Le commerce devient solidaire - Pharmacien Manager n° 140 du 02/09/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Pharmacien Manager n° 140 du 02/09/2014
 

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Auteur(s) : Fabienne Colin

Un dentifrice pour un jeune sans emploi, un café pour un retraité à la maigre pension, des monnaies à l’échelle d’une commune… De nouvelles formes de solidarité locale font leur chemin au sein des commerçants, et notamment des pharmaciens. Zoom sur un phénomène qui prend de l’ampleur.

Au café Le Zèbre à pois, situé dans une rue piétonne de Rouen, un curieux tableau orne le fond du bar. Là s’accumulent des tickets de caisse estampillés d’un prénom. Dans cet établissement, chaque client a la possibilité de payer un café et d’en régler un dsecond à destination d’un nécessiteux de passage. On appelle ce système le « café en attente », ou « café suspendu ». La tradition vient de Naples en Italie et en train de remonter vers le nord de l’Europe. Si l’économie solidaire et sociale va se structurer avec la loi en discussion à l’Assemblée nationale, d’autres formes de solidarité émergent dans les entreprises classiques.

Engager la conversation

« Nous avons offert 500 cafés depuis avril 2013, et 480 ont été servis », explique Olivier Lenoble, le patron du Zèbre à pois. « J’ai souvent une vingtaine de cafés en attente. Quand les gens voient le tableau, ils demandent des explications, et souvent ils donnent. 1,25 €, c’est accessible », poursuit le cafetier, qui a décidé de demander leur prénom aux donateurs. Ainsi, quand une jeune mère isolée ou un vieux monsieur en mal d’argent sollicite un petit noir en attente, Olivier Lenoble peut préciser que c’est « Mireille » ou « Roger » qui régale. Car le but est bien de provoquer la conversation, le café étant le prédiv, symbolique.

« Nous sommes une plate-forme d’échanges entre deux individus », explique Amira Déverchère, à la tête du café Kerlune à Brest, qui a rejoint le mouvement. Encore méconnu, le « café en attente » interpelle. S’il est à l’origine de bien des conversations, son effet va parfois bien au-delà. Chez Kerlune, une femme avait pris l’habitude de prendre un café en attente. « Puis elle est revenue pour dire qu’elle avait trouvé du travail et que je ne la reverrai pas. Elle m’a laissé un cadeau. Un rapport différent s’établit entre le consommateur et moi, alors que ce n’est pas moi qui offre », analyse la gérante.

Offrir une brosse à dents en pharmacie

A Nantes, ce n’est point le café qui est en attente, mais « tout ». L’association Tout en attente (TEA) aide les plus démunis en élargissant le principe du café en attente à tous les produits de première nécessité. Ainsi, tout commerçant peut proposer à ses clients de payer un second produit qui sera à disposition des plus démunis. « Les clients sont réceptifs, mais les commerçants ont quelques réticences. Il faut aller les voir plusieurs fois. Souvent, ils craignent que le système ne draine une population dérangeante. Nous les rassurons. Les personnes bénéficiant des produits en attente sont souvent des mères isolées, des travailleurs qui bouclent difficilement leur fin de mois ou des chômeurs en fin de droit. Ces gens ne posent pas de problème. C’est déjà suffisamment difficile pour eux de faire la démarche de pousser la porte d’un commerce », explique Corentin Pichon, cofondateur de l’initiative.

En six mois, Tout en attente a déjà rassemblé près de 30 commerces dont deux pharmacies. « C’est très simple à mettre en place », explique Philippe Brochard, titulaire de la Pharmacie de la Bottière dans un quartier populaire de Nantes. En échange d’une cotisation symbolique, TEA fournit un « tableau » pour indiquer les produits payés en attente d’être donnés aux nécessiteux, une affiche pour la vitrine et des brochures explicatives. Dominique Dambrine Darnis, titulaire de la Pharmacie de Verdun en centre-ville de Nantes, s’est également vite laissée tenter. « J’ai mis l’ardoise dans la vitrine où je mets habituellement l’information sur les gardes pour que les gens la voient, et j’ai placé des signets en rayon près de produits d’hygiène qui me semblent adaptés au principe de l’attente : brosses à dents, dentifrices… »

Faire vivre l’économie locale

Dans un même esprit solidaire, dans le Lot-et-Garonne, l’association Agir pour le vivant a mis en place une monnaie locale pour maintenir les flux économiques sur ses terres. Baptisée l’« abeille », elle permet de se payer entre adhérents. Le principe est simple : chaque adhérent – dont des commerçants – vient chercher des « abeilles » au comptoir de l’association et s’en sert comme monnaie. Une « abeille » égale un euro et il existe des billets de 1, de 2, 5 ou encore 20 et 50 « abeilles ». « Nous avons cherché à créer un réseau qualitatif de services et de production et, surtout, de relations humaines, dans des circuits courts », explique Françoise Lenoble, coprésidente de l’association. L’« abeille » existe officiellement depuis janvier 2010. Aujourd’hui 150 entreprises en sont membres : des vendeurs de légumes, de viande, mais aussi des ostéopathes, naturopathes et même deux pharmacies. « Nous acceptons les “abeilles” depuis l’an dernier. Cela apporte des clients et surtout de nouvelles relations avec des gens ouverts d’esprit », estime Hubert Charensac, cotitulaire de la Pharmacie de Penne-d’Agenais. L’officinal a placé le logo de l’« abeille » sur sa vitrine. Sous le dessin, une phrase résume son ambition : « Nous contribuons à relocaliser l’économie, retisser le lien social, limiter les transports et soutenir les projets locaux éthiques. » La solidarité prend la forme d’un acte militant.

Attirer une clientèle sympathique

Colette Brémont, titulaire de la Pharmacie Brémont-Boucher à Villeneuve-sur-Lot, a également rejoint l’association. Toutefois elle ne souhaite pas du logo en vitrine. « Je n’aime aucune forme de racolage. Les adhérents aux “abeilles” ont la liste des commerçants partenaires. Ils n’ont pas besoin d’une affiche », explique la pharmacienne, qui apprécie que le système permette que « l’argent reste dans la région, circule auprès de gens et d’entreprises ayant une certaine éthique. Si j’avais fait appel à cette monnaie dans un but mercantile, j’aurais été déçue. Cela m’amène surtout une clientèle sympa, surtout des babas cool, mais ils ne sont pas très nombreux ». De fait, la ruche demeure assez petite. Elle rassemble seulement 250 particuliers après quatre ans d’existence. « Nous concevons la monnaie comme un facilitateur d’échange et non comme un outil de spéculation. Car l’“abeille” se déprécie en six mois, pour encourager la circulation rapide… », détaille Françoise Lenoble.

Le principe des monnaies locales fait mouche. Aujourd’hui 20 projets sont en cours en France et la démarche s’étend aux zones très urbaines. Toulouse a sa « sol-violette » depuis 2011, Montreuil-sous-Bois a inauguré sa « pêche », Nantes aura bientôt sa « sonantes », entièrement dématérialisée…

Se donner du temps

La Pharmacie de Verdun à Nantes propose aux clients d’acheter un second produit d’hygiène pour des personnes démunies et d’afficher ces « dons » sur un tableau afin que les plus nécessiteux les réclament. Quelques jours après la mise en place de ce système dénommé Tout en attente, le tableau était vierge. « Il faut du temps pour que les gens comprennent et connaissent ces nouveaux modes de solidarité. Sinon, je n’engage pas la conversation à ce sujet. Cela doit venir d’eux », indique la titulaire. A suivre…

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