Faire face aux discounters - Pharmacien Manager n° 147 du 21/04/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 147 du 21/04/2015
 

DOSSIER

POSITIONNEMENT

Auteur(s) : Yves Rivoal

Une pharmacie discount va ouvrir ses portes à proximité de votre officine. C’est a priori « la tuile ». Si certains confrères en ont fait les frais, il existe heureusement certaines Parades pour tirer votre épingle du jeu.

Dans la foulée de City Pharma, du réseau Lafayette, et de quelques grandes pharmacies indépendantes, les officines discount n’en finissent plus d’étendre leur toile. Le sujet crispe et angoisse la profession. Avec toujours la même question lancinante qui se pose aux titulaires confrontés à la concurrence low-cost : comment faire face sans perdre la face ? La réponse n’est ni simple ni univoque. Néanmoins, l’expérience des officinaux qui ont accepté de témoigner « cash » et les conseils de nos experts en marketing officinal donnent des pistes de défense.

Dissuader À prix coûtant

La première chose à faire lorsque l’on apprend qu’une pharmacie discount va s’implanter à proximité, c’est d’essayer d’obtenir des informations sur l’officine concernée et les moyens financiers du titulaire. À partir des éléments recueillis, une stratégie de dissuasion collective peut être initiée afin de faire capoter le projet. C’est ce qui s’est passé à Bergerac, où le réseau Lafayette a tenté de s’implanter à deux reprises. Sans succès. « Lors de la première attaque en 2009, plusieurs confrères se sont regroupés pour racheter la pharmacie sur laquelle Lafayette avait des vues, se souvient Ghislaine Laur, titulaire de la pharmacie qui porte son nom en plein centre-ville, et disposant d’une surface de vente de 1 000 m2. Lors de la seconde tentative, en 2011, les quatorze pharmaciens de la ville ont tous décidé de faire front commun. Nous sommes allés voir les trois associés qui voulaient rejoindre le réseau Lafayette pour leur faire passer le message qu’on ne les lâcherait pas. Et nous avons tous joint les actes à la parole en affichant des prix bas. Cette détermination leur a probablement fait peur car la pharmacie en question n’a jamais ouvert ses portes. »

Le problème, c’est que cette baisse des prix a fragilisé le réseau officinal. « Mon CA est passé en cinq ans de 2 M€ à 1,2 M€, et je suis actuellement en procédure de sauvegarde car la banque a refusé de me suivre pour financer un trou de 200 000 €. » Ghislaine Laur refuse toutefois d’imputer ses difficultés à la baisse des prix initiée pour faire fuir Lafayette. « La ville a perdu ces cinq dernières années la moitié de ses médecins prescripteurs. Le transfert de deux pharmacies en périphérie avec de grands parkings gratuits a aussi fait beaucoup de mal. Tout le monde était donc déjà fragilisé lorsque nous avons baissé nos prix. » Avec le recul, Ghislaine Laur estime avoir, avec ses confrères, fourbi l’arme du prix trop tôt. « Je ne suis pas sûre que nous pourrons contrer une troisième tentative, comme elle devrait se produire. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement quand on sait que Lafayette est déjà implanté à Périgueux, Sarlat et Villeneuve-sur-Lot. »

Vous l’aurez compris, mieux vaut avoir les reins solides pour concurrencer les discounters sur le terrain des prix. Titulaire de la pharmacie de la Cathédrale à Metz, Françoise Hentzen arrive, elle, à tirer son épingle du jeu dans une ville où la guerre des prix fait rage. « Cela fait maintenant près de vingt ans qu’une officine située dans un quartier de la périphérie pratique des prix défiant toute concurrence. Depuis mon installation il y a douze ans, je pratique donc toujours la même politique de prix. Sur les produits les plus sensibles en parapharmacie, je vends presque à prix coûtant. Pour le reste, mes prix sont serrés. » Avec cette stratégie de prix agressive, Françoise Hentzen voit son CA progresser doucement mais de manière régulière, avec une marge qui reste stable autour de 28 %.

RECOURS juridique

La dissuasion peut aussi se dérouler sur le terrain juridique, comme le rappelle Corinne Daver, avocate au cabinet Fidal spécialisé dans le droit de la santé. « Lorsqu’une pharmacie existante se positionne sur le discount, les marges de manœuvre sont limitées. Il n’est en effet pas illégal de pratiquer des prix attractifs pour la clientèle. » Mais ces pratiques peuvent ne pas respecter les obligations déontologiques opposables à tout pharmacien. « Sur ce point, la réglementation de l’Ordre est très stricte, souligne Corinne Daver. Il peut donc y avoir du grain à moudre dans cette direction, en particulier si la pharmacie discount s’installe par voie de transfert. » Dans ce cas précis, il faut s’interroger sur la légalité de l’opération en faisant réaliser une analyse de faisabilité juridique par un cabinet avocat. Si celle-ci permet de réunir des éléments factuels comme la présentation dans le dossier soumis à l’ARS de fausses informations ou le non-respect des conditions de départ et/ou d’arrivée qui s’imposent lors d’un transfert d’officines, vous avez deux mois pour effectuer un recours après la publication de l’autorisation du transfert par l’ARS. « Si celle-ci refuse, ce qui se produit le plus souvent, vous avez encore deux mois pour initier un recours hiérarchique au ministère de la Santé puis devant le tribunal administratif », complète Corinne Daver.

Ventiler ses prix Sur les produits sensibles

Si la tactique de la dissuasion n’a pas fonctionné, il faut alors réagir très vite, d’après Joëlle Hermouet, directrice de Formaplus, un cabinet de conseil et de formation spécialisé dans le merchandising et la stratégie commerciale en officine. « Le piège, lorsqu’un discounter s’installe, c’est que, les premiers mois, il ne se passe rien. Ce n’est qu’au bout de huit mois ou un an que les effets se font sentir. Mais, si la réaction n’est pas immédiate, ce sont des pans de leur CA qui vont s’effondrer. » Joëlle Hermouet conseille de travailler l’image prix en se concentrant sur les références les plus sensibles : « Mieux vaut les diminuer très fortement et ne pas toucher à la marge sur tout le reste que de vouloir baisser un peu sur l’ensemble de l’offre. »

Sur les 90 produits à plus forte rotation en médication familiale (les veinotoniques, le magnésium, les vitamines C…), elle recommande d’abandonner des prix dans la moyenne du marché pour descendre la marge de plus de dix points. « Sur les références très sensibles, qui pèsent presque la moitié du CA du rayon de médication familiale, on passera même en dessous des 10 % de marge brute », précise Joëlle Hermouet. Cette baisse des prix aura bien entendu des incidences sur les équilibres économiques de l’officine. « En médication familiale, le passage à ce positionnement plus agressif sur les références les plus sensibles fera perdre quatre points de marge sur la totalité du rayon à une pharmacie qui affichait initialement 38 % de marge brute en moyenne, prévient Joëlle Hermouet. Pour récupérer cette marge initiale, le CA en médication familiale devra donc progresser de presque 20 %. »

Sur la parapharmacie, l’expert préconise là encore de baisser de plus de dix points de marge les produits les plus sensibles. Ce sont entre 150 et 250 produits (laits infantiles, sérum physiologique, eau thermale, savons surgras…) qui devront être travaillés avec une marge comprise entre 5 et 15 %. « Si l’on considère que les références sensibles en parapharmacie travaillées avec une marge comprise entre 5 et 15 % pèsent plus de 20 % du CA global de la catégorie, une officine qui affichait une marge initiale moyenne à 30 % descendra à 27 %, annonce Joëlle Hermouet. Ce qui impliquera de générer un minimum de 16 % de progression de CA sur l’ensemble de la para pour arriver à compenser cette baisse de marge. »

RISQUE maîtrisé

Le risque économique d’une pratique de baisse de prix bien ciblée doit donc être impérativement anticipé, selon Joëlle Hermouet, « particulièrement si la pharmacie est encore endettée. Les premiers mois de mise en place risquent en effet d’être difficiles au niveau de la trésorerie, le temps que la clientèle réagisse et que son CA se développe à nouveau. » Confronté à une guerre des prix à Villeneuve-sur-Lot, Claude Masa, titulaire à Pujols, a parié sur une baisse maîtrisée : « Sur les produits à forte rotation, je me cale sur la moyenne des prix bas de Pharmastat, ce qui me laisse largement au-dessus des prix pratiqués par Lafayette. Pour le reste, j’ai conservé un positionnement de prix de marché moyen. » Deux ans après l’installation de la pharmacie discount, Claude Masa en mesure clairement l’impact: « Les premiers mois, il n’y a pas eu de répercussions sur l’activité. Ce n’est qu’à partir de janvier 2014 que j’ai observé les premiers effets avec une baisse de 5 % du flux de clients. » Une désaffection qui s’est traduite par une contraction de 2,9 % du CA en 2014, à moins de 1,3 M€. La baisse modérée des prix a, elle, entraîné la perte d’1,5 point de marge. « Mais attention, ces résultats ne peuvent pas être imputés uniquement au discounter, relativise Claude Masa. Ils s’expliquent aussi par la baisse des prix sur les médicaments et par la crise qui affecte le pouvoir d’achat de nos clients… »

Dégainer l’atout conseil Faire la différence

Selon Josette Gadea, la directrice d’Emergence Development, il existe une autre alternative à la baisse des prix pour lutter contre les discounters. « Quelle que soit la taille de l’officine, je conseille de conserver des prix moyens de marché car les consommateurs acceptent de payer un produit un peu plus cher pour peu qu’on leur délivre un conseil adapté et qu’ils n’aient pas besoin de faire la queue. » Cette stratégie implique toutefois d’activer des leviers de différenciation, en commençant par le positionnement. Pour se différencier, une pharmacienne toulousaine installée à quelques centaines de mètres de la toute première officine ouverte par le réseau Lafayette, a conservé un positionnement généraliste, qu’elle colore avec un axe santé. Son équipe a en effet développé une expertise affirmée en orthopédie, homéopathie et huiles essentielles. La pharmacie ne propose en outre que des produits susceptibles d’apporter des réponses thérapeutiques dans son rayon dermocosmétique. À Metz, Françoise Hentzen mise sur des prix bas et un recentrage sur le cœur de métier du pharmacien. « Pour nous différencier des grandes pharmacies, nous avons fait le choix de rester proches de nos clients, de prendre le temps de les écouter et de les conseiller, de connaître sur le bout des doigts chaque produit que nous conseillons… » Toujours pour se démarquer, la pharmacie s’est spécialisée en homéopathie, phytothérapie et aromathérapie. « J’ai aussi beaucoup de plantes en vrac et de produits bios qui donnent une couleur différente à mon officine et que les clients ont parfaitement identifiée. »

Mais pratiquer des « prix du marché » ne doit pas faire oublier les promotions ponctuelles, qui ont un rôle essentiel à jouer lorsque l’on est confronté à la concurrence d’un discounter: « Il faut donner l’impression qu’on peut trouver de bonnes affaires en faisant tourner les vitrines et en animant ses têtes de gondole avec des offres qui changent toutes les trois à quatre semaines », conseille Alexandre Georgeault, président de Fil Rouge. Des promotions que l’on peut placer dans des bacs plexi transparents à proximité des comptoirs.

POSITIONNEMENT affirmé

Autre levier de différenciation : le référencement. « Pour ma part, je conseille de le rationaliser, en n’hésitant pas à passer de quatre à deux marques par univers afin de développer de vrais partenariats avec les laboratoires, souligne Josette Gadea. Car, contrairement à ce que beaucoup pensent, on n’est pas moins performant en réduisant son référencement, au contraire. L’équipe connaît mieux les produits et délivre des conseils plus efficaces. » Alexandre Georgeault recommande, lui, de se séparer des 20 % des produits à faible rotation. « Cela va ­permettre de réserver 10 ou 20 % des linéaires pour afficher les partis pris qui correspondent au positionnement de l’officine. » Mais Joëlle Hermouet met en garde: « Attention à ne pas abandonner les produits de parapharmacie les plus sensibles, sous prédiv qu’ils ne rapportent plus rien. Ce sont ces références qui font la fréquentation. »

En fait, tout dépend de la taille de l’officine. Plus on est « gros » et plus la clientèle est en attente d’un large choix. Une petite pharmacie pourra plus facilement s’affranchir de l’offre classique pour encore mieux se démarquer. C’est en appliquant cette stratégie de différenciation axée sur le conseil santé, sans sacrifier ses prix, que notre pharmacienne toulousaine n’a jamais subi de dommages liés à la proximité de la pharmacie Lafayette. « Mon CA augmente régulièrement tous les ans de 2 à 3 % ; le flux de clients reste stable, tout comme ma marge, qui se maintient autour de 35 %. » Des résultats qui n’étonnent pas Josette Gadea : « Une petite pharmacie qui possède un bon positionnement, des compétences et un référencement adapté à sa clientèle, avec une politique de promotions dynamique n’a rien à craindre de personne, pas même d’un discounter », conclut-elle.

L’AVIS DES EXPERTS

Josette Gadea

DIRECTRICE D’EMERGENCE DEVELOPMENT

Joëlle Hermouet

DIRECTRICE DE FORMAPLUS

Alexandre Georgeault

PRÉSIDENT DE FIL ROUGE

Témoignages

Gérard Deguin

Installé à Colayrac-Saint-Cirq

Sophie Ollier

Titulaire à Clermont-Ferrand

150

C’EST LE NOMBRE D’OFFICINE SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE FRANÇAIS VISÉ PAR LE RÉSEAU LAFAYETTE À L’HORIZON 2017, CONTRE 65 AUJOURD’HUI.

L’union fait la force

Parmi la palette de leviers à activer pour résister à une pharmacie discount, le regroupement s’avère une bonne solution, notamment pour les petites officines. « En général, ils donnent d’assez bons résultats car ils permettent de générer des économies d’échelle, rappelle Joëlle Hermouet, directrice de Formaplus. Et puis mieux vaut avoir une grande pharmacie que deux petites quand vous avez un discounter en face de chez vous. Vous aurez plus de moyens financiers et humains. » Le passage sous enseigne peut aussi représenter, selon elle, une autre alternative, « mais à condition que les services développés pour accompagner les adhérents sur leur politique de prix soient adaptés à la situation dans laquelle se trouve la pharmacie nouvellement concurrencée, souligne Joëlle Hermouet. Si c’est le cas, l’enseigne pourra aider le pharmacien à se positionner sur les prix et à relooker le point de vente pour le rendre plus attractif. Elle peut aussi offrir un soutien moral et permettre d’échanger avec d’autres titulaires confrontés à la même problématique. »

A NOTER

Ce sont les pharmacies qui réalisent au moins 2 M€ de CA, avec un flux de clients important et une politique de prix déjà attractive qui sont les plus impactées par l’arrivée d’un discounter.

La pharmacie Naturel Concept résiste à Goliath !

À Clermont-Ferrand, dans son point de vente de 25 m2, Sophie Ollier (à d. sur la photo), titulaire de la pharmacie Naturel Concept, tient tête depuis 2007 à une pharmacie Lafayette installée à 200 mètres de là. Sans avoir eu besoin de sacrifier ses prix ! Pour se démarquer, la petite pharmacie mise sur le naturel et le 100 % bio. Un choix en phase avec ses convictions personnelles et avec l’environnement de l’officine. « Juste en face, il y avait déjà un cabinet avec des homéopathes et des nutritionnistes, et je savais que l’un d’entre eux faisait beaucoup de micronutrition et de phytothérapie », précise Sophie Ollier, qui a également toujours revendiqué son rôle de professionnelle de santé. « Nous passons beaucoup de temps au comptoir à conseiller nos clients, à faire de la prévention… » Grâce à ce positionnement, l’arrivée de la pharmacie Lafayette a été totalement indolore. Depuis son installation en 2006, le flux de clients/jour a bondi de 60 à 140 et le CA est passé de 750 000 € à 1,2 M€. « En ne cédant pas sur les prix, j’ai aussi pu maintenir une marge de 35 % et mon EBE progresse tous les ans », se félicite Sophie Ollier, qui a étoffé son équipe, au fil des années, en faisant entrer une pharmacienne associée, Véronique Aubecq, et une deuxième préparatrice.

20

CLIENTS SUPPLÉMENTAIRES GAGNÉS CHAQUE MOIS GRÂCE AUX HUIT PROMOTIONS MENSUELLES PROPOSÉES PAR EMERGENCE DEVELOPMENT À SES ADHÉRENTS.

NOTRE RECO

En matière de référencement, il faut se séparer de tout ce qui ne marche pas et se recentrer sur une offre pour laquelle l’équipe officinale fera la différence par ses conseils.

SI VOTRE PHARMACIE EST DANS UNE ZONE DE FORT PASSAGE OU DISPOSE D’UNE GRANDE SURFACE DE VENTE AVEC UN PARKING, IL EST POSSIBLE DE CONCURRENCER LES DISCOUNTERS SUR LE PRIX.

L’ESSENTIEL

→ Pour paraître compétitif face à un discounter, mieux vaut cultiver une image prix sans tomber dans le piège d’une baisse drastique.

→ Il est utile de descendre ses prix sur les références les plus connues (50 % du CA de l’OTC et 20 % pour la para). Leur marge se retrouve alors inférieure à 10 % en médication familiale et entre 5 à 15 % pour la para.

→ Pour récupérer cette baisse de marge, le CA devra augmenter de 20 % en médication familiale et de 16 % en para.

→ Attention à anticiper le risque économique d’une baisse des prix.

→ Dans tous les cas, jouer la carte de la différenciation en se recentrant sur le cœur de métier et en développant des expertises spécifiques permet de fidéliser.

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