La dépendance aux opiacés - Le Moniteur des Pharmacies n° 3192 du 30/09/2017 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3192 du 30/09/2017
 

Cahiers Formation du Moniteur

Ordonnance

ANALYSE D’ORDONNANCE 

UN PASSAGE DE SUBUTEX À SUBOXONE

Le cas : Laurent T., 23 ans, consomme de l’héroïne depuis l’âge de 19 ans. Il y a 3 mois, il a commis un vol pour payer sa drogue. Prévenus par la police, ses parents ont alors réussi à le convaincre de se faire soigner et l’ont accompagné dans un CSAPA. Il lui a été prescrit de la buprénorphine, dont la posologie a été progressivement portée à 16 mg. Il sort aujourd’hui de sa consultation : le médecin a remplacé la buprénorphine par l’association buprénorphine/naloxone du fait d’un soupçon de détournement d’usage, et il ajoute de la cyamémazine pour des troubles anxieux, sources d’insomnie.

RÉCEPTION DE L’ORDONNANCE


POUR QUI ?

Laurent T., 23 ans.


PAR QUEL MÉDECIN ?

Le psychiatre spécialisé en addictologie, qui suit M. T. dans un CSAPA.


L’ORDONNANCE EST-ELLE CONFORME À LA RÉGLEMENTATION ?

Oui. La buprénorphine, assimilée stupéfiant, doit être prescrite sur une ordonnance sécurisée, ce qui est bien le cas ici. La durée maximale de prescription de la buprénorphine est de 28 jours. La délivrance est soumise à un fractionnement à 7 jours. La dernière prescription de Laurent T., pour une durée de 7 jours, date du 23 septembre et a été délivrée le jour même. Il n’y a donc pas de chevauchement. L’ordonnance peut donc être délivrée, et sa copie doit être conservée 3 ans par le pharmacien.


QUEL EST LE CONdiv DE L’ORDONNANCE ?


QUE SAVEZ-VOUS DU PATIENT ?

Laurent est connu de l’officine depuis son enfance car ses parents sont des patients habituels. Sans emploi, il habite une chambre de bonne au-dessus de chez ses parents. Ces derniers se confient régulièrement à la pharmacie et ne cachent pas leur angoisse quant à la situation de leur fils.


QUEL ÉTAIT LE MOTIF DE LA CONSULTATION ?

Depuis 3 mois, Laurent voit son médecin tous les sept jours pour une nouvelle prescription. Ses parents, inquiets, l’ont accompagné aujourd’hui et ont évoqué avec le médecin leur soupçon de détournement du traitement. En effet, c’était déjà arrivé auparavant et ils retrouvent en ce moment chez Laurent le même comportement excité et agressif. Au cours de la consultation, Laurent a reconnu « sniffer » Subutex. Il évoque aussi des difficultés à s’endormir le soir.


QUE LUI A DIT LE MÉDECIN ?

Le médecin a décidé de remplacer la buprénorphine seule par une association à la naloxone. Il a expliqué à Laurent que l’association de la naloxone à la buprénorphine l’aiderait dans la réussite de son traitement en limitant les risques de « dérives ». Et l’a prévenu que s’il sniffait son nouveau traitement, il risquait d’avoir des signes de manque : agitation, vomissements, diarrhées, fortes douleurs gastriques et intestinales, grosses suées, douleurs musculaires…
Il ajoute également la cyamémazine pour corriger les troubles du sommeil.


VÉRIFICATION DE L’HISTORIQUE PATIENT ?

Laurent T. a des prescriptions hebdomadaires de buprénorphine : après une augmentation croissante de la posologie, cela fait maintenant quelques semaines que son dosage est stabilisé à 16 mg par jour.


LA PRESCRIPTION EST-ELLE COHÉRENTE ?


QUE COMPORTE LA PRESCRIPTION ?

La buprénorphine est un agoniste partiel des récepteurs opioïdes cérébraux μ, permettant d’éviter un état de manque d’héroïne. Son association à la naloxone vise à dissuader le patient de mésusage.
La naloxone est en effet un antagoniste des récepteurs μ dont l’action ne s’exerce qu’en cas d’administrations intraveineuse et nasale : dans ces deux situations, la naloxone inhibe les effets de la buprénorphine et provoque un syndrome de sevrage. Cette action ne s’exerce pas par voie orale ou sublinguale en raison d’un métabolisme presque complet lors du premier passage hépatique.
La cyamémazine est un antipsychotique neuroleptique aux propriétés antidopaminergiques, antihistaminiques (qui expliquent son action sédative recherchée ici), adrénolytiques et anticholinergiques.


EST-ELLE CONFORME À LA STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE DE RÉFÉRENCE ?

La buprénorphine est, avec la méthadone, l’un des deux traitements de substitution aux opiacés. La buprénorphine est généralement prescrite en première intention, l’association buprénorphine/naloxone et la méthadone étant généralement prescrites en cas de mésusage de la buprénorphine seule.
L’association buprénorphine et benzodiazépine augmentant le risque de détresse respiratoire, le médecin préfère prescrire à Laurent un neuroleptique pour ses troubles du sommeil. Tercian (cyamémazine) a une indication dans le traitement de l’anxiété.


Y A-T-IL DES MÉDICAMENTS À MARGE THÉRAPEUTIQUE ÉTROITE ?

Non.


Y A-T-IL DES CONTRE-INDICATIONS ?

Non. Laurent T. ne souffre pas d’insuffisance hépatique ou respiratoire sévères qui contre-indiqueraient la prise de buprénorphine/naloxone.
Il ne présente pas non plus de risque de glaucome par fermeture de l’angle ni de rétention urinaire, et n’a pas d’antécédent d’agranulocytose qui contre-indiqueraient la cyamémazine.


LES POSOLOGIES SONT-ELLES COHÉRENTES ?

Oui. Le dosage de buprénorphine dans l’association buprénorphine/naloxone est le même que celui de la buprénorphine seule, prise jusqu’alors, soit 16 mg/j. En entretien (ou phase de maintenance), la dose maximale recommandée par l’AMM est de 16 mg/j, mais peut être supérieure en pratique.
La posologie recommandée de la cyamémazine dans l’anxiété est de 25 à 100 mg/j, et la durée de prescription recommandée est de 4 semaines dans cette indication.


Y A-T-IL DES INTERACTIONS ?

L’association entre la buprénorphine et la cyamémazine doit prendre en compte le risque d’addition des effets indésirables contribuant à une altération de la vigilance.


LE TRAITEMENT NÉCESSITE-T-IL UNE SURVEILLANCE PARTICULIÈRE ?

Non, Suboxone ne fait pas partie des médicaments à surveillance particulière.


QUELS CONSEILS DE PRISE DONNER ?


UTILISATION DES MÉDICAMENTS

Les deux comprimés de buprénorphine/naloxone doivent être pris en une seule prise (le matin par exemple ), par voie sublinguale, en laissant fondre les comprimés sous la langue jusqu’à dissolution complète (5 à 10 minutes). Attendre la dissolution complète avant toute consommation d’aliment ou de boisson. Il doit être rappelé à Laurent T. que la voie sublinguale est la seule voie d’administration efficace et bien tolérée.
Dans le cas présent, la cyamémazine étant prescrite pour des troubles du sommeil, il est recommandé de prendre le comprimé le soir au coucher.


QUAND COMMENCER LE TRAITEMENT ?

Le soir même pour la cyamémazine et le lendemain matin pour l’association buprénorphine/naloxone.


QUE FAIRE EN CAS D’OUBLI ?

En cas d’oubli d’une prise, les 2 comprimés de buprénorphine/ naloxone doivent être pris le plus rapidement possible pour éviter un syndrome de manque.
En cas d’oubli de la prise de la cyamémazine, elle ne sera pas rattrapée et la prise suivante sera administrée le lendemain soir.


LE PATIENT POURRA-T-IL JUGER DE L’EFFICACITÉ DU TRAITEMENT ?

La prise de buprénorphine doit permettre d’éviter les signes de manque.
La cyamémazine doit réduire les signes d’anxiété et donc permettre le rétablissement d’un meillleur sommeil.


QUELS SONT LES PRINCIPAUX EFFETS INDÉSIRABLES ?

Les effets indésirables les plus fréquemment rapportés sous buprénorphine/naloxone sont les troubles digestifs (constipation, nausées…), la somnolence, la fatigue, les vertiges et les étourdissements au lever liés à une hypotension orthostatique.
Les effets indésirables liés à la cyamémazine les plus fréquents, même à faible dose, sont l’hypotension orthostatique, la constipation, la sécheresse buccale, les troubles de l’accommodation, la rétention urinaire. La survenue d’un syndrome malin est possible. L’allongement de l’intervalle QT est dose-dépendant et donc moins susceptible de survenir à la dose de 25 mg par jour. Des dyskinésies et/ou un syndrome extra-pyramidal peuvent survenir à des doses plus élevées.


QUELS SONT CEUX GÉRABLES À L’OFFICINE ?

La constipation peut être gérée à l’officine grâce à des conseils hygiéno-diététiques (hydratation suffisante, consommation de fibres, pratique d’une activité physique régulière…) et, si besoin, des laxatifs osmotiques.
Les nausées et vomissements disparaissent généralement à la poursuite du traitement.
Face à une somnolence et à une fatigue iatrogène, il peut être conseillé de prendre la buprénorphine/naloxone le soir.
Les manifestations d’hypotension orthostatique peuvent être prévenues en conseillant un lever progressif.


QUELS SIGNES NÉCESSITERAIENT D’APPELER LE MÉDECIN ?

Les signes évoquant une dépression respiratoire, (sensation de somnolence, problèmes de coordination, vision trouble, troubles de l’élocution et/ou une respiration plus lente), imposent une consultation en urgence.
Concernant la cyamémazine, des signes de rétention urinaire et de troubles de l’accommodation nécessiteraient d’appeler le médecin. Toute hyperthermie inexpliquée doit faire suspecter un syndrome malin et amener à consulter en urgence.


CONSEILS COMPLÉMENTAIRES

Insister sur l’importance de l’observance et du respect de la prescription. En cas de rupture thérapeutique de plusieurs jours, le traitement ne doit pas être repris à la même dose, au risque d’un surdosage qui peut être mortel.
La capacité à conduire et à utiliser des machines peut être altérée par la prise de cyamémazine et celle buprénorphine/naloxone (particulièrement en début de traitement).
La consommation d’alcool, présente dans les boissons et les médicaments,est à proscrire en raison de la majoration de l’effet sédatif de la buprénorphine et de la cyamémazine. 
Syndrome malin des neuro-leptiques
Il associe hyperthermie, pâleur, altération de la conscience, rigidité musculaire, et est lié au blocage des récepteurs dopaminergiques. Engageant le pronostic vital, il s’observe plus fréquemment à des doses élevées, lors d’une administration parentérale et chez des patients âgés et/ou déshydratés.
CSAPA
Centre de soins, d’accompagne-ment et de prévention en addictologie.
Par Delphine Guilloux, pharmacienne, en collaboration avec le Dr Xavier Laqueille, chef de service d’addictologie de l’hôpital Sainte Anne

qu’en pensez-vous ?

Le nom de la pharmacie doit-il être obligatoirement apposé sur une ordonnance de buprénorphine ?

a) Oui.

b) Non.

Réponse : depuis l’arrêté du 1er avril 2008, le prescripteur doit mentionner sur l’ordonnance le nom de la pharmacie choisie par le patient pour la délivrance. Il est recommandé au prescripteur de contacter le pharmacien pour l’en informer et organiser la prise en charge du patient. Il fallait choisir la réponse a.

qu’en pensez-vous ?

A compter de la date de rédaction d’une ordonnance de buprénorphine, de combien de temps dispose le patient pour venir chercher son traitement ?

a) 3 jours

b) 3 mois

Réponse : la buprénorphine est un médicament de liste I, assimilé stupéfiant. Depuis le 20 mars 2012, le délai de carence de 3 jours ne s’applique plus aux assimilés stupéfiants. Ainsi, le délai de présentation de l’ordonnance de buprénorphine est de 3 mois et il n’y a plus à déconditionner les spécialités à base de buprénorphine. Il fallait choisir la réponse b.

PATHOLOGIE 

DÉPENDANCE À L’HÉROÏNE EN 3 QUESTIONS

Les modes d’usage de l’héroïne ont évolué au cours des vingt dernières années. Une relative désaffection de l’injection a laissé place à la popularité de l’inhalation en milieu festif et de l’association à d’autres drogues.

1 QU’EST-CE QUE L’HÉROÏNE ?

L’héroïne, ou diacétylmorphine, est obtenue à partir de la morphine, elle-même extraite de l’opium, un latex produit par le Pavot somnifère (Papaver somniferum).
La drogue se présente sous forme de poudre blanche (forme salifiée) ou brune (forme basique).
Vendue au détail, elle contient entre 4 et 13 % d’héroïne. Elle est coupée avec différentes substances : lactose, glucose, talc, amidon, plâtre, ciment, caféine, paracétamol, benzodiazépines...
L’héroïne salifiée, hydrosoluble, s’injecte en IV avec une action en une minute environ. Cet usage concerne généralement des usagers marginalisés, en situation de grande précarité.
Sous forme basique, l’héroïne pulvérisée peut être inhalée (« sniffée ») ou fumée (une fois volatilisée par chauffage), avec un passage transmuqueux et une action alors moins brutale, en quelques minutes : c’est un mode d’administration adopté principalement par des usagers jeunes en milieu festif, des consommateurs ponctuels ou en alternative à l’injection.


2 QUELLE TRAJECTOIRE MÈNE À LA DÉPENDANCE ?

L’initiation à l’héroïne a généralement lieu en fin d’adolescence, ou plus rarement vers la trentaine, sous l’influence d’événements de vie stressants (deuil ou séparation, chômage…).
La prise d’héroïne constitue un symptôme d’une souffrance psychique qu’elle peut masquer par sa puissante action anxiolytique. Les troubles bipolaires peuvent mener à la consommation d’héroïne. Enfin, son action sédative et tranquillisante explique qu’elle puisse contribuer à moduler les effets de drogues psychostimulantes (ecstasy et d’autres amphétamines, cocaïne) auxquelles elle peut être associée.
Pendant les premières semaines, l’injection d’héroïne induit presqu’immédiatement une sensation de détente, d’euphorie et de plaisir intense gratifiant (« flash » ou « montée ») : cet effet est plus atténué lorsque la drogue est utilisée par voie transmuqueuse. Cette montée se prolonge par un état stuporeux, avec apaisement des tensions psychiques durant 4 à 6 heures : c’est la phase de « plateau », accompagnée parfois de nausées et de vomissements, de vertiges et d’une bradycardie (ces signes régressent lors de la réitération des injections).
L’adéquation entre le ressenti des effets et la problématique psychologique du consommateur explique qu’il augmente rapidement la fréquence des administrations, et ce d’autant plus que les effets ressentis sont de moins en moins marqués avec leur réitération. Apparaissent alors des troubles dominés par l’anorexie, la constipation, une hypersudation et de l’insomnie.
L’usager devient dépendant en quelques semaines à quelques mois : il ne peut dès lors plus s’affranchir de l’héroïne, sauf à ressentir un malaise psychique et physique, qu’il gère en reprenant de la drogue, ou, à défaut, de la codéine ou du tramadol.
Devenu dépendant, l’héroïnomane oscille entre de brèves phases euthymiques (d’équilibre psychique), d’autres où il est sous l’emprise de la drogue (apathie, obnubilation) et d’autres encore où il est en « manque » : agitation, anxiété, agressivité, mydriase, bâillements incoercibles, hypersudation, larmoiement, rhinorrhée, frissons, accélération du pouls, mais surtout spasmes digestifs et douleurs musculaires, nausées et diarrhées. A ce stade, la consommation n’est plus vécue comme un plaisir mais elle sert à prévenir un manque.
La voie transmuqueuse induit une dépendance moins rapide que l’injection.


3 QUELLES SONT LES COMPLICATIONS LIÉES À LA CONSOMMATION ?


COMPLICATIONS ASSOCIÉES À LA VOIE INJECTABLE

La fréquence des contaminations par le VIH, le VHB et le VHC justifie la politique de réduction des risques développée depuis près de vingt ans, et dont l’une des dernières étapes est celle de l’ouverture de « salles de consommation ».
Les fréquents abcès au site d’injection peuvent évoluer vers des thrombophlébites ou des fasciites nécrosantes. Les infections systémiques bactériennes ou fongiques sont également courantes.


COMPLICATIONS SOMATIQUES

Troubles digestifs : nausées et vomissements disparaissant avec l’accoutumance, constipation, coliques hépatiques.
Dépression centrale avec troubles de la conscience, hypothermie, ataxie, myosis, anorexie et déshydratation.
Dépression respiratoire aggravée par le tabagisme, l’alcoolisme ou la prise de benzodiazépines.
Complications cardiovasculaires : hypotension et myocardites (rares).
Rares convulsions, notamment en cas d’antécédents d’épilepsie.
Aménorrhée et troubles endocriniens divers.
Evolution silencieuse d’infections diverses masquées par l’analgésie induite par l’héroïne (caries, abcès dentaires…).
Complications liées aux substances de coupe : granulomes ou embolies pulmonaires.


COMPLICATIONS PSYCHIATRIQUES

Les troubles de l’humeur et anxieux dominent : près d’un héroïnomane sur trois a fait au moins une tentative de suicide.
La schizophrénie est assez souvent associée à l’usage d’héroïne qui, parfois, contribue à limiter les épisodes productifs.
La dépendance à l’héroïne affecte le sommeil, ce qui explique la fréquence du mésusage d’hypnotiques chez l’héroïnomane.

INTOXICATION AIGUË

L’intoxication aiguë (« overdose ») constitue un risque majeur, associé avant tout à l’injection mais décrite aussi après inhalation d’héroïne, avec des signes de gravité variables. Les signes surviennent souvent dans les minutes ou la demi-heure suivant l’injection : cyanose, hypothermie, bradypnée, voire apnée, myosis, bradycardie avec hypotension, coma aréflexique, parfois décès par arrêt cardiaque. Cette urgence médicale impose de dégager les voies respiratoires, de placer le sujet en position latérale de sécurité et d’appeler le SAMU.
Granulome
Tumeur bénigne d’origine inflammatoire pouvant s’observer notamment au niveau de la, peau, des muqueuses ou de certains organes.
Épisode productif (= épisode positif)
Phase d’une schizophrénie caractérisée par la survenue d’hallucinations sensorielles, d’idées délirantes, s’opposant aux signes déficitaires (négatifs) à type de repli sur soi et de dépression.
OFDT
Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
CEIP
Centre d'évaluation et d'information sur la pharmaco-dépendance.
Par Denis Richard, pharmacien hospitalier, chef de service, centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers

en chiffres

Les opioïdes sont les drogues les plus fréquemment impliquées dans les décès par surdose.

Entre 150 000 et 180 000 usagers réguliers d’héroïne en France.

En 2014, 1 % des jeunes âgés de 17 ans ont expérimenté l’héroïne.

La dose active utilisée peut excéder 1 g/j chez un consommateur fortement dépendant.

Environ 97 000 patients traités par buprénorphine, 53 000 par méthadone et 7 000 par l’association buprénorphine/ suboxone.

En 2016, 1 tonne d'héroïne a été saisie par les autorités françaises.

Les mécanismes de la dépendance

La dépendance traduit l’adaptation des récepteurs µ à un apport régulier exogène d’opioïdes. Elle peut s’installer en quelques semaines (voire en quelques injections seulement).

→Chez un sujet non opiodépendant, les neurones GABAergiques exercent une action inhibitrice dominante sur les neurones dopaminergiques du circuit de récompense mésolimbique. (1)

Au début de son usage, l’héroïne en se fixant sur les récepteurs aux opioïdes inhibe l’action des neurones GABAergiques. L’hypertonie dopaminergique qui en résulte induit alors une sensation de bien-être et de plaisir intense expliquant le besoin de réitérer la pratique : « effet récompense » (2)

Chez le sujet opiodépendant, le nombre d’opiorécepteurs exprimés sur les neurones GABAergiques s’accroît, tandis que la production endogène d’endorphines est inhibée par rétro-contrôle négatif. L’inhibition dopaminergique augmente donc, et la sensation de plaisir consécutive à l’administration diminue fortement puis disparaît. Le sujet doit augmenter les doses et/ou rapprocher les administrations pour espérer retrouver les sensations gratifiantes initiales. Lorsqu’il est en « manque » de drogue, il ne bénéficie plus de l’action stabilisante des endorphines sur les neurones GABAergiques (qui exercent dès lors une inhibition exacerbée sur le circuit dopaminergique) et ressent un malaise somatique et psychique le contraignant à reconsommer aussi rapidement que possible. (3)

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Dépendance aux opioïdes médicamenteux

L’OFDT rapporte un accroissement du détournement des médicaments codéinés, des opioïdes forts (fentanyl, oxycodone...) ou faibles (tramadol) par des sujets a priori non usagers d’héroïne ou d’autres drogues. Il s’agit surtout de sujets devenus dépendants à la suite d’un traitement antalgique mené à des doses thérapeutiques, pour des pathologies douloureuses chroniques ou encore à la suite d’une intervention chirurgicale. Sont souvent concernées les femmes de 30 à 70 ans, qui diversifient les pharmacies fréquentées et/ou ont recours à une polyprescription.

Il s’agit aussi d’adolescents qui utilisent à des fins récréatives les médicaments codéinés, associés à des antihistaminiques et intégrés à des sodas dans le « purple drank », banalement décrit sur internet.

Des surdoses mortelles sont signalées par les CEIPet ont conduit à lister les spécialités codéïnées en juillet 2017.

THÉRAPEUTIQUE 

COMMENT TRAITER LA DÉPENDANCE AUX OPIACÉS ?

Le traitement de la dépendance aux opiacés repose sur une prise en charge pharmacologique, mais aussi psychologique et sociale. Depuis une vingtaine d’années, l’accès à la filière de soins du patient dépendant est favorisé, afin de limiter les risques physiques et sociaux liés à leur consommation.

STRATÉGIE THÉRAPEUTIQUE


OBJECTIFS

La prise en charge a des buts multiples : réduire la morbidité et la mortalité liées à la toxicomanie, faciliter la resocialisation et la réinsertion familiale et professionnelle, prévenir ou réduire la délinquance liée à la consommation illicite.
Un sevrage direct peut parfois être envisagé, lorsque les conditions sont favorables.
Mais la prise en charge repose le plus souvent sur la mise en œuvre d’un traitement de substitution aux opiacés ou TSO, associant un médicament se substituant aux opiacés ou MSO (buprénorphine à haut dosage - BHD - ou méthadone), permettant d’éviter un manque, et un suivi éducatif, psychologique et social.
Cette stratégie s’applique aux patients dépendants à l’héroïne ou aux opiacés médicamenteux.


SEVRAGE DIRECT

Le sevrage direct, réalisé en structure hospitalière spécialisée, ne peut être proposé qu’à un patient motivé, dont l’usage de la drogue reste récent et qui bénéficie de liens sociaux forts.
D’un succès souvent temporaire, il lui fait prendre conscience de sa dépendance, renforçant son désir d’intégrer une filière de soins et d’accepter un traitement substututif.
La prescription sur quelques jours de médicaments symptomatiques vise à atténuer les signes de manque : antalgiques (paracétamol, AINS), spasmolytiques (pour réduire les crampes digestives notamment), antidiarrhéiques, antiémétiques, sédatifs (alimémazine, cyamémazine, hydroxyzine). La prescription de benzodiazépines n’est pas recommandée (risque de transfert de dépendance). Si leur usage ne peut être évité, il faut les utiliser à la dose la plus faible possible et sur la durée la plus courte possible.
Il est fréquent de prescrire hors AMM de la clonidine (Catapressan), un adrénolytique d’action centrale, inhibant la sécrétion réactionnelle de noradrénaline résultant du manque.
Le sevrage peut être consolidé par l’administration de naltrexone (Révia hors AMM, 50 mg/j), un antagoniste µ bloquant l’action des opiacés et empêchant d’en ressentir l’action : elle contribue à prévenir les rechutes mais sa prescription dans ce condiv demeure exceptionnelle.


SUBSTITUTION OPIACÉE


EVALUATION

La phase d’évaluation fonde le diagnostic de dépendance (avec recherche urinaire d’opioïdes) et en évalue le degré (modalités d’usage de la drogue, ancienneté de la pratique, recherche d’une polytoxicomanie). Elle consiste à réaliser un bilan clinique, psychiatrique, biologique et sérologique, à évaluer le condiv social et à apprécier la motivation du patient.

INDUCTION

La phase d’induction de la substitution permet d’équilibrer, en 1 à 2 semaines, la dose de médicament, afin que le patient ne ressente pas d’effet de manque et ne manifeste plus d’appétence (craving) pour l’héroïne.
La buprénorphine et la méthadone sont toutes deux indiquées dans le « traitement substitutif de la dépendance majeure aux opiacés dans le cadre d’une thérapeutique globale de prise en charge médicale, sociale et psychologique ». 8 mg de buprénorphine sont approximativement équivalents à 60 mg de méthadone.
La dose est estimée au départ en fonction du degré de dépendance : selon l’ANSM, elle est en pratique comprise entre 4 et 8 mg/j pour la buprénorphine (dose initiale de 0,8 à 4 mg/j selon le RCP), et entre 20 et 30 mg/j pour la méthadone, puis augmentée progressivement.
La méthadone est privilégiée notamment si le patient en fait la demande après échec de la buprénorphine, mais surtout en cas de grande précarité sociale, de polytoxicomanie, de comorbidité psychiatrique importante ou si le patient rencontre des difficultés à gérer son traitement. Le traitement est initié sous forme de sirop, qui expose à un moindre risque de détournement d’usage. La forme gélule ne peut être utilisée qu’après une année minimum de traitement par sirop et si le patient est stabilisé.
L’association de la buprénorphine à la méthadone est contre-indiquée.
Un mésusage de la buprénorphine par voie nasale (« sniff ») ou injectable exposant au risque de détresse respiratoire et d’abcès aux points d’injection peut justifier son association à la naloxone, un antagoniste opiacé (Suboxone). L’effet antagoniste de la naloxone empêche alors la buprénorphine d’exercer un effet gratifiant et décourage le détournement de la voie d’administration.
L’association d’un psychotrope au médicament de substitution est très souvent nécessaire pour traiter les troubles du sommeil, de l’humeur et l’anxiété liés au sevrage. Du fait d’un risque majoré de dépression respiratoire, les benzodiazépines sont à éviter, au profit d’un antipsychotique et/ou d’un antidépresseur (hors contre-indication de certaines molécules avec la méthadone). Si une benzodiazépine est indispensable, il faut privilégier une molécule unique, à faible dose, en évitant le clorazépate (Tranxène) susceptible d’entraîner une levée d’inhibition avec passage à l’acte.
Une prise en charge associée à d’autres addictions (tabac, alcool notamment) est possible, dans le respect des contre-indications.

MAINTENANCE

Le traitement est poursuivi tant que nécessaire, parfois indéfiniment, seul un traitement prolongé (souvent sur plusieurs années) permettant un arrêt durable de la consommation d’opiacés et une réadaptation psychosociale.
La dose est généralement constante (de 8 mg à 12 mg/j de buprénorphine et de 60 mg à 100 mg/j de méthadone, en moyenne), mais sera adaptée aux évènements de vie et à une éventuelle « rechute ».

ARRÊT

Un sevrage progressif du médicament substitutif est réalisé, lorsque le patient l’estime possible, après un arrêt durable (> 1 an) de la consommation, sous couvert d’une évolution psychologique favorable. Il faut alors anticiper deux risques : celui d’une intoxication aiguë en cas de reprise de méthadone à forte dose ou d’héroïne, et celui du transfert à une autre addiction (alcool, benzodiazépines…). L’arrêt du traitement n’est donc pas synonyme d’arrêt de l’accompagnement.


GROSSESSE ET SEVRAGE

Compte tenu du bénéfice maternel et fœtal, l'utilisation d’un médicament de substitution est possible au cours de la grossesse, quel qu'en soit le terme : des doses plus importantes sont parfois requises.
Les médicaments de substitution, lipophiles, franchissent la barrière placentaire. Le sevrage à la naissance peut être parfois à l'origine de signes de manque (nervosité, insomnie, hypertonie voire convulsions, troubles digestifs et plus rarement respiratoires). Sa prise en charge associe nursing et parfois administration rapidement dégressive d'un soluté à base de morphine. Facilement traité, il ne remet pas en cause le bénéfice du traitement substitutif pendant la grossesse.


TRAITEMENTS


BUPRÉNORPHINE

Agoniste partiel des récepteurs opiacés µ et antagoniste des récepteurs opiacés κ, la buprénorphine n’a pas le profil pharmacologique de l’héroïne ou de la méthadone : elle n’a pas d’effet renforçant positif et expose moins à dépendance.
La buprénorphine s’administre par voie sublinguale au moins 24 heures après la dernière prise d’opiacés (Consensus 2004). Du fait d’une biodisponibilité très réduite, l’administration per os est inefficace.
Le comprimé doit se dissoudre sous la langue en huit à dix minutes, sans que la salive soit avalée, malgré son amertume. Une mauvaise administration peut entraîner des signes discrets de sous-dosage (adynamie, état anxiodépressif, irritabilité, troubles du sommeil, signes de manque).
Son profil pharmacodynamique explique que le risque de dépression respiratoire est limité. Mais il est majoré par un mésusage ou par l’association aux benzodiazépines.
Bien que la buprénorphine soit moins toxique que la méthadone (moindre risque de dépression respiratoire, moindre sensation d’euphorie), elle doit être utilisée avec précaution chez l’insuffisant respiratoire, hépatique ou rénal et chez l’asthmatique.
Effets indésirables : céphalées, vertiges, asthénie, constipation, troubles du sommeil, nausées et vomissements, sueurs, hépatotoxicité à fortes doses, pouvant faire privilégier la méthadone en cas d’hépatite C et justifiant un bilan hépatique préalable à sa prescription puis régulier.
Interactions : l’association de la buprénorphine aux antalgiques de palier II est déconseillée (diminution de l'effet analgésique). Son association à une benzodiazépine peut provoquer une dépression respiratoire centrale. Une éventuelle diminution de la dose peut s'avérer nécessaire en cas d'association à un inhibiteur puissant du CYP3A4 (inhibiteurs de la protéase ou antifongiques azolés, par exemple). Une surveillance est recommandée lors de l’association à un inducteur du CYP 3A4 (phénobarbital, carbamazépine, phénytoïne, rifampicine…).
Mésusage : l’injection IV ou l’inhalation des comprimés broyés expose à un risque de contamination microbienne, de dépression respiratoire et d’atteinte hépatique. Les excipients sont à l’origine d’abcès nécrotiques, phlegmons, thromboses veineuses.


ASSOCIATION BUPRÉNORPHINE/NALOXONE

Cette association (Suboxone) s’utilise comme la buprénorphine. La naloxone prévient l’éventuel détournement du médicament : elle n’est pas absorbée par voie orale ni sublinguale, mais agit par voie injectable ou nasale et n’inhibe donc la buprénorphine qu’en cas de détournement de voie d’administration. Elle induit alors un syndrome de sevrage aigu dissuasif.
Méthadone
La méthadone est un agoniste opiacé présenté sous forme de sirop unidose ou de gélules.
Le traitement est toujours instauré en utilisant la forme sirop dans un délai de 24 heures environ après la dernière prise d’opiacés (Consensus 2004 ; 10 heures selon l’AMM). Le sirop est sucré pour prévenir l’extraction du principe actif et l’injection IV (prudence si diabète), et il contient de l’alcool. Sa formulation inclut un traceur (D-xylose) permettant de contrôler par analyse d’urine la consommation du médicament.
Bioéquivalente au sirop, la gélule est réservée au patient déjà traité par la forme buvable pendant au moins un an. Elle est prescrite à une dose égale à celle atteinte avec le sirop, la première prise ayant lieu le lendemain de la dernière prise de sirop, à l'heure habituelle. Un usage détourné de la gélule impose de revenir à la forme sirop.
Des analyses urinaires sont pratiquées 1 à 2 fois par semaine pendant les 3 premiers mois, puis 2 fois par mois (recherche de méthadone, opiacés naturels et/ou de synthèse, alcool, cocaïne, amphétamines, cannabis, LSD).
Un sevrage progressif est possible une fois le patient équilibré depuis suffisamment longtemps : il est pratiqué en réduisant les posologies par paliers hebdomadaires de 5 à 10 mg, avec souvent nécessité de les augmenter transitoirement si le patient est angoissé ou s’il rechute. En raison d’une demi-vie prolongée (25 heures en moyenne et jusqu’à 47 heures) et d’une forte liaison aux protéines plasmatiques (formes de réserve), les symptômes de sevrage à l’arrêt de la méthadone sont assez modérés.
La méthadone peut aussi être remplacée par la buprénorphine pendant quelques mois, la posologie de la méthadone doit d’abord être diminuée progressivement jusqu’à 30 mg.
Effets indésirables : céphalées, vertiges, asthénie, hypersudation, constipation, troubles de la libido, insomnie, anorexie, risque de dépression respiratoire (majoré par l’association à une benzodiazépine) et d’allongement de l’espace QT. Chez les patients ayant des facteurs de risque d’allongement du QT (hypokaliémie, dosede méthadone > 120mg/j, méthadonémie à 24 h > 1 000 ng/mL, association à des médicaments allongeant le QT ou à des inhibiteurs enzymatiques), la pratique d’un ECG préalable au traitement, puis régulière, est nécessaire. Certains effets (rétention urinaire, œdèmes des membres inférieurs, douleurs articulaires, bradycardie et hypotension, nausées et vomissements) cèdent dans les premiers mois du traitement.
Mésusage : restant rare du fait de la galénique adaptée du sirop, le mésusage est plus aisé avec la gélule. Il expose à une intoxication aiguë sévère.

NOUVEAUTÉ

Bénéficiant depuis 2015 d’une ATU, le kit intranasal Nalscue a obtenu une AMM le 28 juillet dernier. Il s’agit d’une solution de naloxone (0,9mg/0,1 mL) indiquée pour traiter les overdoses d’opioïdes et prévenir les décès dans l’attente des secours.
Craving
Besoin impérieux, irrépressible, de consommer une drogue.
CSAPA
Centre de soins, d’accompagne-ment et de prévention en addictologie.
Effet renforçant positif
Action dopaminergique centrale déclenchant un sentiment de gratification (ou effet récompense), composant du développement d’une dépendance.
Bio-équivalent
Qualifie des formes galéniques différentes mais dont l’impact pharmacologique est identique en raison d’un profil cinétique analogue.
LSD
Diéthylamide de l’acide lysergique, une drogue hallucinogène.
Espace QT
Temps séparant le début de la dépolarisation du ventricule de la fin de la repolarisation.

Par Denis Richard, pharmacien hospitalier, chef de service, centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers

législation

Prescription

Buprénorphine :

- liste I, sur ordonnance sécurisée

- prescription pour 28 jours au maximum

Méthadone :

- stupéfiant

- prescription initiale réservée aux médecins de CSAPA ou hospitalier (sirop unidoses et gélules), ou exerçant en milieu pénitentiaire (sirop)

- renouvellement non restreint

- prescription pour 14 jours au maximum pour le sirop et 28 jours pour les gélules

Délivrance

Le nom de la pharmacie choisie par le patient doit être mentionné sur l’ordonnance.

Buprénorphine : fractionnement à 7 jours sauf mention expresse du prescripteur « délivrance en une seule fois »

Méthadone :

- délai de présentation de l’ordonnance : 3 jours

- fractionnement à 7 jours (possibilité toutefois pour le prescripteur de préciser sur l'ordonnance la durée de chaque fraction, ou que la dispensation doit être quotidienne, ou d’exclure le fractionnement par la mention « délivrance en une seule fois » - gélules : lors du 1er renouvellement de prescription par le médecin traitant, l’ordonnance de délégation du primoprescripteur doit être présentée au pharmacien

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vigilance !

Les principales contre-indications aux médicaments de substitution aux opiacés sont les suivantes :

Buprénorphine (y compris associée à la naloxone)

– Âge < 15 ans

– Insuffisance respiratoire sévère

– Insuffisance hépatique sévère

– Intoxication alcoolique aiguë ou delirium tremens

Méthadone

– Âge < 15 ans

– Insuffisance respiratoire sévère

CE QUI A CHANGÉ

Apparus

– Suboxone (association BHD + naloxone ) en 2012

- Une nouvelle formulation de génériques de BHD, dépourvue de talc et de silice, a réduit l’iatrogénie locale liée à l’injection IV des comprimés (2014).

Disparus

Nalorex (naltrexone indiquée chez le patient opiodépendant) depuis 2012. La naltrexone demeure indiquée chez le patient alcoolodépendant (Révia et génériques).

Pointdevue

Nicolas Bonnet, pharmacien de santé publique, directeur du Respadd (réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions).

« Médecins et pharmaciens doivent travailler de concert »

En France, qu’en est-il de la dépendance aux opiacés médicamenteux ?

La dépendance iatrogène aux opiacés est mal estimée. C’est une des raisons pour lesquelles vient d’être créé l’Observatoire français des médicaments antalgiques, rattaché à l’unité Inserm 1107 pour mieux la chiffrer. L’ actuelle « épidémie » de mésusage nord-américaine, due principalement à une sur-prescription, doit nous amener à redoubler de vigilance. Les patients conscients de leur dépendance pratiquent le nomadisme médical. Prescripteurs et pharmaciens doivent travailler de concert et informer sur les risques de dépendance, alerter sur les prémices d’une appétence (envie de reprendre le médicament même sans en avoir besoin, sentiment de frustration en l’absence de prise). Chez les adolescents, il y a de très rares cas de dépendance iatrogène installée, mais surtout des expérimentations récréatives. Lister les opiacés est une mesure nécessaire pour diminuer la consommation chez les mineurs.

A l’officine, comment prévenir le détournement d’usage de BHD ?

En circuit officinal, le mésusage par voie intraveineuse concerne une minorité de patients et s’observe surtout en cas de sous-dosage de buprénorphine (BHD) pour en potentialiser les effets. Lors de la 1re délivrance, le pharmacien doit informer sur les risques liés à l’injection : abcès, syndrome de Popeye (œdèmes chroniques des extrémités) et complications infectieuses gravissimes. Il faut aussi apprendre au patient à reconnaître les signes de sous-dosage (insomnie, rhinorrhée, douleurs lombaires) qui doivent amener à consulter en vue d’une réévaluation de posologie. L’injection compulsive ne concerne essentiellement que des usagers se procurant la BHD en achat de rue.

ACCOMPAGNER LE PATIENT 

BERNARD ET FRANÇOISE, PARENTS DE CLÉMENT, 26 ANS

« Clément s’est mis à boire, à fumer du cannabis et à consommer d’autres drogues. Nous avons réussi à le convaincre de se rendre dans une structure adaptée. Mais ça n’a pas été aussi simple qu’on le pensait. Les traitements marchaient un temps, puis en période d’abstinence, Clément culpabilisait de ce qu’il nous faisait subir. Il reconsommait au bout de quelques semaines car il retrouvait son entourage "néfaste". Il a même volé pour se payer sa drogue. C’est triste à dire, mais quand il est en prison, nous n’avons pas peur qu’il lui arrive quelque chose. Seul un déclic déclenchant une vraie motivation pourrait le sauver. »

L’ABSTINENCE VUE PAR LES PATIENTS


DIFFICULTÉS LIÉES AU SEVRAGE

Si l’abstinence ne peut qu’avoir des effets positifs, c’est une période très difficile à vivre avec des rechutes fréquentes mais souvent nécessaires. Il est important de couper les liens avec les personnes néfastes.
Le syndrome de sevrage dure environ 8 jours et est marqué par la succession d’un certain nombre de symptômes dont l’intensité varie dans le temps : anxiété, insomnie, troubles digestifs…


BÉNÉFICE SUR LA SANTÉ

L’arrêt de la consommation d’héroïne limite immédiatement les risques liés au partage et à la réutilisation du matériel d’injection, ceux liés à une intoxication aiguë (dépression respiratoire, relâchement des muscles, troubles de la conscience pouvant entraîner un coma, voire la mort) ainsi que ceux liés à une conduite à risque (accident de la route, infection sexuellement transmissible, grossesse non désirée…).


BÉNÉFICE SUR LA VIE QUOTIDIENNE

L’abstinence permet de retrouver une vie sociale, des centres d’intérêt, des activités quotidiennes (sport, loisirs, lecture…). Le quotidien n’est plus guidé par la recherche à tout prix de drogue, devenue une véritable obsession, les états de manque étant à l’origine de douleurs physiques et d’angoisse.
Avec l’abstinence de drogue, le patient peut envisager à terme de retrouver une vie professionnelle, souhaitable par ailleurs pour une abstinence durable.


À DIRE AUX PATIENTS

Le patient doit avoir conscience qu’il est malade et qu’il doit se soigner : la motivation est indispensable mais ne suffit pas. Il doit être idéalement orienté vers un CSAPA, qui permet une prise en charge globale, avec un accompagnement médicamenteux, psychologique et social.
Le chemin vers l’abstinence est long et la reprise de la consommation fait souvent partie du parcours de soins. L’équipe soignante et l’entourage doivent tant que possible dédramatiser une situation d’« échec » et encourager le patient à une nouvelle tentative.


A PROPOS DU SEVRAGE DIRECT

Le syndrome de sevrage est traité de façon symptomatique (antalgiques non opiacés, antispasmodiques, antinauséeux, antidiarrhéiques, neuroleptiques sédatifs et/ou anxiolytiques). Il peut être réalisé en ambulatoire ou au cours d’une hospitalisation.


A PROPOS DU TRAITEMENT SUBSTITUTIF (TSO)


INDUCTION

A l’initiation du TSO, il est recommandé de se rendre tous les jours en centre d’accueil pour une délivrance quotidienne de son traitement.

MAINTENANCE

Une fois la dose d’entretien stabilisée, le patient peut être dirigé en ville avec un suivi au moins hebdomadaire ou rester en centre d’accueil.
Le patient doit connaître les signes de surdosage (somnolence) et de sous-dosage (anxiété et état de manque) pour que son médecin puisse adapter la posologie.

ARRÊT DU TRAITEMENT

Le traitement dure souvent plusieurs années. Un arrêt peut toutefois être envisagé à la demande du patient après au moins un an d’abstinence. L’arrêt doit être très progressif et ne doit surtout pas être précipité. Le traitement peut parfois être poursuivi à vie.

MÉSUSAGE

En cas de mésusage, le traitement substitutif expose à des risques de complications septiques (abcès, nécroses, infections fongiques et virales…) et à un risque de dépression respiratoire mortelle et d’hépatites aiguës. Le mésusage par voie inhalée expose lui aussi à un risque de dépression respiratoire. L’usage détourné se manifeste par une instabilité psychique (agressivité, agitation…). Le médecin pourra dans ce cas prescrire de la buprénorphine associée à de la naloxone qui supprime l’effet positif de l’injection de l’opiacé. Il pourra également être nécessaire de (re)passer à une dispensation quotidienne, voire à la méthadone.
Rappeler également aux patients la dangerosité de la consommation parallèle de benzodiazépines et d’alcool.

EFFETS INDÉSIRABLES

La constipation peut être prise en charge par des conseils hygiéno-diététiques et éventuellement par un laxatif osmotique.
Les vertiges, la somnolence et les nausées/vomissement sont généralement transitoires.
L’hypersudation est fréquente, notamment avec la méthadone, et doit être compensée par une bonne hygiène corporelle et une bonne hydratation.
Pour limiter l’amertume du sirop de méthadone, conseiller de boire un verre d’eau immédiatement après son absorption.
Les signes de dépression respiratoire (réduction de la fréquence et de l’amplitude respiratoire, tachycardie…) doivent être connus du patient.
La conduite automobile peut être altérée, notamment en cas de surdosage. Il n’y a cependant pas de contre-indication à la conduite une fois le patient équilibré.


STOCKAGE ET ÉLIMINATION

La méthadone et la buprénorphine doivent être conservées en lieu sûr afin d’éviter la prise par une tierce personne. La dose de méthadone létale pour les enfants et les personnes naïves est d’environ 1 mg/kg.
Les unités de prise non utilisées doivent être rapportés à la pharmacie. La méthadone étant un stupéfiant, elle doit être détruite à la pharmacie par un confrère habilité. 

Par Delphine Guilloux, pharmacienne, en collaboration avec le D r Xavier Laqueille, chef de service d’addictologie de l’hôpital Sainte Anne

question de patient Le médecin m’a prescrit Subutex alors que je ne me suis jamais injecté de drogue. Certes je prends un peu trop de Klipal, mais bon…

« On observe une augmentation croissante de la dépendance aux opiacés médicamenteux, et même si vous ne vous injectez pas ou ne sniffez pas vos médicaments, une prise en charge est indispensable. La buprénorphine (Subutex) est efficace dans la dépendance aux opiacés, quelle que soit sa forme. »

question de patient Mon fils doit faire une prise de sang. Puis-je en profiter pour demander à ce qu’on vérifie qu’il ne consomme pas de drogues ?

« Non, il faut que le médecin le prescrive. Vous pouvez le demander à votre médecin si votre fils est mineur, mais il est préférable d’ouvrir le dialogue avec lui. »

EN SAVOIR PLUS

addictaide.fr ce site donne des informations sur les addictions, et répertorie sur tout le territoire français les structures à contacter pour une prise en charge adaptée.

respadd.org sur le site du réseau de prévention des addictions, on trouve le guide de l’addictologie en pharmacie d’officine abordant entre autres la dispensation et le suivi des traitements de substitution.

DÉLIVRERIEZ-VOUS CES ORDONNANCES   ? 

MÉMO-DÉLIVRANCE


L’ORDONNANCE EST-ELLE RECEVABLE ?

Buprénorphine et méthadone doivent être prescrites sur une ordonnance sécurisée. Le nom de la pharmacie doit figurer sur l’ordonnance.
La prescription initiale de méthadone est réservée aux médecins de CSAPA, hospitaliers ou de pénitentiers.
Durée de prescription limitée à 28 jours pour la buprénorphine et les gélules de méthadone, à 14 jours pour le sirop de méthadone.
Sauf mention contraire du prescripteur, la délivrance est soumise à un fractionnement à 7 jours et le chevauchement est interdit.
Pour la méthadone, le patient dispose de trois jours pour présenter l’ordonnance au pharmacien.


Y-A-T-IL DES INTERACTIONS ?

L’association buprénorphine/méthadone est contre-indiquée.
Attention aux interactions avec les antalgiques et les antagonistes morphiniques.
Eviter l’association d’un traitement de substitution aux opiacés à une benzodiazépine qui majore le risque de détresse respiratoire.
La méthadone étant susceptible d’allonger l’espace QT, elle est contre-indiquée avec certains torsadogènes comme la dompéridone, le citalopram...


LE PATIENT SAIT-IL COMMENT PRENDRE LE TRAITEMENT ?

Buprénorphine (éventuellement associée à la naloxone) : seule la voie sublinguale est efficace (évitant l’effet de 1er passage hépatique) et bien tolérée. Laisser les comprimés sous la langue jusqu’à dissolution complète.
Méthadone : administration orale. Boire de l’eau après la prise du sirop en raison de son amertume.


CONNAÎT-IL LES RISQUES LIÉS AU MÉSUSAGE ?

Le détournement de la voie d’administration par voie inhalée ou injectable expose au risque de détresse respiratoire, d’intoxication aiguë et d’abcès nécrotiques au point d’injection.
Le mésusage de Suboxone (buprénorphine + naloxone) expose quant à lui au risque de syndrome de sevrage aigu dissuasif.


SAIT-IL GÉRER LES PRINCIPAUX EFFETS INDÉSIRABLES ?

Ne pas consommer d’alcool en raison du risque de somnolence.
Se lever doucement du fait des risques d’hypotension orthostatique et de vertiges.
Bien s’hydrater en raison du risque d’hypersudation et de constipation.
Nausées et vomissements régressent en général avec la poursuite du traitement.
non. L’association buprénorphine et benzodiazépine augmente le risque de dépression respiratoire et peut même conduire au décès, particulièrement chez les patients à risque de mésusage. Chez Lionel J., qui vient de débuter un traitement par Subutex et dont le médecin n’est pas certain de l’absence de mésusage ni de son observance, il est préférable d’appeler le médecin pour choisir un autre anxiolytique.

oui. Contrairement à la forme sirop qui ne peut être prescrite que pour 14 jours au maximum, la méthadone en gélules peut être prescrite pour 28 jours. Le fractionnement à 7 jours peut être exclu par mention expresse du prescripteur. Cependant, s’agissant du premier renouvellement de prescription par son généraliste, M me F. doit également présenter au pharmacien l’ordonnance de délégation du primo-prescripteur.

Sources : Medicaments.gouv.fr ; Plan de gestion des risques des spécialités contenant de la buprénorphine (AFSSAPS 2007) ; Conférence de Consensus : Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution (ANAES 2004). S : substituable.

Sources : Thésaurus ANSM de septembre 2016, vidal.fr/Dépendance aux opiacés sur ordonnance, Consensus ANAES 2004 « Stratégies thérapeutiques pour les personnes dépendantes des opiacés : place des traitements de substitution » et Guide du Respadd de l’addictologie en officine.

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