Manageuses de choc - Pharmacien Manager n° 145 du 12/02/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 145 du 12/02/2015
 

Dossier

Auteur(s) : Yves Rivoal

Messieurs, vos oreilles risquent de siffler à la lecture de ce dossier consacré aux pharmaciennes manageuses. Des femmes de caractère qui ont su prendre leur place à la tête de grandes officines ou dans les instances nationales des syndicats et des groupements…

Si les femmes représentent 67 % des pharmaciens inscrits à l’Ordre et 54 % des titulaires, elles apparaissent encore sous-représentées à la tête des grandes pharmacies. Au sein du G7, qui fédère 21 officines parmi les plus grandes de France, 4 seulement sont dirigées par des femmes. On peut aussi formuler le même constat au sein des instances nationales des syndicats et des groupements. Si notre compte est bon, Laetitia Hible, la nouvelle présidente de Giphar, est la seule femme à la tête d’un groupement avec Laurence Bouton, la directrice générale d’Alphega Pharmacie. La profession serait-elle restée misogyne lorsqu’il s’agit d’accéder à des postes à responsabilité ? Peut-être… Les femmes seraient-elles moins douées pour le management ? Pas vraiment ! Rencontre avec des pharmaciennes de choc.

Marmots ou boulot ?

Choix assumé

Dans un modèle de société qui a longtemps cantonné les femmes au foyer, les stéréotypes ont la vie dure sur leurs capacités et leurs compétences à gérer une entreprise. Pour Sabine Zenglein, cotitulaire avec Marie-Christine Delvot de la Pharmacie des Terres Blanches à Boulay (Moselle), les femmes sont pénalisées par leur statut de mère. « Lorsque vous avez des enfants, c’est comme si vous aviez deux emplois à temps complet, avec le management de la pharmacie pendant la journée et celui du foyer les soirs et les week-ends. Et si vous décidez de briser ce cercle, il y a inconsciemment une forme de culpabilité qui s’installe… Les hommes n’ont en général pas ce genre d’états d’âme… » La présidente de Giphar, mère de trois enfants et titulaire de la Pharmacie la Clé du Midi à Allassac (Corrèze,) a toujours assumé son engagement. « Lorsque vous êtes femme et manager, soit vous culpabilisez toute votre vie de ne pas être suffisamment auprès de vos enfants, soit vous assumez et vous leur expliquez votre choix. C’est ce que j’ai fait, en considérant que l’image que je leur renvoie vaut largement le temps que je ne passe pas avec eux. J’ai aussi la chance d’avoir un conjoint qui m’a toujours soutenue et qui a toujours été disponible », confie-t-elle.

Les préjugés n’ont jamais empêché Jacqueline Nicolas d’avancer. Cotitulaire à Montpellier avec Joël Zobouyan de la Pharmacie du Polygone, située dans un centre commercial en plein cœur de la ville et qui réalise un CA de 19 M€, la pharmacienne n’a jamais eu la sensation que le fait d’être une femme pouvait constituer un obstacle dans son parcours professionnel. « Même si, en général, une femme doit se montrer au départ plus persuasive que les hommes avec ses partenaires, une fois qu’elle a fait la preuve de ses capacités, rien n’est impossible. D’autant que nous avons la chance d’évoluer dans un métier où les femmes peuvent sans aucun problème prendre toute leur place. Il suffit d’en avoir la volonté et de se donner la possibilité d’assumer ses ambitions. » Son ambition à elle a toujours été de diriger son officine actuelle. « Etant montpelliéraine, je l’avais dès le départ identifiée comme la pharmacie qui disposait du plus beau potentiel, confie Jacqueline Nicolas. Mais avant de pouvoir réaliser ce rêve, j’ai d’abord acheté en 1982 une première officine dans le centre-ville de Montpellier, que j’ai revendue sept ans plus tard pour m’installer dans une pharmacie un peu plus grande à Peyrolles. Et c’est grâce à ces deux premières installations que j’ai pu faire mon entrée au capital de la pharmacie en 1998, et racheter progressivement les parts de mes autres associés pour détenir aujourd’hui les trois quarts du capital. » Sa réussite, Jacqueline Nicolas l’explique elle aussi par le travail et un investissement de tous les instants. « Lorsque vous arrivez tous les matins à 6 h 30 à l’officine, pour en repartir vers 21 heures, votre temps libre est forcément limité. Mais je n’ai jamais eu la sensation de sacrifier quoi que ce soit en me concentrant entièrement à mon entreprise. Je suis même incapable d’envisager un autre mode de fonctionnement, et cela ne m’a pas empêché de voyager et de gravir quelques sommets. »

Une détermination hors du commun

Alpiniste chevronnée, Jacqueline Nicolas affiche en effet un palmarès impressionnant d’ascensions à pas moins de 6 000 mètres : le Kilimandjaro en Tanzanie, le Chimborazo et le Cotopaxi en Equateur, le mont Damavand en Iran, le tour des Annapurnas au Népal… Et la liste est encore longue, signe d’une détermination et d’une force de caractère hors du commun !

Deux qualités que l’on retrouve aussi chez Agnès Praden qui, tout au long de son parcours, n’a, elle non plus, jamais eu le sentiment d’être freinée par le fait d’être une femme. « Je ne me suis même jamais posé la question, probablement parce qu’étant fille, petite-fille et arrière-petite-fille de commerçants, j’ai toujours baigné là-dedans. Mon arrière-grand-mère et ma grand-mère géraient leur commerce, c’était des femmes de tête. » Avant de s’installer en 1991 dans son officine actuelle, Agnès Praden a effectué un tour de France, comme les Compagnons, en réalisant des remplacements dans diverses régions. « J’ai beaucoup écouté et observé. J’ai travaillé avec des pharmaciens très ouverts, avec qui j’ai pu avoir de longues discussions sur ce que pourrait devenir notre métier. Toutes ces étapes m’ont enrichie. » Lorsqu’elle s’installe en 1991, sa pharmacie réalise un CA de 3 MF (456 k€) et emploie trois collaborateurs. « J’ai simplement beaucoup travaillé et fait en sorte de ne jamais déroger à ma vision du métier qui est très centrée sur le bien-être des clients et de mon équipe, l’un n’allant pas sans l’autre. »

En 2008, Agnès Praden ne laisse pas passer l’opportunité qui se présente à elle : un transfert vers la galerie marchande du centre commercial Intermarché, dans un local qui dispose d’une surface de vente de 400 m2. Six ans plus tard, son officine emploie plus de 40 collaborateurs et réalise un CA qui vient de lui ouvrir les portes du G7.

Management au féminin ?

Sensibilité revendiquée

Evoquer la notion de management au féminin se révèle toujours un exercice délicat. Dans l’imaginaire collectif, les femmes managers seraient en général plus prudentes, mieux organisées, plus proches de leurs équipes, moins dans l’autorité et plus dans la conviction et la délégation… Difficile de faire la part des choses entre cliché et réalité. Une chose est sûre : lorsqu’on demande aux pharmaciennes manageuses si elles ont l’impression de pratiquer un mode de management au féminin, la réponse est clairement non. « Je ne me pose pas la question en ces termes, assure Agnès Praden. Mon management est affectif, enthousiaste et entier, à l’image de ma personnalité qui me pousse toujours à voir le côté positif des choses, à valoriser les points forts pour améliorer les faibles. » Même son de cloche du côté de Jacqueline Nicolas, qui préfère évoquer la métaphore sportive pour décrire son style de management. « Mon management n’est ni féminin, ni masculin. Je me considère plutôt comme un entraîneur d’équipe de foot qui essaye d’imposer un jeu collectif, avec des attaquants, des milieux et des défenseurs qui ont chacun une partition bien précise à jouer et un même objectif à atteindre. »

Titulaire de la Pharmacie Campagne-Levêque dans les quartiers nord de Marseille, Mariam Berro revendique une sensibilité particulière à l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. « Lorsqu’une préparatrice rencontre un problème d’ordre personnel ou familial, en général je ressens très vite son malaise et n’hésite pas à aller lui parler, alors qu’un homme sera moins réactif à ce type de difficultés. » Cette sensibilité implique en général des qualités d’écoute et d’accessibilité. Dans son officine, Jacqueline Nicolas a installé son bureau dans un open space afin de ne pas instaurer de barrière avec son équipe. Sabine Zenglein se montre, elle, très attentive aux collaborateurs qui se trouvent en situation d’échec. « Plutôt que de les stigmatiser, je m’attache à identifier la source du problème et à trouver une solution qui passe souvent par la formation. » Dans le même ordre d’idées, Mariam Berro n’hésite pas à féliciter ses collaborateurs. « Comment voulez-vous leur donner envie de venir travailler tous les jours si, en retour, ils ne reçoivent aucune reconnaissance ? » Mariam Berro revendique d’ailleurs volontiers l’envie de travailler dans la joie et la bonne humeur. « Je fais tout pour que mes salariés soient heureux au travail. Je varie les fonctions afin de ne pas focaliser sur des tâches qui peuvent se révéler lourdes ou fastidieuses au quotidien. »

Titulaire de la pharmacie qui porte son nom à Carentan, Christine Gamas attache elle aussi énormément d’importance à l’ambiance au sein de son équipe. « Je déteste le conflit, c’est presque pathologique chez moi. Je pars donc du principe que si l’on travaille huit heures ensemble dans une journée, il faut tout faire pour qu’il y ait le moins de heurts possibles. Et lorsqu’une équipe travaille en toute sérénité, elle s’implique dans le développement de l’officine, et cela renvoie une image positive aux clients. » Mais attention, cette proximité et ce souci du bien-être de l’équipe ne riment pas avec angélisme ou absence d’autorité, comme le confirme Agnès Praden : « Cela ne m’empêche pas de me montrer très exigeante sur les valeurs que j’entends véhiculer auprès de nos clients : l’accueil, la bienveillance, l’écoute, l’excellence… »

Mieux que les mecs ?

Efficacité prouvée

Au-delà de cette sensibilité féminine, les pharmaciennes manageuses se distinguent aussi par une grande maîtrise des codes du management. Sabine Zenglein a ainsi suivi plusieurs formations sur le sujet proposées par son groupement Pharmactiv. « J’ai également décroché l’Executive MBA Marketing et management de la pharmacie d’officine délivré par l’EM Strasbourg lors de la première promotion il y a quatre ans. Grâce à ce cursus, j’ai pu professionnaliser mon mode de management et valider les choix que nous avions déjà faits dans ce domaine à l’officine. »

Après son transfert en 2008, Agnès Praden s’est retrouvée avec une forte croissance à gérer. « Il a fallu très vite étoffer l’équipe et mettre en place une organisation structurée en différents pôles (l’ordonnance, la parapharmacie, la logistique, la comptabilité…), chacun étant dirigé par un manager qui a la délégation complète sur son domaine. » Aujourd’hui, Agnès Praden a une équipe autonome. « Mes collaborateurs ont toute ma confiance et sont capables de fonctionner avec ou sans moi, mon rôle étant de tout faire pour qu’ils disposent des meilleures conditions possibles pour accomplir leur travail. » On retrouve cette même appétence pour l’organisation chez Christine Gamas : « Je me suis appuyée sur Giropharm, qui m’a aidée à mettre en place des process qualité, des fiches de poste et de progrès… Je ne sais pas si ce mode de management est féminin ou pas, mais il n’y avait pas ce côté carré chez les deux titulaires hommes que j’ai assistés avant de m’installer. Résultat : personne ne savait vraiment quelle place il avait au sein de l’équipe. »

Les pharmaciennes manageuses semblent aussi partager une attirance pour le management participatif. Dans son officine, Sabine Zenglein a élaboré un projet d’entreprise qui a mobilisé l’ensemble de l’équipe. « Nous échangeons également lors de l’entretien annuel d’évaluation, des réunions régulières qui sont organisées pour faire le point sur l’activité, et des discussions informelles que nous avons au quotidien afin de corriger un problème ou d’apporter des idées nouvelles. Grâce à ce mode de fonctionnement, nous avons une équipe investie dans le développement de l’officine. » Cette volonté de faire participer l’équipe s’accompagne en général d’une politique de délégation volontariste. « Avec l’âge j’ai appris à déléguer et à reconnaître que mes jeunes collaborateurs ont des talents que je n’ai pas, souligne Christine Gamas. J’essaie donc de faire en sorte que les délégations mises en place correspondent à la personnalité et aux envies de chacun. » Grâce à leur mode de management, structuré mais aussi tourné vers le bien-être de leur équipe, les femmes obtiennent des résultats… qui ont de quoi être jalousés par les hommes. En 2013, l’étude « Women Matter » réalisée par le cabinet McKinsey montrait que les entreprises où les femmes sont le plus représentées dans les comités exécutifs affichent une marge supérieure de 55 % aux autres. Une étude du cabinet de conseil américain Zenger Folkman révélait en 2012 que les femmes managers arrivaient devant leurs homologues masculins sur douze des seize critères associés à l’efficacité managériale. Enfin, dans son dernier baromètre sur les TPE, Manageo relevait que les entreprises dirigées par des femmes étaient trois fois moins risquées que celles des hommes. Elles ne représentent en effet que 21,9 % des ouvertures de procédures collectives menant à un redressement ou à une liquidation judiciaire. Messieurs, qu’avez-vous à répondre ?

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