Le double jeu des marques ombrelles - Le Moniteur des Pharmacies n° 3120 du 19/03/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3120 du 19/03/2016
 
SELFCARE

Temps forts

ENJEUX

Auteur(s) : Chloé Devis*, François Pouzaud**

Certains titulaires voient dans les gammes « ombrelles », qui s’appuient sur le nom d’un médicament sans en conserver le statut, un appel d’air bienvenu pour leur chiffre d’affaires. D’autres craignent pourtant un risque pour le monopole.

Les marques ombrelles vont-elles amorcer un repli ? Une chose est sûre, leur essor depuis deux ans sur le marché pharmaceutique suscite une fronde croissante qui a fini par faire mouche auprès de l’ANSM : celle-ci a annoncé un encadrement plus strict de ces gammes (voir encadré p. 16), à l’origine d’une controverse à la fois économique et éthique portée en premier lieu par la profession. A priori, pourtant, la démarche a de quoi allécher des officines en mal de croissance : il s’agit en effet de capitaliser sur le nom d’un médicament à forte notoriété pour développer une offre complémentaire attractive, dans le condiv d’une montée en puissance du « selfcare »*. En choisissant le statut de dispositif médical – voire de complément alimentaire ou de cosmétique – pour ces produits, les laboratoires déjouent les restrictions liées à la réglementation du médicament. A la clé, un lancement sur le marché facilité. Mais les industriels restent discrets sur les ventes de ces gammes. L’Association française de l’industrie pharmaceutique pour une automédication responsable (AFIPA) peut ainsi faire valoir des chiffres plus que flatteurs au sein d’une conjoncture morose : une hausse de 6,4 % des ventes du selfcare en 2015, contre 1,7 % pour l’activité officinale globale, et, en ce qui concerne les dispositifs médicaux non prescrits, un bond de 7 % qui s’élève à plus de 17 % dans la sphère respiratoire, où l’on retrouve des produits comme Lysopaïne Vox (Boehringer Ingelheim), Toplexil Phyto (Sanofi), Fervex Maux de gorge (Upsa)…

Ces gammes ombrelles ont pourtant fait polémique dès leur apparition, une polémique qui a enflé avec la montée au créneau des syndicats de pharmaciens, de l’Ordre et, tout récemment, de la chambre syndicale des groupements Federgy. « En référençant sous le même nom des médicaments bien connus et des dispositifs médicaux, voire des compléments alimentaires ou des cosmétiques, on introduit une énorme ambiguïté, non seulement aux yeux du consommateur, qui appréhende mal ces différents statuts, mais aussi du pharmacien, pas forcément prévenu par le délégué pharmaceutique », critique ainsi Gilles Bonnefond, président de l’USPO. Un pharmacien « d’autant moins vigilant qu’un certain nombre d’AMM ont disparu depuis quelques années », ajoute le président de Federgy Christian Grenier, n’hésitant pas à qualifier de « Canada Dry du médicament » ces gammes ombrelles.

Menace sur le monopole ?

De fait, les produits en question ne font pas appel au principe actif du médicament d’origine, ce qui exigerait un agrément en bonne et due forme, mais utilisent les formes d’action d’un dispositif médical, par exemple en tapissant les muqueuses ou en utilisant les propriétés non pharmacologiques de substances naturelles. Prescrire lui-même, à travers notamment l’exemple de Toplexil Phyto et de Fervex Maux de gorge, a pointé le risque pour le patient de confondre des produits dont la présentation est similaire alors que certains, les médicaments d’origine, exposent à des effets indésirables. Philippe Gaertner, président de la FSPF, dénonce également le « surcoût aux dépens du consommateur généré par le changement de statut avec une TVA à 20 % sur les dispositifs médicaux non prescrits », tout en balayant l’argument du potentiel économique de ces gammes pour les officines : « Cette offre ne démultiplie pas les besoins, elle se contente de se substituer à une autre. » En revanche, « en faisant primer le marketing sur la qualité pharmaceutique, les laboratoires dévoient le conseil officinal », s’insurge Gilles Bonnefond. « Le pharmacien est considéré comme un simple distributeur, pas comme un dispensateur, l’industrie s’adressant directement au consommateur en utilisant l’aura du professionnel de santé pour entretenir des marques », diagnostique Lucien Bennatan, président du groupe PHR. Au risque d’annoncer la fin du monopole ? Le statut de dispositif médical non prescrit offre de fait un accès potentiel à la GMS.

« On prétend que les conditions commerciales seront rédhibitoires, mais il n’en reste pas moins tentant pour les grandes surfaces de référencer ce type de produits même à perte, afin de pouvoir revendiquer un rayon selfcare, renchérit Christian Grenier. Déjà 3 % des médicaments qui étaient sous monopole sont passés sous le statut de dispositif médical, de complément alimentaire ou de produit cosmétique. On est dans un processus d’ubérisation à travers une dérégulation progressive à laquelle contribuent les pharmaciens eux-mêmes. »

C’est donc bien, en premier lieu, à la responsabilité des officinaux qu’en appellent les pourfendeurs de cette logique. « Chacun reste maître de son assortiment, mais, personnellement, je ne référence pas ces gammes ombrelles », indique ainsi Philippe Gaertner, tandis que l’USPO a invité ses adhérents à s’en détourner. Ce qui implique de combattre une autre pratique, « les remises croisées, totalement illégales, imposées par certains laboratoires sur des produits de statuts différents », fustige Gilles Bonnefond. En guise d’antidote, Federgy incite à promouvoir des alternatives génériques ainsi que… les marques de groupement. Pour Lucien Bennatan, l’affaire signerait en soit « la fin des marques » : « Le patient de demain se fichera de savoir s’il prend du Doliprane ou du paracétamol, et il aura tôt fait, avec les distributeurs, de remettre les laboratoires dans le droit chemin ».

Côté laboratoires, la discrétion est de mise sur les perspectives de ces gammes ombrelles. Quant à l’AFIPA, qui a dévoilé le 15 mars son manifeste en faveur du selfcare, l’accroissement des marques ombrelles est nécessaire car « c’est la seule solution possible pour développer ce marché ». « Aujourd’hui, tout le monde nous tombe dessus mais c’est une grande hypocrisie. Jusqu’ici, aucun produit de laboratoire n’est présent dans un autre circuit. Ensuite, il faut regarder le problème des marques dans son ensemble. Les marques génériques et les marques de groupements, qui communiquent également, ne sont rien d’autre que des marques ombrelles », rétorque Pascal Brossard, président de l’AFIPA.

* Selon l’OMS, le selfcare est « ce que les gens peuvent faire eux-mêmes afin d’établir et de maintenir leur bonne santé afin de prévenir et de prendre en charge la maladie ». Selon l’AFIPA, les produits du selfcare sont les médicaments, dispositifs médicaux et compléments alimentaires d’automédication.

DEUX CHANTIERS POUR L’ANSM

Le choix du nom des médicaments étant encadré à la fois par le Code de la santé publique et le droit des marques, l’ANSM s’inquiète d’une dérive qui pourrait s’apparenter à une tromperie du consommateur, induite par les dénominations actuelles des gammes ombrelles. Elle relève également que ce brouillage est accentué par l’essor des médicaments à prescription facultative. L’autorité émettra ainsi d’ici l’été des recommandations auprès des laboratoires sur deux points : la confusion entretenue par les similitudes de noms et de présentations entre des produits au statut distinct, et l’utilisation dans le nom de médicaments de superlatifs et autres suffixes favorisant l’amalgame avec des produits de consommation. Tout en rappelant qu’elle dispose des outils pour agir en justice le cas échéant.

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