Ce que cache le paracétamol - Le Moniteur des Pharmacies n° 3147 du 20/10/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des pharmacies n° 3147 du 20/10/2016
 
SÉCURITÉ SANITAIRE

Temps Forts

Enquête

Auteur(s) : AUDE RAMBAUD  

Largement disponible et utilisé, le paracétamol est banalisé. De récentes études cliniques rappellent pourtant que, comme tout médicament, son usage doit être restreint aux stricts besoins et nécessite des précautions chez certaines personnes.

A quelle dose le paracétamol est-il toxique ?

Un surdosage de paracétamol, souvent massif dans le cadre de tentatives de suicide (jusqu’à 20 g en une prise voire plus), entraîne de graves lésions hépatiques conduisant à une nécrose. Dans les cas les plus sévères, un coma puis le décès peuvent survenir. C’est le risque majeur lié à ce médicament. A dose thérapeutique (maximum 4 g par 24 heures), ce risque est tout à fait exceptionnel mais ne doit pas être écarté chez des individus pouvant présenter un déficit en glutathion : personnes âgées, dénutries, sous l’emprise de l’alcool ou encore présentant une maladie hépatique. Chez ces dernières il est recommandé de ne pas dépasser trois grammes par 24 heures. Un surdosage est également possible avec la prise concomitante de médicaments contenant du paracétamol associé.

On le sait moins, mais la prise prolongée de paracétamol à dose élevée peut être aussi nocive pour le foie qu’un surdosage massif. Une étude écossaise datant de 2011 montre que des surdosages répétés mais modérés (supérieurs à 4 g par jour) destinés à soulager la douleur, peuvent entraîner une toxicité grave nécessitant une transplantation hépatique. Au Canada, plus de 250 cas de toxicité hépatique grave sont par exemple imputables chaque année au paracétamol dont la moitié survient involontairement. De sorte que les pouvoirs publics ont décidé de renforcer les messages et signaux de prévention sur les boîtes. La dose efficace maximale recommandée, actuellement de 4 g par jour, pourrait être réduite.

La toxicité peut-elle aussi être rénale ?

«   Un surdosage massif en paracétamol peut induire une insuffisance rénale aiguë avec nécrose tubulaire, mais ce phénomène est bien moins fréquent que l’atteinte hépatique   », explique Alain Eschalier, professeur de pharmacologie médicale et président de l'université Clermont-Ferrand 1. En outre, lors de prises de paracétamol aux doses recommandées, il ne semble pas qu’il puisse y avoir de néphrotoxicité, même au long cours. Le risque de néphrotoxicité est donc tout à fait exceptionnel, même s’il faut toujours rester prudent chez les sujets à risque. «   Or, le paracétamol est souvent prescrit chez des sujets à haut risque compte tenu de sa bonne tolérance, notamment chez des personnes très âgées ayant une insuffisance rénale latente ou prenant d’autres médicaments néphrotoxiques   ».

Faut-il surveiller la tension en cas de prise prolongée ?

Les études se contredisent sur le risque d’hypertension artérielle sous paracétamol. Il a été suggéré dans une étude parue en 2002 dans Archives of Internal Medicine portant sur 80 000 femmes âgées de 30 à 50 ans. Le risque relatif de développer une hypertension était deux fois plus élevé chez celles qui prenaient du paracétamol mais l’utilisation était très prolongée à raison de 22 jours par mois en moyenne. Une autre étude de 2010 parue dans Circulation a confirmé ce risque mais chez des patients atteints de coronaropathie. A l’inverse, une revue parue en 2005 sur la sécurité du paracétamol ne retenait pas cette association… «   Ce risque est débattu et les études ne permettent pas de trancher, mais il est pertinent de surveiller la tension artérielle tout particulièrement chez les patients hypertendus ou coronariens en cas de prise régulière de paracétamol   », estime Alain Eschalier.

Y a-t-il des précautions particulières à prendre chez les sujets à risque vasculaire ?

La question est légitime au regard d’une étude parue en 2015 dans Annals of the Rheumatic Diseases qui suggérait une augmentation du risque d’accident cardiovasculaire et notamment d’infarctus du myocarde chez les utilisateurs réguliers de paracétamol avec une relation dose-effet.

Néanmoins les divs eux-mêmes étaient très prudents sur l’interprétation compte tenu du faible nombre d’études observationnelles incluses dans leur analyse, de l’hétérogénéité des cohortes étudiées et du fait que les gros consommateurs de paracétamol présentent souvent des troubles médicaux qui imposent la prise d'autres médicaments et peuvent augmenter les risques d’accidents cardiovasculaires. «   Il n’y a pas de conclusions possibles et aucune causalité n’a été établie avec le paracétamol », confirme Alain Eschalier. Il faut toutefois le limiter aux stricts besoins.

Cryptochordisme, asthme, hyperactivité : quid d’une prise pendant la grossesse ?

A ce stade, aucun de ces risques n’est confirmé. Les études qui suggèrent ces liens présentent toutes des limites ou des biais trop importants. Néanmoins le paracétamol, qui traverse la barrière placentaire, serait un perturbateur endocrinien. D’après des travaux parus dans Science Translational Medicine ou encore Human Reproduction, il présenterait une action antiandrogénique entraînant, entre autres, une baisse de production de la testostérone chez les fœtus mâles.

C’est pourquoi son implication dans des cas d'anomalies du développement de l'appareil reproducteur et notamment de cryptorchidie est discutée. Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les données cliniques ne sont néanmoins pas concluantes sur ce lien. Elles sont trop floues sur le niveau d’exposition au paracétamol in utero (dose, durée, etc.) ou font l’impasse sur les facteurs environnementaux.

Concernant l’asthme, plusieurs études menées par exemple au Danemark en 2008 ou en Norvège en 2016, suggèrent un risque de troubles respiratoires et notamment d’asthme pour le futur enfant à naître ou encore la survenue d’asthme pendant la petite enfance. Néanmoins cette association pourrait être liée aux infections suscitant la prise de paracétamol et à d’autres facteurs environnementaux. En 2015, l’ANSM estimait que les données cliniques et observationnelles, ne permettaient pas d’apporter la preuve d’un lien entre les deux.

D’autres études dont l’une publiée dans JAMA Pediatric en 2014 suggèrent une augmentation du risque de certains troubles du comportement comme l'hyperactivité. Cela avait amené la FDA, agence américaine des produits de santé à alerter les professionnels un an plus tard. Ce risque a été de nouveau signifié dans une étude espagnole parue en 2016 qui allait encore plus loin, soulignant également une association avec un risque augmenté d’autisme chez les garçons exposés in utero au paracétamol.

Mais d’autres travaux se veulent au contraire rassurants. Une étude danoise parue dans Epidemiology en 2016 montre que le paracétamol préserve le quotient intellectuel d’enfants nés de mères ayant eu de la fièvre pendant leur grossesse. En 2014, le Comité de pharmacovigilance de l’EMA (agence européenne du médicament) estimait qu’au regard des études publiées, l’association entre exposition au paracétamol in utero et troubles du développement psychomoteur n’était pas établie mais appelait à réduire l’utilisation du paracétamol à une durée de traitement la plus faible possible pendant la grossesse.

À RETENIR


• La prise prolongée de paracétamol à dose élevée peut être aussi nocive pour le foie qu’un surdosage massif.

• Il est pertinent de surveiller la tension artérielle chez les patients hypertendus ou coronariens en cas de prise régulière de paracétamol.

• Le lien entre l’administration de paracétamol pendant la grossesse et la survenue d’asthme ou d’autisme n’est pas confirmé.

NOTRE EXPERT

Alain Eschalier, professeur de pharmacologie médicale et président de l'université Clermont-Ferrand 1

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