Adultes hyperactifs : les oubliés - Le Moniteur des Pharmacies n° 3121 du 26/03/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3121 du 26/03/2016
 

Temps forts

Trajectoire

Auteur(s) : Mathieu Nocent

Le trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) de Thomas a été diagnostiqué tardivement. Son parcours met en lumière les contradictions de la politique de santé française dans la gestion de ce trouble chez l’adulte. Même si les mentalités évoluent.

Ma mère devait m’épuiser pour que le soir je m’endorme. » Thomas, 27 ans, un grand barbu à l’esprit vif, raconte son parcours avec précision. Petit, il courait partout, il avait des troubles du sommeil. Au collège, il est devenu ce qu’il appelle « une coquille vide ». Et puis, à l’entrée au lycée, vinrent de nouveaux compagnons : le « pétage de plomb », la défonce, l’alcool, l’absentéisme scolaire. Et la découverte du cannabis. « J’avais du mal à me projeter, à me concentrer. J’étais mal dans ma peau. Le cannabis me calmait. » A 25 ans, Thomas entame une seconde tentative de sevrage au cannabis avec l’aide d’un psychiatre. « J’ai alors pensé au TDAH parce que j’avais appris que ma cousine en était atteinte. J’en ai parlé à mon psychiatre. » Le diagnostic se fait progressivement et le traitement à base de méthylphénidate se met en place.

« Cette maladie est mal reconnue, mal dépistée », enrage Thomas. Pourtant, selon les études, 3 % à 5 % des adultes sont atteints de ce trouble dont les symptômes, s’ils sont par définition présents dès l’enfance, persistent dans 50 % des cas après 18 ans(1). Le docteur Fabrice Duval, psychiatre, chef du pôle 8/9 de psychiatrie générale au centre hospitalier de Rouffach (Haut-Rhin), définit trois catégories de patients adultes : ceux diagnostiqués enfants dont la prise en charge n’est pas optimale ; des trentenaires en situation d’échec qui questionnent leur propre diagnostic ; « et des patients plus âgés qui ont mis beaucoup d’énergie à construire des mécanismes compensatoires et qui n’en peuvent plus ».

Beaucoup d’entre eux s’adressent d’abord aux associations. Fondée en 2002, HyperSupers TDAH France compte 1 300 membres dont 20 % environ sont des patients adultes. Christine Gétin, sa présidente, regrette que la recommandation de la Haute Autorité de santé(2) sur la conduite à tenir devant un patient susceptible de présenter un TDAH ne concerne que les enfants et les adolescents. « La plupart des adultes qui viennent nous voir ont déjà essayé des psychothérapies qui ont échoué. Alors ils se sont renseignés, ils ont entendu parler du TDAH et ils veulent qu’on les oriente vers des spécialistes. » Le Pr Manuel Bouvard, responsable du CReDAH, centre de référence des déficits de l’attention et de l’hyperactivité à Bordeaux, renchérit : « On accueille beaucoup de familles qui ont vagabondé à la recherche de lieux de diagnostic. La demande est très forte, chez les adultes notamment. »

La balance bénéfice/risque du méthylphénidate divise

Pour Thomas, le diagnostic a été une libération. « Enfin je comprenais. Cela expliquait mes consommations, mes comportements asociaux, ma marginalisation. » Il en veut aujourd’hui au « système » parce que les « points de vue sur cette maladie sont très divergents, notamment sur l’utilité du méthylphénidate. Alors qui croire ?… ».

Véronique Gaillac, psychiatre, a ouvert en 2001 une consultation spécialisée à l’hôpital Sainte-Anne à Paris. Selon elle, si le méthylphénidate engendre bien une amélioration à court terme, « il n’y a aucune étude permettant de démontrer son efficacité à long terme. Son effet pourrait même s’atténuer au cours du temps puis devenir négatif à l’arrêt du traitement ». Elle ne prescrit pas, chez l’adulte, de psychostimulant. Régis Lopez, psychiatre au service de neurologie de l’hôpital Gui-de-Chauliac à Montpellier (Hérault), qui a démarré une consultation spécialisée pour les adultes TDAH en 2011, procède autrement : « Je propose un traitement médicamenteux aux patients fortement handicapés par leur TDAH ou, transitoirement, chez ceux traversant une période qui demande une mobilisation particulière, un changement de travail par exemple. » Il déplore que la molécule ne soit pas indiquée pour les adultes en France : « Quand je prescris du méthylphénidate à un adulte, je le fais en dehors de l’AMM puisqu’il n’est indiqué que pour les enfants de plus de six ans. Les patients ne sont donc pas remboursés. »

Encore trop peu de soins de proximité en France

Thomas a éprouvé quelques difficultés à faire reconnaître le traitement dans son entourage. « J’ai un ami très proche qui m’a dit “Tu vas prendre une amphétamine toute ta vie, mais tu es fou !” » Le Pr Bouvard le constate, « l’utilisation du méthylphénidate fait polémique, en particulier chez l’adulte, parce qu’il stimule la vigilance, ce qui peut être facteur de mésusage notamment chez les étudiants. » Il regrette que cette prescription de psychostimulant ait généré pendant des années l’opposition des pédopsychiatres au TDAH. Pourtant, « il ne s’agit pas de poser un diagnostic et de donner une ordonnance ! Certains hôpitaux ont mis au point des protocoles de soin mais ça oblige les patients à se déplacer loin de chez eux. Et le suivi reste problématique. A la fin du protocole, ils n’ont pas d’autre choix que de consulter des médecins libéraux non remboursés pour continuer à être accompagnés », explique Christine Gétin. Régis Lopez témoigne : « Je sais que je n’aurai pas de moyen supplémentaire pour développer cette activité alors que la consultation a pris beaucoup d’ampleur et que la demande est énorme. Il y a beaucoup d’idées reçues sur le TDAH. Il n’y a pas de biomarqueurs clairs. Ce qui fait que beaucoup de gens doutent de la pertinence des unités de soin. »

Né il y a 15 ans, le CReDAH de Bordeaux a été labellisé en janvier 2016 par l’ARS Aquitaine. C’est une première en France. Le Pr Bouvard y voit « une reconnaissance des autorités de tutelle ». Il présentera en juin 2016, lors du 114e colloque international du CPNLF(3), les conclusions d’un rapport collectif qu’il a coordonné et auquel une dizaine de spécialistes du TDAH ont contribué. « Il s’agit aussi d’y témoigner de la persistance du TDAH chez l’adulte, et de sensibiliser les psychiatres au fait que le TDAH est un facteur de résistance au traitement d’autres affections psychiatriques. »

Quant à Thomas, il a maintenant une « continuité de pensée, là où tout était tout le temps éparpillé ». Il se sent à un tournant de sa vie, même si prendre des initiatives et faire des choix reste pour lui compliqué.

(1) www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/19006789

(2) http://bit.ly/22sagns

(3) Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française

ABSTRACT

– 3 à 5 % des adultes sont atteints de TDAH.

– Le méthylphénidate n’a pas d’AMM en France chez l’adulte.

– Un rapport collectif sera présenté en juin prochain lors du Congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française pour sensibiliser les psychiatres au fait que le TDAH – chez l’adulte notamment – est un facteur de résistance au traitement d’autres affections psychiatriques.

40 % D’UTILISATION HORS AMM POUR LE MÉTHYLPHÉNIDATE

Une étude d’utilisation du méthylphénidate en France entre 2005 et 2011 a été réalisée par le centre régional de pharmacovigilance de Reims (Marne) à partir de l’échantillon généraliste des bénéficiaires (EGB) de l’Assurance maladie. Elle montre une utilisation croissante de la molécule hors AMM dans cet intervalle. Le pourcentage de patients dont l’âge est hors AMM (inférieur à 6 ans ou supérieur à 18 ans) était de 34,5 % chez les patients dont les prescriptions ont été étudiées en 2011. L’EGB ne comprenant pas les données de remboursement des étudiants, population utilisant cette molécule pour augmenter ses capacités intellectuelles en période d’examen, on peut supposer que ce chiffre est légèrement sous-évalué.

Contrairement à l’Allemagne, aucun laboratoire n’a soumis en France d’études cliniques visant à ce que la molécule soit utilisée chez les adultes.

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