A qui profitent les données récoltées dans l’officine? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3151 du 17/11/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3151 du 17/11/2016
 
LOGICIEL MÉTIER

Temps Forts

Enjeux

Auteur(s) : CHLOÉ DEVIS 

Tandis que l’essor de l’open data en santé suscite un mélange d’espoirs et de craintes, les pharmaciens, de leur côté, récoltent quotidiennement des millions de données sur leurs patients. Un trésor déjà largement exploité mais pas forcément au bénéfice des premiers concernés.

La donnée à l’officine est multiforme : ventes, prescriptions et résultats d’analyses des patients, informations produites ou recueillies à l’occasion d’activités de prévention, de diagnostic ou de soins… y compris à travers applis et objets connectés. Elle représente aussi des flux considérables, à la mesure de la fréquentation journalière – quatre millions de personnes – des pharmacies françaises. Deux caractéristiques qui expliquent l’intérêt suscité par cette manne bien au-delà de la profession, sur fond d’enjeux économiques, mais aussi éthiques. Parce qu’elles sont considérées comme sensibles du fait de leur caractère personnel, la gestion et le traitement des données de santé sont strictement encadrés par la loi et couvertes par le secret professionnel. Principe fondamental, «   le pharmacien est propriétaire et responsable des données qui sont dans son logiciel métier   », insiste Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Toutefois, «   il peut ouvrir son système à d’autres acteurs qui le solliciteraient et auxquels il aurait donné son autorisation afin de procéder à l’extraction de données anonymisées dans le respect des recommandations de la CNIL », poursuit-il. La collecte des données officinales s’est ainsi développée, ces dernières années, autour d’acteurs aussi bien privés (Celtipharm, Quintiles IMS, Cegedim…) que publics (le dossier pharmaceutique). Les pharmacies elles-mêmes ont mis au point leurs propres panels, à l’image de Pharmastat en partenariat avec Quintiles IMS : «   Cet outil qui couvre 14 000 officines nous permet, non seulement d’obtenir des retours marché comparatifs, mais aussi de défendre la profession, car elle représente une base opposable à l’Assurance Maladie dans le cadre de négociations sur la rémunération   », rappelle Gilles Bonnefond.

Un potentiel économique considérable

Cependant, au-delà de cette finalité interne, « la donnée fait partie des axes de développement économique incontournables de la pharmacie de demain », martèle Jean-Luc Fournival, son homologue de l’UNPF, qui en fait un cheval de bataille. Selon lui, « elle pourrait représenter 5 à 8   % de la rémunération globale de l’officine ». En ligne de mire ? «   Tout d’abord, les labos, avides de connaître leurs nouvelles possibilités de ventes et l’impact de leurs stratégies en matière de parapharmacie et d’OTC, mais aussi d’avoir des retours sur les traitements novateurs et les biosimilaires   », indique le responsable syndical. «   Ensuite, ces données peuvent aussi intéresser les mutuelles, et bien entendu, les patients et leurs associations.   »

Et pourtant… la profession peine encore à tirer son épingle du jeu en dépit de sa position stratégique. Jean-Luc Fournival le dit plus crûment : «   A l’heure actuelle, les officines se font piller leurs données   ». Et d’argumenter : «   Alors que les éditeurs de logiciels travaillent dessus depuis longtemps, aucun ne rémunère correctement le pharmacien   ». Ce dernier ne serait pas toujours conscient des tactiques des SSII pressées de se faire une place sur un marché en plein essor. Gilles Bonnefond met ainsi en garde contre «   les contrats qui stipuleraient une exclusivité de l’accès aux données. Les éditeurs de logiciels doivent être au service de leurs clients en leur laissant la possibilité de répondre à des demandes plurielles   ».

Des pratiques peu transparentes

Une problématique soulevée également par Christophe Martin, responsable juridique du spécialiste de la collecte et du traitement de données OpenHealth. «   Nos principaux fournisseurs de données sont des groupements dont les membres nous autorisent à récupérer leurs données brutes de vente en contrepartie de suivis statistiques et d’analyses de leur activité   », explique-t-il. « Sur le plan technique, la démarche nécessite l’installation et l’activation dans le LGO d’un extracteur qui permet la remontée quotidienne de données   ». Or, certains éditeurs entraveraient la mise en place de ces dispositifs, «   ce qui bloque les flux de données de vente vers les groupements, et in fine, vers d’autres acteurs dont nous sommes   », soutient Christophe Martin. De surcroît, la mise en place d’un lien contractuel à 24, voire 36 mois, peut offrir la garantie à l’éditeur de disposer de ces données sur la même durée à son usage exclusif. Par ailleurs, une clause figurant dans les conditions générales peut prévoir le consentement tacite du pharmacien pour la remontée de ses données, «   ce qui n’était pas le cas avant   », relève Christophe Martin. En clair, « l’utilisation commerciale ou non commerciale de ses données échappe au pharmacien ». Mais une réaction des pouvoirs publics est peu probable, estime également le représentant d’OpenHealth « tant la méfiance vis-à-vis de l’open data en santé, particulièrement du côté du ministère concerné, reste vive ».

Dès lors, ce sont les syndicats qui font des propositions pour que les pharmaciens se réapproprient sans tarder le butin des données qu’ils récoltent. « Nous avons une valeur ajoutée très forte à mettre en avant dans le domaine de l’évaluation en vie réelle des médicaments, et en particulier les traitements les plus coûteux », souligne ainsi Gilles Bonnefond. « Sur le bon usage, l’observance, la sécurisation de la prise, l’adéquation du traitement et de la posologie à l’état du patient à partir de l’analyse de certaines constantes… nous pouvons enrichir la donnée par des entretiens et permettre aux différentes autorités de santé, comme les industriels, de disposer d’informations précieuses et qui pourraient être rémunérées à leur juste valeur ». De son côté, l’UNPF dévoilera d’ici six mois un outil de rationalisation de la collecte, du traitement et de la revente de données, destiné à ses adhérents.

À RETENIR


•  Les pharmaciens récoltent quotidiennement des millions de données sur leurs patients.

•  Pour l’UNPF, ces données peuvent être un axe de développement économique pour l’officine, en crise.

•  Certains éditeurs tentent de bloquer les flux de données de ventes. Une pratique suscitant des tensions notamment avec les groupements.

•  Le pharmacien doit vérifier : – si son contrat avec l’éditeur prévoit un consentement tacite pour la remontée des données ; – si le lien contractuel offre la garantie à l’éditeur de disposer des données à son usage exclusif pendant la durée du contrat.

REPÈRES 

LA CNIL SURVEILLE

Chloé Devis avec Loan Tranthimy - Infographie : Franck Lhermitte

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