Des pharmaciens témoignent

Dans toutes les officines, les attentats du vendredi 13 novembre à Paris ont suscité le besoin d’exprimer angoisse et désolation. Et plus encore pour les habitants des quartiers touchés de la capitale, qui ont afflué dans leurs pharmacies. « Le lendemain matin, c’était le contrecoup. Et, depuis lundi, c’est aussi le bilan macabre des voisins et des connaissances qui sont morts. Il y a ce besoin de parler avec nous comme avec des proches. La vie de quartier s’est transformée en vie de famille », témoigne, lui-même encore choqué, un pharmacien installé aux abords du Bataclan.

Juste à côté de la salle de spectacle, la Pharmacie du Bataclan était inaccessible jusqu’à la levée du périmètre de sécurité, lundi 16 en milieu d’après midi. « Nous avons pensé à toutes ces personnes âgées, souvent seules, qui n’ont trouvé personne à qui parler pendant tout le week-end », rapporte Delphine Cohen. Depuis, la titulaire reçoit de nombreux clients qui ne peuvent s’extraire de ce qu’ils ont vu ou entendu. « Certains d’entre eux ont accueilli des rescapés. Chacun a son récit. Mais, au final, ce sont des scènes très dures. »

Le traumatisme des riverains s’exprime de la même manière dans l’officine voisine de Géraldine Wizman : « Ils parlent des coups de feu, des cris, des victimes et de ce sang que j’ai retrouvé jusque sur la vitrine. » Lorsqu’elle ne peut pas faire face, la pharmacienne oriente vers la cellule psychologique activée à la mairie du XI^e arrondissement. « Au-delà d’écouter et de rassurer, je ne sais pas si les mots que j’emploierais sont les bons. Et je ne me sens pas suffisamment forte. Que dire à cette maman de jeunes enfants chez laquelle la police a brutalement fait irruption pour prendre possession des fenêtres ? Et à ce garçon de 18 ans qui a quitté les lieux peu avant l’attaque, laissant cinq copains qui n’ont pas survécu ? »

Une préparatrice et le fils d’une titulaire décédés

Géraldine Wizman se remémore le jour du drame. Comme souvent lorsqu’un concert a lieu au Bataclan, des spectateurs sont venus lui acheter des boules Quies. « Il y avait parmi eux des vrais rockers avec des chaînes. On en a plaisanté ensemble. Mais cette fois, je ne sais pas ce qu’ils sont devenus. » La pharmacienne confie sa peur d’autres attentats. Et son sentiment d’impuissance, le soir même, alors que son officine lui était inaccessible. « On a nos brevets de secourisme et il y avait besoin de bandes, de compresses… »

Un peu plus loin, sur le boulevard Richard-Lenoir, Alain Sebban se sent revivre les jours qui ont suivi l’attentat dans les locaux de Charlie Hebdo, tout proches. Ce samedi était plus calme qu’à l’ordinaire dans son officine. « Contrairement aux clients habituels, qui viennent vider leur sac, les badauds qui sont rentrés n’évoquent pas le sujet. Mais leur malaise est palpable, ils ont une façon toute particulière de dire bonjour. »

Le propre cousin du pharmacien a réchappé au carnage du Bataclan en s’enfuyant par les toits. Fatigué, il venait de quitter la fosse pour monter au balcon. Ceci pour se rappeler que la profession a aussi été directement touchée par le drame. Une préparatrice est décédée et Maxime, fils de Marie-Laure Bouffard, pharmacienne à Saint-Cyprien (Dordogne), est mort au Bataclan.