Médicaments innovants : UN FINANCEMENT QUI POSE PROBLÈME - Le Moniteur des Pharmacies n° 3092 du 29/08/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3092 du 29/08/2015
 

Dossier

Auteur(s) : Magali Clausener

L’évaluation médico-économique pour les produits de santé est récente en France. Cet outil d’aide à la décision participe à la fixation des prix des médicaments innovants. Mais dans un contexte économique contraint, le financement de l’innovation fait de plus en plus débat.

Fin 2014, la baisse du prix de Solvadi a fait couler beaucoup d’encre. Après d’âpres négociations entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et le laboratoire Gilead, le prix du traitement est en effet passé de 56 000 € par patient à 41 000 €. Un montant qui reste cependant très élevé et qui pose la question du coût pour la collectivité, puisque le médicament est remboursé à 100 %. Et des milliers de personnes souffrent en France d’hépatite C.

Or, Solvadi risque de ne pas être le seul exemple de traitement onéreux pour une large population. « L’arrivée des nouveaux traitements de l’hépatite C a provoqué une onde de choc dans tous les systèmes de santé. Pour la première fois, la question de l’accès à l’innovation médicamenteuse s’est posée non pas pour des pays en développement ou émergents, mais pour les pays les plus riches. Cette situation inédite a nourri des débats sur la légitimité des niveaux de prix demandés par les industriels, sur les marges de manœuvre des gouvernements, sur les possibilités d’agir à échelon européen… », observe l’Assurance maladie dans son rapport « Charges et produits pour 2016 ».

L’arrivée de l’immunothérapie en oncologie et des thérapies ciblées ainsi que le développement de la médecine personnalisée, vont changer la donne. « Compte tenu des perspectives concernant les médicaments qui vont arriver sur le marché et leur coût prévisible, la poursuite d’un large accès à l’innovation constituera un défi pour le système de santé dans les années à venir », prévient d’ores et déjà l’Assurance maladie dans son rapport.

Dans ce cadre, l’évaluation médicale d’un traitement ne suffit plus pour répondre à toutes ces interrogations. Depuis la loi de financement de la Sécurité sociale de 2012, la Haute Autorité de santé (HAS) doit réaliser une évaluation médico-économique pour les médicaments innovants, c’est-à-dire qui ont obtenu une amélioration du service médical rendu (ASMR) de niveau I, II ou III (IV étant insuffisant).

Une évaluation économique aussi

En outre, le produit doit être, selon les critères de la HAS, « susceptible d’avoir un impact significatif sur les dépenses d’assurance maladie » (chiffre d’affaires égal ou supérieur à 20 millions d’euros en deuxième année pleine de commercialisation) ou « un impact sur l’organisation des soins, les pratiques professionnelles ou les conditions de prise en charge des malades ». « Il s’agit d’une analyse scientifique des paramètres d’efficacité et de coûts que l’on met en regard pour définir le ratio coût/efficacité. Il ne s’agit pas d’une analyse purement économique qui pourrait aboutir à des restrictions ou des rationnements, explique Jean-Luc Harousseau, président du Collège de la HAS. L’avis d’efficience doit permettre à la collectivité de prendre en compte l’intérêt thérapeutique mais aussi l’intérêt collectif. C’est un outil d’aide à la décision. » Pour l’instant, sur 18 mois, 33 médicaments ont fait l’objet d’une évaluation économique par la HAS (37 produits n’étaient pas éligibles, le CA étant inférieur à 20 M€).

Pour assurer cette mission, la HAS a élaboré un guide sur ses « choix méthodologiques pour l’évaluation économique ». Elle établit son « avis d’efficience » à partir du dossier remis par le laboratoire, l’examen de la qualité du modèle médico-économique et des réponses de l’industriel. L’objectif est d’estimer la quantité de ressources mobilisées par le médicament pour gagner une unité de santé supplémentaire par rapport au comparateur le plus pertinent. L’unité prise en compte est l’année de vie gagnée ou l’année de vie gagnée ajustée sur la qualité de vie (QALY). Le comparateur peut être par exemple la prise en charge du patient actuelle. Cette estimation aboutit à la validation du ratio différentiel coût/résultat (RDCR). Le RDCR est exprimé en euros/QALY ou en euros par année de vie gagnée. Par exemple, le RDCR du dolutégravir a une valeur de 16 526 €/QALY et de 15 341 € par année de vie gagnée. La HAS ne s’arrête pas là : elle identifie également les sources d’incertitude qui entourent ce ratio et en apprécie l’importance. Le ratio différentiel coût/résultat permet par conséquent de distinguer les produits les plus efficients, ceux qui vont pouvoir faire gagner le maximum d’unités de santé pour une quantité de ressources donnée.

En revanche, la HAS n’a pas fixé de seuils comme certains pays (Royaume-Uni par exemple). Ces seuils ont pour objet de définir la limite au-delà de laquelle le coût n’est pas considéré comme acceptable pour la collectivité. Ils peuvent aboutir de fait à un rationnement, puisque le médicament ne sera pas pris en charge socialement (voir encadré ci-contre).

L’avis d’efficience participe donc à la fixation du prix qui est négocié entre le CEPS et le laboratoire. Mais les critères habituels qui entrent en jeu dans les négociations sur le prix demeurent : ASMR ; prix des médicaments à même visée thérapeutique (s’il y en a) ; volumes de vente prévus ou constatés ; conditions d’utilisation du médicament prévisibles et réelles.

Pour la HAS, cette évaluation économique « favorise la cohérence entre le prix d’un produit et sa valeur thérapeutique ». Contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, elle ne sert pas à « évaluer l’opportunité de la prise en charge financière d’un produit », ce qui relève de la responsabilité de la Commission de la transparence.

Déterminer un juste prix et le revoir en fonction des nouveaux médicaments

Les évaluations médico-économiques de la HAS comportent cependant des limites. Il faut savoir que le prix sur lequel est basée l’analyse est celui revendiqué par le laboratoire. En effet, pour l’instant, les premiers avis d’efficience rendus par la HAS ne concernent que des primo-inscriptions de médicaments. « Le modèle est proposé avec le prix souhaité par la firme. Nous vérifions que ce modèle est correct. Il ne s’agit pas d’une analyse médico-économique réelle, mais projetée », reconnaît Jean-Luc Harousseau. Et de préciser : « La loi prévoit des évaluations à trois ou cinq ans après la mise sur le marché du médicament, c’est-à-dire lors de leur réévaluation. Nous devrions commencer à réaliser ces analyses à partir de 2016 ». Dominique Giorgi, président du CEPS, a d’ailleurs relevé, lors de la 1re université d’été du Leem (Les Entreprises du médicament), le 2 juillet 2015, que « la médico-économie ne peut avoir de sens qu’après une étude en vie réelle ». « A l’heure actuelle, ces évaluations médico-économiques sont intéressantes pour faire des choix entre des stratégies thérapeutiques, mais elles ne permettent pas de dire combien ça va coûter au final et combien on va économiser », souligne Eric Baseilhac, directeur des Affaires économiques et internationales au Leem. D’où l’idée de compléter l’évaluation économique par une étude d’impact budgétaire. Une recommandation de l’IGAS dans son rapport sur l’évaluation médico-économique en santé(1) qui devrait se concrétiser. « Le CEPS et le Leem sont d’accord pour ajouter une étude d’impact budgétaire fournie par le laboratoire. Et nous serons là pour analyser et valider ou non cette étude », explique le président du Collège de la HAS. « Ces études seront très utiles », commente Eric Baseilhac.

Pour l’heure, dans certains cas, les évaluations économiques de la HAS peuvent informer qu’une baisse de prix d’un produit peut conduire à une diminution du ratio différentiel coût/résultat. Elles n’indiquent pas pour autant le « juste prix » d’un médicament innovant. Pour Eric Baseilhac, le juste prix d’un médicament innovant est « d’abord fondé sur la valeur ajoutée du médicament », il doit aussi prendre en compte « la capacité de l’industriel à amortir les coûts de recherche et développement pour ce médicament et à investir dans de nouvelles innovations », ainsi que les « impératifs du payeur, c’est-à-dire la soutenabilité financière du modèle ». « Le juste prix est un équilibre entre le degré d’innovation de la molécule, son apport en termes de santé publique et la soutenabilité du coût pour l’assurance maladie », détaille pour sa part Mathilde Lignot-Leloup, directrice déléguée à la gestion et à l’organisation des soins à la CNAMTS, qui remarque que le « juste prix » fixé à un moment donné doit pouvoir évoluer dans le temps et être revu au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux médicaments et de l’évolution des techniques. Pour Jean-Luc Harousseau, ce ne sont pas tant les coûts de recherche et développement que la politique industrielle de retour sur investissement que les firmes veulent mettre dans la balance.

Difficile de mesurer des économies selon des critères sociétaux

Il faut donc trouver un prix consensuel lors des négociations entre le CEPS et les laboratoires. Ce qui s’avère très compliqué selon le Leem compte tenu de la régulation financière à court terme (économies demandées sur les médicaments par les projets de loi de financement de la Sécurité sociale annuels) et de la soutenabilité financière à moyen et long terme. Et de soulever un autre problème : le cloisonnement budgétaire entre l’hôpital et la ville. « Où vont les économies générées par des sorties d’ALD, des soins, des hospitalisations, des transports et des actes chirurgicaux évités grâce à un médicament innovant ? Il faudrait regarder tous ces éléments pour financer l’innovation ? déclare Eric Baseilhac. L’innovation coûte cher tout de suite, mais a des capacités à générer des économies plus tard. Il faut une régulation pluriannuelle. Nous sommes favorables à l’idée que le financement de l’innovation se fasse sur plusieurs années. » Dans les deux cas, le décalage temporel constitue le nœud central du problème. « La difficulté est le temps d’adéquation entre l’arrivée du médicament et les éventuelles économies générées par la suite, s’il engendre par exemple un moindre recours à certains soins. Le sujet est de pouvoir estimer de manière robuste ce potentiel d’économies en amont, par l’étude médico-économique, et de suivre leur réalisation », précise Mathilde Lignot-Leloup.

Difficile aussi de mesurer les économies liées à des critères sociétaux. Comment prendre en compte le fait qu’un patient reprenne une activité professionnelle grâce à un traitement et, par conséquent, paye des impôts et des charges sociales ? Un point soulevé par Eric Salat, patient-expert(2) et chargé de mission à l’université Pierre-et-Marie-Curie, qui met en avant les notions d’autonomie du patient mais aussi d’autonomie productive. « Mettre en place de tels indicateurs est complexe. Même le NICE(3) au Royaume-Uni a renoncé », observe Jean-Luc Harousseau. « Il faut développer deux aspects : que fait gagner l’innovation en termes de recours au système de santé ? Permet-elle d’éviter la précarité du patient ? A quoi sert de faire vivre des gens s’ils se retrouvent sans aucun moyen de ne pas être à la charge de la société ? », s’interroge Eric Salat.

La médico-économie est encore loin de répondre à tous les questionnements. D’autant que « tout le monde est en train de définir des normes », comme le souligne Jean-Jacques Zambrowski, économiste de la santé, et qu’elle n’en est qu’à ses débuts en France. Si son intérêt est cependant indéniable, elle ne peut pas faire l’économie d’un véritable débat de société. Peut-on en effet continuer à garantir l’accès de l’innovation à tous sans discrimination et à n’importe quel prix ? « Il faut bien qu’on trouve des solutions pour financer l’innovation. Il s’agit de choix fondamentaux que nos sociétés doivent faire, car la santé un est bien collectif précieux », résume Jean-Jacques Zambrowski.

(1) Dans son rapport, publié en décembre 2014, l’IGAS émet 17 recommandations dont le recours aux évaluations médico-économiques pour apprécier le contenu du panier de soins ou la fixation de prix assorti de conditionnalités en fonction des résultats.

(2) Le patient-expert désigne celui qui, atteint d’une maladie chronique, a développé au fil du temps une connaissance fine de sa maladie et a appris à vivre avec. Le patient-expert est avant tout acteur de sa propre santé mais il peut aussi intervenir en tant que personne ressource pour les autres.

(3) NICE : National Excellence of Clinical Excellence, équivalent en quelque sorte de notre HAS.

La médico-économie à l’étranger

La médico-économie est récente en France, contrairement à d’autres pays. Au Royaume-Uni, la première évaluation médico-économique remonte à 1971 et s’est véritablement développée à partir des années 90.

Contrairement à la France, qui a choisi une médico-économie informationnelle, le Royaume-Uni a opté pour une finalité décisionnelle avec la fixation d’un seuil d’efficience de 20 000 à 30 000 £ par année de vie gagnée ajustée sur la qualité de vie. C’est aussi le choix de la Suède, avec cependant un seuil implicite proportionné à la gravité de la maladie.

A contrario, l’Allemagne utilise peu les analyses médico-économiques et uniquement dans le cadre d’arbitrages. Une étude de l’OCDE sur 14 pays, « Value in Pharmaceutical Pricing », montre que les méthodologies diffèrent mais que la plupart des pays ont une approche « payeur public ». Certains ont fixé des seuils mais ne les publient pas, à l’exception du Royaume-Uni. « Les limites sont souvent dépassées, surtout pourles maladies graves ou orphelines, constate Valérie Paris, analyste des politiques de santé à l’OCDE et codiv de l’étude. Le seuil n’est pas le seul critère pour la décision, il n’est d’aucun secours pour des maladies très graves ou orphelines lorsqu’il n’y a pas d’autre alternative. Le pouvoir des laboratoires est illimité, quels que soient les bénéfices. » Valérie Paris relève aussi l’opacité des volumes financiers liés aux médicaments innovants.

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