Se regrouper pour résister ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3106 du 05/12/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3106 du 05/12/2015
 

Groupements

Auteur(s) : François Pouzaud*, Magali Clausener**

La recomposition du paysage pharmaceutique est en marche avec, entre autres, les regroupements et les créations de groupes d’officines. Si l’objectif est d’avoir des structures financières plus solides, ce n’est pas pour autant que la pharmacie française pourra se passer des services des groupements.

Face à la baisse des chiffres d’affaires et de la rentabilité, aux fermetures dues au surnombre dans certaines zones, face aussi à la loi HPST et au nouveau mode de rémunération qui entérinent la nécessaire diversification des sources de revenus de l’officine, les pharmaciens se tournent de plus en plus vers l’exercice groupé à l’échelle local.

Les groupements applaudissent les initiatives qui vont dans le sens de la pérennité du réseau et du service de proximité. « La restructuration et le regroupement capitalistique entre les officines sont deux excellentes choses, ce sont des projets d’entreprise que les groupements sont prêts à accompagner », indique Jean-Pierre Dosdat, président d’Objectif Pharma. Jean-Christophe Lauzeral, directeur général opérationnel chez Giropharm, se félicite également de la réorganisation en cours du tissu officinal : « Nous poussons nos adhérents à se mailler pour tisser un ancrage local, le groupement intervenant comme une centrales de services. Les deux sont donc complémentaires pour contribuer au renouveau du maillage territorial. » Pour Laetitia Hible, présidente de Giphar, ce n’est pas un sujet nouveau : « Depuis quatre ans, nous nous sommes dotés d’un service développement-expansion-accompagnement. Notre équipe travaille avec les pharmaciens sur les transferts, les regroupements, l’analyse de bilans, les pôles et maisons de santé. Nous avons un rôle de facilitateur et d’accompagnement. »

Daniel Buchinger, président d’Univers Pharmacie, estime pour sa part que les structures officinales ne sont pas plus solides financièrement, en dépit des évolutions législatives sur les regroupements, holdings… « La preuve, nous passons d’une pharmacie fermant tous les trois jours à une fermeture tous les deux jours ! »

Willy Hodin, directeur général du groupe PHR, met en garde : « Il peut y avoir des embellies et une impression de puissance suite au regroupement de quelques pharmacies, mais l’euphorie générée risque d’être transitoire car l’enjeu de la pharmacie se situe aujourd’hui au niveau des réseaux nationaux, de l’usage des nouvelles technologies dans les relations B to B et B to C, de l’exploitation des énormes bases de données sur la santé et les patients. » Le modèle de Giphar : « Deux titulaires, deux millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela peut choquer certains, mais plus le chiffre d’affaires est important, plus il est facile de mettre en place les nouvelles missions des pharmaciens », commente Laetitia Hible.

Rafaël Grosjean, président de Pharmodel Group, s’accorde à dire également que ces nouvelles structures ne se suffiront pas à elles-mêmes : « Prenez n’importe quel grand secteur du commerce de proximité : optique, coiffure, parfumerie…. La puissance et l’enracinement local sont à encourager, mais c’est toujours en les inscrivant dans la dynamique des réseaux et enseignes nationaux que les marchés se sont structurés et que les opérateurs ont trouvé les moyens d’exister et de se renforcer. » Pierre-François Charvillat, directeur général adjoint de Forum Santé, rappelle d’ailleurs qu’il existe des réseaux succursalistes sous enseigne.

L’apologie de l’enseigne

Pour les groupements, les pharmaciens, qu’ils exercent dans une officine isolée ou au sein d’un regroupement de quatre ou cinq pharmacies, auront toujours besoin de leurs services. « Un groupe local n’aura jamais la puissance de feu en termes de moyens et la puissance créative d’un groupement », souligne Willy Hodin. Un point qui fait l’unanimité chez les groupements. « Plus l’économie se complique, plus les pharmaciens individuels auront besoin de se regrouper à une échelle importante pour bénéficier de ressources mutualisées », pense Serge Carrier, directeur général de Pharmactiv. « Un groupe isolé n’aura pas les moyens suffisants pour faire face aux enjeux de l’officine de demain et porter les changements nécessaires », ajoute Jean-Pierre Dosdat. « Pas plus qu’il n’aura l’expertise de grands groupes dont la taille permet de mutualiser les ressources nécessaires au développement des officines d’un réseau et à l’augmentation de leur rentabilité », remarque Laurence Bouton, directrice d’Alphega Pharmacie.

Pour les patrons d’enseignes, penser que ces groupes pourraient faire sans elles, c’est méconnaître leur offre actuelle. « En pharmacie, on envisage trop souvent l’enseigne comme un simple logo associé à une charte graphique, constate Rafaël Grosjean. Mais une enseigne, c’est bien plus que cela, c’est l’accélération des courbes d’apprentissage et la définition des meilleures pratiques, la massification et la rationalisation des coûts, l’internalisation et la maîtrise de la politique et des outils marketing, une politique efficiente d’assortiment et d’approvisionnement, des investissements en recherche pour toujours anticiper et relever les prochains défis… » Jean-Pierre Dosdat rappelle que la marque d’enseigne est un moyen de reconnaissance auprès des consommateurs : « Elle est basée sur des standards supérieurs de services reconnus et perceptibles par les clients. » « L’enseigne c’est un étendard. Le pharmacien choisit les valeurs de l’enseigne et les affiche. De fait, il n’y aura pas demain les mêmes services dans toutes les officines, il y aura une spécialisation et une différence entre les pharmacies. C’est inéluctable, car on ne pourra pas mettre en place tous les services dans toutes les pharmacies », juge Laetitia Hible. Pour Pierre-François Charvillat, la différence entre les services d’un groupe et ceux d’une enseigne ne se situe pas au niveau des achats mais de la capacité à créer de la fréquentation sur le point de vente et à apporter un accompagnement managérial, « car piloter un groupe de 5 officines et plus, c’est plus difficile que d’en diriger 2 ou 3 ».

Pourtant, la part encore modeste des enseignes dans le paysage pharmaceutique, avec 17 réseaux regroupant environ 30 % des officines qui adhérent à tout ou partie des concepts qui leur sont proposés, témoigne du faible adultisme du réseau. « Lorsque l’on envisage l’enseigne dans sa véritable acception, on peut se demander si le fait en 2015 d’opposer encore l’organisation locale aux mouvements nationaux (ou d’imaginer une forme d’incompatibilité) n’est pas l’illustration d’un manque de maturité de notre marché », s’interroge Rafaël Grosjean. Paradoxalement, les pharmaciens jugent les groupements les mieux placés pour les aider à s’adapter aux évolutions, à relever les grands défis que sont la vente en ligne, la mise en place de stratégies cross canal, l’automatisation et la digitalisation du point de vente et des services aux patients, selon une enquête Les Echos Etudes et Celtipharm de janvier 2015.

Pour une pharmacie connectée

La transformation digitale révolutionne les comportements des patients de mieux en mieux informés sur leur santé et redessine les contours de la relation pharmacien/patient fondée sur la proximité, le dialogue et le contact permanent. « Nous vivons un paradoxe, explique Philippe Pasdeloup, président d’Alphega Pharmacie. Les patients ont un accès plus rapide à l’information par les supports digitaux mais ils ont de plus en plus besoin d’un expert en santé facilement accessible pour rechercher le meilleur conseil par rapport à ce qu’ils ont appris. » D’où l’importance pour Laurence Bouton d’être accompagné par un groupement qui intègre cette nouvelle dimension patient. Giphar a également cette stratégie. Le groupement propose déjà des applications à destination des patients sur l’aromathérapie et l’homéopathie, mais aussi pour l’envoi d’ordonnance pour leur préparation par le pharmacien. Giphar travaille aussi sur une borne interactive permettant aux patients d’accéder à un catalogue de matériel, de commander et de se faire livrer soit à domicile, soit à l’officine.

Selon Willy Hodin, l’avenir des pharmaciens et des groupements dépendra de leur capacité à intégrer les nouvelles technologies liées à la santé dans un même outil marketing et de services : « Le challenge à relever n’est plus celui du cross canal mais de l’omnicanal qui fait appel à la coexistence de tous les systèmes de communication pour que la relation ne soit jamais interrompue entre le pharmacien et son patient. »

Pour Serge Carrier, la digitalisation est un boulevard qui s’ouvre devant la pharmacie. « Elle donne énormément de pouvoir à des réseaux tels que le nôtre qui capitalise sur l’expérience de tous les pays du groupe : 550 pharmacies Pharmactiv dotées d’un site Internet, une présence sur les réseaux sociaux, détaille-t-il. Tout cela concourt à une plus grande visibilité de la marque d’enseigne, à renforcer la proximité avec les patients/consommateurs et leur orientation dans les points de vente de nos adhérents, à l’immédiateté de l’information et à une rapidité d’exécution dans la mise en place d’offres de services dans les officines du réseau. S’agissant de l’animation de sites Internet, sauf à être un pure player de la vente en ligne, un groupe de personnes n’aura jamais la persévérance que peut avoir un groupement structuré, il finira par s’essouffler. » Laetitia Hible évoque aussi la pharmacie connectée au profit des pharmaciens eux-mêmes et donne l’exemple d’applications back-office d’alertes sur les approvisionnements ou de mise en place des produits en adéquation avec les préconisations du groupement.

De meilleures conditions d’achat

Ces bouleversements ne pourront être abordés que si les pharmaciens adhèrent à des réseaux intégrés et disciplinés. « L’indépendance se construit ensemble et sur tout, martèle Willy Hodin. Un groupe de pharmacies pourra gagner en indépendance au niveau des achats, mais deviendra dépendant d’autres acteurs tels que les fournisseurs de solutions high-tech. »

Daniel Buchinger invite les pharmaciens à être vigilants dans le choix de leur partenaire. « Les groupements et enseignes qui ne vivaient que sur le générique ont un avenir difficile, voire sont en perte de vitesse », prévient-il. « Groupe et groupement ne sont pas antinomiques dès lors que le problème des achats aura été réglé », insiste Jean-Christophe Lauzeral. Car l’enjeu de la réforme à conduire est de déléguer les achats aux groupements pour « libérer le pharmacien de ses contingences marchandes, afin qu’il se consacre totalement à son patient ». « La mission première d’un groupement est de remettre le pharmacien derrière son comptoir, c’est-à-dire de lui donner les moyens pour dégager du temps au bénéfice des patients », résume Laetitia Hible.

Jean-Pierre Dosdat, vice-président de Federgy, la chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacies, est très optimiste quant aux possibilités d’évolution de ce dossier. Les actions en cours pour faire sauter les verrous des conditions commerciales discriminatoires imposées par certains laboratoires devraient aboutir, mettant ainsi fin au paradoxe selon lequel les pharmaciens obtiennent plus de remises, seuls et en direct, que groupés sur des plateformes.

ILS ONT CONTRIBUÉ À CE NUMÉRO

Christian Grenier, président de Federgy*

* Les groupements adhérents de Federgy sont : Alphega Pharmacie, APFK, Apsara, CEIDO, Evolupharm, Giphar, Giropharm, Népenthès, Objectif Pharma, Optipharm, Pharmactiv, Pharma Group Santé, Pharmodel Group, PHR, Plus Pharmacie, Réseau Santé.

Pascal Louis, président du CNGPO*

* Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (regroupant 12 000 pharmacies).

Laurent Filoche, président de l’UDGPO* depuis octobre 2015

* Union des groupements de pharmaciens d’officine (représentant plus de 8 500 pharmacies).

Lucien Bennatan, président de l’UDGPO (novembre 2014 à septembre 2015)

Christian Grenier Président de Federgy

Un commerce spécialisé moderne

Federgy est né de la volonté de faire reconnaître les groupements et enseignes de pharmacies dans toutes leurs fonctions professionnelles : achats, ventes, services. A un moment crucial de l’évolution de la profession, les groupements ont un rôle essentiel à jouer pour que la pharmacie d’officine devienne un commerce spécialisé moderne. Les achats en sont un bon exemple. Déléguer cette fonction à un groupement permet de bénéficier de meilleures conditions commerciales, mais, avant tout, de dégager du temps pour se consacrer à nos deux métiers : la dispensation et les services ; le conseil et la vente. Garantir la qualité de la dispensation et augmenter le pouvoir d’achat des Français ne peut se faire sans des achats sûrs et de qualité.

Cela ne suffit pas. Pour faire face aux évolutions de la société et des autres commerces, nous devons obtenir la reconnaissance des enseignes, développer des solutions d’e-commerce pour les médicaments et les produits de santé en créant des outils mutualisés et des plates-formes, disposer de marques propres.

Enfin, la pharmacie ne peut pas rester isolée du monde. Elle doit aussi disposer des mêmes atouts que les autres commerces organisés. Elle doit pouvoir communiquer, dans le respect des règles déontologiques, auprès des patients et plus largement des usagers de la santé. Federgy demande depuis plusieurs mois l’organisation d’« assises de la communication ». C’est une condition sine qua non pour que notre profession évolue et réponde aux préoccupations de la population. La grande mutation de notre profession sera le passage de l’achat (back up) à la vente (front office). C’est notre vision de la pharmacie en 2020.

Pascal Louis Président du CNGPO

L’importance des ROSP insuffisamment comprise

Le métier de pharmacien d’officine connaît une vraie révolution et c’est une récompense pour le travail des groupements qui depuis leur création l’ont incité à introduire de nouvelles missions dans sa pratique quotidienne. Après des années passées avec un principe de rémunération commerciale et d’exercice essentiellement axé sur la bonne dispensation des médicaments prescrits, il nous est demandé aujourd’hui de jouer un rôle majeur dans l’amélioration des soins et proposé d’y adjoindre une rémunération. Ce cap est d’autant plus difficile que les résultats sur l’économie de l’officine ne sont pas très encourageants. L’importance des ROSP (rémunérations sur objectifs de santé publique) n’a peut-être pas été suffisamment comprise par tout le monde. Ces missions complémentaires à notre exercice traditionnel de dispensation revêtent un caractère essentiel à l’avenir du métier de pharmacien d’officine, tant sur le plan de la santé publique que sur le plan économique. Si le premier critère semble évident, l’impact économique perçu comme négligeable lors des premiers entretiens pharmaceutiques deviendra de première importance lorsque le périmètre des missions s’élargira de façon significative. Et cette évolution est inéluctable, car le système de santé français est voué à s’appuyer de plus en plus sur le réseau pharmaceutique et sa capacité à s’adapter aux besoins de nos concitoyens.

Les groupements en ont compris les enjeux économiques, mais savent également que les pharmacies jouent leur avenir sur cette capacité à s’adapter dans un environnement de santé publique contraint.

Laurent Filoche Président de l’UDGPO

La concurrence n’a pas de prise sur le service

La pharmacie doit entamer dès aujourd’hui sa mutation afin d’assurer la pérennité de son modèle. La distribution pure et dure de boîtesde médicaments trouve maintenant ses limites. Nous allons nous heurter à la fois à l’appétit d’autres réseaux, mais aussi à des habitudes de consommation qui changent avec la massification des ventes par Internet.

Cependant, il est un domaine où la concurrence n’a pas de prise : celui du service. Ce service est réalisé souvent de manière empirique, et quasiment toujours gratuitement. Nous envoyons deux mauvais signaux à la population et aux autorités : nous gagnons assez d’argent avec notre marge commerciale pour offrir ces services et ceux-ci sont de piètre qualité, car ce qui est gratuit n’a pas de valeur. C’est ce modèle qu’il nous faut changer. Mais pour donner un prix juste, il faut que le service soit normé. Les groupements sont là pour effectuer ce travail en collaboration avec leurs adhérents.

Certaines enseignes pourront en créer de nouveaux et se spécialiser, ou spécialiser une partie de leur réseau. Au-delà des possibilités de communication limitées par une réglementation d’un autre âge, c’est le défaut de spécialisation, de segmentation de l’offre, qui empêche leur développement.

Comme dans chaque mutation, ce processus sera long et demandera énormément d’investissements avec peu de retours au départ. Il nous faut tous aller dans le même sens pour que la pharmacie de demain ne soit plus un concept, mais une réponse à la crise que traverse notre profession et à la demande de nos concitoyens.

Lucien Bennatan Ancien président de l’UDGPO

Réinventer la pharmacie

Plus que jamais, la pharmacie française doit se réinventer, s’affranchir de ce qu’elle pense être son cœur de métier : acheter, discutailler les prix, gérer la logistique et l’administratif, se focaliser sur le produit, pour renouveler ses pratiques, valoriser son cœur d’activité : lutte contre l’iatrogénie, développement de l’observance, accompagnement des patients aigus et chroniques et, surtout, mettre ses talents au service de la « bonne santé », du développement de l’ambulatoire et de la gestion des traitements. Bousculer ce que l’on connaît de notre métier pour le reconstruire différemment ! Faute de quoi, la profession donnera une nouvelle fois raison à Schumpeter et à son concept de « destruction créatrice ». A côté des commerçants, casseurs de prix, fossoyeurs de la profession se drapant dans de beaux discours services ou se noyant dans la mare aux illusions régionales ou locales, des groupements nationaux proposant une offre complète seront les seuls à réussir à greffer sur le modèle actuel les innovations pour faire mieux et gagner plus, pour gagner mieux et faire plus. Réinventer la pharmacie pour développer le potentiel économique, apprivoiser les innovations pour une prise en charge rationnelle des patients, des clients, être acteur du changement, créer de la transversalité, de la confiance, de la qualité, pouvoir le faire savoir, être impliqué dans les parcours de soins, le parcours de santé, en travaillant dans une pharmacie qui aura intégré les évolutions technologiques et comportementales… Vivement 2016 !

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