Que reste-t-il aux médecinsgénéralistes ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 3063 du 17/01/2015 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3063 du 17/01/2015
 

Enquête

Auteur(s) : Emilie Bollinger

Les médecins généralistes ont engagé un mouvement de grève très médiatisé pendant les fêtes de fin d’année. Ce coup de gueule passager pourrait bien être l’expression d’un mal-être plus profond, à l’heure où les prérogatives des omnipraticiens ne cessent de basculer vers les autres professions de santé.

Leur métier est-il en péril ? Entre les transferts de compétences vers d’autres professions de santé et le renforcement des conditions de prescription au profit des médecins spécialistes, les généralistes voient leurs attributions reculer au fil du temps. Cette tendance de fond participe à la crise de foi qui a mené les praticiens à fermer leur cabinet entre Noël et le jour de l’An. A cette occasion, les médecins ont voulu prendre l’opinion à témoin de leur mal-être.

C’est ensuite avec la grève de la télétransmission que les praticiens mécontents poursuivent leur mouvement. Du côté des généralistes, plusieurs revendications sont à l’origine. La première est tarifaire, la dernière revalorisation de la consultation datant de 2011. Mais ce qui a surtout crispé les médecins dans le projet de loi de la ministre de la Santé Marisol Touraine est la généralisation du tiers payant. Certains syndicats y sont opposés pour des raisons de principe, le paiement direct par le patient étant considéré comme un des piliers de la médecine libérale depuis 1927. Le tiers payant généralisé s’ajouterait à de nouvelles contraintes pour les médecins, comme celle qui les voit inscrire la correspondance entre principe actif et nom de spécialité des médicaments depuis le 1er janvier.

D’autres piliers de la médecine générale sont menacés. Même si la liberté d’installation demeure, les pouvoirs accrus dont pourraient bénéficier les agences régionales de santé (ARS) inquiètent. « Le service territorial de santé prévu dans le projet de loi Touraine reviendra à une mise au pas de la médecine libérale par le biais des ARS et à exporter en ville tous les défauts des hôpitaux publics », s’alarme Jean-Paul Ortiz, président de la Confédération syndicale des médecins de France (CSMF). Les syndicats redoutent que la déclinaison régionale de la convention médicale par le biais des ARS n’ouvre la voie à un conventionnement individuel des médecins. De même, le paiement à l’acte demeure majoritaire. Mais il est désormais complété par les forfaits notamment pour la consultation pédiatrique et par la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP).

Avec l’instauration du paiement « à la performance », l’Assurance maladie a commencé à mettre davantage son nez dans les ordonnances, avec pour premier et principal objectif de réaliser des économies sur le médicament. En effet, la logique de la « maîtrise médicalisée » engagée depuis le début des années 2000, et consistant à demander collectivement aux médecins de réduire leur prescription dans le cadre de la convention nationale avec l’Assurance maladie, commençait à s’essouffler. Au final, avec la ROSP, les primes accordées aux généralistes sont importantes, en moyenne 5 774euros par an.

Le second objectif était de réduire les disparités constatées dans les pratiques des généralistes et de les faire se rapprocher des référentiels de bonnes pratiques. Prescrire dans le Répertoire des génériques, préférer l’aspirine aux autres antiagrégants plaquettaires et les IEC aux sartans : ces injonctions ne sont pas du goût de tous les omnipraticiens. Juste avant son départ de la direction de l’Assurance maladie, en novembre dernier, Frédéric van Roekeghem était allé jusqu’à placer les primoprescriptions de certains hypolipémiants (Crestor, Ezétrol et Inegy) sous entente préalable de la CPAM. Piquée au vif, l’Union nationale des omnipraticiens français a demandé aux praticiens de boycotter ces demandes car la décision avait « pour but d’humilier les médecins généralistes libéraux en leur supprimant toute liberté de prescription ». Plus récemment, des généralistes se sont aperçus qu’ils n’avaient plus le droit de prescrire une instauration de nutrition parentérale. Après avoir été alerté, le ministère de la Santé a promis de faire marche arrière.

Des prescriptions de plus en plus restreintes aux spécialistes

Sur le terrain de la prescription médicamenteuse, il n’existe pas pour l’heure d’étude précise qui confirmerait une restriction du champ des possibles en médecine générale. Cependant, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) admet que les nouvelles AMM, principalement issues de la procédure centralisée au niveau européen, disposent d’indications de plus en plus ciblées et qui nécessitent une prise en charge spécialisée et/ou hospitalière. En outre, suite à des réévaluations de molécules déjà sur le marché et à des signalements de pharmacovigilance, dans le cadre d’arbitrages européens notamment, les conditions de prescription peuvent être restreintes afin de minimiser les risques identifiés, explique l’ANSM. Le classement d’un médicament en prescription restreinte aux spécialistes peut en effet intervenir en raison de « contraintes de mise en œuvre du traitement, eu égard à la spécificité de la pathologie et aux caractéristiques pharmacologiques du médicament, à son degré d’innovation ou à un autre motif de santé publique », précisent les divs réglementaires. Ainsi, l’ANSM a récemment décidé de classer les spécialités à base de fer pour injection intraveineuse en réserve hospitalière en raison du risque de réactions graves d’hypersensibilité. Ces spécialités ne peuvent désormais être prescrites mais aussi dispensées et administrées uniquement au sein d’établissement de santé.

En octobre 2011, l’agence avait décidé d’interdire aux généralistes de prescrire de la dronédarone à leurs patients atteints d’arythmie cardiaque et réserver la prescription aux seuls cardiologues en raison d’observation d’atteintes hépatiques graves. Cette décision était intervenue quelques mois après le déremboursement de cette spécialité. Mêmes causes, mêmes effets : lorsque l’indication du modafinil a été limitée uniquement au traitement des adultes souffrant de narcolepsie, la prescription initiale a également été réservée aux neurologues et aux médecins exerçant dans des centres du sommeil. Il en va de même, tout récemment, de l’isotrétinoïne, dont la prescription sera prochainement restreinte aux seuls dermatologues.

C’est aussi le sentiment d’être dépossédés de leurs prérogatives qui attise le mal-être des généralistes. D’où des réactions au quart de tour. Ainsi lorsque Marisol Touraine a intégré la vaccination à l’officine dans son projet de loi santé. « C’est une très mauvaise idée, on sort complètement du domaine de compétence des pharmaciens, estime Matthieu Calafiore, président du Syndicat national des enseignants de médecine générale (SNEMG). Ce n’est pas de déléguer le geste qui pose problème, même si je n’en vois pas l’intérêt car nous vaccinons quasiment toujours dans le cadre d’une consultation qui comporte d’autres motifs. En revanche, choisir tel ou tel vaccin par rapport aux recommandations et aux antécédents du patient relève du médecin généraliste. » « Les pharmaciens ne sont pas demandeurs, ça leur est tombé dessus », croit savoir Jean-Paul Ortiz. Le président de la CSMF s’inquiète bien davantage du rôle qui pourrait être dévolu aux futures infirmières cliniciennes, « qui vont pouvoir faire du diagnostic alors que cela doit être l’apanage exclusif du médecin ».

C’est toujours la crainte de se voir concurrencer sur leur cœur de métier qui avait aussi fait réagir les généralistes lors de la création des entretiens pharmaceutiques. Pour sa part, Matthieu Calafiore est beaucoup plus mesuré. « Je le vois comme une coopération à condition d’avoir un retour systématique du pharmacien, explique ce généraliste installé dans le Nord. Ce type de démarche est évidemment dans l’intérêt du patient. » Et c’est peut-être justement dans le développement de la coopération interprofessionnelle que les médecins généralistes vont pouvoir retrouver une pleine place dans le système de santé. « Il est temps de reconnaître que la médecine générale a non seulement des spécificités d’exercice mais aussi des savoirs propres », souligne le président du SNEMG. Selon lui, le travail de coordination est une de ces compétences définies par la WONCA (lire ci-dessous) et le généraliste doit l’assumer pleinement en lien avec d’autres professionnels de santé. En septembre 2013, en présentant sa stratégie nationale de santé, prélude à son projet de loi, Marisol Touraine avait assuré que les généralistes seraient le pivot de la prévention comme des « parcours de soins ». En novembre de la même année, à l’occasion du congrès du syndicat MG-France à Marseille, la ministre de la Santé avait assuré que « l’avenir appartient à la médecine générale », promettant de « mener avec succès la révolution du premier recours ». Entre-temps, le retard pris dans l’écriture et la discussion du projet de loi de santé a très probablement participé à la défiance des généralistes vis-à-vis du gouvernement.

Quoi qu’il en soit, la ministre ne peut pas ignorer que ses plans pour la médecine générale redessinent ce métier. Et que, selon les orientations prises, le cabinet du généraliste pourrait de plus en plus apparaître comme un guichet d’entrée dans le système de soins et le médecin comme un outil de régulation des dépenses de santé. Des signaux peu enclins à déclencher les vocations à l’heure où une spécialité « médecine générale » commence à émerger au niveau des universités.

Un médecin généraliste, c’est quoi ?

La définition la plus consensuelle et la plus complète de la médecine générale est probablement celle qui a été proposée par la branche européenne de la WONCA, organisation mondiale des associations de médecins généralistes, en 2002 (voir www.woncaeurope.org). Elle a été reprise à leur compte par les départements de médecine générale des facultés de médecine française. Cette définition détaille en particulier onze caractéristiques principales de cette spécialité. Ainsi, la médecine générale est décrite comme « le premier contact avec le système de soins, permettant un accès ouvert et non limité aux usagers, prenant en compte tous les problèmes de santé, indépendamment de l’âge, du sexe ou de toutes autres caractéristiques ». De plus, la médecine générale « utilise de façon efficiente les ressources du système de santé par la coordination des soins, le travail avec les autres professionnels de soins primaires et la gestion du recours aux autres spécialités » et elle « intervient à un stade précoce et indifférencié du développement des maladies, qui pourraient éventuellement requérir une intervention rapide ».

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