Ces pharmaciens qui exercent dans les prisons - Le Moniteur des Pharmacies n° 3179 du 28/05/2017 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3179 du 28/05/2017
 
TÉMOIGNAGE

Temps Forts

Enquête

Auteur(s) : CAROLINE COQ-CHODORGE  

Réau et Fresnes, en région parisienne. Dans ces deux centres de détention, des pharmaciens sont à l’œuvre pour approvisionner les patients en médicaments et accompagner, par le biais d’ateliers, le suivi des traitements. Un exercice qui requiert patience et disponibilité.

c’est souvent le hasard qui fait pousser aux pharmaciens les portes d’une prison. « J’ai accepté ce poste partagé entre la prison de Réau, en Seine-et-Marne, et la pharmacie de l’hôpital de Melun. Je n'aurais jamais pensé évoluer ainsi, je ne le regrette pas du tout », raconte Mathieu Ferry. Il décrit un « exercice particulier de la pharmacie, dans un lieu confiné, avec des aspects moins techniques qu'en milieu hospitalier, car nous évoluons dans un cadre ambulatoire ». Mais c’est un univers où le médicament tient une place très importante. À Fresnes, dans le Val-de-Marne, « 60 à 70 % des détenus sont sous traitement », explique Muriel Bocquentin, pharmacienne, qui valide 100 à 130 prescriptions par jour. Elle distingue les prescriptions somatiques et psychiatriques, quasiment à part égale tant les pathologies psychiatriques sont fréquentes en prison. La prévalence des pathologies est également forte, comme les maladies associées à la très grande précarité.

« À Fresnes, la prévalence des hépatites et du VIH est six à dix fois plus forte que dans la population générale, indique-t-elle. Sur 1 300 patients sous traitement, 80 reçoivent des traitements de substitution aux opiacés. Il y a aussi beaucoup d’asthme, de diabète. » A Réau, qui est un établissement pour longues peines, « nous avons beaucoup de détenus qui développent des pathologies chroniques pendant leur détention », complète Mathieu Ferry.

Les pharmaciens préparent, les infirmières délivrent

Il existe en France 190 prisons. Depuis 1994, toutes abritent une unité de consultation et de soins ambulatoires (USCA). En revanche, l’organisation de la pharmacie à usage intérieur (PUI) est très variable : elle peut être installée à distance, dans le centre hospitalier dont elle dépend, ou au contraire au cœur de la prison. C’est le cas à Réau comme à Fresnes. Pour rencontrer Muriel Bocquentin, il faut décliner son identité, laisser son téléphone portable dans un casier fermé, passer les portiques de détection et enfin pénétrer dans l’enceinte de la prison. Mais l’antenne pharmaceutique reste à l’écart des bâtiments de détention. Ce ne sont donc pas les pharmaciens ou les préparateurs qui délivrent, mais les infirmières. « L’antenne pharmaceutique prépare les médicaments à partir des prescriptions électroniques des médecins. Ils sont conditionnés dans des pochettes nominatives sur lesquelles sont collées des étiquettes où sont rappelés les noms du médicament et des informations sur leur bon usage : quantité, posologie, etc. », indique Muriel Bocquentin. Même système à Réau, où les médicaments sont distribués en cellule par le personnel infirmier. Mais les détenus se rendent parfois à l’antenne pharmaceutique, où « les conditions de délivrance sont imparfaites et frustrantes, car les impératifs de sécurité ont prévalu sur la convivialité et la qualité des échanges », regrette Mathieu Ferry. Dans les deux prisons, la délivrance est quotidienne, plurihebdomadaire ou hebdomadaire. « Ce sont les médecins qui décident, en fonction de l’aptitude des patients à gérer leurs traitements », indique Mathieu Ferry. Quant aux traitements qui peuvent faire l’objet d’un trafic, en particulier les traitements de substitution aux opiacés, « ils sont souvent pris en présence de l’infirmière », indique Muriel Bocquentin.

« Les interventions pharmaceutiques sont nombreuses, en raison d’erreurs de prescription. Elles paurraient être évitées si le circuit du médicament était informatisé », indique Mathieu Ferry. A Fresnes, les prescriptions sont électroniques, mais Muriel Bocquentin intervient elle aussi fréquemment : « Je suis vigilante sur les durées des prescriptions, qui sont souvent trop longues. Lors des fouilles, on se rend compte que les détenus ne prennent pas toujours leurs médicaments. On ne peut pas contrôler leur observance, le gâchis est monstrueux. Lorsque je vois un antidiarrhéique prescrit pour six mois, j’appelle le médecin. » La pharmacienne est également vigilante sur les détournements d’usage des médicaments. Elle a mis fin aux prescriptions de Rivotril : « Beaucoup de détenus avaient développé une addiction. J’ai profité des nouvelles indications de l’Agence nationale de sécurité du médicament, qui limite la prescription au traitement de l’épilepsie, pour dire, en accord avec les médecins : “c’est fini !”. » Elle a également poussé à « l’abandon de Subutex, qui peut s’injecter, au profit de Suboxone ».

Entretiens individuels et ateliers

A Fresnes, Muriel Bocquentin ne nie rien des conditions de détention et de la vétusté des locaux. Selon un récent rapport de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, la prison se trouve dans une situation de « surpopulation inacceptable ». Avec près de 3 000 détenus, elle affiche un taux d’occupation de 188 %. Le rapport fait le constat alarmant de « conditions d’hygiène désastreuses », notamment en raison de la prolifération de rats et de punaises de lit. Mais la pharmacienne est agacée par la sévérité des accusations portées : « Les professionnels de santé qui travaillent ici se sentent dénigrés. Nous ne sommes pas responsables de la surpopulation. Pour les animaux parasites, la seule solution serait de fermer Fresnes pendant six mois. Nous faisons tout ce que nous pouvons avec les moyens dont nous disposons. »

La pharmacienne a par exemple développé, en collaboration avec une équipe pluridisciplinaire, un programme d’éducation thérapeutique sur l’hépatite C, proposé à tous les patients qui reçoivent les nouveaux antiviraux à action directe, désormais prescrits à tout détenu infecté par ce virus. En 2016, environ 25 patients ont bénéficié de ce traitement. « Nous les traitons pour les guérir, et nous les éduquons pour qu’ils ne se recontaminent pas », explique-t-elle. Avant d’initier le traitement, elle reçoit tous les patients en entretien individuel et leur propose de participer à des ateliers : « Ils sont tous d’accord, très partants pour sortir de leur quotidien ». Ces ateliers consistent en « un diagnostic éducatif, pour faire connaissance avec le patient et évaluer ce qu’il sait de sa maladie. Un atelier sur le médicament — impératif avant toute délivrance —, au cours duquel je leur remets la fiche du médicament qui contient les recommandations de bon usage. Un atelier sur les résultats biologiques, pour qu’ils apprennent à les lire et les comprendre. Un atelier sur le foie et le niveau de fibrose. Enfin, un atelier sur la recontamination. Certains sont toujours toxicomanes, ils doivent reconnaître le matériel qui peut les recontaminer, de la seringue usagée à la pipette de cocaïne partagée. On essaie aussi de travailler sur la sortie, mais nous n’en sommes pas toujours informés. » Car en prison règne une inertie qui ralentit la circulation de l’information, comme les prises de décision. « En milieu carcéral, il faut être indulgent, patient, humble, avoir envie d’aider les autres. Nous n’avons pas toujours les moyens d’aller au bout de ce qu’on voudrait faire. Mais nous ne sommes pas là pour rien », conclut Muriel Bocquentin. 

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