 4 millions, et qui a su surfer sur la vague du big bang de 2022. Signe des temps : la vente de médicaments remboursés ne représente plus que 55 % de notre chiffre d’affaires. Et si la tendance se confirme, les honoraires deviendront dès l’année prochaine la première source de revenus et de l’officine.

19 h 15

JE SUIS ENFIN à la maison ! Comme tous les vendredis, c’est soirée crêpes, et c’est moi qui suis au bilig. Demain, si la brise annoncée par le ciel est au rendezvous, nous larguerons les amarres de mon voilier pour une croisière en famille autour de l’île de Groix. La météo nationale nous annonce de la pluie. Balivernes ! Il ne pleut jamais en Bretagne…

LES EXPERTS

Eric Baseilhac

Directeur des affaires économiques et internationales du LEEM

Frédéric Bizard

Économiste de la santé et de la protection sociale

Stéphane Bohbot p-dg de LICK

Nicolas Bouzou

Économiste et fondateur d’Asterès

Pascal Brossard

Président de l’AFIPA

Joaquim- Fausto Ferreira

Président de la chambre syndicale de la répartition pharmaceutique

Sophie Grenier

Directrice de la prospective chez Dragon Rouge

Catherine Hardouin designer, enseignante à Strate college

Monique Large

Consultante en innovation chez POllen Consulting

Pascal Louis

Président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine

Lionel Meyer

Cofondateur de Customer experience et Luxury attitude

Thomas Morgenroth

Professeur de gestion à la faculté de pharmacie de Lille

Jean-Michel Peny

Président de Smart pharma consulting

Denis Supplisson

Directeur général délégué de Pharmagest

Vincent Varlet

Président du Lab e-santé

Pierre-Alain Weill

Secrétaire général de Popai France

En 2025, les pharmacies devront engager des investissements conséquents pour jouer un rôle majeur dans les nouveaux parcours de soins de la santé connectée. Pour cette raison, je pense que le législateur autorisera l’ouverture du capital à des investisseurs

En 2025, les officines auront réinvesti le champ de la préparation magistrale grâce aux imprimantes 3D qui permettront de fabriquer sur place des médicaments sur mesure, au milligramme et au nombre d’unités près.

Vincent Varlet, président du lab e-santé

Sur les linéaires, on ne stockera plus à outrance. Je crois à l’unicité du produit que l’on pourra voir sur toutes ses faces, et dont la notice s’affichera sur un écran intégré au rayon ou sur le smartphone du client.

Sophie Grenier, directrice de la prospective chez Dragon Rouge

En 2025, les logiciels de gestion officinale auront cédé la place aux logiciels des métiers de l’officine. Ils intégreront les dossiers patients pour assurer la relation entre tous les professionnels de santé.

Denis Supplisson, directeur général délégué de Pharmagest

En 2025, si la pharmacie bascule vers un modèle plus orienté sur le service et l’observance, l’ouverture du monopole sur l’OTC n’est pas à exclure. Mais l’impact de cette nouvelle donne sera modérée car la rémunération issu des services officinaux deviendrait significative.

Frédéric Bizard, économiste spécialisé sur les questions de protection sociale et de santé

En 2025, les groupements de petite taille auront disparu. Il n’en restera plus qu’une dizaine en France qui devront aider les adhérents à investir le champ des nouveaux services. Objectif : limiter la perte de marge commerciale par le gain d’honoraires.

Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO)

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