Naissance d’un marché - Le Moniteur des Pharmacies n° 3119 du 12/03/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3119 du 12/03/2016
 
NUTRITION ET INFERTILITÉ

Dossier

Auteur(s) : Caroline Coq-Chodorge

Ils sont 15 % de couples à consulter pour infertilité, mais seulement 5 % à être traités médicalement. Les autres s’arment de patience, adoptent une meilleure hygiène de vie ou se laissent séduire par des compléments alimentaires et autres dispositifs médicaux. Parfois même les quatre en même temps. Est-ce bien sérieux ? Les avis sont plus que partagés.

En 50 ans, les comportements ont beaucoup évolué : avoir un enfant est devenu un acte souvent programmé. Les femmes maîtrisent leur fertilité grâce à la contraception. Et lorsqu’elles ne parviennent pas à tomber rapidement enceinte, elles ne le comprennent pas », explique le Pr Pierre Jouannet, biologiste de la reproduction, membre de l’Académie nationale de médecine. Plus directe encore, la gynécologue Laurence Lévy-Dutel, qui a dirigé Le Grand Livre de la fertilité, renchérit : « Les couples sont plus impatients. Dans ce monde de consommation, ils ont accès à tout, rapidement. Et la pression sociale est très forte. »

En France, 15 % des couples consultent pour infertilité, comme dans la majorité des pays développés. Seuls 5 % des couples qui ont des enfants ont été traités médicalement : environ la moitié ont eu recours à une stimulation hormonale, l’autre à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Un couple est diagnostiqué infertile lorsqu’il n’a pas réussi à concevoir naturellement un enfant après 12 à 24 mois de tentative, en l’absence de toute contraception, et malgré des rapports sexuels réguliers. Cette définition englobe des situations de « stérilité totale », sans espoir de conception naturelle, et des cas d’hypofertilité, lorsque les couples ont des chances réduites de parvenir à une grossesse. Pour Laurence Lévy-Dutel, « un couple doit consulter au bout d’un an d’attente si la femme a moins de 36 ans. Si elle a plus de 36 ans, il faut consulter à partir de 6 mois ».

« Une petite fille naît avec la totalité de ses ovocytes, conçus »

Si l’infertilité devient un problème de société, c’est avant tout en raison du recul de l’âge de la grossesse chez la femme. En 2014, l’âge moyen des mères à leur accouchement est de 30,3 ans, il était de 26 ans dans les années 70. « Les femmes n’en ont pas assez conscience, mais à partir de 35 ans leur fertilité diminue, d’abord lentement puis très rapidement à partir de 40 ans. C’est un phénomène physiologique, constant depuis des millénaires. Une petite fille naît avec la totalité de ses ovocytes, conçus pendant la vie fœtale. La médecine ne peut rien y changer. » Laurence Lévy-Dutel voit arriver en consultation « des femmes de 43 à 45ans qui veulent avoir des enfants. Quand je leur explique qu’il n’existe pas, en France [voir encadré, p. 27] de solutions pour elles, elles le vivent très mal ».

Pour les hommes en revanche, est observée, depuis les années 90, une baisse de la qualité du sperme. En 2012, l’Institut national de veille sanitaire (InVS) a publié une étude, réalisée auprès de 26 600 hommes vivant en France métropolitaine entre 1989 et 2005, qui montre une diminution significative de la concentration spermatique : elle est passée de 73 à 50 millions de spermatozoïdes par millilitre. Les causes d’une infertilité avérée sont donc assez équitablement partagées entre hommes et femmes : une étude réalisée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans les années 90 parmi 8 500 couples infertiles a retrouvé une étiologie féminine dans 37 % des cas, une étiologie masculine dans 8 % des cas et une étiologie à la fois féminine et masculine dans 35 % des cas. Les 20 % restants ont soit débuté une grossesse, soit présenté une infertilité inexpliquée.

Il existe également des explications environnementales à l’infertilité, qui touchent là encore à la fois l’homme et la femme. Le surpoids et l’obésité, mais aussi l’intoxication alcoolique chronique ou le tabagisme altèrent la qualité du sperme pour l’homme et réduisent les chances de grossesse chez la femme. De nombreuses études s’intéressent aux facteurs environnementaux : pollution atmosphérique, exposition aux divers perturbateurs endocriniens (pesticides, nitrates, phtalates, phénols, solvants, etc.), mais aussi exposition à de fortes chaleurs. Selon Pierre Jouannet, qui a coécrit le livre La fertilité est-elle en danger ?, « il n’y a pas de certitude que ces facteurs environnementaux aient un impact sur la population générale. Mais des personnes particulièrement exposées présentent des problèmes de fertilité : les agriculteurs ou les ouvriers qui manipulent des produits chimiques, les personnes exposées à de très fortes températures ou à de hautes doses de produits cosmétiques, comme les coiffeurs ».

Les premiers conseils à délivrer à un couple qui rencontre des difficultés à concevoir un enfant ont donc trait à l’hygiène de vie : arrêt du tabac, régime en cas de sous-poids, mais plus souvent de surpoids, alimentation équilibrée, baisse de la consommation d’alcool (pas plus de 2 verres par jour avant la grossesse), etc. C’est une pharmacienne, Carole Minker, qui a coécrit Le Grand Livre de la fertilité. Elle y conseille une alimentation peu sucrée, riche en produits céréaliers complets, en fruits et en légumes et en légumineuses (petits pois, pommes de terre, lentilles, fèves, etc.). Il faut au contraire limiter, à deux ou trois par jour, les apports en protéines animales (viande, poisson, œuf, produits laitiers). Mais les femmes doivent aussi veiller à avoir des apports en fer suffisants : elles doivent pour cela consommer de la viande, mais aussi des lentilles, des haricots blancs, des œufs, etc. Des apports en magnésium sont aussi conseillés en cas de stress, qui a un effet sur la fertilité : il faut consommer du chocolat, des noix, des fruits secs, des bananes, des légumes secs cuits, du tofu, etc. La consommation de café ne doit pas dépasser deux tasses par jour.

Les compléments alimentaires font leur nid

« Mais tout le monde ne parvient pas à adopter une bonne hygiène de vie. Alors les compléments alimentaires montrent leur utilité », explique Carole Minker. Ils sont vendus en pharmacie, parapharmacie ou sur Internet. Ils ne disposent pas d’autorisations de mise sur le marché mais d’un marquage CE. Chez la femme, ils sont censés, selon les laboratoires, améliorer la régularité des cycles et diminuer les troubles de l’ovulation. Leur efficacité est surtout envisagée pour les hommes : les antioxydants amélioreraient la qualité du sperme. Le Laboratoire des Granions a par exemple développé en 2010 sa gamme Conceptio pour homme et femme. « Conceptio homme est notre produit phare, explique Olivia Périn, chef de la gamme santé du laboratoire. Nous sommes leaders sur le marché du complément alimentaire pour améliorer la fertilité de l’homme. 15 % des ventes sont réalisées sur prescription des gynécologues, c’est un taux important pour un complément alimentaire. » Si le Laboratoire des Granions ne veut pas dévoiler ses chiffres, Olivia Périn confie « une croissance à deux chiffres sur ces produits ces deux dernières années ». Ce marché se développe : « 6 produits ont été lancés depuis 2011 ».

Les couples objets de convoitise de la part des laboratoires

Pierre Jouannet, qui a étudié la composition de ces compléments alimentaires à notre demande, est sceptique sur leur utilité : « Ils sont présentés comme des stimulants de la fertilité. C’est de la publicité abusive. Les substances qu’ils contiennent sont apportées par une alimentation équilibrée. Et il n’existe aucune étude qui prouve leur efficacité. » L’institut de recherche international Cochrane a en effet publié début 2014 une méta-analyse de différentes études conduites sur l’effet des antioxydants administrés oralement par des compléments alimentaires à plus de 4 000 hommes présentant des troubles de la fertilité : « Les preuves sont insuffisantes », conclut l’institut. Laurence Lévy-Dutel est moins sévère : « J’en prescris, pour une durée de 3 mois au maximum, quand les causes de l’infertilité sont mal identifiées et que la qualité du sperme est moyenne. Ces compléments alimentaires ne sont pas révolutionnaires, mais les couples peuvent essayer, surtout les hommes, car pour les femmes l’efficacité semble moins grande. »

Mais, en matière de fertilité, les laboratoires font preuve de créativité. Par exemple Sasmar, petit laboratoire australien spécialisé dans les lubrifiants, développe depuis 2 ans Conceive Plus, un « gel intime fertilisant » fabriqué en France. Sasmar est en train d’investir le marché européen, dont la France, où le produit est en vente sur Amazon et vient d’être proposé aux distributeurs pharmaceutiques. Ce gel, fabriqué à base d’eau, est enrichi en ions calcium et magnésium. Son pH imite celui des glaires cervicales féminines, qui « jouent un rôle essentiel dans le processus de fécondation », explique Le Grand Livre de la fertilité. Or, certaines femmes ont des glaires cervicales anormales en quantité ou en pH. Quant aux ions calcium et magnésium, « ils améliorent la mobilité des spermatozoïdes et allongent leur durée de vie », affirme John-Michael Mancini, P-DG de Sasmar. Déjà commercialisé aux Etats-Unis, en Australie, mais aussi au Moyen-Orient et en Asie, Conceive Plus, assure son P-DG, est devenu « le produit phare de Sasmar, ses ventes connaissant une croissance importante ».

« Nous avons effectivement l’impression d’être considérés comme un marché potentiel », confirme Virginie Rio, du collectif BAMP, qui regroupe des personnes touchées par l’infertilité. Les membres de cette jeune association créée par des blogueurs sont souvent approchés par des laboratoires, mais refusent tout partenariat. « Au début, on croit à l’acide folique, au zinc, au fer, aux antioxydants, etc. Ils donnent au moins l’impression d’agir, explique Virginie Rio. Car l’infertilité donne le sentiment de n’avoir prise sur rien. Nous disons qu’il faut utiliser ces compléments alimentaires avec mesure. Notre principale critique est leur prix. » Carole Minker, qui exerce par ailleurs en officine, confirme : « Le traitement coûte de 30 à 50 euros par mois. Et la durée de traitement est au minimum de trois mois. C’est hors de prix ! »

Les pharmaciens doivent trouver leur place

Mais, déjà, de nouveaux venus font leur apparition : les autotests de fertilité masculine. AAZ, fabricant et distributeur des autotests de dépistage du sida, se contente cette fois de distribuer ce nouveau test, mis au point aux Etats-Unis. « Nous le vendons en France depuis un an, explique Fabien Larue, directeur d’AAZ. Nous en avons déjà vendu 10 000 sur Internet et en officine. » Le principe est simple : l’autotest indique aux hommes si leur concentration en spermatozoïdes est normale (supérieure ou égale à 15 millions de spermatozoïdes par millilitre) ou faible (inférieure à 15 millions). Pierre Jouannet et Laurence Lévy-Dutel sont cette fois tous deux d’accord : la seule mesure de la quantité de spermatozoïdes n’est pas un critère fiable. Leur mobilité et leur forme comptent tout autant. « Le seul test valable est un spermogramme, réalisé en laboratoire sur prescription médicale », affirme Pierre Jouannet. Fabien Larue défend son produit qui joue selon lui un rôle « d’orientation diagnostique. C’est une première sensibilisation pour les couples qui rencontrent des problèmes de fertilité. Si le test indique un faible nombre de spermatozoïdes, nous invitons les hommes à consulter. S’il est normal, nous leur conseillons aussi de consulter au bout d’un an d’attente. Les pharmaciens ont un rôle d’information à jouer ».

Mais les pharmaciens sont-ils prêts à jouer ce rôle ? Et ces produits ont-ils trouvé leur place sur le comptoir ? Malgré une diversification de l’offre, les grossistes-répartiteurs ne constatent pas une vitalité particulière du marché de la fertilité. Et Carole Minker, pourtant très bien formée sur le sujet, vend finalement très peu de compléments alimentaires dans son officine. « Pour leurs problèmes de fertilité, les couples s’adressent à leur gynécologue, très peu à leur pharmacien. Ceux-ci sont généralement mal informés sur le sujet. Nous en sommes au tout début de la réflexion sur le rôle du pharmacien en matière de fertilité. »

Sur le comptoir

• Les compléments alimentaires Ils contiennent généralement des vitamines (A, B6, B9, B12, C, D, E), des acides gras oméga-3, des minéraux et oligoéléments (calcium, chrome, cuivre, fer, iode, magnésium, manganèse, sélénium, zinc), des carnitines, ou encore de la taurine, de l’acide citrique, etc. A dose trop élevée, ils peuvent s’avérer toxiques pour les spermatozoïdes et les ovocytes. Il existe des gammes homme et femme, commercialisées par au moins 6 laboratoires différents. Ils sont présumés plus utiles pour les hommes.

• Les dispositifs médicaux Commercialisés de longue date, les tests d’ovulation permettent de repérer les deux jours les plus fertiles du cycle chez la femme. Paradoxalement, la gynécologue Laurence Lévy-Dutel les déconseille car ils peuvent « perturber la vie sexuelle du couple ». Depuis un an sont vendus des autotests de fertilité masculine. Ils sont eux critiqués car ils ne mesurent que la quantité de spermatozoïdes, qui n’est qu’un des critères dans l’évaluation de la qualité du sperme. Le laboratoire le présente comme un outil d’« orientation au diagnostic ». Les derniers venus sur ce marché en expansion sont les gels fertilisants. Ce sont des lubrifiants qui cherchent à imiter l’action fertilisante des glaires cervicales féminines.

La législation très encadrée de l’AMP

En France, un enfant sur 40 naît grâce à l’assistance médicale à la procréation (AMP). Elle est intraconjugale, lorsque sont manipulés les gamètes des futurs parents, ou extraconjugale, grâce à un don de sperme ou d’ovocyte. Soit elle se déroule à l’intérieur du corps de la femme, par insémination artificielle, soit à l’extérieur du corps, par fécondation in vitro. En France, l’AMP est réservée aux couples hétérosexuels souffrant d’une infertilité reconnue. Les soins sont pris en charge par la Sécurité sociale dans la limite d’âge de 43 ans pour les femmes.

Les plus grandes difficultés sont rencontrées par les couples qui doivent avoir recours à un don de gamètes. Ils sont largement insuffisants, en particulier les dons d’ovocytes. L’attente est de un à deux ans, bien trop longue pour des femmes de plus de 35 ans. Jusqu’ici réservé à des personnes qui ont déjà eu des enfants, le don de gamètes est ouvert depuis le début de l’année aux personnes sans enfants. De nombreux couples français se tournent en réalité vers d’autres pays à la législation moins stricte, notamment l’Espagne. Les dons d’ovocytes y sont indemnisés à hdiv de 1 000 euros et ne manquent pas. L’AMP y est autorisée pour les femmes seules et en couple homosexuel, jusqu’à l’âge de 50 ans.

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