PHARMACIES EN DIFFICULTÉ - Le Moniteur des Pharmacies n° 3111 du 16/01/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3111 du 16/01/2016
 

Enquête

Auteur(s) : François Pouzaud

Le nombre de fermetures d’officines est connu avec précision. En revanche, il est beaucoup plus difficile d’appréhender le nombre de celles dans le rouge. C’est donc en prenant le pouls sur le terrain que l’on peut apprécier la tendance 2015. La détérioration du réseau se poursuit mais, a priori, sans accélération.

Eviter le point de rupture

Désormais, une officine ferme tous les deux jours et non plus tous les trois jours. Les statistiques publiées par l’Ordre sur le nombre de fermetures au cours du premier semestre 2015 recensent 99 restitutions de licences. Soit plus que sur l’année 2014, avec 88 fermetures hors regroupements.

Si 17 % des fermetures sont liées à des regroupements, elles sont surtout la conséquence directe de la faiblesse économique des officines : 31 % des restitutions de licence font suite à un rachat de clientèle et 43 % à une fermeture « sèche ». Les 9 % restantes ont été liquidées judiciairement. Ce dernier pourcentage est le principal indicateur à prendre en compte, qui n’a pas évolué depuis 2013. Idem pour le nombre des entrées en procédures collectives du premier semestre 2015 par rapport à la même période de l’année 2014 : il est stable. A fin juin, la société Interfimo recense 88 nouvelles procédures frappant des officines en difficulté contre 87 un an plus tôt. Le nombre de sauvegardes est quasi identique, soit 15 au premier semestre 2015 et 16 au premier semestre 2014. En revanche, redressements et liquidations évoluent en sens contraire, respectivement de 37 à 42 et de 34 à 31.

Ce faible taux de sinistralité par rapport à d’autres secteurs des TPE est en décalage avec le tableau noir brossé par les syndicats. Selon la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), au vu des résultats des bilans de 2014, la situation est jugée catastrophique pour les officines dont le CA est inférieur à 1,2 million d’euros qui ont essuyé une baisse de revenus de 7 % et dramatique pour celles de CA inférieurs à 800 000 euros qui enregistrent une perte de revenus de l’ordre de 20 %.

Qu’en est-il vraiment sur l’ensemble du pays ? Difficile de le savoir. Par pudeur, les pharmaciens taisent leurs difficultés financières. « Nous n’avons pas d’idée du nombre réel de pharmacies dans le rouge. Nous pensons qu’il se situe entre 500 et 2000 », indique Philippe Besset, vice-président de la FSPF. Le syndicat tire la sonnette d’alarme et réclame un « plan d’urgence » pour les pharmacies les plus fragilisées. « Il vise à soulager les trésoreries par des mesures d’application immédiate de restructuration des dettes à moyen et à long terme en concertation avec les banques, par des exonérations fiscales et de charges sociales… La procédure n’est pas encore définie, mais deux possibilités seraient offertes aux pharmaciens pour se faire connaître, soit auprès des agences régionales de santé, soit auprès des Urssaf. »

Poitou-Charentes, parangon national du désert médical

Dans les Deux-Sèvres, onze pharmacies ont fermé en dix ans, dont deux seulement après une demande de redressement judiciaire au tribunal de commerce. Toutes les autres ont fermé parce qu’aucun repreneur ne s’était manifesté. En revanche, des pharmacies mises en sérieuse difficulté par la désertification médicale, il y en a un peu partout dans ce département, et pas seulement en campagne. « A Niort, les prescripteurs qui partent à la retraite ne sont pas remplacés. Les jeunes générations de médecins préfèrent exercer à La Rochelle, Royan ou Poitiers, indique Jean-Luc Bussault, coprésident de la chambre syndicale des pharmaciens des Deux-Sèvres. Après les baisses de prix des médicaments, le départ des médecins a l’effet d’une deuxième lame tranchante dans l’économie de l’officine. »

A Saint-Hilaire-la-Palud, dans le Marais poitevin, à défaut d’attirer des médecins libéraux, la désertification médicale a été endiguée par des vacations en ville de médecins hospitaliers. Cette solution pourrait être reprise par la ville de Niort. L’ARS, la CPAM, la chambre syndicale, le conseil régional de l’Ordre des pharmaciens et celui des médecins souhaitent soumettre cette idée au maire, signale Jean-Luc Bussault.

A Thouars, pour surmonter le vieillissement de la population médicale et l’évaporation des jeunes diplômés (seulement 10 % des effectifs s’installent en libéral), « des médecins se sont regroupés au sein de l’association AMAT pour monter un pôle de santé multidisciplinaire et multisite pour améliorer les conditions d’exercice des nouvelles générations de médecins qui ne veulent pas créer leur propre cabinet ni travailler 70 heures par semaine », livre Bertrand Borra, également coprésident du syndicat des pharmaciens du département. Cette organisation permet ainsi de maintenir un minimum de services médicaux et paramédicaux en Thouarsais et, par là même, la fréquentation des officines rurales.

Dans le département voisin de la Charente, cela n’est pas mieux : 20 licences disparues en 15 ans. Pour les mêmes raisons : pression économique trop forte, sursaturation d’officines dans les hyper-centres-villes, pénurie générale de médecins. La diminution des effectifs est de 8,1 % en huit ans dans ce département. Et, selon les projections fort peu optimistes de l’Ordre national des médecins, cette tendance va se poursuivre en Charente d’ici 2020. Les prévisions de réduction des effectifs des médecins en activité régulière seraient de 5,1 % alors que le nombre d’habitants risque d’augmenter de 6,9 %. « A Angoulême, plus aucun médecin traitant ne prend de nouveaux patients », signale Jean-Philippe Brégère, président de l’URPS-pharmaciens de Poitou-Charentes. En 2015, il n’enregistre pas de fermetures suite à une liquidation judiciaire. Les pharmaciens sont prêts à tout pour éviter cette issue fatale. « Une pharmacie de bourg a dans sa desserte un EHPAD dont la population résidente est comptabilisée dans son village. Aujourd’hui, elle est en difficulté car elle ne voit plus passer les ordonnances qui sont captées par une autre officine voisine également mal en point qui, pour tenir le coup, joue la concurrence sur la préparation des doses à administrer », explique Jean-Philippe Brégère.

Cent pharmacies jugées en trop à Marseille par l’Ordre régional

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, et particulièrement à Marseille, la surdensité des officines tourne à l’asphyxie dans un condiv de baisses des prix et des marges. Avec 370 officines pour environ 850 000 habitants, la capitale phocéenne paie aujourd’hui le prix fort de ses écarts de conduite. « Nous subissons de plein fouet le contrecoup de 20 à 30 années de créations par voie dérogatoire », constate Stéphane Pichon, président de l’Ordre régional des pharmaciens de la région PACA-Corse. Tant que les chiffres d’affaires augmentaient et que les marges restaient acceptables, l’économie des officines arrivait encore à amortir le choc lié au surnombre d’officines. » Côté chiffres, ça tourne à l’hécatombe. Sur les quelque 200 pharmacies en difficulté de PACA et Corse, 172 font l’objet d’une procédure collective en cours par plan de sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire, dénombre Stéphane Pichon. Une douzaine de pharmacies ont fermé sous le poids des dettes en 2015, sans mettre l’officine en vente, et il se peut qu’avant l’expiration de la licence (elle devient caduque au bout d’un an de fermeture), elles soient vendues à la barre du tribunal. Contrairement aux idées reçues, ce ne sont pas les jeunes installés qui sont les plus fragiles. « La majorité des difficultés se rencontre chez des titulaires de 45 à 50 ans », précise le représentant ordinal. Pour retrouver une situation saine au plan économique et rentrer dans les clous du quorum, il faudrait, selon Stéphane Pichon, une centaine de pharmacies en moins sur Marseille.

Procédures collectives en Ile-de-France : + 10 % par rapport à 2014

A Paris et en Ile-de-France, la situation rapportée par Martial Fraysse, président du conseil régional des pharmaciens franciliens, montre une augmentation de 10 % du nombre de pharmacies en procédure collective par rapport à 2014. « Sur les 3 800 officines que compte la région, 110 sont concernées par une procédure, dont une grande majorité en redressement judiciaire et qui finiront en liquidation judiciaire », précise-t-il. Dans la capitale et sur le reste du territoire francilien, « leur répartition est assez homogène ».

A l’origine des difficultés, très souvent le surendettement et, comme pour précipiter les pharmaciens vers la sortie, les baisses de prix des médicaments. Là encore, il n’y a pas de profil type de pharmacie. Tous les cas de figure se rencontrent. « A Paris, dans le quartier de l’Odéon, une petite pharmacie est en redressement du fait de la présence à proximité d’une pharmacie discounter City-Pharma. Mais une pharmacie de Seine-Saint-Denis l’est également à la suite de son transfert dans un centre commercial qui lui a fait payer un droit d’entrée dans la galerie marchande. Elle doit supporter un loyer démesuré, qui plus est indexé sur le chiffre d’affaires », précise Martial Fraysse.

En Bretagne, des pharmacies plus petites et donc plus fragiles

Selon les dernières statistiques du Conseil de l’Ordre des pharmaciens sur l’évolution des fermetures au cours du premier semestre 2015, la Bretagne recense 5,1 % des pharmacies du pays mais représente 7,4 % des fermetures. Cette région enregistre donc comparativement plus de disparitions qu’ailleurs. « Les officines bretonnes sont plus petites que dans d’autres régions », explique Joël Grondin, président du conseil régional de l’Ordre de Bretagne, qui relève en permanence une vingtaine de procédures collectives avec un turnover de l’ordre de dix entrées pour l’année 2015. « Du 1er janvier 2014 au 30 juin 2015, seize officines ont fermé dont deux par liquidation judiciaire. » Les points noirs sont concentrés sur l’Ille-et-Vilaine, les Côtes-d’Armor et le Finistère. « Dans ce dernier département qui représente 29 % des officines bretonnes, il y a moins de 2,2 pharmaciens par officine, d’où, en proportion, plus de regroupements pour se remettre dans un standard d’avenir », précise Joël Grondin.

A Commana (Finistère), l’unique pharmacie a baissé le rideau en juin dernier, suite à une fermeture volontaire de son titulaire. Les 1 100 habitants de cette commune doivent maintenant parcourir 5 kilomètres pour se rendre à la pharmacie la plus proche.

Fermeture par manque de rentabilité en Rhône-Alpes et Picardie

« Les fermetures d’officines se sont accélérées dans notre département, une dizaine en 15 ans », déclare Jean-Michel Seitz, président du syndicat des pharmaciens de la Loire. Et cela n’est pas près de s’arrêter, une liquidation judiciaire a encore frappé une pharmacie de Saint-Etienne au début de l’année 2015. « En plus des difficultés auxquelles sont confrontées les officines au niveau national, il faut ajouter la concurrence de pharmacies mutualistes et de pharmacies minières », explique-t-il.

A Roanne, la situation n’est guère plus brillante, cette ville se vide de sa population depuis le déclin de l’industrie textile. « A Cremeaux, une pharmacie s’est vendue 20 à 30 % de son chiffre d’affaires, évitant au cédant de fermer ses portes », indique le représentant syndical.

Cette situation où les ventes se sont faites nettement en dessous du marché se reproduit un peu partout en France. Mais un prix bradé ne suffit pas toujours. Ainsi, dans le département de la Somme, ce sont une dizaine d’officines qui pourraient fermer sur les 200 que compte le département, tout simplement parce qu’elles ne sont plus assez rentables. Plusieurs établissements sont en vente depuis des années, sans arriver à trouver de repreneur.

Des causes multiples

Pour en savoir plus sur les motifs de leurs difficultés, Nathalie Cassou, expert-comptable au cabinet Fiducial, a enquêté auprès des officines en procédure de sauvegarde. « Les causes peuvent être multiples, qui sont endogènes ou exogènes », présente-t-elle. Ces causes peuvent bien sûr se cumuler, précipitant un peu plus vite la déchéance des pharmacies.

La trop grande faiblesse de la marge commerciale est le premier argument brandi comme une fatalité par certains pharmaciens, estimant qu’elle ne permet plus de couvrir les charges d’exploitation, par ailleurs en constante augmentation. Les charges de personnel trop importantes sont avancées principalement par les officines avec un chiffre d’affaires élevé, ouvertes 7 jours sur 7 et, dans un cas, par un titulaire appelé à d’autres fonctions qui l’éloignent souvent de son officine. « Ce cas est effectivement particulier mais il est important de rappeler qu’en ces temps difficiles le titulaire ne peut plus faire l’économie d’une présence maximale dans son officine pour fidéliser sa clientèle », souligne Nathalie Cassou.

Le surendettement est très souvent retrouvé, asphyxiant l’officine. Achat à prix trop élevé, manque de capitaux propres… Nathalie Cassou relève que des pharmaciens se sont entêtés à vouloir acheter une pharmacie au-dessus de leurs moyens. « Même si ce n’est pas toujours le facteur unique, l’endettement est dans 80 % des cas le facteur principal de leurs difficultés. »

Parmi les autres causes endogènes, l’expert-comptable cite des soucis familiaux (accident du titulaire, problèmes de santé du conjoint, conduisant l’officine à faire face à des charges salariales supplémentaires dont elle n’avait pas les moyens), des erreurs commises par le titulaire dans sa stratégie commerciale et marketing, l’échec d’un transfert ou encore la mésentente entre associés à l’origine d’une perte de temps dans la prise de décisions nécessaires au redressement de l’officine. En revanche, la rémunération trop élevée du titulaire est rarement invoquée comme étant la raison des difficultés de l’officine.

La concurrence et des travaux très souvent montrés du doigt

Parmi les causes exogènes pouvant générer des procédures de sauvegarde, la concurrence est un argument qui revient très souvent dans la bouche de titulaires qui ont vu leur chiffre d’affaires dégringoler suite à la reprise d’une officine voisine par un nouveau confrère beaucoup plus offensif au plan commercial. Des pharmacies se sont retrouvées également en procédure de sauvegarde en raison de travaux dans leur zone de chalandise qui se sont éternisés pendant de nombreux mois (parfois un an et plus) en raison des retards pris, rendant la pharmacie difficile d’accès. Après une durée de travaux longue, de nouvelles habitudes se constituent parfois, et toute la clientèle ne revient pas.

La perte de l’approvisionnement d’un hôpital ou d’un EHPAD est un élément déclencheur souvent retrouvé. « Lorsqu’un EHPAD déménage ou qu’une autre officine reprend l’exclusivité de la préparation des doses à administrer, c’est forcément toute l’économie de l’officine concernée qui est touchée », souligne Nathalie Cassou.

Enfin, prudence également lors de la reprise d’une officine, l’acquéreur doit être certain du chiffre d’affaires qu’il rachète. Il n’est pas rare qu’une perte brutale de chiffre d’affaires (égale à la différence entre celui récupéré et celui déclaré par le vendeur) fasse vaciller totalement l’équilibre budgétaire prévu et basé sur les résultats du précédent titulaire.

9 %

des fermetures sont dues à une liquidation judiciaire

17 %

des fermetures sont consécutives à un regroupement

Fatal discount !

La Pharmacie des Eaux-Vives au Pecq (Yvelines) a fermé définitivement le 25 novembre dernier. De l’extérieur, rien ne laissait présager une telle issue. L’officine détenue par Catherine Mons est située dans une petite galerie commerciale, sur deux niveaux (180 m2 au total, avec ascenseur et accès facilité pour les personnes à mobilité réduite), et donne sur un parking étendu et gratuit. Malgré un chiffre d’affaires conforme à la moyenne, cette pharmacie passe sous l’enseigne Lafayette et ouvre son capital à des investisseurs. En travaillant avec de très faibles marges et beaucoup de stock, la titulaire a couru à sa perte car elle n’avait pas la taille suffisante pour pratiquer une politique discount. Elle décide de quitter l’enseigne, mais il est déjà trop tard.

La trésorerie est exsangue : elle n’a plus les moyens d’acheter des marchandises et de se relancer.

La pharmacie est mise en liquidation judiciaire. Jusqu’à la dernière minute, Catherine Mons a recherché un acquéreur pour une reprise de son fonds à hdiv de 300 000 euros. En vain. Elle se vendra donc à la barre du tribunal de commerce, pour une somme certainement deux à trois fois inférieure à celle demandée.

La banque, mon meilleur ennemi

Bruno Daumont peut respirer. Sa pharmacie située Place Ducale à Charleville-Mézières (Ardennes) ne fermera pas ses portes.

Le tribunal de grande instance a homologué en octobre dernier le plan de continuation présenté par l’administrateur judiciaire. Les huit emplois de cette officine de 2,48 millions d’euros de CA sont donc sauvegardés. En 2008, Bruno Daumont rachète l’officine 100 % de son CA. Ce n’est pas d’avoir acheté cher qui va le précipiter dans d’indéterminables difficultés, mais bien la suppression de 250 places de parking devant son officine. Effet immédiat : le CA chute sévèrement en 2009 et 2010 et justifie un appel au secours à sa banque et à son grossiste-répartiteur. Aucune aide à en attendre, en particulier de la BNP qui lui refuse une restructuration de son prêt. « J’ai réinjecté des fonds propres dans la structure et suis parvenu à redresser le CA en 2011, mais les bénéfices réalisés n’étaient pas suffisants pour rattraper les premiers arriérés », raconte-t-il. En 2013, au moment où il commence à sortir la tête de l’eau, Bruno Daumont est victime cette fois de l’arrivée d’une pharmacie axée sur le discount. Les marges fondent et la pharmacie se retrouve en procédure de sauvegarde en février 2014 puis en redressement en février 2015. « Si elle a échappé à la liquidation, c’est parce que la BNP n’a pas répondu dans les délais pour s’opposer à mon plan de redressement. » Au final, la banque a d’ailleurs fait appel de la décision du juge…

80 %

des officines en difficulté sont touchées par l’endettement

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