Données de santé : ce qui se trame - Pharmacien Manager n° 143 du 02/12/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 143 du 02/12/2014
 

L’événement

Auteur(s) : France Delory

Ça y est. Orange se positionne clairement sur l’ouverture des données de santé en lançant, depuis le mois dernier, un cercle de réflexion international sur le sujet. Un sujet qui ne laisse pas indifférent. Mais quels en sont les enjeux pour les patients et les pharmaciens ?

Le climat est tendu, houleux sur l’ouverture des données de santé, dite Open Data en santé. Or Jeanne Bossi, secrétaire générale de l’ASIP (Agence des systèmes d’information partagés de santé), rappelle que « le sujet est politique, stratégique, à la mode mais pas nouveau ». En revanche, explique-t-elle, « le développement massif de la dématérialisation des données est relativement récent ». Mais de quoi parle-t-on ? L’Open Data concerne des données anonymes qui, pour l’instant, sont difficilement exploitables. En effet, pour disposer de données utiles au moment opportun, un système d’information créé nativement pour marier interopérabilité et sécurisation est nécessaire. Pour cela, il faut des moyens financiers et une vraie volonté pour avancer dans cette direction…Aujourd’hui, les données personnelles de santé peuvent déjà, dans un cadre défini, être exploitées. La CNIL, qui, pour l’heure, ne veut pas se prononcer sur l’Open Data en santé, rappelle toutefois sur son site que « les données de santé ne peuvent être utilisées que dans l’intérêt direct du patient (assurer son suivi médical…) ou pour les besoins de la santé publique ». Et elle insiste sur la frontière à ne pas franchir : « Les informations médicales concernant vos patients ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une cession ou d’une exploitation commerciale. » Du fait de leur sensibilité, ces données sont aujourd’hui protégées, juridiquement (Loi informatique et libertés) et techniquement (hébergeurs agréés de données de santé). Mais que valent-elles réellement ? Selon Catherine Gonzalez, présidente de la Commission des technologies en santé du Conseil de l’Ordre des pharmaciens, le spectre de leurs bénéfices potentiels est large : « Prévention par l’amélioration de la vigilance et de la veille sanitaire; égalité aux soins par analyse des inégalités territoriales; amélioration de l’efficience et de la transparence du système de santé; études pharmaco-épidémiologiques; évaluation des pratiques professionnelles, développement des études post-AMM… » Ainsi, de prime abord, de bonnes raisons incitent à voter la transparence, le partage… Alors pourquoi tant de réticences ? « En raison des problématiques éthiques créées par la tension entre, d’une part, la protection de la vie privée d’une personne et, d’autre part, l’impératif de protéger et soigner une communauté », pointe Carol Umhoefer, avocate, associée de DLA Piper, spécialiste reconnue des questions liant technologie et santé. Autre point de cristallisation : l’incertitude que les usages qui en seront faits n’auront pas d’autre objectif que l’amélioration de la santé.

Assureurs sur les starting-blocks

En effet, les bouleversements à venir s’annoncent profonds. Dans l’assurance santé par exemple, l’un des pivots du système. Même si pour l’instant aucun assureur n’est vraiment à l’aise pour en parler, il est évident que l’Open Data est une manne pour eux. Chez Axa, on considère qu’il est normal de protéger la vie privée. Reste que, au moyen d’un bracelet connecté offert aux adhérents, ce même assureur saute le pas de l’intrusion en alliant objet connecté à médecine personnalisable, officiellement par le biais de la notion bien-être. Hervé Franck, coordinateur de l’Activité Santé chez Axa, confirme que « ces données ne sont pas utilisées à des fins commerciales ». Or, si on peut voir un avantage à souscrire un contrat en adéquation avec des besoins de couverture précis, il est facile d’imaginer qu’à terme le système assurantiel passe du modèle de la mutualisation des risques à celui basé sur l’individualisation, avec des évolutions tarifaires substantielles. Le modèle économique est profondément remanié et celui capable de maîtriser les données acquiert un avantage majeur. Et c’est bien ce qui embarrasse les Français. Quand la question leur est posée sur les risques de communiquer des informations de santé sur le Net (étude « Parler de santé sur le Web, quelle (s) conséquence (s) ? », ils sont « 39 % à déclarer craindre que ces données puissent être utilisées à leur encontre par un assureur ». La peur que ces mêmes données soient connues par leur employeur se retrouve chez 36 % des interrogés et par l’Assurance-maladie chez 27 % (beaucoup ignorant que l’AM détient déjà le « monopole » des données via le SNIIRAM, Système national d’information interrégimes de l’Assurance-maladie).

Ce s inquiétudes sont fondées. En effet, les données de santé étant très prisées par certaines entreprises, le consentement de réutilisation de ces informations n’est pas toujours expressément mentionné. C’est notamment ce que dénonce l’Association française des diabétiques, par la voix de son président, Pierre-Albert Lefebvre. « Le patient ne gagne que de rares contreparties à la divulgation de ses données, qui sont devenues très chères. De plus, l’exploitation illimitée peut être néfaste car elle permet l’identification ou la ré-identification des patients. ». Ainsi, les patients-consommateurs deviendraient eux-mêmes des consommables Preuve que les intérêts en jeu tendent ou crispent quelques acteurs : certaines sociétés parmi les plus concernées, à l’exemple de Celtipharm, refusent de répondre à nos questions sur la collecte, le stockage, l’analyse et l’exploitation des informations récupérées via les sites des pharmacies.

Patients inconscients

Paradoxe, ce sont ces mêmes Français, inquiets quant aux dérives possibles de l’exploitation de leurs données, qui deviennent si bavards et naïfs sur le net. Comment comprendre que les patients exigent une parfaite anonymisation de leurs données de santé si, par ailleurs, ils sont suffisamment confiants (ou insuffisamment informés) pour dévoiler leurs particularités sur les forums et autres réseaux sociaux ? Pourquoi communiquent-ils tant de données identifiables via les objets connectés et autres applications bien-être ? Christine Balagué, titulaire de la chaire Réseaux sociaux à l’Institut Mines-Télécom-Tem, insiste : « Les données personnelles sont partagées sur des plates-formes ouvertes » ! Ce que les usagers offrent aux géants de l’informatique est inestimable : Google (qui, n’ayant pas de « représentant santé en France », n’a pu répondre à nos questions), Apple, Samsung et autres Microsoft deviennent les plus grands collecteurs et analyseurs de données (métadonnées notamment), parfaitement identifiables et assurément commercialisables. Ce n’est pas un hasard si, le mois dernier, Orange Healthcare a lancé le think tank Healthcare Data Institute, avec la participation d’acteurs comme IMS Health… Les pouvoirs publics sont peut-être en train de perdre la partie face aux géants de l’Internet.

Pharmaciens

Réagir vite

L’enjeu de l’ouverture des données de santé pour les médecins et pharmaciens sera de prescrire et mettre à disposition une solution thérapeutique personnalisée, composée de médicaments et de conseils de vie. Puis de suivre au quotidien l’évolution de la condition du patient pour ajuster la solution en temps réel », explique sous anonymat un membre d’une association de professionnels liée aux technologies. L’objectif est donc clair : capitaliser sur la confiance actuelle dont bénéficient les pharmaciens et innover rapidement, pour ne pas voir d’autres acteurs capter les sources de création de valeur.

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !