TITULAIRES ET ADJOINTS DANS LE MÊME BATEAU - Le Moniteur des Pharmacies n° 3110 du 09/01/2016 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3110 du 09/01/2016
 
NOUVELLES MISSIONS

Dossier

Auteur(s) : François Pouzaud

Accaparés par la gestion de leur entreprise, les titulaires délèguent souvent les nouvelles missions aux adjoints. Certains « s’éclatent » dans la mise en œuvre de la loi HPST. Mais exerçant dans des officines moins investies, d’autres restent sur leur faim. Et si les nouvelles missions étaient un des leviers permettant de resserrer le lien entre titulaires et adjoints ?

La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 a instauré pour les officinaux de nouvelles missions comme la mise en place des entretiens pharmaceutiques AVK et asthme, la pratique des tests de dépistage et d’orientation au diagnostic, les actions hors les murs de l’officine au sein des réseaux de soins, des maisons ou des pôles de santé, l’éducation thérapeutique du patient, les actions d’accompagnement de patients, les coopérations interprofessionnelles… Dans de nombreux cas, ces missions sont exercées par les pharmaciens adjoints, en accord avec les titulaires qui leur octroient du temps et des moyens. Chacun y trouve son compte. D’un côté, les adjoints vivent des expériences professionnelles épanouissantes, leur permettant de gagner en reconnaissance et en compétence. De l’autre, les délégations de tâches sont en général bien appréciées par les titulaires qui, eux, faute de temps et en raison de leurs obligations de chef d’entreprise ne peuvent pas toujours s’investir dans les nouvelles missions. « Les portes d’entrée sur de nouvelles missions de suivi des patients vont se multiplier dans l’avenir. Il est évident que les adjoints seront un relais extrêmement important pour les mettre en place dans l’officine », indique Philippe Denry, président de la commission « relations sociales et formation professionnelle » de la FSPF. Un rôle totalement légitime à ses yeux : « L’adjoint est plus orienté sur la fonction métier que le titulaire, il est tout à fait à même de chapoter l’organisation des entretiens pharmaceutiques en coordination avec lui. »

« L’avenir de la pharmacie ne peut se construire sans les adjoints »

La mise en œuvre de la loi HPST a ainsi permis de créer un nouveau tandem entre adjoint et titulaire, complémentaire, avec comme challenge commun l’amélioration de la prise en charge du patient. Jérôme Paresys-Barbier, président de la section D de l’Ordre, s’en félicite et invite régulièrement les adjoints à prendre des initiatives, à sortir de leur zone de confort et de l’immobilisme pour s’investir dans ces missions, mais aussi dans la création de nouveaux services. Il les encourage à proposer, impulser de nouvelles orientations pour la pharmacie, voire à contractualiser avec leur titulaire dans le cadre des holdings. « L’avenir de la pharmacie ne peut se construire sans les adjoints, exhorte Jérôme Paresys-Barbier. Ils ont tous les outils à disposition pour avancer, libre à eux de les utiliser ou pas, pour bâtir des choses nouvelles ! »

Ce message, des adjoints l’ont entendu et compris. Nombre d’entre eux participent activement à la concrétisation des nouvelles missions au sein et en dehors de l’officine, donnant naissance à de beaux projets en synergie avec les titulaires. Ainsi, Denis Cassaing, adjoint à Fleurance (Gers), participe à un programme d’éducation thérapeutique du patient (ETP) diabétique de type 2 pour lequel il a suivi la formation de 40 heures requise. Mais son implication dans l’ETP va bien au-delà : il a créé en 2011 l’association Eduphar, à laquelle adhèrent 52 des 80 pharmacies de son département.

En pratique, les ateliers de groupe (séance collective) se déroulent dans une salle en ville, alors que les entretiens individuels, inscrits au programme et consacrés au diagnostic éducatif initial, sont réalisés par cet adjoint dans l’officine où il est salarié. « Lors de ces séances, j’évalue quels sont les besoins du patient et décide avec lui des objectifs à atteindre, raconte Denis Cassaing. L’idée de participer à un programme d’ETP nous est venue ensemble avec le titulaire, avant même de songer à la mise en place des entretiens AVK. J’ai accepté cette nouvelle mission que je perçois comme une manière différente de faire mon travail, elle fait donc partie intégrante de mon activité officinale. Dès lors que ces entretiens individuels ont lieu dans l’officine, pendant mes heures de travail, je trouve normal de ne pas avoir de rémunération spécifique. En revanche, les séances collectives qui sont organisées sur mon jour de repos font l’objet d’une rémunération à part qui équivaut, au niveau du tarif horaire, à ce que je gagne en tant qu’adjoint. »

Denis Cassaing a jusqu’ici réalisé une soixantaine d’entretiens individuels. Il est séduit par cette nouvelle approche de la relation avec le patient qu’il envisage d’étendre maintenant aux malades atteints d’un cancer. Sa motivation n’est nullement financière, même si sa démarche a renforcé la réputation de sérieux et de qualité de l’officine. Il se satisfait d’avoir pu asseoir sa compétence tant auprès des patients que des autres professionnels de santé.

Les heures de travail dans le cadre de l’URPS payés le double qu’en officine

Isabelle Geiler, adjointe à Haubourdin (Nord), est passionnée par la prise en charge des jeunes mamans au cours de l’allaitement. Elle a pris à bras-le-corps les nouvelles missions en s’impliquant à titre bénévole dans un réseau de santé en périnatalité. Avec le soutien de ses titulaires. Car les impératifs du travail en réseau l’obligent à quitter plus tôt ou à arriver plus tard à l’officine, même si une partie de cette nouvelle activité est réalisée sur son temps libre. Elle s’investit sans compter, notamment en passant le diplôme interuniversitaire de lactation humaine et allaitement maternel. L’adjointe prend rapidement du grade (responsable de la commission officine, élue représentante des pharmaciens au sein de son conseil d’administration participation à des groupes de travail) et de nouvelles fonctions (enseignant vacataire à la faculté de pharmacie de Lille et de Dijon, chargée de mission à l’URPS Nord-Pas-de-Calais) : « Contrairement à un titulaire, un adjoint n’est pas accaparé par le travail de gestion. Il a donc l’esprit plus libre pour s’impliquer dans des missions de santé. Adjoints et titulaires sont donc complémentaires. » A 38 ans, elle réalise qu’elle a beaucoup de chance de pouvoir aller jusqu’au bout de ses projets et de s’épanouir dans ses activités extra-officinales. « Cette liberté d’entreprise n’est pas à la portée de tous les adjoints. C’est très variable d’une officine à l’autre, en fonction de la structure et des souhaits des titulaires. » La pharmacie où travaille Isabelle Geiler en tire également bénéfice. « Une relation de confiance s’est établie avec les professionnels de santé et les maternités, et mon engagement a permis de recruter une nouvelle patientèle et de développer de nouvelles gammes pédiatriques à l’officine. Les titulaires m’en sont reconnaissants et m’octroient des primes. » Même si elle ne fait pas cela pour de l’argent, elle confesse que les heures de travail dans le cadre de l’URPS sont payées le double de ce qu’elle touche en officine. Voilà de quoi stimuler quelques vocations !

Nathalie Lalegerie n’a pas non plus rencontré de résistance lorsqu’elle a décidé de s’occuper de la gérance d’un pôle de santé. Et pour cause, le titulaire n’est autre que son mari. Ensemble, afin de lutter contre la désertification médicale, ils ont soutenu la création d’une maison de santé pluridisciplinaire dans leur commune rurale de Chindrieux (Savoie). « Le projet est né il y a deux ans quand on a appris que nous allions perdre notre prescripteur principal. » L’exercice regroupé des professionnels libéraux dans cette maison de santé construite par la mairie est porté par une société interprofessionnelle de soins ambulatoires (SISA). « Nous avons pu faire venir un médecin et sa collaboratrice, également médecin, et aujourd’hui la SISA regroupe une vingtaine de professionnels de santé. Le travail de gérance de la SISA m’occupe deux heures par semaine. Et je participe à la mise en place d’un protocole de suivi de patients diabétiques et hypertendus, en trinôme avec un médecin et une infirmière. » Tout cela pour une rémunération annuelle de 1 000 euros. A l’officine, une autre mission l’attend : les entretiens pharmaceutiques. « Cela m’oblige à mettre à niveau mes connaissances. » Elle en tire beaucoup de satisfaction et se nourrit de la reconnaissance des clients : « Depuis la conduite de ces entretiens, je me sens plus à l’aise au comptoir et constate que les patients portent un regard différent, voyant en moi davantage un professionnel de santé qu’un commerçant. »

Des frustrations, de l’amertume et des espoirs parois déçus

Mais tous les adjoints n’ont pas cette chance de pouvoir s’impliquer dans l’ETP ou de gérer une SISA. De nombreux titulaires se montrent toujours frileux ou peu motivés par les nouvelles missions, notamment du fait de la question économique. Dans un condiv de baisses de prix des médicaments et de récession pour l’officine, les nouvelles missions portées par les divs peuvent parfois paraître compliquées à mettre en place. « Les retards de paiement sur les entretiens AVK et le faible démarrage de ceux sur l’asthme ont refroidi nos confrères qui ont du mal à avoir, pour l’instant, une perception positive des nouvelles missions à l’officine, souligne Philippe Denry. De fait, ils ont plus de difficultés à inciter et libérer les adjoints pour qu’ils s’investissent également. A la FSPF, nous faisons tout notre possible pour motiver les troupes et faire en sorte que les titulaires ne lâchent pas les entretiens pharmaceutiques, même s’ils représentent pour l’heure une ressource minime pour l’officine. »

La situation est donc très contrastée d’une pharmacie à l’autre. Dans celles qui ne jouent pas le jeu, la déception, pour ne pas dire la frustration, a pris le pas sur les espoirs suscités. Un temps séduit par l’attrait de la nouveauté, par la promesse du changement, des adjoints ont aujourd’hui la désagréable impression que la loi HPST leur échappe, du fait du déni des nouvelles missions par le titulaire. Ne souhaitant pas être cités ou s’exprimant de manière anonyme sur le forum du site lemoniteurdespharmacies.fr, beaucoup d’adjoints sont désabusés. Ils ont le sentiment que leur diplôme et leurs connaissances ne sont reconnus que par une minorité de titulaires. Ou sont amers parce qu’ils se forment en dehors des heures de travail, sans être payés, et qu’ensuite leur titulaire en tire un revenu.

Ainsi, par exemple, un adjoint se plaint du manque de reconnaissance de son titulaire qui lui demande de faire ce qu’il ne veut pas lui-même effectuer. Une jeune diplômée très motivée, dont la thèse portait sur l’éducation thérapeutique, témoigne de sa frustration car « dans l’impossibilité de s’épanouir sans changer d’officine ». Mais, « avec un taux de chômage de 12 % chez les adjoints, en progression de 60 % au cours des cinq dernières années, certains ne prendront pas le risque de démissionner », souligne Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de Force ouvrière-pharmacie. D’autres voudraient mettre en place une démarche qualité dans l’officine mais leurs titulaires, empêtrés dans une politique de rentabilité à court terme, ne manifestent aucun intérêt pour ce sujet. Un autre adjoint regrette l’absence de zone de confidentialité et de projet d’en créer par son titulaire. Et quand bien même la volonté du titulaire serait réelle, le rythme intensif au comptoir rend illusoire l’espoir de mener des entretiens pharmaceutiques. Travaillant comme adjointe dans une pharmacie à Plaisir (Yvelines), Delphine Dumont a carte blanche de la part de son employeur pour en mener. « Je réponds ponctuellement aux demandes de patients mais on ne peut véritablement parler d’engagement dans cette démarche… Le temps me manque pour pouvoir réellement m’y investir, il faudrait pour cela que l’on me décharge d’autres tâches. »

Compétence nouvelle mais pas de rémunération nouvelle

L’adjoint est rémunéré en salaire pour son activité. S’il exerce des nouvelles missions, pourquoi ne seraient-elles pas intégrées à sa rémunération ? Cette question ne manque pas d’être soulevée par les adjoints. Mais compte tenu de leur l’activité salariée et de l’absence de statut de professionnel libéral, ils ne sont pas fondés à recevoir d’honoraires, à plus forte raison quand cette prestation est réalisée pendant leurs heures de travail à l’officine. Agissant sous la responsabilité de leur titulaire, ils accomplissent de nouvelles missions, ès qualités. La rémunération revient donc à l’officine.

Par conséquent, demander que la rémunération aille à l’adjoint qui réalise cette nouvelle mission et l’inscrire dans la convention collective est peine perdue. « Les employeurs ne sont pas prêts à négocier ce genre de reconnaissance. Ils considèrent que les nouvelles rémunérations doivent servir à récupérer ce que la pharmacie a perdu et à maintenir les emplois », explique Olivier Clarhaut. Sur ce point, Philippe Denry est très clair : « L’adjoint perçoit une rémunération précisée dans son contrat de travail qui inclut toutes les activités exercées dans l’officine. Par conséquent, les seules rémunérations qu’il peut percevoir sont celles en rapport avec des missions réalisées à l’extérieur, en dehors de son temps de travail. Mais le titulaire reste libre de récompenser un adjoint par rapport au nombre d’entretiens pharmaceutiques qu’il a réalisés dans l’année. » Il peut le gratifier d’une prime ou d’un autre avantage. Par ailleurs, Philippe Denry estime qu’une compétence particulière sanctionnée par un diplôme universitaire ne peut être valorisée que si elle est réellement utilisée dans l’officine. « Mais en aucun cas, le fait pour un adjoint de se soumettre à ses obligations de formation continue ne peut justifier une rémunération spécifique. »

D’où parfois de l’amertume chez un adjoint dans la mesure où il fait l’effort de suivre une formation complémentaire et où cette ressource nouvellement perçue par l’officine n’est pas partagée. « Mais la situation n’est pas figée et il ne tient qu’aux adjoints de la faire évoluer », martèle Jérôme Paresys-Barbier. Comment ? En faisant en sorte que les adjoints puissent participer au capital de sociétés pharmaceutiques, des holdings et/ou des sociétés d’exercice libéral (SEL). Une façon de leur donner le goût de l’installation et d’avoir des pharmaciens, adjoints et titulaires, avec des intérêts communs pour avancer.

Ainsi, plus vraiment totalement salarié et déjà dans la peau d’un entrepreneur libéral, l’adjoint abordera différemment cet exercice mixte, davantage en symbiose avec le titulaire. Favoriser l’entrée des jeunes et faciliter la sortie des anciens, titulaires et adjoints dans le même bateau, n’est-ce pas le défi que doit relever une profession libérale afin de pérenniser son modèle ?

L’exception des SISA

Une rémunération complémentaire de l’adjoint est possible dans le cadre des SISA ou sociétés interprofessionnelles de soins ambulatoires. Elles permettent le regroupement des professionnels de santé relevant de professions différentes, perçoivent des financements publics et redistribuent ces sommes entre leurs membres. Auquel cas les adjoints agiront en professionnels de santé indépendants, mêmes s’ils s’occupent de clients de l’officine où ils sont salariés.

Le capital des SEL s’ouvre aux adjoints

Lors des débats portant sur le projet de loi relatif à la santé, un amendement présenté par le gouvernement, et adopté par les deux assemblées, est venu assouplir les conditions d’exercice en société des pharmaciens d’officine. Dans cet amendement, un pharmacien adjoint peut détenir, directement ou par l’intermédiaire d’une SPF-PL (société de participations financières de professions libérales), une fraction du capital de la SEL (société d’exercice libéral) dans laquelle il exerce son activité, dans la limite de 10 % du capital. Cet adjoint continue d’exercer dans le cadre d’un contrat de travail et demeure placé dans un lien de subordination à l’égard du ou des pharmaciens titulaires.

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