Audit marketing - Pharmacien Manager n° 142 du 30/10/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 142 du 30/10/2014
 

côté point de vente

Auteur(s) : Fabienne Colin

Située au cœur d’un quartier cosmopolite parisien, la Pharmacie Sefiani parle la langue de ses clients. L’équipe s’exprime en arabe, russe, français, espagnol… Un parti pris qui a permis à cette officine de tripler son chiffre d’affaires en six ans.

Spasiba », « Salam alikoum », « Choucran », « Bonjour »… A la Pharmacie Sefiani, située dans un quartier cosmopolite du XVIIIe arrondissement de Paris, on pourrait se croire dans la tour de Babel. Au contraire, on y vient pour être sûr d’être compris. Car le maître des lieux, Khalid Semmate, a un sens aigu du relationnel. Et il joue à plein cette carte dans le pilotage de son officine. En février 2008, en reprenant ce point de vente de moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires, le titulaire a tout de suite repéré son potentiel. Le passage est incessant dans la rue Marx-Dormoy, un axe commerçant réputé pour ses magasins d’alimentation orientale. Beaucoup de bobos y habitent, de nombreux Egyptiens, Arméniens, Sri-lankais ou Chinois y circulent.

L’officine a aussi pour avantage d’être la première croix verte de la route en provenance de la station de métro La Chapelle, elle-même directement reliée au gros hub de la Gare du Nord. « Cela répond aux fondamentaux de la commercialité », estime le pharmacien, par ailleurs diplômé d’un master de gestion de l’Ecole supérieure de gestion (ESG). Mais le vrai atout de la pharmacie, c’est la présence de plusieurs médecins spécialisés en médecine ethnique aux alentours. L’un des praticiens voisins, d’origine libanaise, connaît cinq langues étrangères, un autre d’origine tchèque parle le russe, un troisième l’arabe… Et leurs patients sortent logiquement de leur cabinet avec des ordonnances. « Je me suis demandé comment faire en sorte que ces gens, non francophones, viennent dans ma pharmacie, s’y sentent chez eux et surtout y reviennent », raconte Khalid Semmate. Une réflexion qu’il a mûrie dès lors qu’il a eu l’occasion de passer un mois auprès de son prédécesseur avant le rachat. « J’ai pu constater que de très nombreux clients avaient de grosses difficultés de communication au comptoir. On délivrait beaucoup en s’expliquant avec des gestes. »

Se faire comprendre

A partir de là, Khalid Semmate décide de faire de sa pharmacie elle où l’on parle la langue du client. Bilingue français-arabe, le titulaire, formé à l’école française de Marrakech au Maroc et diplômé – option industrie – de la faculté de Limoges, est aussi anglophone. Mais, pour se faire comprendre des patients arméniens, tchétchènes, ukrainiens ou encore azéris, il a dû se mettre au russe, seconde langue de ces populations. Aujourd’hui, grâce à l’enseignement d’un ami confrère, il peut délivrer une ordonnance en russe. Khalid Semmate connaît également quelques rudiments d’espagnol. Au fur et à mesure des recrutements, l’équipe est complétée en fonction de critères relationnels et linguistiques. Aujourd’hui, quatre membres du staff parlent l’arabe. Le turnover est organisé de façon à ce que deux d’entre eux soient toujours au comptoir. Objectif : prendre en charge la patientèle égyptienne qui représente plus de 30 % de la clientèle. Un préparateur est hispanophone. Le titulaire, qui fut formateur chez AstraZeneca, a lui-même enseigné des rudiments de russe à une adjointe. Ici on salue en français d’un « Bonjour », puis on s’adapte à son interlocuteur. « Pour se faire comprendre dans le domaine de la santé, il est préférable de parler dans la langue du malade », insiste Khalid Semmate. En fonction des recrutements, on parle au minimum cinq langues dans l’officine. A chacune des quatre caisses, les accents chantent à leur manière. Dans une ambiance conviviale, les salariés passent d’une langue à l’autre. « Sécurité sociale », « générique »…, sur une curieuse mélodie, quelques mots en français se détachent ponctuellement des phrases dites en arabe.

Aujourd’hui près dune délivrance sur deux est réalisée dans une langue étrangère. A tel point que le titulaire aimerait ajouter le chinois et le sri-lankais à son panel d’idiomes. Au-delà de son accessibilité linguistique, l’équipe se montre disponible auprès des patients. Elle quitte spontanément le comptoir pour aller au-devant d’une clientèle, qui ne sait pas toujours lire le français. Et ça marche. Le bouche-à-oreille fonctionne. Les ouvriers du bâtiment et les personnes qui souffrent du dos se sont visiblement passé le mot. La demande de ceintures lombaires est forte. A tel point que l’orthopédie représente la majeure partie des 9 % du chiffre d’affaires correspondant aux ventes taxées à 5,5 %.

Tisser un réseau

Khalid Semmate travaille aussi le relationnel à l’extérieur de la pharmacie. Celui qui fut très actif dans le milieu associatif de sa faculté, où étudiants en pharmacie et en médecine se partageaient un même bâtiment, est à l’aise avec les praticiens. Il a pris le temps de rendre visite à ceux de sa rue et de se présenter. Son prédécesseur avait aussi tenu à lui indiquer les personnes influentes du quartier. « Tel leader d’opinion, tel concierge… », se souvient, reconnaissant, celui qui a baptisé sa pharmacie du nom de son grand-père, en hommage à un homme qui lui a « beaucoup transmis ». Résident du XVe arrondissement avant de s’installer, Khalid Semmate a finalement choisi d’emménager près de son officine. Désormais, il vit dans le quartier. Quitte à y perdre en anonymat. Il est difficile pour ce trentenaire au sourire communicatif de déambuler dans la rue sans claquer la bise à tel ou tel. Petit à petit, son réseau prend corps. Le travail relationnel de fond a vite payé. L’élargissement des horaires d’ouverture – l’officine était fermée le samedi et 2 semaines en été – a aussi porté des fruits. Les premières années, le chiffre d’affaires grimpe sans cesse : il est passé à 2,2 M€ en 2009 pour atteindre 3,3 M€ en 2011. La dynamique a permis au titulaire à la fois d’augmenter la taille de son stock et de passer son équipe de 2 à 10 personnes. « Les gens ont beaucoup attendu chez le médecin, ils ne veulent pas attendre ici. Les prendre en charge rapidement sans les faire revenir, c’est une clé de la fidélisation », estime-t-il. Il faut dire que, côté concurrence, Khalid Semmate est plutôt chanceux. L’officine voisine, sur le même trottoir, paraît à l’abandon avec les factures de son grossiste en vitrine et des étagères entièrement vides.

Booster la para

La stratégie originelle de la Pharmacie Sefiani, fondée sur le relationnel, a très bien fonctionné pour recruter et fidéliser les patients étrangers. Mais, en 2012, la croissance du CA n’est plus au rendez-vous. D’où l’idée de travailler la relation client par d’autres moyens. Pour construire la deuxième étape de la vie de sa pharmacie, le titulaire s’est d’abord formé au management, auprès de la consultante Virginie Saurel. Cette dernière a recours au modèle Herrmann, une méthode qui permet d’adapter son discours en fonction de la personnalité de son interlocuteur. « Cela m’a permis de réaliser que j’étais mauvais acheteur », confie Khalid Semmate. Ce déclic marquera le début d’une nouvelle stratégie, axée sur le développement du hors-ordonnance. A partir de là, la pharmacie va multiplier les initiatives pour faire grossir cette activité, alors tout juste à 15 % du chiffre d’affaires. L’équipe entière suit une formation au conseil. Mais, surtout, en juillet 2013, la pharmacie se lance dans de lourds travaux (200 000 €) pour une mise aux normes d’accessibilité et en profite pour restructurer l’espace. La surface accessible aux clients passe de 27 m2 à 55 m2. En grignotant des mètres carrés sur une cuisine et des toilettes, le point de vente permet d’augmenter l’exposition de la parapharmacie (2 linéaires centraux). Les quatre comptoirs se situent dans l’angle du fond à gauche. Le tout dans une ambiance très sobre signée de l’agenceur nantais Univers Delta. Un sol de grandes dalles grises et un plafond blanc valorisent les produits installés sur des étagères en métal ou en plastique transparent. Une frise colorée indique l’hygiène, à gauche de l’entrée, puis l’espace beauté et enfin les médicaments.

Optimiser les achats

Avec ces travaux, le titulaire souhaite mieux accueillir ses clients, mais aussi rendre l’offre plus attractive. Et attirer les habitants « bobos » du quartier qui vont plus volontiers faire leurs courses autour du Monoprix ou du marché de l’Olive, un peu plus loin. En parallèle de la redisposition de l’espace, la merchandiseuse Caroline Dujardin (société Chlorofile) a été missionnée pour revoir l’implantation et l’exposition des produits dans la surface clients. L’offre de cosmétiques étant trop restreinte, les marques Nuxe, Vichy et Bioderma sont ajoutées aux rayons. Khalid Semmate n’en a pas pour autant oublié de rationaliser le back-office. Et a confié ses achats, depuis le mois d’avril dernier, à la pharmacienne consultante Karine Daloy. Deux jours par semaine : elle vient piloter les commandes de l’officine en fonction du sell-out (les réelles ventes aux clients), et épaule ainsi chaque membre de l’équipe ayant conservé la responsabilité de certaines marques. Ces efforts portent leurs fruits. A la suite des travaux, la fréquentation et le chiffre d’affaires ont augmenté de près de 10 %. La part de la parapharmacie pèse désormais 5 %, contre 3 % de l’activité totale auparavant. C’est mieux… mais les résidents du quartier fréquentent toujours aussi peu la pharmacie. La clientèle demeure dominée par des ouvriers étrangers et par des hommes à 60 %.

Travailler l’image prix

Aujourd’hui, le titulaire a bien pris conscience de son challenge : « afficher la multiethnicité tout en attirant la clientèle européenne résidant dans le quartier ». Ce sera le défi des prochains mois : déterminer quel discours tenir en vitrine, comment ajuster son assortiment et comment adapter la signalétique (par besoin ? par marque ?…) pour faire savoir qu’ici, on sait parler et répondre aux besoins de tout le monde.

Pour élaborer un plan d’actions, Khalid Semmate a suivi le programme master pharmacien de la division Cosmétique Active de L’Oréal, qui inclut un audit complet de l’officine. « D’après cet audit, on comprend aussi que la pharmacie donne l’image d’un point de vente propre, bien achalandé. Mais souffre d’un manque d’attrait concernant les prix. Elle ne donne pas l’impression que l’on va y faire une “bonne affaire” », analyse le titulaire. Du coup, il vient de mettre en place des bacs soldeurs pour présenter des produits type sticks lèvres ou crèmes pour les mains. Et favoriser l’achat d’impulsion dans cette officine où le libre accès sur les médicaments n’a jusque-là volontairement pas été mis en place. Et pour cause : une grande partie de la clientèle lit difficilement le français. Néanmoins, Khalid Semmate vient d’engager une réflexion sur la valorisation de l’OTC (antidouleurs), dont les ventes ont progressé de 20 % rien que sur le mois d’août dernier. Une bouffée d’oxygène dans un climat de baisse des prix sur le 2,1 %.

Pharmacie Sefiani

Paris XVIIIe

→ Equipe : 1 titulaire, 2 adjoints, 4 préparateurs, 2 étudiants, 1 rayonniste, 1 femme de ménage

→ CA au 31 août 2014 : 3,73 M€ TTC (+ 12 %)

→ Taux de marge remise génériques incluse 2013 : 28,9 % (+ 0,8 point)

→ Coût des travaux (juillet 2013) : 200 k€

→ Surface accessible aux clients (avant/après travaux) : 27 m2/55 m2

→ Fréquentation : 260 clients/jour (+ 11 % après les travaux)

→ Panier moyen : 42,62 € HT

→ Répartition du CA actuel selon le taux de TVA

• 83 % de médicaments remboursables

• 12 % de médication familiale (9 % de TVA 5,5 et 3 % de TVA 10)

• 5 % de parapharmacie

→ Site web : non

→ Groupement : Newpharm

Prospective

Exprimer sa différence

Dans le cadre du concours « Reload My Pharmacy » de 2014, organisé par L’Oréal Cosmétique active, des étudiants en design du Strate college ont planché sur la Pharmacie Sefiani. Ils préconisent notamment de la faire évoluer vers « un espace multilingue pour une plus grande autonomie du client ».

Cela pourrait, selon eux, se traduire par une façade où différents drapeaux découpés en croix. A l’intérieur, ce positionnement pourrait être poussé jusqu’à proposer un badge qui traduit les informations produits dans plusieurs langues. Ou encore prendre la forme d’une signalétique non pas en Français – pas toujours lu par les clients – mais via des pictogrammes.

Sondage

Un sondage a été mené auprès de la clientèle « bobo » du 12 août au 9 septembre par le biais de la tablette tactile de retraitement de données Pocket Result. Seules 30 personnes ont pu répondre. C’est dire si cette clientèle visée fréquente peu l’officine. Voici les résultats de ce sondage, à relativiser en raison du faible nombre de réponses :

Score de satisfaction : 8,3/10. Ce résultat est bon, mais il devrait être plus fort afin que le bouche-à-oreille (la recommandation) s’étende de manière plus large dans le quartier, entre voisins et amis.

Score de recommandation : 7,8/10. Ce score inférieur à 8 est trop faible. La pharmacie a besoin qu’on parle d’elle plus et en bien !

Score d’intention de retou : 8/10. Ce résultat est encourageant.

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