Pari sur l’efficacité des anticancéreux - Le Moniteur des Pharmacies n° 3197 du 04/11/2017 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3197 du 04/11/2017
 
MÉDICO-ÉCONOMIE

Temps Forts

Enjeux

Auteur(s) : PAR MAGALI CLAUSENER 

L’arrivée à un rythme accéléré de nouveaux médicaments contre le cancer suscite des interrogations sur le rapport entre leur coût élevé et l’efficacité obtenue. Un équilibre discutable pour certains. Le point sur les évaluations et réévaluations.

Dans leur livre « Médicaments anti-cancer peu efficaces, souvent toxiques et hors de prix » paru fin octobre, deux médecins, Nicole Delépine et Gérard Delépine, dénoncent les AMM « TGV » délivrées par l’Agence européenne des médicaments (EMA) qui permettent l’arrivée de nouvelles molécules n’ayant pas fait leurs preuves (lire l’éditorial en page 3). « Les études dites études pivot ou de phase II portent sur deux à trois cents malades - parfois moins -, suivis un an seulement en moyenne », explique Nicole Delépine.

Afin de faciliter l’accès des patients aux nouveaux traitements, l’EMA a en effet mis en place une procédure accélérée d’AMM. Concrètement, des médicaments peuvent être autorisés sur les résultats d’études cliniques de phase II et non de phase III, et non sur le principal critère reconnu comme étant significatif d’un bénéfice clinique, la survie globale, mais sur des critères de substitution (« surrogate »), plus ou moins significatifs, comme la survie sans rechute ou la qualité de la vie. C’est notamment le cas de certaines thérapies ciblées. « Dans ce condiv, nous n’avons pas la preuve que le médicament est efficace, mais l’AMM est conditionnelle. Elle est attribuée à condition que le laboratoire continue ses études cliniques de phase III après la mise sur le marché, car la connaissance scientifique sur le bénéfice clinique n’est pas complète, précise Muriel Dahan, directrice des recommandations et du médicament à l’Institut national du cancer (INCa). Des médicaments arrivent ainsi sur le marché alors que leur développement n’est pas terminé. En général, il s’agit de traitements de maladies pour lesquelles nous sommes démunis. »

La vie réelle doit faire partie de la recherche

Pour autant, tout n’est pas joué avec l’octroi de l’AMM. En France, la Commission de la Transparence évalue le service médical rendu (SMR) et l’amélioration du SMR (ASMR) - voir Repères p.14. « Il est utile en cancérologie de disposer de multiples options thérapeutiques. La Haute Autorité de santé (HAS) a toujours en tête ce dont le patient a besoin pour lui éviter une perte de chances, explique le Dr Chantal Bélorgey, directrice de l’évaluation médicale, économique et de santé publique (DEMESP) de la HAS. Nous pouvons ainsi être amenés à faire un pari pour les patients, mais conditionné à une réévaluation précoce. »

Reste que les laboratoires ne réalisent pas ou ne publient pas toujours les études post-AMM réclamées notamment par l’EMA, comme le remarque Nicole Delépine. Des études en vie réelle peuvent également être demandées. « Les évaluations en vie réelle peuvent être utiles dans les situations d’incertitude. Même si elles sont moins rigoureuses que des essais cliniques, elles apportent des données complémentaires et utiles, observe Chantal Bélorgey. Mais il est vrai que les résultats de ces études ne sont pas forcément publiés et c’est dommage. Il faut de la transparence. » Le Pr Gilles Vassel, directeur de la recherche clinique à l’Institut Gustave-Roussy à Villejuif (Val-de-Marne), partage ce constat. « Se donne-t-on les moyens ? Les données des essais cliniques sont-elles vérifiées dans la vraie vie ? Il faut considérer ces études en vie réelle comme de la recherche qui devient essentielle, souligne-t-il. Muriel Dahan l’affirme aussi : on ne peut pas évaluer un médicament uniquement sur le plan théorique. C’est la pratique clinique qui apporte des connaissances en vie réelle. « Il faut que les stratégies thérapeutiques et les bonnes pratiques soient définies en rapprochant les données scientifiques de l’expérience clinique. Cela demande du temps », explique-t-elle. Mais la situation bouge. Unicancer a ainsi mis en œuvre le programme ESMÉ (Epidémio-Stratégie Médico-Economique), qui centralise les données de vie réelle des patients traités pour un cancer en France. Pour chaque pathologie ou domaine thérapeutique, la plate-forme de données ESMÉ s’appuie sur les données anonymisées documentées par les professionnels de santé des centres de lutte contre le cancer.« Ce programme permet de générer des connaissances complémentaires de celles issues des essais cliniques randomisés. L’objectif est de décrire au cours du temps l’évolution de la prise en charge des patients et des stratégies thérapeutiques, dans une approche médico-économique à grande échelle », détaille le Pr Patrice Viens, président d’Unicancer.

Les réévaluations seront de plus en plus précoces

Car le paysage de la cancérologie change profondément avec les associations de traitements, les thérapies ciblées, les immunothérapies, les thérapies géniques et une chronicisation de la maladie. « Face à ces évolutions, il est nécessaire de réaliser régulièrement des réévaluations comparatives par rapport aux nouvelles stratégies thérapeutiques, déclare Chantal Bélorgey. Il arrive donc de plus en plus fréquemment à la Commission de la Transparence de demander à revoir les dossiers tous les deux ans, sur la base de données plus solides. Et nous pouvons être amenés à confirmer notre position initiale, la réviser de façon positive ou encore la revoir à la baisse. » La directrice conclut d’ailleurs que « des critères comme la qualité de vie doivent être mieux pris en considération. La contribution des patients et des usagers dans l’évaluation des produits, que nous avons expérimentée l’année dernière et que nous venons de pérenniser, est également un apport indispensable » .

ABOUTIR AU JUSTE PRIX

Selon Muriel Dahan (INCa) : « Schématiquement, soit le médicament a une ASMR I, II ou III , et c’est le jackpot financier pour le laboratoire, soit il a une ASMR IV ou V, et là, il y a deux conséquences : un coût inférieur ou égal aux précédents et l’absence d’inscription sur la liste en sus*, il n’y a pas de progressivité. Il faut retravailler sur la fixation des prix pour arrêter l’escalade : nous devons pouvoir identifier le coût de revient d’un médicament et partir de là pour mettre un prix sur la valeur ajoutée… et non plus faire le chemin inverse ! ». Pour Chantal Bélorgey (HAS), « la gestion de la liste en sus doit être dynamique. Les médicaments ne sont pas éternellement innovants et tout n’a pas vocation à rester dans ce système dérogatoire. Ceux qui ne sont plus innovants doivent pouvoir en sortir et être régis par le droit commun du financement des médicaments ». Selon elle, « un remboursement temporaire de certains produits et dans certaines circonstances (un besoin non couvert, notamment) pourrait être fixé sous condition d’avoir une levée des incertitudes dans un délai donné ». Le Pr Patrice Viens (Unicancer) préconise des prix évolutifs « en fonction de l’augmentation du nombre d’indications, de l’ancienneté de mise sur le marché, de la durée de prescription… ».

* La liste en sus, sur laquelle sont inscrites certaines spécialités, est un système dérogatoire afin de financer à l’hôpital les produits innovants et onéreux.

À RETENIR


•  Afin de faciliter l’accès des patients aux nouveaux traitements, l’Agence européenne des médicaments (EMA) a mis en place une procédure accélérée d’AMM : des médicaments peuvent être autorisés sur des critères plus ou moins significatifs, comme la survie sans rechute ou la qualité de la vie.

•  Cette AMM conditionnelle est attribuée à condition que le laboratoire continue ses études cliniques de phase III après la mise sur le marché.

•  Unicancer préconise des prix évolutifs en fonction de l’augmentation du nombre d’indications, de l’ancienneté de mise sur le marché, de la durée de prescription…

REPÈRES 

LE CIRCUIT DE L’ÉVALUATION DES MÉDICAMENTS

Par MAGALI CLAUSENER - Infographie : Franck L'Hermitte

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