DÉPENDANCE À L’ALCOOL - Le Moniteur des Pharmacies n° 3095 du 19/09/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3095 du 19/09/2015
 

Cahiers Formation du Moniteur

ORDONNANCE

ANALYSE D’ORDONNANCE

Mme Y. essaie un nouveau traitement

RÉCEPTION DE L’ORDONNANCE

Pour qui ?

Madame Y., 52 ans, qui évoque une dépendance à l’alcool et débute un nouveau traitement.

Par quel médecin ?

Un médecin généraliste qui n’est pas son médecin traitant.

L’ordonnance est-elle conforme à la législation ?

Oui. La prescription hors AMM du baclofène entre dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) dans le traitement de la dépendance à l’alcool.

QUEL EST LE CONdiv DE L’ORDONNANCE ?

Que savez-vous de la patiente ?

Mme Y. vient pour la première fois à l’officine.

Quel était le motif de la consultation ?

Après plusieurs échecs, Mme Y. souhaite essayer un nouveau traitement.

Que lui a dit le médecin ?

Le médecin lui a expliqué les conditions de prescription particulières du baclofène. Un document d’information ainsi qu’une « attestation mensuelle de traitement » rappelant la posologie, les effets indésirables et les mises en garde particulières lui ont été remis. Le médecin a précisé que la prescription de baclofène sera accompagnée d’un recueil de données de suivi. Il a également recommandé de continuer pour le moment son traitement en cours (lorazépam et sertraline).

Vérification de l’historique patient

Le dossier pharmaceutique montre des médicaments délivrés pour la dernière fois il y a 3 mois : Aotal, Revia et vitamine B1/B6.

LES PRESCRIPTIONS SONT-ELLES COHÉRENTES ?

Que comportent les prescriptions ?

• Le baclofène est un analogue structural du GABA d’action myorelaxante centrale qui dispose d’une AMM dans le traitement des contractures spastiques de certaines atteintes neurologiques et d’origine cérébrale. Depuis 2014, une RTU encadre l’utilisation du baclofène dans la prise en charge de l’alcoolodépendance.

• Le lorazépam est une benzodiazépine utilisée ici dans le traitement symptomatique des manifestations anxieuses.

• La sertraline est un antidépresseur inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine.

Demande de la patiente Mme Y. se demande si le médecin n’a pas oublié de prescrire les vitamines B1 et B6. Elle en prenait systématiquement avec les autres traitements.

Les prescriptions sont-elles conformes à la stratégie thérapeutique de référence ?

• Oui. La RTU prévoit l’utilisation du baclofène dans la dépendance à l’alcool en cas d’échec des autres thérapeutiques disponibles chez les patients de plus de 18 ans, dans l’objectif d’une réduction majeure de la consommation d’alcool jusqu’au niveau faible de consommation chez des patients ayant une consommation à haut risque durant les 3 derniers mois (définies par l’OMS comme au moins 6 verres standards par jour chez l’homme, au moins 4 verres standards par jour chez la femme). En échec de traitement, Mme Y. entre dans le cadre de cette indication. Le baclofène est également indiqué pour l’aide au maintien de l’abstinence après un sevrage.

• L’administration au long cours de sertraline peut être justifiée pour le traitement d’un épisode dépressif en cours ou en prévention des récidives. Le traitement par lorazépam doit être aussi bref que possible, mais il peut si besoin être poursuivi, l’indication devant être réévaluée régulièrement.

Y a-t-il des médicaments à marge thérapeutique étroite ?

Non.

Y a-t-il des contre-indications pour ce patient ?

Non. Mme Y. ne souffre pas de comorbidités psychiatriques sévères (schizophrénie, troubles bipolaires…), d’insuffisance rénale, cardiaque, hépatique ou pulmonaire sévère, d’épilepsie, de maladie de Parkinson ou de porphyrie qui contre-indiquent le traitement par baclofène. Les symptômes dépressifs et/ou anxieux d’intensité modérée ne constituent pas une contre-indication mais nécessitent un suivi psychiatrique.

Les posologies sont-elles cohérentes ?

• La posologie initiale de baclofène correspond à celle recommandée par la RTU, soit 1/2 comprimé 3 fois par jour (15 mg/j). Puis on augmente par paliers, les recommandations de la RTU étant d’augmenter de 1/2 comprimé tous les 2 ou 3 jours. Le prescripteur a ici choisi d’allonger le palier (7 jours) et de passer directement à 3 comprimés par jour.

Conformément à la RTU, il continue ensuite à augmenter de un comprimé par jour par paliers de 3 jours jusqu’à obtention d’une réponse clinique.

• Les posologies de la sertraline et du lorazépam sont conformes aux AMM.

Y a-t-il des interactions ?

• L’association baclofène-benzodiazépine est à prendre en compte en raison de la potentialisation des effets sédatifs du baclofène.

• L’association de l’alcool et du baclofène utilisé dans le cadre de son AMM est déconseillée en raison d’un risque de sédation. Dans le cadre de la RTU, cette interaction ne peut évidemment pas être retenue.

Les traitements nécessitent-ils une surveillance particulière ?

• Pendant la phase de progression posologique, une consultation classique ou par téléphone au moins tous les 15 jours puis tous les mois est nécessaire pour adapter la posologie du baclofène selon l’efficacité et la tolérance.

• Le traitement doit être associé au suivi psychosocial décidé par le médecin.

• Le médecin évalue la consommation d’alcool selon la déclaration du patient, le craving (besoin irrépressible de boire) sur une échelle analogique et les événements indésirables.

• Une surveillance biologique sera mise en place avec dosage des transaminases et gammaGT.

• Les prescripteurs s’engagent à recueillir et transmettre à l’ANSM les données d’efficacité et de sécurité du traitement de leurs patients via le portail rtubaclofene.org.

QUELS CONSEILS DE PRISE DONNER ?

Concernant le baclofène

Il s’agit de la première délivrance.

Quand commencer le traitement ?

Le pharmacien précise à Mme Y. qu’elle peut commencer le traitement dès qu’elle le souhaite.

Que faire en cas d’oubli ?

Ne pas prendre de comprimé supplémentaire ou une double dose si l’une a été oubliée mais prendre la prochaine à l’heure habituelle.

Le patient pourra-t-il juger de l’efficacité du traitement ?

• L’efficacité du baclofène se mesure lorsque la patiente devient indifférente à l’alcool et voit diminuer ou disparaître sa consommation sans effort. Mme Y. devra à ce moment noter la posologie correspondante de baclofène, la maintenir et en avertir le médecin. L’effet du traitement peut se faire sentir au bout d’un ou deux mois.

• La patiente ne doit pas nécessairement diminuer sa consommation d’alcool en début de traitement, l’objectif étant celui de l’indifférence qui peut apparaître à des posologies très variables selon les patients (réponse 2).

Quels sont les principaux effets indésirables ?

• Les principaux rapportés dans le cadre du traitement de la dépendance à l’alcool sont la sédation, des insomnies, les vertiges, les acouphènes, des nausées, des diarrhées et vomissements. Des troubles musculosquelettiques (crampes, hypotonie, myalgies…) et cardiovasculaires (hypotension, bradycardie) sont également rapportés et, plus rarement, des décompensations maniaques.

• Un syndrome de sevrage (dyskinésies, convulsions…) est potentiellement possible en cas d’arrêt brutal du traitement qui doit donc être diminué progressivement sur une durée d’une à quatre semaines.

Quels sont ceux gérables à l’officine ?

• En cas d’apparition d’effets indésirables et selon les recommandations du médecin, le pharmacien conseille à Mme Y. de ralentir la progression posologique et d’augmenter la durée des paliers à une semaine. En l’absence d’amélioration, contacter le médecin pour un traitement symptomatique des effets indésirables au cas par cas.

Quels signes nécessiteraient d’appeler le médecin ?

• Mme Y. doit signaler au médecin tout trouble neuropsychiatrique et notamment l’apparition d’insomnies nocturnes. Ces insomnies peuvent signer la décompensation d’une pathologie psychiatrique sous-jacente, comme un épisode hypomaniaque ou la révélation d’une bipolarité préexistante et masquée par l’alcool.

Concernant le lorazépam et la sertraline

Ces médicaments sont connus de Mme Y. Elle aimerait diminuer progressivement leur prise. Le pharmacien lui conseille de discuter de son traitement lors de son suivi psychologique et de n’envisager une diminution que sur avis médical.

CONSEILS COMPLÉMENTAIRES

• L’observance du traitement est un facteur essentiel de réussite. Evaluer la bonne compréhension du plan de prise.

• Tenir un agenda de suivi, qui pourra être fourni par le médecin, avec les consommations d’alcool ainsi que les posologies de baclofène journalières.

• Recommander de ne pas conduire, notamment en début de traitement et à chaque changement de doses, en raison du risque de somnolence et de vertiges.

• Attention à l’automédication, notamment aux médicaments sédatifs comme les antihistaminiques H1 qui pourraient renforcer le risque de sédation !

• Ne pas hésiter à venir parler à l’équipe officinale d’éventuelles difficultés.

PATHOLOGIE

La dépendance à l’alcool en 5 questions

Se développant progressivement et de façon souvent insidieuse, l’alcoolodépendance est une maladie caractérisée par l’incapacité à s’abstenir de boire. Elle a des conséquences multiples sur la santé somatique et psychique du consommateur, mais aussi sur son environnement familial et professionnel ainsi que pour la société.

1 QU’EST-CE QUE LA DÉPENDANCE À L’ALCOOL ?

• La dépendance est la complication la plus sévère de l’usage chronicisé d’alcool.

• On distingue :

- une dépendance pharmacologique avec développement d’une tolérance et survenue de signes de sevrage en cas d’arrêt brutal ;

- une dépendance psychologique et comportementale, avec craving, désinvestissement progressif des activités non centrées sur l’alcool, poursuite de la consommation de la substance malgré la survenue de conséquences nocives.

• Récemment, le DSM-5 a rassemblé les critères d’usage abusif et de dépendance à l’alcool sous le terme global de « troubles de l’usage », quantifiés selon un gradient d’intensité. La dépendance est ainsi devenue un « troubles sévères de l’usage ».

• En France 1,2 % de la population, soit plus de 0,5 million d’individus, est à risque de dépendance : ce chiffre, probablement sous-estimé, correspond aux personnes qui consomment au moins 7 verres d’alcool par jour. Mais une dépendance peut s’observer pour une consommation moindre. Des études envisagent jusqu’à 2 millions d’individus dépendants.

2 COMMENT S’INSTALLE LA DÉPENDANCE ?

• Il existe un continuum entre l’usage simple de l’alcool à faible risque et les troubles de l’usage, pour lesquels les répercussions de la consommation sont majeures. Si l’alcoolodépendance peut suivre des expériences récurrentes d’ivresse, elle prolonge souvent l’augmentation progressive d’une consommation d’alcool devenue problématique.

• Elle est associée à divers facteurs de vulnérabilité :

- les facteurs comportementaux, modifiables. La banalisation des prémix et la pratique d’alcoolisations ponctuelles importantes (API) favorisent les conduites d’alcoolisation précoce chez les adolescents et jeunes adultes puis, ultérieurement, l’usage problématique d’alcool ;

- les facteurs environnementaux auxquels il faut intégrer des paramètres culturels et sociaux, familiaux et professionnels. La consommation chronique d’alcool est plus importante chez les hommes en situation de chômage, exerçant dans le secteur du commerce et les agriculteurs. Chez les femmes, la consommation nocive concerne plutôt celles à niveau d’éducation élevé ;

- les facteurs biologiques. Le fait d’être un homme multiplie par deux le risque d’alcoolisation excessive. Les sujets présentant des troubles psychiatriques ou sédentaires sont plus vulnérables.

• L’alcoolodépendance s’observe au terme de 15 à 20 ans d’alcoolisation problématique. Le consommateur présente des troubles intellectuels et psychiques stigmatisants entraînant fréquemment une marginalisation.

3 COMMENT SE FAIT LE DIAGNOSTIC ?

• Il repose sur l’interrogatoire du patient et sur l’examen clinique.

• Il est rare qu’une consultation soit directement motivée par un problème lié à l’alcool et reconnu comme tel. Souvent, une consommation nocive d’alcool sera évoquée à l’occasion d’une consultation motivée par une autre problématique.

• Les problèmes sociaux sont souvent les premiers indicateurs d’un mésusage : difficultés professionnelles et financières, violence domestique…

Certains signes sont évocateurs : haleine alcoolisée, tremblement fin des extrémités, sueurs, signes digestifs (anorexie, nausées matinales, œsophagite), signes neurologiques (crampes nocturnes, incoordination motrice), troubles cognitifs…

• Les marqueurs biologiques (transaminases, gammaGT…) ne distinguent pas le sujet alcoolodépendant d’un consommateur excessif non dépendant.

4 QUELLES SONT LES CONSÉQUENCES INDIVIDUELLES ?

• La dépendance à l’alcool, classée par l’OMS en 4e position des pathologies invalidantes en Europe, s’associe à une réduction de l’espérance de vie d’environ 20 ans.

• Le risque prédictif de morbimortalité est associé à la quantité moyenne quotidienne d’alcool ingérée. Les atteintes somatiques et psychiques résultent probablement de l’action combinée de l’alcoolisation, des carences alimentaires associées et des facteurs de susceptibilité génétique :

appareil digestif : pancréatites ainsi que cirrhose et stéatoses à l’origine d’ostéoporose, d’un déficit en facteurs de la coagulation, d’une porphyrie…

système cardiovasculaire : hypertension artérielle, arythmies et AVC. L’éventuel effet bénéfique d’une faible consommation d’alcool (< 20 g/j) reste discuté ;

troubles neurologiques : les syndromes cérébraux organiques, à l’origine d’un handicap social majeur, concernent environ 10 % des sujets (encéphalopathie de Gayet-Wernicke, syndrome de Korsakoff, démence alcoolique…). Un déficit en vitamine B1, en vitamine PP mais aussi la toxicité directe de l’alcool sont à l’origine de neuropathies périphériques (crampes, paralysie, atrophie musculaire, névrite optique). Des illusions sensorielles ainsi que des délires sont rapportés lors d’une alcoolisation chronique ;

troubles métaboliques : acidose lactique, hypoglycémie, dyslipidémie, pancréatite…

cancers : l’alcool favorise notamment le développement des cancers aérodigestifs supérieurs, hépatiques, colorectaux et du sein;

comorbidités psychiques et psychiatriques : troubles du caractère et de l’affectivité, troubles anxieux, troubles de l’humeur (dépression avec risque suicidaire), troubles du sommeil. Les comportements polyaddictifs compliquent le tableau clinique.

• Au cours de la grossesse, la prise d’alcool peut être responsable d’un ensemble de troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Le syndrome d’alcoolisation fœtale constitue la forme la plus sévère et est l’une des principales étiologies de retard mental. Une abstinence alcoolique totale est recommandée dès le début de la grossesse en l’absence de connaissance d’un seuil de consommation sans risque.

5 QUELS SIGNES CARACTÉRISENT LE MANQUE ?

• Les signes de manque s’observent lorsque les effets de l’alcool disparaissent (notamment le matin). Ils associent des troubles psychiques (anxiété, irritabilité, désorientation temporospatiale…), des troubles neurovégétatifs (sueurs, tremblements, crampes, tachycardie…) et des troubles digestifs (nausées, vomissements). Ces signes sont calmés par la prise d’alcool et contribuent au renforcement négatif de la consommation.

• Le symptôme de sevrage n’est pas systématique même chez les personnes dépendantes. Dans environ 5 % des cas, le manque se traduit par des signes sévères, observés environ 12 heures après la dernière prise d’alcool, parfois plus tard, notamment chez le sujet âgé. Ces signes s’amplifient pendant 2 jours pour régresser en 4 à 5 jours :

delirium tremens : cet état d’agitation psychomotrice confuso-onirique, pouvant engager le pronostic vital, voit le patient, hagard, angoissé, victime de tremblements intenses et de signes neurovégétatifs, être la proie d’un délire hallucinatoire souvent à type de zoopsies ;

délire alcoolique subaigu : proche du delirium mais moins sévère, il peut se prolonger pendant des semaines.

épilepsie de sevrage : observée dans les 24 heures suivant l’arrêt de la consommation, cette crise généralisée, peut annoncer un delirium.

THÉRAPEUTIQUE

Comment prendre en charge la dépendance à l’alcool ?

Abordée comme une affection chronique, la dépendance à l’alcool relève d’une prise en charge médicale, éducative et psychosociale. Le dogme ancien du sevrage suivi d’une abstinence totale est désormais remis en cause au profit d’une attitude plus pragmatique, visant à réduire le risque individuel et social par une diminution de la consommation d’alcool.

• Récemment encore, la stratégie thérapeutique de la dépendance à l’alcool se résumait à un sevrage suivi d’une abstinence totale et indéfinie, associé à un accompagnement psychosocial.

• L’expérience montrant qu’il est difficile pour de nombreux patients dépendants de pérenniser une abstinence perçue comme insurmontable, il semble plus pragmatique d’encourager pour certains une réduction de consommation d’alcool afin de réduire le risque individuel et social.

• Le niveau de consommation d’alcool d’un patient ayant un mésusage n’est souvent pas linéaire. L’objectif thérapeutique peut donc varier dans le temps (réduction de consommation ou abstinence) en fonction de la préférence et de la motivation du patient. L’implication du patient dans sa prise en charge est nécessaire.

Abstinence totale

Sevrage

• Il consiste en un arrêt total de la consommation d’alcool. Le sevrage en ambulatoire est privilégié, sa réussite dépendant de la motivation du patient et la qualité de l’accompagnement. Il est réalisé en milieu hospitalier (10 à 30 % des cas) en cas de dépendance sévère, d’antécédents de delirium tremens ou de crises convulsives, de maladies somatiques ou psychiatriques sévères ou lorsque l’entourage est non coopératif.

• Le sevrage doit s’accompagner de mesures préventives : privilégier un environnement calme, éviter le stress, manger même sans faim, boire de façon suffisante et modérée (1,5 à 2 litres par jour).

• Si nécessaire, un traitement médicamenteux est associé. Il vise à limiter les symptômes du manque : anxiété, agitation, irritabilité, sueurs, tachycardie, tremblements, hypertension, parfois convulsions. Il repose sur la prescription d’une benzodiazépine par voie orale (ex. : diazépam 20 à 40 mg par jour pendant 2 ou 3 jours puis diminution progressive et arrêt).

• Cette phase s’accompagne d’un apport en vitamine B1 et éventuellement B6 chez les personnes malnutries.

• Un delirium tremens justifie l’administration IV de diazépam et parfois d’halopéridol, en milieu hospitalier, accompagnée d’une correction des anomalies hydroélectrolytiques.

• Le temps du sevrage nécessite toujours le support d’une psychothérapie dite de soutien.

Maintien de l’abstinence

• Le sevrage ne constitue pas une fin mais un outil thérapeutique : il est suivi par un accompagnement psychologique (thérapie comportementale et cognitive…) prolongé sur plusieurs années.

• Les médicaments favorisant le maintien de l’abstinence sont l’acamprosate (Aotal) et la naltrexone (Révia). Le disulfirame (Espéral), à effet antabuse, est peu utilisé et considéré par la HAS comme un traitement de deuxième intention. Le baclofène (Liorésal) est utilisable en seconde intention dans le cadre d’une recommandation temporaire d’utilisation depuis mars 2014 (il est pris en charge par l’assurance maladie dans cette indication).

• Chez certains patients, l’acamprosate et la naltrexone sont prescrits conjointement mais cette pratique est encore peu codifiée.

Réduction de la consommation

• L’abstinence n’est pas souhaitée ni réalisable chez certains patients. Une réduction de la consommation d’alcool est alors recherchée.

• Deux médicaments sont indiqués dans ce condiv. Le nalméfène (Selincro), disponible depuis septembre 2014, est réservé aux patients à risque élevé, ne présentant pas de symptômes physiques de sevrage et ne nécessitant pas de sevrage immédiat. Il est administré à la demande et agit en diminuant l’envie irrépressible de boire. Le baclofène (Liorésal) dispose d’une RTU chez les patients à haut risque en échec des traitements disponibles (également pris en charge par l’assurance maladie). Il rendrait indifférent à l’alcool et permettrait d’avoir une consommation contrôlée, voire d’être abstinent. Deux essais cliniques sont en cours pour confirmer l’efficacité et la sécurité du baclofène dans ses indications en alcoologie.

• Un accompagnement psychosocial reste nécessaire.

TRAITEMENTS

Disulfirame

• Le disulfirame (Espéral) est un médicament antabuse, à l’origine d’effets aversifs en cas de consommation d’alcool.

• Ce médicament constitue un accompagnement à l’abstinence mais s’avère peu efficace sur la durée.

• Sa durée d’action est brève et nécessite une prise quotidienne stricte.

• Effets indésirables : signes digestifs (nausées, gastralgies, diarrhées, arrière-goût métallique dans la bouche, halitose), hépatiques (élévation des transaminases, hépatites sévères parfois mortelles), neurologiques (polynévrite des membres inférieurs, névrite optique, céphalées, confusion mentale).

•  Il s’administre après une abstinence d’alcool (dont médicaments contenant de l’alcool) d’au moins 24 heures.

• Interactions : l’association à l’isoniazide (risque de troubles du comportement et de la coordination), au métronidazole (risque d’épisodes de psychose aiguë ou d’état confusionnel) et à la phénytoïne (augmentation de sa toxicité) est déconseillée. La prise concomitante d’une antivitamine K augmente le risque hémorragique et nécessite un suivi de l’INR et éventuellement une adaptation posologique de l’anticoagulant.

Naltrexone

• La naltrexone (Révia) est un antagoniste opioïde indiqué, chez le patient sevré présentant une dépendance psychique à l’alcool, comme aide au maintien de l’abstinence. Il s’administre en une prise unique quotidienne. La durée recommandée du traitement est de 3 mois, en l’absence de données pour des durées supérieures.

• Effets indésirables : troubles digestifs (douleurs abdominales, nausées, troubles du transit), neurologiques (céphalées, vertiges, troubles du sommeil), psychiatriques (anxiété), cutanés (prurit, rash), sexuels, articulaires et hyperhydrose.

• Interactions : l’association avec des morphiniques expose à un risque de diminution de l’effet antalgique. La naltrexone peut provoquer un syndrome de sevrage grave chez les sujets dépendants aux opiacés.

L’altération de la vigilance est majorée par la prise de médicaments sédatifs (neuroleptiques, benzodiazépines, anti-H1 et antidépresseurs sédatifs…). La prise concomitante de barbituriques ou de benzodiazépines augmente le risque de dépression respiratoire.

Acamprosate

• L’acamprosate (Aotal) est un analogue du glutamate indiqué comme aide au maintien de l’abstinence. Il diminue le besoin de boire chez le patient sevré. Son efficacité est proche de celle de la naltrexone. Il nécessite une prise 3 fois par jour. La durée recommandée du traitement est de un an.

Effets indésirables : principalement troubles digestifs (douleurs abdominales, nausées, flatulences, diarrhées), cutanés (prurit, rashs) et sexuels (diminution de la libido, dysfonction érectile).

Nalméfène

• Le nalméfène (Selincro) a une structure proche de la naltrexone. Il s’en distingue notamment par son activité agoniste partielle sur les récepteurs aux opiacés. Il est indiqué pour réduire la consommation d’alcool.

• Le traitement est pris ponctuellement par le patient chaque jour où il perçoit le risque de boire ou rapidement après une prise d’alcool.

• L’amélioration la plus importante survient au cours du premier mois de traitement. Si aucune réduction de la consommation n’est constatée à l’issue de cette période, le traitement doit être réévalué voire arrêté. Il est systématiquement réévalué tous les 6 mois. La durée recommandée du traitement est de un an.

• Effets indésirables : troubles digestifs (nausées, inappétence, sécheresse buccale), neurologiques (somnolence, céphalées, tremblements, vertiges, troubles du sommeil, paresthésies), cardiaques (palpitations) et possible hyperhydrose. Ces effets, d’intensité légère à modérée, s’observent de façon transitoire pendant la première semaine du traitement. La survenue d’un état confusionnel et, rarement, d’hallucinations, est possible.

• Interactions : un traitement concomitant à long terme d’un puissant inhibiteur de l’enzyme UGTB7 (diclofénac, fluconazole…) ou inducteur de l’enzyme UGTB7 (dexaméthasone, phénobarbital, oméprazole…) modifie l’exposition au nalméfène. Le nalméfène diminue l’efficacité des agonistes opioïdes (médicaments contre la toux et antalgiques opioïdes).

Baclofène

• Le baclofène (Liorésal) est un agoniste GABAergique.

• Sa prescription est encadrée en alcoologie par une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) visant deux indications : l’aide au maintien de l’abstinence et la réduction majeure de la consommation d’alcool jusqu’au niveau faible de consommation, en seconde intention.

• Le traitement est initié à dose très progressive pour déterminer la dose la plus faible possible permettant d’obtenir une réponse optimale et évaluer la tolérance. A partir de 120 mg par jour, le prescripteur doit solliciter l’avis d’un médecin expérimenté - psychiatre, addictologue ou médecin de centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Au-delà de 180 mg par jour (ou 120 mg par jour pour le patient de plus de 65 ans), un avis collégial au sein d’un CSAPA ou d’un service hospitalier spécialisé en addictologie est requis.

• Une fois l’objectif atteint, une diminution de posologie est envisagée et régulièrement réévaluée. En cas d’arrêt du traitement, une réduction progressive des doses doit être respectée (sur 1 à 4 semaines).

• Le traitement est prescrit mensuellement afin de suivre l’efficacité et la survenue d’effets indésirables.

• Effets indésirables : digestifs (nausées, vomissements, anorexie…), neurologiques (somnolence, insomnie, vertiges, paresthésies) et psychiatriques (anxiété, dépression avec idées suicidaires, syndrome confusionnel). Egalement risque de chute, myalgie, crampe, hypotension, bradycardie et troubles urinaires (dysurie, pollakiurie).

• Interactions : l’association à des médicaments abaissant la pression artérielle et à des médicaments sédatifs est déconseillée. Les antidépresseurs imipraminiques augmentent le risque de l’hypotonie musculaire. L’association à la lévodopa expose à un risque d’aggravation du syndrome parkinsonien ou d’effets indésirables centraux (hallucinations, état confusionnel, céphalées).

Perspectives thérapeutiques

• L’oxybate de sodium, un analogue du gammahydroxybutyrate de sodium et du GABA, fait l’objet d’essais de phase II et III. Il est à l’origine indiqué dans le traitement des troubles chroniques du sommeil. Il pourrait avoir un intérêt potentiel dans le maintien de l’abstinence et la prévention du syndrome de sevrage.

• Des études suggèrent que la gabapentine (à dose élevée : 1 800 mg par jour), molécule apparentée au GABA actuellement utilisée comme antiépileptique, diminuerait le craving et faciliterait l’abstinence avec le bénéfice d’une amélioration thymique.

ACCOMPAGNER LE PATIENT

Samuel, 45 ans, chef d’entreprise

« J’ai bu pour la première fois de l’alcool à 12 ans avec un copain. J’ai alors ressenti un effet relaxant. A partir de là, ma consommation a progressivement augmenté jusqu’à devenir quotidienne vers l’âge de 25 ans. A 35 ans, j’ai pris conscience que j’étais piégé. Ma consommation n’avait rien de festif, je buvais seul. Mon addiction me prenait jusqu’à 8 heures par jour. J’ai quitté mon travail salarié car ce n’était plus compatible avec mon addiction et j’ai créé ma société. J’ai mis ma vie de famille entre parenthèses. Pendant tout ce temps, personne ne m’a vraiment alerté. En 2010, un médecin m’a annoncé que si je continuais, il ne me restait plus longtemps à vivre. J’ai eu peur. J’ai entamé des démarches pour m’en sortir (groupe de parole, sevrage, médicaments, centre psychiatrique) ponctuées d’échecs. Je me suis enfin libéré avec le baclofène. Ça n’a pas été simple mais aujourd’hui, j’ai un rapport serein à l’alcool. »

LA DÉPENDANCE À L’ALCOOL VU PAR LES PATIENTS

Impact sur la vie quotidienne

• Chez les personnes alcoolodépendantes, la consommation d’alcool détermine les activités de la journée.

• L’abus d’alcool crée un sentiment de honte et de culpabilité, souvent plus présent chez les femmes, qui mène à un isolement progressif.

• Il est également responsable d’une modification de l’humeur (agressivité, dépression…) qui complique les liens sociaux.

• L’alcoolodépendant présente souvent une motivation fluctuante. Il finit par se négliger (hygiène, aspect physique…) et se désintéresse des autres.

• La prise chronique d’alcool génère des troubles cognitifs (mémoire, raisonnement…) qui diminuent les capacités à évaluer les situations.

Impact sur la vie familiale

• La consommation excessive d’alcool est souvent source de conflits familiaux.

• Le buveur en déni se sent agressé par les remarques de ses proches. A l’inverse, une consommation reconnue comme problématique crée une angoisse qui fragilise les liens familiaux.

• La personne n’est plus capable d’accomplir les tâches domestiques et de participer aux activités familiales.

• L’achat d’alcool en grande quantité peut conduire à un endettement.

Impact psychologique

• La consommation nocive d’alcool est rarement un problème isolé et s’accompagne de problèmes psychologiques et familiaux, voire de coaddiction.

• La consommation d’alcool peut d’abord être utilisée comme un remède à certaines difficultés (malaise social, stress, ennui…). Lorsqu’elle devient excessive, elle est source d’anxiété et de dépression. Elle peut aggraver ou induire des psychoses.

Impact sur la vie professionnelle

• Les comorbidités qui accompagnent la dépendance à l’alcool sont sources d’absences fréquentes au travail.

• La perte de motivation et les troubles cognitifs diminuent les performances professionnelles.

• La consommation d’alcool et l’état d’ébriété sur le lieu de travail peuvent mener à un licenciement.

À DIRE AUX PATIENTS

A propos de la maladie

• L’alcoolisme est un sujet tabou souvent perçu comme honteux. Rappeler que le pharmacien est soumis au secret professionnel. Le patient doit pouvoir se confier sans crainte, éventuellement dans un espace de confidentialité. Le dialogue passe par une attitude empathique et sans jugement.

• Lorsqu’une consommation excessive est repérée, encourager le patient à en parler à un professionnel compétent dans ce domaine. Si nécessaire, aider le patient à prendre rendez-vous dans une structure d’addictologie.

• Inciter le patient à rechercher un soutien psychologique auprès des proches ou dans des groupes de parole. L’arrêt ou la réduction de la consommation fait émerger les difficultés qui étaient occultées par la prise d’alcool.

A propos du traitement

• Il n’existe pas de traitement miracle. Les médicaments constituent une aide en complément d’une approche psychosociale.

• L’observance des traitements est déterminante. Le nalméfène a la particularité d’être pris ponctuellement lorsque le patient perçoit un risque de boire.

• Alerter les patients sous naltrexone et nalméfène de l’interaction avec les opioïdes.

• Etre particulièrement vigilant aux effets indésirables des nouveaux traitements : vertiges, palpitations, état confusionnel et hallucination pour le nalméfène, insomnie, vertiges, hypotonie, myalgie et hypotension pour le baclofène.

• La reprise d’une consommation excessive fait partie du parcours classique du patient. Il s’agit d’une étape et non d’un échec. Valoriser les acquis et l’expérience du patient.

Sevrage et maintien de l’abstinence

• Dans ce cas, la consommation d’alcool est arrêtée de manière définitive. Le patient et son entourage doivent connaître les signes d’un syndrome de sevrage sévère (agitation, tremblements intenses, délire…) qui nécessitent de contacter rapidement le médecin.

• Eviter les situations qui relancent l’envie de boire : fréquentation de bars, rencontre avec des buveurs…

• Le patient en sevrage garde une fragilité particulière vis-à-vis de l’alcool. Veiller à éviter les médicaments contenant de l’alcool (sirops, bains de bouche…) et se méfier des odeurs alcoolisées (après-rasage, parfums, antiseptiques…).

Réduction de la consommation

• Il est important de tenir un agenda des consommations d’alcool pour évaluer l’efficacité du traitement.

• L’action des médicaments se fait sentir après un ou deux mois environ.

EN PRÉVENTION

• Analyser les habitudes de consommation, notamment par la démarche du RPIB (voir p. 9). La simple question « Vous arrive-t-il de consommer de l’alcool ? » peut permettre d’ouvrir le dialogue à l’occasion d’une campagne de sensibilisation ou en ciblant des populations à risque : pathologies cardiovasculaires, dépression et anxiété, sevrage tabagique, femme enceinte… La dispensation de médicaments dont l’association est déconseillée avec l’alcool (sédatifs, médicaments à effet antabuse, hépatotoxiques…) peut permettre d’aborder le sujet.

• La consommation d’alcool change au cours de la vie, ce qui justifie de répéter les actions de repérage.

• L’alcool a un rôle social et festif. Il est possible de conseiller des mesures pour limiter les risques sans pour autant refuser tout alcool : avoir toujours un verre d’eau en plus du verre d’alcool, boire lentement. Se réserver au moins une journée par semaine sans boire d’alcool.

DÉLIVRERIEZ-VOUS CES ORDONNANCES ?

ORDONNANCE 1 : OUI. L’ordonnance de nalméfène peut être délivrée. En revanche, Codoliprane (paracétamol-codéine) n’est pas adapté. Le nalméfène étant un antagoniste morphinique, son association avec la codéine risque de diminuer l’efficacité antalgique de la codéine. En l’absence de problème hépatique, une prise de paracétamol seul pourrait être proposé dans un premier temps pour soulager M.T.

ORDONNANCE 2 : OUI. La reprise de consommation ponctuelle d’alcool fait partie du parcours du patient en sevrage alcoolique. Elle ne contre-indique pas le maintien du traitement en cours. Mme B. doit donc poursuivre sa prise d’acamprosate. Il faut la déculpabiliser et l’inciter à contacter son médecin pour en discuter.

MÉMO-DÉLIVRANCE

Les médicaments sont-ils à prescription particulière ?

• Les traitements peuvent être prescrits par tout médecin.

• Le baclofène est prescrit en alcoologie hors AMM dans le cadre d’une RTU. L’ordonnance doit porter la mention « hors AMM ». La prescription est mensuelle.

Le patient a-t-il compris l’objectif thérapeutique ?

Abstinence totale

• L’arrêt de la consommation d’alcool est total et définitif. La reprise ponctuelle d’une consommation excessive d’alcool ne compromet pas obligatoirement le traitement.

Réduction de la consommation

• L’objectif est de réduire la prise d’alcool jusqu’à un niveau faible de consommation, voire l’abstinence. Un suivi de la consommation permet d’évaluer l’efficacité du traitement.

A-t-il compris les modalités de prise ?

• L’observance du traitement est déterminante.

• Le nalméfène est à prendre 1 à 2 heures avant le moment où le patient anticipe une consommation d’alcool ou dès que possible en cas de prise d’alcool (1 cp/j max).

• Le baclofène est initié avec une augmentation progressive des doses par palier jusqu’à la dose efficace. Le patient peut être amené à prendre jusqu’à 30 comprimés par jour. La réalisation d’un plan de prise est utile.

Le traitement nécessite-t-il une surveillance particulière ?

• Un accompagnement psychosocial est recommandé.

• La prescription de baclofène s’accompagne d’un suivi d’efficacité et de sécurité réalisé par le médecin prescripteur.

• Une vigilance particulièrement aux effets indésirables des traitements récents est demandée. Nalméfène : vertiges, palpitations, état confusionnel et hallucination. Baclofène : insomnie, vertiges, hypotonie, myalgie et hypotension.

Le patient connaît-il les médicaments à éviter ?

• En cas d’abstinence : médicaments (et tout produit) contenant de l’alcool.

• Naltrexone et nalméfène : opioïdes (diminution de leur efficacité).

• Naltrexone, nalméfène et baclofène : sédatifs (augmentent la somnolence et les troubles de la vigilance).

Accompagnement du patient

• Ne pas juger, se montrer disponible, orienter si nécessaire.

• Encourager le patient à chaque étape et valoriser les acquis

• Inciter le patient à se faire aider par ses proches, un groupe de soutien, une association…

Prévention

• Proposer un repérage rapide aux patients à risque (pathologies cardiovasculaires, désir de grossesse…), en cas d’interaction avec l’alcool (sédatifs, médicaments à effet antabuse…) ou à tous lors d’une campagne d’information.

• Rappeler ce que sont un verre standard et les risques d’une consommation excessive.

• Proposer des objectifs de réduction de consommation d’alcool et orienter, si nécessaire, vers des professionnels compétents (médecins formés et CSAPA).

LE CAS : Mme Y., 52 ans, n’est pas connue de l’officine. En présentant son ordonnance, elle semble déterminée. Elle confie qu’elle voit ce médecin pour la première fois, sur le conseil d’une association d’aide aux personnes alcooliques, « pour essayer autre chose puisque le reste n’a jamais marché ». Elle en profite pour renouveler l’ordonnance de son généraliste habituel.

Appel au prescripteur

- Bonjour, je vous appelle à propos de Mme Y. Elle me demande s’il est utile qu’elle prenne des vitamines B1 et B6 comme elle le faisait avec ses précédents traitements.

- Non. Lorsqu’on interrompt brutalement la prise d’alcool ces vitamines sont recommandées dans la prévention d’épisodes neurologiques graves. Or, le but du baclofène est de créer une indifférence progressive à l’alcool, voire une consommation modérée. Dans ce condiv, ces vitamines sont possibles mais non obligatoires.

Qu’en pensez-vous

Le pharmacien doit conseiller à Mme Y. de diminuer sa consommation d’alcool dès le début du traitement.

1) Oui, elle peut boire au maximum 4 verres par jour.

2) Non, aucune diminution n’est imposée concernant la consommation d’alcool.

EN CHIFFRES

• 5 millions de consommateurs quotidiens d’alcool.

• 53 % des jeunes de 17 ans ont connu dans le mois une alcoolisation ponctuelle importante.

• 1 000 enfants/an sont affectés par une forme sévère du syndrome d’alcoolisation fœtale et 5/1 000 naissances par une forme modérée.

- 49 000 décès/an sont directement liés à l’alcool.

Aspects neurologiques

• L’alcool agit sur des neuromédiateurs impliqués dans le système de récompense mésocorticolimbique dopaminergique (glutamate, GABA, dopamine), lui-même modulé par le système opioïde endogène.

• La consommation d’alcool provoque d’abord la libération d’endorphines et d’enképhalines. Leur liaison aux récepteurs opiacés Ì inhibe la libération de GABA, ce qui induit une augmentation de la libération de dopamine : le consommateur ressent alors un plaisir qui contribue à renforcer de façon positive son appétence pour l’alcool.

• Lorsque la consommation devient chronique et la dépendance s’installe, la libération de dopamine est diminuée par la liaison de dynorphines endogènes sur les récepteurs opiacés kappa, d’où un renforcement négatif. Le consommateur cherche alors à consommer plus d’alcool.

Repérage précoce-intervention brève (RPIB)

Cette démarche, initiée par l’OMS, consiste à repérer les personnes ayant une consommation excessive d’alcool et à intervenir précocement pour réduire les risques liés à cette consommation. Il s’agit d’un entretien bref, de 10 à 20 minutes, en trois étapes :

1. Proposer de remplir le questionnaire AUDIT (voir ci-dessous).

2. Restituer le score et son interprétation.

3. En fonction du score, délivrer des messages adaptés : rappeler ce qu’est un verre standard, expliquer les risques d’une consommation excessive, mettre en évidence sans jugement les difficultés rencontrées, rechercher l’intérêt au changement du point de vue du patient, proposer des objectifs de réduction de consommation et les méthodes existantes, affirmer sa disponibilité pour en parler, remettre un livret d’information, orienter vers une structure médico-sociale.

D’après le « Guide de l’addictologie en pharmacie d’officine », Respadd, 2014

De 0 à 5 (femme) ou 6 (homme) : la consommation d’alcool ne devrait pas provoquer de risque pour la santé. Encourager un comportement sans risque vis-à-vis de l’alcool.

De 6 (femme) ou 7 (homme) à 12 : la consommation d’alcool comporte vraisemblablement des risques pour la santé. Informer le patient sur ses risques, encourager une réduction de la consommation, proposer de revoir le patient et/ou orienter vers une consultation médicale.

Au-delà de 12 : dépendance à l’alcool probable. Orienter le patient vers un médecin ou une structure d’addictologie. Se montrer disponible pour écouter et accompagner le patient.

POINT DE VUE
Nicolas Bonnet, pharmacien spécialisé en santé publique, directeur du Réseau des établissements de santé pour la prévention des addictions (Respadd)

« A l’officine, le questionnaire de repérage AUDIT devrait être proposé aux patients à risque tous les ans »

Quelles actions sont menées pour impliquer les pharmaciens dans la lutte contre la consommation nocive d’alcool ?

Depuis de nombreuses années, le Respadd a travaillé avec et pour les pharmaciens dans ce domaine. De nouveaux outils spécifiques ont été récemment élaborés* : un Guide de l’addictologie en pharmacie d’officine, une affiche « Boire moins, c’est mieux » ainsi qu’une brochure incluant le questionnaire de repérage AUDIT. Jusqu’alors centré sur les médecins généralistes, le principe du « Repérage précoce-intervention brève s’est désormais élargi à l’ensemble des professionnels de santé. Il est important que les pharmaciens s’approprient cette approche qui, chez les personnes sensibilisées, peut entraîner une réduction de la consommation d’alcool de 20 à 30 %. A l’officine, le questionnaire AUDIT devrait être proposé tous les ans, dans le cadre de campagnes d’information ou de façon ciblée, auprès des patients à risque.

Comment le pharmacien peut-il améliorer ses compétences dans ce domaine ?

Les universités se sont emparées du sujet. En plus de la formation initiale, elles proposent des diplômes universitaires en addictologie. De nombreuses formations sont actuellement accessibles pour les pharmaciens. Mais le plus constructif reste de s’investir dans des réseaux de soins locaux qui proposent un accompagnement et des outils pratiques ou de se rapprocher des structures médico-sociales en ville qui assurent le soin et la prévention en addictologie (centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie…).

* Disponibles sur respadd.org et cespharm.fr

VIGILANCE !!!

Certaines contre-indications doivent être connues du pharmacien :

Acamprosate : insuffisance rénale (créatininémie > 120 µmol/l), allaitement.

Disulfirame : insuffisance hépatique, rénale ou respiratoire sévère, diabète, atteinte neuropsychique, atteinte cardiovasculaire, grossesse.

Naltrexone : insuffisance hépatique ou rénale sévère, dépendance aux opiacés.

Baclofène (en alcoologie, selon RTU) : comorbidité psychiatrique, sauf dépression ou anxiété d’intensité modérée (avec surveillance psychiatrique), insuffisance rénale, cardiaque, hépatique ou pulmonaire sévère, porphyrie, épilepsie ou antécédents de crises comitiales, maladie de Parkinson, grossesse, addiction à d’autres substances que le tabac et l’alcool.

Nalméfène : insuffisance hépatique ou rénale sévère, antécédent récent de syndrome de sevrage aigu à l’alcool, antécédent récent de dépendance aux opioïdes.

QUESTION DE PATIENT

« Je n’ai aucun risque de devenir alcoolique, je tiens super bien l’alcool… »

Au contraire ! La tolérance à l’alcool favorise des consommations excessives. Elle dépend de différents facteurs individuels : corpulence, sexe, métabolisme… Une grande tolérance à l’alcool peut également être le reflet d’une adaptation cérébrale à l’alcool susceptible d’aboutir à une alcoolodépendance.

QUESTION DE PATIENT

« Est-ce que je pourrai prendre mon traitement d’aide à l’abstinence si je tombe enceinte ? »

Le maintien de l’abstinence alcoolique est primordial au cours de la rossesse en raison des conséquences graves de l’alcool pour le foetus. S’il n’est pas recommandé d’initier un traitement au cours de la grossesse, la poursuite de la prise d’acamprosate et de naltrexone est possible au cas par cas.

INTERNET

Alcool info service

alcool-info-service.fr

Fédération addiction

federationaddiction.fr

intervenir-addictions.fr

MILDECA

drogues.gouv.fr

Respadd

respadd.org

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