Temps Forts
Enjeux
Auteur(s) : Anne-Charlotte Navarro
Six mois après la mise à disposition de la nouvelle formule de Levothyrox, l’ancienne formule revient en France, importée transitoirement d’Allemagne sous le nom d’Euthyrox. Pour aboutir à ce – presque - retour à la case départ, il aura fallu une pétition (signée par 295 700 personnes début octobre), 9 000 signalements d’effets indésirables, plusieurs centaines de plaintes ou d’actions collectives… et des hésitations à n’en plus finir. Cette crise aura mis en lumière un défaut d’information des patients (« on ne m’a jamais dit que la formule avait changé »), exacerbé par le sentiment de ne pas avoir été pris au sérieux par la ministre de la Santé. Elle aura aussi alimenté la grogne des pharmaciens, exaspérés d’avoir appris, souvent par les médias grand public ou par leurs patients, les réactions et décisions de leur autorité de tutelle.
Face à la colère des patients, le gouvernement a donc finalement fait marche arrière le 15 septembre. Le 2 octobre, le laboratoire Merck a mis à disposition 130 000 boîtes de 100 comprimés (pour huit dosages différents) d’Euthyrox. Et ? Et c’est tout. « L’ensemble des traitements a été envoyé aux grossistes-répartiteurs tout au long de la semaine. Nous leur avons demandé de limiter la distribution à une boîte par dosage et par commande, afin d’assurer une distribution sur l’ensemble du territoire et d’éviter le surstockage », détaille Valérie Leto, pharmacien responsable de Merck Serrono SA. Voilà qui n’a réjoui ni les patients ni les pharmaciens. Pour les pharmacies situées en zone frontalière, pas (trop) de problèmes : les patients qui s’étaient tournés jusqu’ici vers les pharmacies espagnoles, italiennes, allemandes ou suisses vont sans doute continuer à faire de même pour s’approvisionner en Euthyrox. Jusqu’à ce que la formule soit modifiée également dans ces pays, ce qui est prévu à partir de 2018 dans le cadre de la procédure d’harmonisation européenne en cours. Selon Valérie Leto, elle n’est d’ailleurs pas remise en question. « Les autres pays européens suivent la situation française. Nous attendons les résultats de l’enquête de pharmacovigilance mi-octobre pour savoir si les cas rapportés sont vraiment liés au médicament. » Pour toutes les autres pharmacies, le casse-tête est quotidien. Car, comment satisfaire une prescription en règle, postérieure au 14 septembre dernier et spécifiant bien Euthyrox, une fois que le stock a été écoulé ? « Il n’y aura pas d’autres boîtes d’Euthyrox en France, insiste Valérie Leto. Les patients doivent absolument retourner voir leur médecin pour adapter la posologie avec la nouvelle formule, ou essayer d’autres alternatives quand elles seront disponibles. » Mieux vaut en effet attendre un peu et effectuer un seul changement de traitement, plutôt que de passer par la case Euthyrox puis de changer à nouveau trois mois après, avec tous les problèmes de déséquilibre hormonal qui risquent d’en découler.
Pour tenter de contenir les prescriptions, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) avait pourtant trouvé une parade originale. Dans son document d’information pour les professionnels de santé intitulé « Diversification de l’offre de spécialités à base de lévothyroxine » mis en ligne le 2 octobre, elle informe les médecins que la prescription d’Euthyrox n’est « pas conseillée », cette spécialité étant disponible pour une durée et dans des quantités limitées. Elle doit donc être réservée aux patients présentant des effets indésirables avec Levothyrox nouvelle formule en dépit d’un équilibre hormonal satisfaisant, et qui ne peuvent pas attendre l’arrivée de nouvelles spécialités mi-octobre. Et pourtant… Les médecins n’ayant pas pu ou voulu résister à la pression de leurs patients, les pharmaciens se sont retrouvés avec bien plus de demandes que d’offres. Confrontés depuis plusieurs semaines aux demandes des patients, les médecins eux non plus n’ont pas vécu sereinement la séquence Euthyrox. « C’est une vraie mauvaise solution, d’autant plus qu’elle est provisoire, grogne Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France (FMF). Je voudrais savoir pourquoi l’ANSM a demandé le changement de formule de Levothyrox. Nous avions quelques patients pour lesquels l’équilibre était difficile mais cela n’avait rien à voir avec la confusion actuelle. »
Luc Duquesnel, président du syndicat de généralistes Unof-CSMF et médecin en exercice a vécu un afflux d’appels à son cabinet lundi dernier : « Cela a embolisé nos consultations comme si des urgences médicales nous tombaient dessus. Le plus souvent, j’ai refusé cette prescription aux patients car leur situation ne la justifiait pas. » Le médecin les a incités à attendre jusqu’à la mi-octobre avec la mise à disposition de nouvelles spécialités de lévothyroxine par Sanofi.
La situation devrait en effet s’améliorer mi-octobre, date à laquelle une quatrième spécialité à base de lévothyroxine fera son apparition sur le marché français. L-Thyroxin Henning, importé également d’Allemagne dans un premier temps, est un médicament princeps commercialisé par Sanofi depuis plusieurs dizaines d’années. Il est actuellement prescrit à plus de 3 millions de personnes. Accessible à tout patient, il sera disponible aussi en boîte de 100 comprimés. Ce médicament fait l’objet d’une demande d’AMM française en vue d’une commercialisation durable. Il reste à espérer que cette nouvelle forme de lévothyroxine soit bien tolérée. « Je crains que nous rencontrions le même problème qu’avec Levothyrox », prévoit pourtant le Dr Jean-Paul Hamon.
UN SYSTÈME D’APPROVISIONNEMENT CONTRAIGNANT MAIS EFFICACE
LE VRAI PROBLÈME, C’EST LA GESTION DE LA CRISE PAR LA MINISTRE
UN ÉCHANGE AGRÉABLE AVEC LES PATIENTS
A CHACUN SA LÉVOTHYROXINE
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