SUCCÉDER À UN FRAUDEUR - Le Moniteur des Pharmacies n° 3070 du 07/03/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3070 du 07/03/2015
 

Enquête

Auteur(s) : Myriem Lahidely

La fraude à l’assurance maladie a battu des records en 2014 et plusieurs pharmaciens ont été condamnés. Jusqu’à l’interdiction définitive d’exercer. Des confrères sont prêts à s’investir et à relever le défi de leur succéder. Ces reprises d’officines peuvent constituer une chance pour ces audacieux, au prix d’un vrai parcours du combattant.

Environ 4,2 millions d’euros répartis entre 46pharmacies : tel est le bilan des fraudes dressé par l’Assurance maladie en 2013. Soit dix fois plus qu’en 2007 et ses 400 000 euros de préjudices estimés. « Il y a toujours eu des fraudeurs, mais nous disposions de moins d’outils pour déceler les anomalies, rapporte Pierre Fender, directeur du contrôle contentieux et de la répression des fraudes à la CNAMTS. Aujourd’hui nous contrôlons plus et mieux grâce à des dispositifs qui nous ont permis de décupler notre capacité à repérer les fraudeurs. » Le chiffre peut paraître colossal, mais il faut le ramener au nombre d’officines. « Il ne représente que 4 à 5 % de l’ensemble des fraudeurs contre lesquels nous avons engagé des actions tous secteurs médicaux confondus, que ce soient les transporteurs, les infirmiers ou les médecins, et 6 à 7 % du montant total des préjudices. » Depuis 2011, le régime social des indépendants (RSI), qui compte 28 000 pharmaciens affiliés, a lui aussi mis en place un contrôle spécifique des officines. « Dans ce type de contrôles qui n’existaient pas chez nous auparavant, nous sommes associés à l’interrégime, notamment la CPAM à l’échelon régional. En trois ans, nous avons instruit plusieurs dossiers mais les contrôles positifs ont été très limités », résume Pascal Perrot, médecin-conseil du RSI national. Tout au plus, une vingtaine de pharmacies sont dans le viseur. Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), estime que des fraudeurs, « il n’y en a pas plus qu’avant, mais les croisements informatiques les rendent plus faciles à détecter. Toutefois nous restons une profession très codée où l’escroquerie est extrêmement rare par rapport à d’autres professions médicales ».

Cette fraude, qui repose le plus souvent sur le système du tiers payant, peut aussi être liée à des renouvellements d’ordonnance fictifs. « Nos contrôles partent parfois de remontées d’assurés ne comprenant pas que certains relevés de remboursements reçus de la Sécurité sociale ne correspondent pas à ce qu’on leur a délivré », confie Pierre Fender. L’Assurance maladie avertie du fait, celle-ci resserre son étau. « Les observations plus comptables des volumes de transactions financières et de remboursements adressés directement à la pharmacie surveillée, en fonction de la zone où elle est implantée, de sa taille et de l’activité générale moyenne observée dans les officines, donnent une batterie d’indicateurs. » En 2014, au moins six actions en justice étaient en cours pour des fraudes représentant entre 400 000 euros et 1,5 million d’euros de préjudice pour les caisses de Sécurité sociale et les mutuelles. Source principale des données : les requêtes informatiques sur la base des facturations télétransmises. « C’est riche d’informations puisque cela nous donne des éléments sur les modalités de transmission, en mode sécurisé avec carte ou moins sécurisé avec une attestation de droits, sur certaines aberrations dans les délivrances, ou encore sur des produits de la LPP* que certaines officines utilisent pour frauder », explique Pierre Fender. Autre source de repérage : le traitement d’un signalement après rachat d’une officine par un pharmacien ne retrouvant pas son chiffre d’affaires. « Celui-ci va automatiquement se retourner vers la caisse, qui va se retourner contre le vendeur », note Pierre Fender.

« Un gros travail pour retrouver la confiance des professionels de santé »

Dans ce domaine, les condamnations peuvent être très sévères : prison ferme ou avec sursis, interdiction totale d’exercer, saisie des avoirs. Dès lors qu’un pharmacien est condamné, une fermeture administrative de son officine peut être décidée par le préfet ou la direction de l’agence régionale de santé. « Cela reste très exceptionnel et pour un temps assez bref car la fermeture d’une pharmacie peut être un vrai problème dans les zones à effectif officinal réduit, pointe Michel Laspougeas, président du conseil régional de l’Ordre de Midi-Pyrénées. L’administration désigne généralement un remplaçant, le temps que le pharmacien revienne. Toutefois on ne peut le remplacer plus d’un an et un jour. » Si la condamnation excède ce délai, le titulaire a obligation de céder son officine. La licence, valable pendant ce délai, peut être reprise par un confrère. « En général, l’officine rouvre très rapidement sauf s’il y a sureffectif de pharmacies alentour », ajoute Michel Laspougeas. Au-delà d’un an, si la licence n’a pas été reprise, le Conseil de l’Ordre procède à sa radiation.

A la Colle-sur-Loup (Alpes-Maritimes), par exemple, l’ancien titulaire de la Pharmacie des Platanes a été condamné en septembre dernier à trois ans de prison ferme, 80 000 euros d’amende et une interdiction définitive d’exercer sa profession (voir Le Moniteur n° 3047). Son officine avait écopé en juin 2012 d’une fermeture administrative de deux mois après l’incarcération du pharmacien pour une escroquerie en bande organisée lui ayant permis de détourner près de 1 million d’euros en trois ans. Elle a rouvert début août 2012, gérée par une remplaçante désignée par l’administrateur. Cette pharmacienne, Karine Poizat, avait alors ressenti « l’impact énorme d’une telle affaire, l’entreprise ayant perdu 50 % de sa clientèle ». L’officine s’est retrouvée très vite en redressement judiciaire, en attendant sa mise en vente. Les salariés – quatre préparateurs et un adjoint dont le salaire, qui n’a pas été versé pendant les deux mois, a été pris en charge par un fonds de garantie – ont tous repris leur poste. « Chacun a été solidaire, le plus difficile était de remettre en route l’officine », témoigne la pharmacienne qui a été contrainte de tout reconsidérer: de l’agencement de l’espace de vente à la mise en place d’une politique commerciale attractive pour retrouver la confiance des clients. Elle a dû aussi entreprendre « un gros travail pour retrouver la confiance des médecins et des professionnels de santé alentour. » Depuis avril 2013, l’officine a un nouveau propriétaire déjà titulaire de la deuxième officine de cette commune.

En Ariège, une titulaire qui avait repris en 2001 une officine d’un petit village de montagne de 650 habitants, a été condamnée par le tribunal, en septembre dernier, à rembourser 640 000 euros et à une interdiction d’exercer pendant trois ans. Son délit : des falsifications d’ordonnances et des malversations avec des produits dopants qui lui ont permis de détourner de la Sécurité sociale et de 20 organismes sociaux plus de 600 000 euros. La caisse de ce département avait ouvert une enquête après que des assurés se sont interrogés sur des remboursements curieux. La pharmacienne, qui plaidait avoir agi pour sauver son officine en importante difficulté économique, à été mise sous curatelle et n’exerce plus depuis plus d’un an. Son officine a été fermée et aurait dû le rester définitivement si la commune, qui n’a plus de médecin, ne s’était pas débattue pour la conserver. La pharmacie la plus proche est à 8 kilomètres. « Aucun confrère des environs n’a fait d’offre d’achat, leur intérêt était sans doute que cette officine disparaisse. Mais le maire a fait beaucoup de propositions très concrètes », explique Michel Laspougeas. L’officine est en passe d’être vendue après un premier échec. « Par définition, une pharmacie qui a fermé n’a plus de clients, elle ne vaut plus rien, d’autant que l’on ne sait pas non plus quel est son chiffre d’affaires réel. Il est erroné de fait. Comme il n’y a plus dans ce cas de base de négociation, la pharmacie va être rachetée à très bas prix, entre 50 000 et 100 000 euros, ce qui pourra donner un peu de marge au repreneur en attendant le retour de la clientèle », espère le représentant ordinal.

Des caisses primaires pas toujours conciliantes avec les repreneurs

Au RSI, le médecin-conseil Pascal Perrot fait remarquer que « même si ce n’est pas spécifique aux officines, le chiffre d’affaires a rarement tendance à évoluer à la hausse juste après une grosse affaire judiciaire. » En particulier, la conséquence d’un chiffre d’affaires surévalué peut en effet exposer le repreneur à d’importantes difficultés. C’est ce qui s’est passé pour Julien Elbaz, titulaire à Cannes (Alpes-Maritimes). En 2006, il a acheté son officine 1,26 million d’euros – 130 % d’un CA estimé à 970 000 euros – à deux pharmaciens qui partaient à la retraite. Mais le nouveau titulaire n’a pas tardé à voir son chiffre d’affaires baisser de 30 à 35 %. « Je me suis rendu compte de certaines irrégularités, et en même temps je perdais une partie de clientèle qui venait à l’officine pour des avantages que mes prédécesseurs leur accordaient et que je leur refusais… »

Les deux confrères cannois, condamnés à 4 ans de prison dont 3 avec sursis, lui ont vendu une officine dont ils avaient dopé le chiffre d’affaires en escroquant la CPAM. A l’aide de médecins et de clients complaisants, ils délivraient des génériques facturés au prix du princeps. Ils facturaient également des médicaments et donnaient à la place des produits de parapharmacie. Le repreneur avait constitué lui-même un dossier remis à la CPAM de Nice qui a porté plainte, avec lui. « Elle a tout vérifié derrière, mais c’est bien la seule fois que la caisse primaire m’a appuyé. » Le titulaire a fait en sorte de conserver son équipe de 4 salariés pour maintenir un bon niveau de service et tenter de remonter son chiffre d’affaires. Et il a aussi embauché son père pharmacien comme remplaçant. « Nous parvenons tout juste à rattraper la baisse, concède-t-il. Si j’avais su, je n’aurais jamais acheté car sans l’aide de mon entourage j’aurais fait faillite depuis longtemps. La caisse primaire, qui n’a pas été très compréhensive ensuite, ne nous a pas facilité la tâche pour autant. »

L’action de la caisse a été déterminante pour un confrère des Bouches-du-Rhône, qui a racheté une officine, il y a quelques années, après une énorme affaire de malversation. Il confirme : « la Sécu m’avait demandé de faire attention, et j’avais dû les rassurer. Mais comme je changeais de secteur j’ai eu affaire à une nouvelle direction de CPAM et là j’ai eu droit à des contrôles très pointilleux. J’étais une lanterne rouge. Tout au long de la première année, ils ont épluché à la lettre ce que je faisais, puis j’ai eu de moins en moins de rejet. Il faut vraiment montrer patte blanche. » Ce pharmacien qui avait acheté l’officine en négociant le prix à 80 % de son chiffre d’affaires, soit 1,2 million d’euros, fait observer qu’« il vaut mieux acheter une officine qui a été exposée à un exercice non conforme plutôt qu’à un chiffre d’affaires très surévalué qu’il va être très difficile de démontrer par la suite ». Il ne regrette pas son choix : « ce n’est pas une affaire mais j’ai acquis une sérénité. »

Côté institution, il y a peu d’actions pour accompagner les reprises

Dans un condiv où la condamnation du vendeur est connue au moment où il vend, Stéphane Pichon, président du conseil régional de l’Ordre de Provence-Alpes-Côte d’Azur, alerte « la personne qui reprend le fait à ses risques et périls. Quand on investit dans une officine qui se vend dans un condiv judiciaire, il faut être vigilant. Mieux vaut bien se renseigner car la fraude invoquée n’est pas toujours celle qui va être réellement découverte. Dans le prix d’achat d’une officine, il faut bien évidemment déduire cette fraude du chiffre d’affaires et minorer encore ». Contrôler aussi les ordonnanciers, les factures, les maisons de retraite avec lesquelles l’officine traitait éventuellement, etc. « Il y a beaucoup de choses à regarder lorsque l’on réalise un tel investissement, le conseiller ordinal peut être sollicité là-dessus. Mais c’est au pharmacien repreneur d’aller chercher l’information. Il est indispensable qu’il soit un acheteur mature », ajoute Stéphane Pichon. Ni l’Ordre ni les syndicats n’ont en effet vocation à venir en aide dans un tel condiv.

De son côté, Bernard Darnois a repris en mars 2014 la Pharmacie de l’Alhambra à Montauban (Tarn-et-Garonne) après une série d’escroqueries commises par son prédécesseur, doublées d’un redressement fiscal, de trois plans successifs de sauvegarde puis d’une cessation de paiement. Le nouveau propriétaire conseille qu’« il faut surtout être bien accompagné et briefé par un avocat ou un conseil juridique qui a un vrai savoir-faire et une connaissance parfaite des spécificités pharmaceutiques. Notamment vis-à-vis de l’administrateur qui peut s’avérer totalement sourd à nos réalités. C’est aussi ce conseil qui participe à la négociation du prix et aux négociations éventuelles avec la banque ». Une fois l’accord obtenu, tout n’a fait que commencer pour ce pharmacien et son équipe, 20 salariés aujourd’hui – désignés par le tribunal administratif – plus 3 jeunes associés, contre 30 personnes auparavant en plus du titulaire condamné. « Il a fallu se retrousser les manches car nous reprenions une officine dont les 400 mètres carrés d’espace de vente étaient quasiment vides. Les fournisseurs ne livraient que lorsque les factures pro forma étaient payées, les rayons étaient donc vides ou remplis par épisode. Comme beaucoup de clients avaient déserté, il a fallu trouver le stock juste, commander en permanence à flux tendu. » Les grossistes, qui ne livraient plus, ont accepté de jouer le jeu. Toutefois Bernard Darnois fait observer : « Les laboratoires bloquaient nos comptes et les fournisseurs attendaient de nous des preuves que nous allions pouvoir les payer alors que je les connaissais depuis trente ans. Certains ont joué le jeu et sont venus pour des animations. Etre dans un groupement peut s’avérer important à ce moment-là car cela permet de retrouver plus facilement la confiance des laboratoires. » Au Conseil de l’Ordre, Michel Laspougeas confirme que « les grossistes sont les premiers lésés. En général, ils gèlent les avoirs et attendent de pouvoir récupérer l’argent dû ».

Comme ce genre d’affaires a évidemment un fort impact sur l’image de l’officine, il faut aussi tout faire pour rassurer les clients. A Montauban, « il y a eu les ultrasfidèles, contents de pouvoir revenir, il y a ceux qui ne reviennent plus et un tiers de clients qui ont papillonné et reviennent voir si c’est mieux qu’avant ». Pour les capter, l’officine, totalement réorganisée, a notamment mis en place une politique de prix bas. Achetée 2,1 millions d’euros il y a moins d’un an, son chiffre d’affaires a atteint 6 millions d’euros.

Mais le titulaire qui avait précédemment géré plusieurs pharmacies conséquentes, confie que « l’association est incontournable sur une grosse affaire de ce type. Ici il y avait un potentiel sur un axe routier très porteur. Sans ces conditions, je ne reprendrai pas une officine au tribunal. Il faut avoir de la carrure. » Surtout lorsque, côté institutions, il y a peu d’actions spécifiques pour accompagner ces reprises.

* Liste des produits et prestations.

De l’interdiction conventionnelle à l’interdiction d’exercer

Les anomalies peuvent être détectées par la caisse primaire, le RSI, une mutuelle ou par un particulier. Mais, en cas de fraude avérée, c’est la CPAM locale – qui a subi le préjudice – qui prend le dossier en main. « La section contentieux de la Sécurité sociale, comprenant le président du tribunal administratif, deux délégués des caisses et deux représentants du Conseil de l’Ordre, se borne généralement à émettre une interdiction conventionnelle », précise Michel Laspougeas, président du conseil régional de l’Ordre de Midi-Pyrénées. Dans ce cas, le pharmacien, resté dans son officine, est provisoirement déconventionné. Il ne gère plus les cartes Vitale et est interdit de prestations. Mais lorsque l’enquête se solde par une action en justice devant le tribunal administratif, le Conseil de l’Ordre attend l’issue du procès puis s‘empare du dossier pour un passage en conseil de discipline – obligation qui peut se traduire par une peine d’exercer pouvant s’ajouter à la peine décidée par le tribunal.

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