OUVRIR À L’HEURE DU DÉJEUNER EN TROIS TEMPS

Peu de temps après son transfert, la Pharmacie du Plaqueminier à Uzès (Gard) a ouvert à la pause déjeuner. « La pharmacie dessert une clientèle aux deux tiers non résidente et elle est à proximité d’un cabinet médical tenu par quatre médecins qui reste ouvert le midi et tard le soir, précise Daniel Bertrand, cotitulaire. Quand nous étions fermés le midi, les patients se dirigeaient vers une pharmacie d’une commune voisine. Nous avions une déperdition d’ordonnances de 12 à 15 % ! »

L’officine est maintenant ouverte de 8 h 30 à 20 h non-stop. Dès la première année, le chiffre d’affaires a grimpé de 18 %. « Ce service d’ouverture répond à un réel besoin, constate Daniel Bertrand. Nous avons plusieurs administrations en face de la pharmacie, les employés viennent faire leurs courses le midi, voire même flâner dans les allées de la pharmacie en attendant de reprendre leur travail. Nous avons également recruté de jeunes actifs et au niveau des clients habituels, l’affluence s’est répartie différemment, y compris chez les personnes âgées qui apprécient de pouvoir être mieux écoutées et prises en charge quand il y a moins de monde dans la pharmacie. »

Le créneau horaire du déjeuner permet aux clients d’éviter les heures d’affluence et donc d’apprécier davantage le temps qu’ils passent à faire leur shopping. Résultat : davantage d’achats d’impulsion, mais aussi un meilleur conseil grâce à une plus grande disponibilité de l’équipe. Daniel Bertrand a observé une progression de 2 % à 3 % du panier moyen.

Autre témoignage, celui de Valérie Cittanova et de son associée dans une pharmacie de banlieue à Bagneux (Hauts-de-Seine), là aussi placée sur un grand axe routier. « La décision d’ouvrir le midi a été prise quand nous avons appris la construction de bureaux à proximité et l’opportunité de pouvoir capter une nouvelle clientèle », explique-t-elle. Depuis, elle récupère en moyenne une dizaine d’ordonnances supplémentaires par jour. Valérie Cittanova constate également une augmentation de son chiffre d’affaires de parapharmacie et d’OTC. « Les actifs n’ont pas le temps d’aller voir leur médecin, ils viennent chercher notre conseil. »

1 Evaluer les besoins des clients

La réflexion sur l’ouverture entre midi et deux va dépendre des parts de marché de chaque officine dans la zone de chalandise, de l’intensité concurrentielle entre officines voisines, ainsi que de la manière dont les clients organisent leurs achats. « La stratégie du pharmacien peut être offensive pour gagner des clients ou défensive pour ne pas en perdre par rapport à un concurrent agressif », distingue Patrick Bordas, expert-comptable et responsable national du réseau professions de santé de KPMG. Pour Olivier Delétoille, expert-comptable du cabinet AdequA, ce n’est qu’une affaire de bon sens : « Certaines pharmacies n’ont pas le choix compte tenu de leurs emplacements (pharmacies de gare, saisonnières, de centre commercial…) alors que d’autres n’y gagneront rien (rurales, de quartier, certaines en centre-ville..). » De même, rester ouvert le midi n’apporte rien si les ventes du déjeuner cannibalisent les autres. Le pharmacien doit donc adopter une démarche stratégique globale réfléchie. « Celle-ci ne doit pas forcément reposer sur une approche purement comptable, d’autant que les retombées en termes de coûts ou gains induits, à court, moyen ou long terme, sont difficilement mesurables », souligne Olivier Delétoille.

2 Réorganiser les horaires de travail

Un autre facteur est à prendre en compte : l’éventuel surcoût de charges d’exploitation lié à l’augmentation des amplitudes horaires. Sur les frais fixes (électricité, chauffage…), l’effet est très marginal. Sur les autres coûts (effectifs, salaires), il n’y a pas de majoration si le titulaire procède à un simple réaménagement des horaires de l’équipe. Extension des horaires d’ouverture peut même rimer avec gains de productivité. « Une amplitude horaire élargie permet une meilleure répartition des horaires des salariés et un règlement des sureffectifs à certaines heures de la journée », constate Valérie Cittanova. Avec le lissage des pics de fréquentation, les conditions de travail sont moins stressantes pour tous et chacun dispose de plus de temps pour la gestion des tâches du back-office. « Nous avons créé un poste du matin occupé à tour de rôle par un préparateur qui vient une demi-heure avant l’ouverture pour ranger les commandes et qui assiste un des adjoints pendant l’heure du déjeuner avant de prendre congé l’après-midi », précise Mickaël Kieffer, chargé du planning et de la gestion du personnel à la pharmacie d’Uzès. Les quatre adjoints de la pharmacie assurent à tour de rôle la permanence du midi. Le travail en horaires continus est très apprécié par l’ensemble des salariés car il contribue à réduire leur nombre de jours de présence à l’officine. « Le nouveau planning, défini en concertation avec les 12 salariés de l’équipe, leur a été présenté un mois avant le changement et soumis à leur acceptation », précise Mickaël Kieffer,. Dans l’officine de Julie Haigneré, à Bruay-la-Buissière (Pas-de-Calais), cette réorganisation a été très bien acceptée. « Les deux adjoints, habitant à Lille et Arras, n’ont matériellement pas le temps de rentrer le midi. Ce sont eux qui assurent en grande partie ce service et apprécient leur nouvel emploi du temps », indique la titulaire.

Sur le plan social, il faut bien dissocier temps de travail du salarié et horaires d’ouverture, c’est-à-dire la différence entre les amplitudes d’ouverture et la durée du travail. « Pour ouvrir à l’heure du déjeuner, le pharmacien peut modifier et imposer une nouvelle plage horaire à ses salariés, tant qu’il ne touche pas à la durée de travail hebdomadaire, précise Sandrine Nowak, chargée des missions sociales au cabinet AdequA. Il faut dénoncer les horaires de travail précédents, respecter un délai de prévenance de 7 jours, obtenir l’accord du salarié et prévoir un avenant au contrat de travail en particulier pour les salariés à temps partiel. »

3 Tester sa clientèle avant de rester ouvert le midi

Est-il opportun d’ouvrir entre midi et deux ? Pour le savoir, Patrick Bordas conseille d’analyser le chiffre d’affaires d’une journée, heure par heure, pour connaître les pics de fréquentation et la typologie des clients qui viennent à la fermeture le matin et à l’ouverture en début d’après-midi : s’agit-il d’actifs, d’employés des administrations ou de retraités ? Par rapport à cette nouvelle offre de service, la clientèle va-t-elle changer ses habitudes et déplacer ses visites ? Quel sera le gain de nouveaux patients ? « Le pharmacien peut faire l’expérience d’ouvrir pendant un mois avant de procéder à un changement définitif, en assurant lui-même cette permanence du midi », conseille Patrick Bordas.