« Le pharmacien est le héros du quartier »

En 2005 et 2006, ATD Quart Monde a réalisé des études sur le rôle du pharmacien auprès des personnes en situation de précarité. Quelles en sont les conclusions ?

Il faut d’abord préciser que nous parlons de « grande pauvreté domiciliée » : des personnes extrêmement pauvres qui ont un habitat, parfois précaire, mais inséré dans un quartier ou un village. Ces personnes ne sont pas en errance. Leur exclusion est très souvent cachée. Les études ont permis de montrer le rôle essentiel que joue le pharmacien auprès de ces personnes. Elles peuvent pousser la porte de l’officine sans rendez-vous et gratuitement. Le pharmacien est celui qui va éduquer à la santé, orienter vers le médecin ou appeler le praticien. Il va expliquer les traitements et conseiller. C’est également lui qui s’occupe de l’administratif et qui « s’embête » avec les papiers. On lui montre les résultats des prises de sang, les radiographies. Le pharmacien apporte parfois les médicaments au domicile des personnes âgées. Il remonte le moral… Le pharmacien de quartier ou de village connaît la population, le monde médical et le monde social. Ces études m’ont fait découvrir un monde professionnel de fraternité, des pharmaciens qui avancent les médicaments. Le pharmacien est un pivot de santé auprès des personnes en situation de précarité. L’officine a aussi un rôle culturel et social.

Ce rôle est-il encore plus important avec la désertification médicale ?

Oui, c’est encore plus vrai avec les déserts médicaux et l’éloignement des médecins généralistes après celui des spécialistes. Les gens se tournent encore plus vers l’officine. En 2009, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait moins de pharmacies dans les quartiers et les zones rurales en raison des regroupements et de l’apparition de pharmacies discount. Les plus pauvres sont montés au créneau : il ne faut pas enlever la proximité. Lorsqu’il n’y a plus de pharmacie, c’est catastrophique !

Les pharmaciens constatent un renoncement aux médicaments non remboursés, mais également à la complémentaire santé. Partagez-vous ce constat ?

Nous observons aussi ce renoncement aux médicaments non remboursés ou faiblement remboursés. On n’hésite pas à demander au pharmacien quels sont les médicaments remboursés ou non. Quant à la complémentaire santé, nous avons une avancée majeure depuis le 1^er juillet 2015 : toutes les personnes ayant un revenu inférieur à 972 € bénéficient d’une aide financière pour leur complémentaire santé [ACS] et d’un choix de 10 contrats négociés au meilleur rapport qualité/prix par les pouvoirs publics. Ce nouveau dispositif est calqué sur une expérimentation de l’Association pour l’accès à la complémentaire santé des populations en précarité (ACS-P), créée par ATD Quart Monde et plusieurs mutuelles. Nous avons conçu à l’époque une mutuelle sur le modèle des contrats collectifs d’entreprises, avec un rapport qualité/coût compétitif. L’une des difficultés pour les bénéficiaires de l’ACS est, en effet, de trouver une mutuelle peu chère mais de qualité. Dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, les pouvoirs publics ont réalisé une mise en concurrence des assureurs et mutuelles sur la base de contrats types. Les dix contrats sont maintenant opérationnels. Dans le cadre de ce plan, la franchise est supprimée pour les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire et le tiers payant est effectif. De plus, ces personnes bénéficient de tarifs médicaux sans dépassement d’honoraires dans le cadre d’un parcours de soins coordonnés, même si le médecin est en secteur 2. A l’officine, voilà une information à relayer aux patients en situation de précarité.