Le choix de la buprénorphine - Le Moniteur des Pharmacies n° 3130 du 28/05/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3130 du 28/05/2016
 
ENTRETIENS PHARMACEUTIQUES

Temps forts

ENJEUX

Auteur(s) : Afsané Sabouhi

A l’initiative de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), une expérimentation de dispensation supervisée de buprénorphine est annoncée d’ici fin 2016. L’investissement des pharmaciens en addictologie serait-il enfin en voie de reconnaissance ?

Participer à une meilleure observance des traitements substitutifs aux opiacés et éviter les mésusages » : c’est dans cet objectif que la Mildeca souhaite mettre en place une expérimentation de dispensation supervisée des traitements de substitution aux opiacés (TSO) à l’officine. Elle a réuni lors d’une première réunion du comité de pilotage fin avril les représentants des syndicats et Ordres de pharmaciens et médecins, l’ANSM, la CNAMTS ainsi qu’une équipe de chercheurs chargée d’établir le protocole d’évaluation de cette expérimentation, souhaitée d’ici la fin de l’année. « Il ne s’agit pas d’entretiens pharmaceutiques pour les TSO, insiste-t-on à la Mildeca. Ce terme correspond à une négociation entre les syndicats de pharmaciens et l’Assurance maladie. Ce que nous souhaitons expérimenter c’est la dispensation quotidienne et supervisée de buprénorphine à l’officine. » A ce jour les modalités pratiques ne sont pas définies.

Pourquoi seulement la buprénorphine et pas l’ensemble des TSO, comme le souhaiteraient nombre de professionnels impliqués en addictologie ? En raison de la « place particulière de la buprénorphine à haut dosage parmi les TSO, compte tenu des risques de détournement et de mésusage », à savoir l’injection ou le non-respect des 10 minutes de fonte du médicament sous la langue anéantissant toute efficacité. Et pourquoi expérimenter cette dispensation supervisée alors qu’elle est de fait déjà pratiquée dans de nombreuses officines ? Cette question est loin de faire consensus parmi les spécialistes. « Il faut reconnaître et rémunérer l’investissement des pharmaciens, c’est une évidence. Mais cette expérimentation, dont il ne sera pas simple d’évaluer l’efficacité, représente un coût pour la Mildeca qui pourrait être investi sur des mesures démontrées utiles », regrette Nicolas Bonnet, directeur du Respadd (réseau de prévention des addictions), citant le renforcement de l’accompagnement psycho-social des patients, les formations communes médecins-pharmaciens sur les TSO ou la diversification des galéniques disponibles pour la buprénorphine. Elle existe en effet déjà sous forme de films sublinguaux aux Etats-Unis, ce qui améliore l’observance et l’efficacité.

Une reconnaissance d’un nouveau rôle

Pour les syndicats, peu importe si la Mildeca restreint pour le moment son projet d’expérimentation à la dispensation supervisée de buprénorphine, c’est la perspective d’entretiens pharmaceutiques sur la substitution. « Toutes les pharmacies délivrent plus ou moins du Subutex mais, pour la méthadone, c’est moins de 10 %. Ce n’est pas normal, d’autant plus que sa prescription doit être bientôt élargie à la médecine de ville. Il nous faut donc un réseau pharmaceutique impliqué dans la prise en charge de ces patients dépendants avec un couple médecin-pharmacien renforcé. Passer à des entretiens pharmaceutiquesrémunérés pour une prise en charge mieux organisée peut permettre à davantage de pharmaciens de s’impliquer. En tout cas, c’est notre objectif », confie Gilles Bonnefond, le président de l’USPO.

Fabrice Camaioni, président de la commission Exercice professionnel à la FSPF coupe l’herbe sous le pied à tous ceux qui voient déjà surgir « une nouvelle usine à gaz » : « La situation sera beaucoup moins complexe que pour l’asthme, les patients concernés étant déjà identifiés par leur prescription. Plus qu’un entretien, la mission du pharmacien s’inscrit dans une démarche de coordination avec le médecin », précise-t-il.

Une rémunération à la clé

Il semble acquis que les pharmaciens volontaires pour cette expérimentation seront rémunérés, même si aucun montant n’a été arrêté ni même discuté pour l’heure. Pour les syndicats de pharmaciens, l’expérimentation est donc un premier pas accueilli avec enthousiasme dans la perspective des négociations conventionnelles. Même les syndicats de médecins approuvent : « La délivrance quotidienne est une charge de travail supplémentaire, qui repose actuellement sur le bénévolat absolu des pharmaciens. Bien sûr que cela doit faire l’objet d’une rémunération particulière ! Dire qu’il faut mettre au point une expérimentation pour enfin payer les gens pour un boulot qu’ils font déjà, c’est à désespérer ! », assène Claude Bronner, vice-président de la Fédération des médecins de France. Mêmes réactions parmi les acteurs de terrain (lire aussi les témoignages ci-contre) : « C’est un premier pas très positif vers la reconnaissance des missions de santé publique que le pharmacien assure à l’officine, souligne Stéphane Robinet, président fondateur de l’association Pharm’Addict, qui regroupe des pharmaciens impliqués en addictologie. Je suis totalement favorable à une rémunération pour cette action, qui est un accompagnement bien plus large qu’une surveillance des 10 minutes de prise du médicament en sublingual ». Ces pharmaciens qui délivrent déjà de la buprénorphine soulignent en effet qu’il ne s’agit pas de fliquer le patient mais bien d’instaurer la confiance et le dialogue pour expliquer le mode de prise du médicament et suivre le ressenti sur l’efficacité pour prévenir d’éventuels mésusages.

Pour ceux qui ont dispensé des TSO dès leur arrivée sur le marché en 1996, il s’agit en réalité de revenir à la situation de l’époque où un petit noyau dur de médecins et pharmaciens en contacts étroits ont mis sur pied la prise en charge des premiers patients substitués. Tout l’enjeu étant désormais d’assurer cette qualité de soins à près de 150 000 personnes. La seconde réunion du comité de pilotage, qui devrait se tenir prochainement, promet donc d’être animée !

TÉMOIGNAGES

BERNARD PÉNICAUD, titulaire à Niort (Deux-Sèvres)

Le temps du bénévolat et du militantisme est passé, je suis ravi de constater que nos tutelles en prennent conscience. L’idée de poser le cadre formel des entretiens pharmaceutiques qui reconnaissent cette mission, que les pharmaciens n’avaient pas attendu pour assumer, est une très bonne nouvelle. Ce n’est pas tant le montant de la rémunération qui compte, mais enfin la valorisation et la reconnaissance de notre travail et de notre investissement. Mais attention à ne pas nous mettre sur pied la même usine à gaz que pour les patients asthmatiques sinon, personne ne saura faire !

PATRICK FABRY, titulaire à Plouhinec (Finistère)

La forme de l’entretien pharmaceutique et la petite rémunération à la clé pourront convaincre certains confrères de se mettre à la substitution, mais il faudra des formations car la pharmacologie de ces traitements n’est pas vue en détail en formation initiale. C’est une première étape de reconnaissance et aussi de dédiabolisation auprès de certains confrères des traitements de substitution et des patients. J’ai vu ce matin une patiente qui est jeune maman, aide-soignante dans un foyer pour personnes handicapées. Ce ne sont pas tous des SDF ou des psychotiques sévères, le regard de la profession sur les usagers de drogue doit évoluer.

À RETENIR

• Une expérimentation sur la dispensation supervisée de buprénorphine est annoncée d’ici la fin de l’année.

• Même si aucun montant n’a été donné, les pharmaciens pour cette expérimentation seront rémunérés.

• Les syndicats de pharmaciens voient là une perspective d’entretiens pharmaceutiques sur les traitements de substitution aux opiacés et d’une rémunération négociée conventionnellement avec l’Assurance maladie.

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