CANNABIS THÉRAPEUTIQUE : IL NE SOIGNE PAS LES RÉTICENCES - Le Moniteur des Pharmacies n° 3102 du 07/11/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3102 du 07/11/2015
 

Dossier

Auteur(s) : Mathieu Nocent

Le cannabis contient environ 70 molécules, appelées cannabinoïdes, n’existant pas ailleurs. Les recherches sur l’usage médical du cannabis progressant, on entrevoit mieux les bénéfices et risques à faire des cannabinoïdes des médicaments. Pour autant, le cannabis peine à soigner les peurs et réticences.

Alors que le premier des cannabinoïdes, le THC (delta-9-tétrahydro-cannabinol), fut découvert en 1964, aucun médicament à base de cannabinoïdes n’est à ce jour disponible en France. Deux ans après avoir obtenu son autorisation de mise sur le marché (AMM), Sativex, un spray buccal composé d’un mélange de deux extraits de cannabis, n’est en effet toujours pas commercialisé. De part et d’autre du ministère de la Santé, deux camps s’affrontent. Pour certains, la mise sur le marché de Sativex est une première étape vers une dépénalisation du cannabis. Ils prônent une politique strictement prohibitive. D’autres considèrent qu’il s’agit d’un pas timide vers une légalisation de l’usage thérapeutique du cannabis. Associée à une politique de réduction des risques, elle répondrait selon eux à l’attente d’un grand nombre de patients.

Le Pr Jean Costentin, membre de l’Académie de médecine et président du Centre national de prévention, d’études et de recherche sur les toxicomanies, est opposé à la commercialisation de Sativex. « Le THC provoque une dépendance peut-être même plus forte que l’alcool et le tabac. Rapidement éliminé de la circulation sanguine, il s’accumule et se stocke durablement dans le cerveau du fait de son caractère lipophile. Il suffit ainsi de fumer un joint tous les trois jours pour entretenir une dépendance », argumente-t-il. Deux études datées de 2014, rapportées par l’International Centre for Science in Drug Policy (ICSDP), concluent pourtant à une probabilité de dépendance à vie au cannabis de 9 % contre 67,5 % pour la nicotine et 22,7 % pour l’alcool. Sans compter que d’autres classes de médicaments, comme les benzodiazépines, engendrent une dépendance qui n’est plus à démontrer.

D’où vient alors cette méfiance particulière vis-à-vis de l’effet toxicomanogène du cannabis et de son principe actif le plus puissant, le THC ? Pour Fabienne Lopez, présidente de Principes Actifs, une association regroupant des patients en faisant usage, « c’est le débat sur le cannabis récréatif qui a diabolisé la plante ». Ce que confirme Denis Richard, pharmacien au centre hospitalier Henri-Laborit de Poitiers et div d’un Cannabis dans la collection « Que sais-je ? » (2010, éditions PUF) : « Il y a une image très négative du cannabis qui engendre des réticences d’ordre politique. »

Efficacité thérapeutique et effets indésirables restent peu documentés

Le cannabis et les cannabinoïdes ont-ils démontré scientifiquement leur innocuité et leurs activités thérapeutiques ? Des chercheurs de la faculté de médecine de Yale ont analysé les résultats de 79 essais cliniques sur leur utilisation dans des indications variées. L’étude, publiée en juin 2015 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), conclut qu’il serait « nécessaire d’effectuer des essais cliniques étendus solides pour confirmer les effets des cannabinoïdes, ainsi que des recherches supplémentaires pour évaluer la plante de cannabis elle-même étant donné qu’il existe peu de données scientifiques décrivant ses effets ». Vingt-cinq ans après la découverte de récepteurs du système endocannabinoïde dans de nombreux organes du corps humain, la communauté scientifique n’en sait pas beaucoup plus sur les opportunités thérapeutiques qui en découlent. La faute au statut légal du cannabis qui en limite l’utilisation clinique. La faute également au peu d’engouement que suscitent les cannabinoïdes dans l’industrie pharmaceutique.

Tjalling Erkelens est le P-DG de Bedrocan, une firme néerlandaise qui commercialise dans certains pays des fleurs séchées de cannabis dont les taux de cannabinoïdes sont reproductibles et contrôlés. Ses produits pourraient servir de principes actifs à de futurs médicaments. Mais ils intéressent peu les grands laboratoires, « parce que la plante et ses molécules naturelles ne sont pas brevetables », regrette-t-il. Pour obtenir une exclusivité d’exploitation, « il faut changer la structure de la molécule et la breveter. Ou breveter une formulation originale qui apporte une innovation. » Selon Denis Richard, « les laboratoires restent très sensibles à la réticence des gouvernements. Le très faible service médical rendu attribué à Sativex est très largement politique. » Le médicament, aujourd’hui commercialisé dans quinze pays, n’apporte, pour cette instance, pas d’avantage clinique démontré. Un diagnostic partagé par le Pr Costentin pour qui l’AMM de Sativex est un « bidouillage qui répond à la pression d’un lobby puisque le rapport bénéfice/risque du THC est particulièrement mauvais ». Il dénonce notamment l’influence néfaste du THC chez les sujets vulnérables à la schizophrénie et son rôle dans l’aggravation des troubles cognitifs chez les personnes âgées. En contrepoint, l’ICSDP considère, elle, que la littérature scientifique ne démontre pas une relation de cause à effet entre l’usage de cannabis et la schizophrénie. Et que si la consommation de cannabis s’accompagne bien, notamment chez les plus jeunes, de troubles cognitifs, les données scientifiques se contredisent quant à leur sévérité, leur persistance et leur réversibilité.

L’amalgame avec le cannabis récréatif nourrit les peurs

Pour les tenants d’une politique prohibitive, la mise sur le marché de Sativex est un très mauvais signe. Serge Lebigot, président de l’association Parents contre la drogue, y voit un « pas de plus vers la légalisation du cannabis ». Difficile pourtant de trouver un lien entre l’utilisation des cannabinoïdes à des fins thérapeutiques et une politique plus permissive vis-à-vis du cannabis. En Europe par exemple, Sativex est autorisé depuis 2011 en Suède sans autre mesure de dépénalisation. En Espagne, où Sativex est commercialisé, la production et l’utilisation personnelle de cannabis sont légales. En Italie, la culture personnelle du cannabis reste prohibée, mais les produits Bedrocan sont vendus en pharmacie. Ces fleurs séchées de cannabis, fabriquées aux Pays-Bas et disponibles en pharmacie sur prescription médicale, sont importées en Finlande, Allemagne, Italie et République tchèque suite à des accords passés entre ces pays et le gouvernement néerlandais.

Rien n’indique aujourd’hui que le gouvernement français souhaite aller dans ce sens. Lors de l’approbation de Sativex, le 9 janvier 2014, le ministère de la Santé avait au contraire pris grand soin de préciser qu’« il ne s’agissait pas d’une légalisation du cannabis thérapeutique ». Mais une mise à disposition légale du THC fait craindre aux défenseurs de la prohibition un détournement de l’usage de Sativex. « Subutex, traitement substitutif aux opiacés, fait l’objet de trafics. Pourquoi pas le Sativex ?, questionne Serge Lebigot. Quels contrôles y aura-t-il lors de sa commercialisation, notamment auprès des médecins ? Est-ce que demain des adolescents ne pourront pas aller en acheter ? »

« Ceux qui utilisent le cannabis pour des raisons thérapeutiques ne recherchent pas les mêmes effets que ceux qui l’utilisent pour se défoncer, répond Anne Coppel, sociologue spécialisée dans la politique des drogues. J’étais sceptique au départ, mais j’ai rencontré des patients qui ne connaissaient le cannabis que sous le versant thérapeutique. »

Ce que confirme Fabienne Lopez: « Aujourd’hui, beaucoup des malades qui utilisent du cannabis pour des raisons médicales l’ont découvert par le biais récréatif. Mais, depuis que l’on parle de Sativex, les gens s’informent et le consomment de plus en plus souvent en premier lieu à des fins thérapeutiques. » Les membres de son association Principes Actifs revendiquent le fait de se soigner avec du cannabis. Ils doivent avoir obtenu de leur médecin une attestation pour pouvoir adhérer. L’association leur fournit des informations clés pour réduire les risques liés à leur consommation. « On leur conseille notamment de ne pas fumer le cannabis mais de le vaporiser. Brûlée, la plante libère en effet de nombreuses substances toxiques », explique Fabienne Lopez.

Des patients qui consomment, malgré les interdits

Principes Actifs milite en faveur d’une commercialisation de médicaments à base de cannabinoïdes, de la mise en place en France d’un système réglementé de vente de cannabis et de la possibilité de cultiver chez soi jusqu’à dix plants pour sa consommation personnelle. « Parce que chaque malade a un rapport spécifique au cannabis en tant que traitement », argumente la présidente de l’association. Peu nombreux sont ceux qui vont se fournir en Sativex ou en Bedrocan dans les pays où ils sont disponibles. « C’est cher et difficile, selon Fabienne Lopez. Il faut faire traduire la prescription obtenue en France, aller à l’étranger, pour obtenir au final un produit au coût quasi semblable à celui du cannabis disponible sur le “marché récréatif”. »

La grande majorité des patients se procure donc la plante illégalement en France. « Avec cette politique prohibitive, on oblige les malades à se mettre dans l’illégalité. Cela engendre une ignorance sur les risques pris qui n’est pas sans conséquences », soutient la militante. Et notamment sur les dangers du cannabis au volant ou lorsqu’il est associé à l’alcool. « La politique appliquée jusque-là, basée sur l’interdit, ne fonctionne pas, renchérit Anne Coppel. J’ai la conviction que parier sur l’éducation et sur la capacité des gens à contrôler leur consommation serait plus efficace. C’est ce qui s’est passé avec les opiacés. La prescription d’opiacés de substitution associée à une politique systématique de réduction des risques a fait baisser de 80 % le nombre d’overdoses mortelles. »

En l’état cependant, rien ne prouve que légaliser le cannabis thérapeutique diminuerait les risques pour les malades qui aujourd’hui bravent les interdits. Et Anne Coppel de conclure : « Ces consommateurs seront-ils aussi sensibles aux dangers, moindres et moins évidents à percevoir, que le sont les consommateurs d’opiacés ? ».

Le prix de Sativex fait débat

C’est la détermination de son prix de vente qui empêche la commercialisation de Sativex en France. Almirall, son distributeur, évalue à 350 € le coût mensuel du traitement. Et se base sur le prix moyen du médicament en Europe, vendu entre 400 et 440 €. Le Comité économique des produits de santé propose, lui, un coût de traitement de 60 € par mois. Il tient compte de l’évaluation de Sativex par la commission de la transparence qui, en janvier 2015, avait conclu que le médicament n’apportait « pas d’avantage clinique démontré ». Cette situation de blocage exaspère les associations de patients. Une question se pose : la ministre de la Santé, Marisol Touraine, est-elle prête à intervenir pour favoriser un compromis?

Le cannabis soignait jadis

La journaliste et écrivaine Michka décrit l’histoire du cannabis dans le livre « Cannabis médical, du chanvre indien aux cannabinoïdes de synthèse », publié chez Mama éditions.

Au XIXe siècle, les propriétés médicales de ce que l’on appelait alors le « chanvre indien » sont découvertes en Occident. Il est, durant plusieurs dizaines d’années, utilisé sous forme de teintures pour soigner nombre de maux allant de la migraine à l’asthme. Avant de tomber en désuétude au début des années 50. La variabilité de sa teneur en principes actifs, qui détermine son efficacité et ses effets secondaires, rend son utilisation médicale difficile. On lui préfère la morphine, soluble dans l’eau et donc injectable, pour traiter les douleurs. Le cannabis est retiré de la Pharmacopée en 1953 et classé en 1961 par les conventions internationales comme « stupéfiant sans intérêt médical ».

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