Temps Forts
Enjeux
Auteur(s) : LOAN TRANTHIMY AVEC FRANÇOIS POUZAUD
Michel Caillaud exerce à Aubevoye, une commune située dans le département de l’Eure (Normandie) qui s’est regroupée avec Villers-sur-le-Roule et Sainte-Barbe-sur-Gaillon pour devenir depuis le 1ᵉʳ janvier 2016 une « commune nouvelle » du Val d’Hazey. « Dans le nouveau découpage communal, on compte déjà deux pharmacies. Si le recensement montre que le nouveau quota d’habitants permet la création ou le transfert d’une troisième pharmacie, c’est là que les problèmes vont commencer », témoigne ce conseiller du président de l’UNPF. Aujourd’hui, cette situation n’est pas isolée. La loi de 2010, confortée par la loi NOTRe (loi du 7 août 2015 portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République) encourage la fusion des communes, c’est-à-dire l’unification de plusieurs communes jusqu’alors distinctes pour n’en former plus qu’une, appelée « commune nouvelle ». Selon le dernier décompte de l’Association des maires de France, 1 268 communes ont déjà franchi le pas, aboutissant à la création de 372 communes nouvelles. Quelque 400 autres devraient suivre le même chemin, en 2017. Or, l’augmentation mécanique de la population communale résultant de la fusion favorise l’installation de nouvelles pharmacies. « La menace de déstabilisation locale est bien réelle pour les pharmacies rurales de villes petites ou moyennes », estime Gilles Bonnefond, président de l’USPO, écartant les grandes villes du fait de la surdensité officinale.
Sur ce sujet, l’ARS Normandie ne cache pas son trouble. Dans cette région, elle a déjà identifié plusieurs communes nouvelles qui peuvent demander l’octroi d’une nouvelle licence. C’est le cas d’une commune nouvelle de 8 600 habitants issue d’une fusion de vingt communes éparpillées dans le Calvados qui comptent entre 101 habitants et 1 174 habitants. « Cette commune nouvelle a une pharmacie. Si le nouveau quota d’habitants permet d’avoir une deuxième licence, comment choisir le lieu d’implantation de la nouvelle pharmacie ? Là où se trouve la pharmacie existante de 1 174 habitants ? Cela risque de la déstabiliser. Si on décide de l’implanter ailleurs, ce n’est pas forcément une bonne idée car on risque de créer une pharmacie peu viable », s’interroge Michel Portenard, pharmacien général de santé publique et conseiller pharmaceutique de l’ARS Normandie. De son côté, Michel Caillaud évoque la même crainte. « Pour se rendre dans notre commune nouvelle, il n’y a pas de route directe. Les habitants doivent traverser une autre ville qui a déjà deux pharmacies. Si l’augmentation mécanique de la population communale conduit à dépasser le quota de 4 500 habitants et donc à ouvrir une officine par transfert, est-ce que cette pharmacie sera viable ? », argue-t-il. « C’est là le risque, renchérit Philippe Gaertner, président de la FSPF. La population va être recomptabilisée au niveau de la nouvelle commune, alors qu’une partie peut être desservie par une officine située hors du regroupement de communes ». Finalement, la méthode d’affectation du nombre d’habitants à la commune nouvelle n’est pas transposable au niveau de la pharmacie.
Ce que déplore Michel Portenard de l’ARS Normandie. « Cette fusion administrative va créer des dommages collatéraux que le législateur n’a pas prévus ». Une position partagée par la FSPF qui compte bien sur l’ordonnance en cours d’écriture pour changer les règles d’installation des pharmacies afin de tenir compte de cette situation. « Même si, au vu des premières fusions de communes observées, le risque semble relativement limité à deux ou trois ouvertures d’officines, il faut pouvoir protéger les quelques pharmacies sur lesquelles ça peut tomber », martèle Philippe Gaertner. Pour Michel Portenard, « la solution est peut-être d’augmenter le seuil des pharmacies ». Gilles Bonnefond n’est pas contre un relèvement du quota de 2 500 à 3 500 habitants pour l’ouverture de la première officine. « C’est la meilleure réponse pour éviter des transferts inutiles et dangereux sans pénaliser l’offre. » Mais pour Philippe Gaertner, « le relèvement du quota est à manier avec beaucoup de prudence car députés et sénateurs sont très sensibles à ce qu’il n’y ait pas de trous dans le maillage ». Président de l’Association de pharmacie rurale (APR), Alain Dumas s’oppose aussi à cette solution. « Cela risque d’être contreproductif et ne va pas régler les problèmes des pharmaciens en difficulté économique. »
Pour l’heure, personne ne semble pouvoir anticiper le risque de déstabilisation locale. En effet, tout dépendra du nombre de communes qui se regroupent, de leur proximité géographique, du nombre d’habitants et de pharmacies dans chacune d’elles… Face à ce flou, Alain Delgutte, président du conseil central A de l’Ordre des pharmaciens a demandé aux conseillers ordinaux départementaux d’alerter l’Ordre dès qu’ils ont connaissance d’un risque. Michel Caillaud pense que c’est à l’ARS de prendre les choses en mains, plus qu’au ministère de la Santé. « C’est l’ARS qui est en charge de l’équilibre du territoire, il faudra commencer par établir une étude locale avant de décider de nouvelles règles », estime-il. Il est vrai qu’aujourd’hui l’autorisation de création, de transfert ou de regroupement dépend de l’ARS qui doit appliquer la réglementation en vigueur. Conséquence : le respect de la règle du quota ne suffit pas. « L’ARS doit examiner si le projet officinal optimise la desserte, notamment par le choix du local et de l’implantation », rappelle Corinne Daver, avocate spécialiste du droit de la santé. L’APR partage cette analyse. « Tant qu’on reste sur la loi de répartition actuelle avec une possibilité d’intervention de l’ARS sur le quartier de départ et celui d’arrivée, le risque de déstabilisation du réseau sera limité. » Mais dans ce domaine, les positions des ARS sont loin d’être homogènes. Après la publication d’une instruction en juin 2015 qui visait à harmoniser entre elles les décisions des ARS concernant l’autorisation d’ouverture des pharmacies par voie de création, de transfert ou de regroupement, la Direction générale de l’offre des soins (DGOS) devra-t-elle la réactualiser en tenant compte de cette nouvelle situation ? Possible. Un travail sur ce sujet est en cours.
À RETENIR
SEPT QUESTIONS SUR LES RÈGLES D’INSTALLATION
1 QUELS SONT LES QUOTAS DE POPULATION POUR AUTORISER L’OUVERTURE D’UNE OFFICINE ?
Les quotas de population sont de 2 500 habitants pour la première licence de pharmacie dans la commune, et 4 500 habitants pour les suivantes. Par dérogation, ce quota est de 3 500 pour l’Alsace, la Moselle et la Guyane ; pour Mayotte, 7 500 habitants par secteur sanitaire.2 COMMENT SONT ÉVALUÉS CES QUOTAS ?
Les quotas sont appréciés par commune. La population prise en compte est celle de la commune et du dernier recensement général de la population ou, le cas échéant, des recensements complémentaires publiés au Journal officiel (sauf pour les transferts en intracommunal où les quotas ne sont pas opposables. Le taux de population à desservir peut reposer sur des projets immobiliers justifiés précisément). La population prise en compte est celle qui est domiciliée dans le quartier ou ayant une résidence stable. La population future peut être prise en compte en présence de projets immobiliers en cours (certains à la date de la demande). En revanche, la population dite « de passage » n’est pas comptabilisée.3 UN QUOTA PEUT-IL ÊTRE AUGMENTÉ ?
Oui. C’est déjà arrivé par le passé. En 2012, la loi de financement de la Sécurité sociale a adopté un nouveau quota – via un amendement parlementaire – qui est passé de 3 500 à 4 500 habitants, nouveau taux requis pour l’ouverture d’une deuxième pharmacie dans une commune disposant déjà d’une officine. Cette opération permet de limiter les effets de l’expansion démographique sur l’évolution du réseau officinal dans les zones (notamment urbaines) déjà suffisamment dotées en pharmacies.4 POURQUOI AVOIR MAINTENU LE QUOTA DE 2 500 HABITANTS POUR LA PREMIÈRE OFFICINE ?
Le maintien à 2 500 habitants du premier seuil de population pour l’ouverture d’une officine permet aux petites communes en forte croissance de population, non pourvues à ce jour, d’obtenir l’installation, par voie de création ou de transfert, d’une officine.5 SI UN SEUIL EST DÉPASSÉ, PEUT-ON CRÉER UNE PHARMACIE ?
Oui, en principe. Mais aujourd’hui, la création d’une nouvelle pharmacie est devenue exceptionnelle, voire quasi impossible à réaliser, car elle n’est pas prioritaire sur un transfert et un regroupement. En pratique, les demandes de transfert sont suffisamment nombreuses pour faire obstacle à toute création.6 Y A-T-IL DES LIMITES GÉOGRAPHIQUES À UN TRANSFERT ?
Non. Un transfert est possible au sein de la même commune, dans une autre commune du même département ou vers toute autre commune de tout autre département.
7 QUELLES SONT LES CONDITIONS POUR TRANSFÉRER DE COMMUNE À COMMUNE ?
Un transfert extra-communal implique plusieurs conditions cumulatives :Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?
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