Joaquim Fausto Ferreira président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP) - Le Moniteur des Pharmacies n° 3056 du 22/11/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3056 du 22/11/2014
 

Entretien

Auteur(s) : Laurent Lefort*, Matthieu Vandendriessche**

C’est une opportunité unique pour se faire entendre. A l’heure où le modèle officinal interroge les pouvoirs publics, les répartiteurs ne veulent plus être le maillon négligé de la chaîne du médicament. Joaquim Fausto Ferreira, président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP), est leur porte-voix. Représenter de grands groupes financiers ne l’empêche pas de s’attacher au quotidien des officines françaises. Mais, pour lui, il faut changer les règles du jeu.

LE MONITEUR DES PHARMACIES : Comment se porte l’activité des grossistes-répartiteurs ?

JOAQUIM FAUSTO FERREIRA : Aujourd’hui, la situation est critique. La répartition a perdu 83 millions d’euros de marge commerciale en 2012, 32 millions en 2013 et s’apprête à perdre encore une trentaine de millions d’euros en 2014. L’an dernier, la marge commerciale de la répartition a poursuivi son recul, de 2,7 % sur le périmètre du médicament remboursable. Certains de nos adhérents affichent une exploitation déficitaire. Le segment des médicaments génériques est celui sur lequel notre situation économique est la plus critique, du fait d’une rémunération beaucoup trop faible. Dans ce condiv, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale [PLFSS] pour 2015 aggravera la situation puisqu’il devrait nous pénaliser à hdiv de 50 millions d’euros.

Vos autres activités ne compensent-elles pas cette situation ?

L’exercice est globalement déficitaire sur la répartition, mais en effet pas sur toutes nos activités. Cependant, nos ressources proviennent à plus de 90 % des activités de répartition. Les autres activités de centrales d’achats, de services et d’enseigne n’ont ni la dimension ni le rythme de croissance suffisant pour compenser un tel affaiblissement de notre cœur d’activité.

Selon certains syndicats d’officinaux, vous disposez pourtant d’un quasi-monopole sur la distribution des médicaments princeps…

Nous ne sommes pas dans une situation de monopole, ni ici ni dans les autres pays. En France, plus de 30 % des flux de médicaments transitent directement des laboratoires aux officines. Avec les activités de dépositaire, de centrale d’achats, de courtier qui se sont développées, parler de monopole de la répartition dans la distribution du médicament est tout à fait inexact.

Pour autant, la répartition est-elle encore un maillon indispensable à la distribution du médicament ?

La question est plutôt de savoir ce qui se passerait sur ce marché s’il n’y avait plus la répartition. Je suis pharmacien de formation, j’ai travaillé dans une officine. Je suis particulièrement sensible aux conditions d’exercice de ce métier. Le maillage officinal est capital, tant au plan sanitaire que social. En cette période où le gouvernement se penche sur la profession de pharmacien, il ne faut pas oublier ce que la répartition apporte aux officines. En moyenne, un médicament est livré en 2 à 2 heures 15 minutes après avoir été commandé. Sans la répartition, la pharmacie et son maillage territorial ne seraient pas ce qu’ils sont aujourd’hui.

En quoi consiste l’obligation de service public de la répartition ?

En France, il y a trois spécificités principales, qui sont reprises dans le Code de la santé publique. D’abord la largeur et la profondeur du stock. La répartition doit détenir au moins 90 % des spécialités commercialisées. Ensuite, la livraison à toute officine ayant passé commande s’effectue dans un délai maximal de 24 heures. Enfin, nous sommes soumis à des astreintes pour permettre la livraison des médicaments dans les situations d’urgence le week-end et les jours fériés. Les obligations de service public font partie de l’ADN de la répartition. Elles garantissent aux patients un même niveau d’accès aux médicaments, qu’ils habitent en ville ou en zone rurale.

Pour ce faire, certains répartiteurs appliquent des frais de livraison à leurs clients…

Chaque entreprise de répartition dispose de conditions générales de vente connues de ses clients. Rappelons qu’un pharmacien travaille souvent avec deux répartiteurs et que c’est une chance pour lui d’avoir accès au stock de chacun d’eux. Pour le reste, les pratiques peuvent varier selon les entreprises. En tout état de cause, les obligations de service public s’imposent à tous les grossistes-répartiteurs. Les commandes sont traitées au fur et à mesure de leur réception. L’obligation de livraison relève des obligations de service public. L’éventuelle facturation des frais de livraison relève des conditions générales de ventes.

Comment allez-vous vous adapter aux évolutions à venir : baisses de prix et baisse des volumes de vente des médicaments ?

Je ne crois pas que les répartiteurs seront amenés à livrer beaucoup moins de médicaments dans les années qui viennent. Le problème n’est donc pas celui des volumes. Si notre rémunération reste indexée sur le prix du médicament, les ressources et la marge demeureront insuffisantes pour couvrir nos coûts de fonctionnement. Nous voulons alerter les pouvoirs publics sur notre situation. Nous avons besoin de refonder notre système de rémunération, en particulier pour ce qui concerne le médicament générique.

Est-il exact que les répartiteurs perdent de l’argent sur ce marché ?

Absolument. Il y a quelques années, seulement 20 à 30 % des flux transitaient par la répartition. Aujourd’hui la répartition traite 64 % des flux. S’agissant des génériques, pour rester attractifs par rapport au circuit des ventes directes, les répartiteurs ont dû renoncer à l‘application de l’arrêté de marge qui reste la règle pour les princeps. Chaque année, les répartiteurs négocient de gré à gré avec les laboratoires de génériques le montant de leur rémunération. Le niveau de cette rémunération est sensiblement inférieur à celui que garantirait l’application de l’arrêté de marge. Et, à l’arrivée, la répartition perd plus de 10 centimes sur chaque boîte de générique qu’elle distribue. Mais la situation serait pire encore si ces flux lui échappaient.

Que proposez-vous pour faire évoluer votre rémunération sur le générique ?

A ce stade, nous n’avons pas formulé de proposition précise et définitive. Une des orientations à privilégier pourrait être de déconnecter la rémunération des grossistes-répartiteurs du prix fabricant. A cet égard, la solution du forfait est intéressante. Il est clair qu’il devrait être très sensiblement supérieur à la marge plancher de 0,30 euro qui existe d’ores et déjà.

Que change le nouveau plafond de remises sur les génériques ?

Le nouveau taux de 40 % change peu de chose du strict point de vue économique puisque les remises commerciales sur les génériques n’ont pas d’impact sur notre économie. Pour ces produits, en effet, le niveau de remise dont nous bénéficions nous permet de proposer aux pharmaciens des conditions commerciales attractives qui correspondent quasiment au maximum autorisé. Le changement que nous identifions à ce stade tient à la modulation qu’opèrent les laboratoires en fonction des molécules vendues. Pour des raisons juridiques, c’est sur ce critère qu’ils ont fait le choix de définir les taux de remises applicables. Avec le changement introduit récemment, ils disposent d’un éventail plus large entre 0 % et 40 %. Par conséquent nous aussi. En définitive, la concurrence étant particulièrement intense, le montant de remise que nous accordons aux pharmaciens est extrêmement proche de celui dont nous bénéficions de la part des laboratoires.

Concernant les débats qui agitent la profession depuis plusieurs mois, quelle est votre position sur la libre installation des officines ?

Nous ne sommes pas directement concernés par ces débats. Et il ne nous appartient pas d’argumenter sur cette problématique. En tout état de cause, compte tenu du rôle que nous jouons en soutien du réseau officinal, nous sommes particulièrement attentifs à toutes les initiatives qui pourraient déstabiliser le réseau.

Etes-vous favorable à l’ouverture du capital des officines ?

La chambre syndicale n’a pas à prendre position sur cette question. Ce qui veut dire qu’elle n’a pas cherché à influencer les pouvoirs publics ni dans un sens ni dans un autre. Ceux qui prétendraient le contraire se tromperaient lourdement. Il faut avoir à l’esprit que tout ce qui affaiblit le maillage de la pharmacie affaiblit celui de la répartition. Dans la période qui a précédé la mobilisation du 30 septembre, la plupart des répartiteurs ont montré leur solidarité envers le mouvement des pharmaciens, allant même jusqu’à leur servir de support logistique.

Des répartiteurs sont cependant prêts à entrer au capital des pharmacies. Ils en ont l’expérience dans d’autres pays.

Chaque entreprise s’adapte au marché sur lequel elle évolue. En France, des groupements et des enseignes de pharmacie sont adossés à certains groupes de répartition dans une logique de proximité et de partenariat. La législation le permet et c’est une bonne approche. D’autres modèles existent en Europe, ils sont adaptés au condiv légal de chaque pays. Il faut se garder d’en tirer des conclusions trop hâtives quant à l’évolution du modèle français. Le fait que certaines entreprises françaises de répartition appartiennent à des groupes internationaux est sans conséquence sur le cadre légal français.

Que pensez-vous du rapport Ferrand, qui préconise d’élargir la vente en ligne de médicaments, sous conditions, aux établissements de distribution en gros ?

Là encore, j’en reviens au cadre légal : en France, un pharmacien qui souhaite développer une activité de vente en ligne doit s’appuyer sur une pharmacie physique. Dans ce cadre, notre objectif est de répondre aux besoins du pharmacien qui se lancerait dans cette activité. Cela signifie que nous ne concevons pas notre implication dans ce domaine autrement qu’en apportant au pharmacien qui le souhaiterait notre expertise logistique et notre savoir-faire. Ce sera donc aux pharmaciens de nous dire ce qu’ils souhaitent.

La toute nouvelle chambre syndicale Federgy, qui regroupe pas moins d’une quinzaine de groupements et d’enseignes, est-elle votre concurrente ?

Il y a sur le territoire métropolitain plus de 180 établissements de répartition implantés au plus près des officines. J’ai écouté les propositions de la chambre syndicale des groupements. Elles sont légitimes et respectables. Mais les pharmacies ont besoin d’efficience. C’est ce que leur demande le gouvernement. A notre avis, il faut utiliser les ressources qui existent déjà.

Les répartiteurs reçoivent-ils un traitement équitable à celui des autres acteurs de la chaîne du médicament ?

D’un point de vue institutionnel, je ne veux pas croire que nous soyons traités différemment. Mais il est vrai que notre visibilité n’est pas proportionnelle à la qualité du service que nous proposons. D’un point de vue juridique, l’Autorité de la concurrence a fait état d’un déséquilibre concurrentiel entre les différents acteurs de la distribution en gros. L’avis du 19 décembre 2013 de l’Autorité de la concurrence revêt une importance toute particulière. Pour la première fois, en effet, une autorité publique fait le constat que le concept de marge du grossiste-répartiteur n’existe pas. Il y a une marge de distribution en gros à laquelle peuvent prétendre les distributeurs en gros, à savoir essentiellement les répartiteurs et les laboratoires lorsqu’ils vendent leurs produits en direct. Les uns sont soumis à des obligations de service public et les autres pas. Il y a donc un déséquilibre concurrentiel qu’il faut corriger. Cette analyse est fondamentale dans la mesure où elle signifie que la marge n’est pas la contrepartie des obligations de service public.

Et concernant le médicament non remboursable ?

L’analyse est d’une autre nature. L’Autorité de la concurrence pointe, à juste titre, un dysfonctionnement majeur de ce marché sur lequel les grossistes bénéficient, de la part des laboratoires pharmaceutiques, de conditions commerciales moins favorables que les détaillants alors que les volumes concernés sont évidemment sans commune mesure.

La taxe sur les ventes directes mise en place par le PLFSS 2014 était-elle une demande de votre part ?

Non, il s’agit d’une initiative du gouvernement. Par ailleurs, il faut préciser que l’expression de « taxe sur les ventes directes » est impropre. Parce que cette taxe s’applique à tous les acteurs du marché, y compris les répartiteurs. D’un autre côté, nous avons perdu 250 millions d’euros en cinq ans. Et si rien n’est fait, nous allons perdre 150 millions additionnels au cours des trois prochaines années. L’impact de cette mesure est donc tout à fait marginal.

L’Autorité de la concurrence pointait aussi des pratiques anticoncurrentielles des répartiteurs dans les départements d’outre-mer. Est-ce la réalité ?

La concurrence n’est effectivement pas de la même intensité dans les DOM qu’en métropole. Le marché y est très différent par la taille. Il faut rappeler que le marché dans l’ensemble des DOM représente 2,7 % du marché métropolitain en valeur. Dans ces conditions, dans chacun des DOM, le chiffre d’affaires qu’un répartiteur peut espérer réaliser est relativement modeste. Actuellement, la Guadeloupe et la Réunion comptent trois opérateurs, la Guyane et la Martinique, deux. Compte tenu de la taille des marchés concernés, il est vraisemblable que l’animation de la concurrence se heurte à la crainte des opérateurs potentiels de ne pouvoir mettre en place un modèle économique viable. Ce n’est d’ailleurs pas la seule problématique. Les délais d’écoulement des stocks depuis la suppression de la vignette sont notoirement insuffisants. Un certain nombre d’officines sont confrontées à de sérieuses difficultés de trésorerie, notamment en Martinique et à la Réunion. Et quand une pharmacie se porte mal, le premier concerné est son principal fournisseur, le répartiteur.

Les deux principaux groupes de répartition sont détenus par des capitaux américains. Quels sont les risques de cette situation pour les officines françaises ?

Pour une officine, ce qui est important c’est que son répartiteur soit fiable, réactif et lui assure un approvisionnement de qualité. A cet égard, les obligations de service public prennent tout leur sens. Tous les grossistes-répartiteurs s’y tiennent quel que soit leur actionnariat. Aujourd’hui, le risque pour l’officine ne tient pas à la nature juridique et/ou à l’actionnariat des entreprises de répartition. Aujourd’hui, le risque auquel est exposée l’officine tient à la fragilité économique de son premier fournisseur. Il s’agit d’un risque qui, faute de mesure rapide, se précisera chaque jour davantage.

Y a-t-il cependant un lien de cause à effet entre la financiarisation de la répartition et les ruptures d’approvisionnement de médicaments à répétition ?

J’ignore ce que vous entendez par « financiarisation de la répartition ». Ce que je sais en revanche, c’est que les ruptures d’approvisionnement ne sont pas seulement le fait de groupes internationaux. Elles touchent tous les répartiteurs. Ce qu’il faut voir, c’est que grâce à notre stock nous amortissons considérablement l’impact des ruptures. Les répartiteurs subissent en effet beaucoup de ruptures. Près de 15 % des boîtes qu’ils commandent aux laboratoires ne leurs sont pas livrées. En revanche, seulement 5 % des boîtes commandées par les pharmaciens aux répartiteurs ne leurs sont pas livrées. Sans la répartition, il y aurait donc trois fois plus de ruptures.

Que demandez-vous aujourd’hui aux pouvoirs publics ?

Il n’est pas possible d’aligner plusieurs exercices déficitaires sans que cela ait de conséquence sur la survie d’une entreprise. Le résultat consolidé de la profession affiche un recul de 67 % en 2013. Le niveau de rentabilité a été de 0,56 en 2012 et de 0,19 en 2013. Ceci alors que les entreprises font leur maximum en termes de gains de productivité et d’efficience. A la suite de l’analyse de l’Autorité de la concurrence, qui remet en cause l’architecture du système de distribution en gros, la ministre de la Santé a commandé un rapport à l’Inspection générale des affaires sociales. Nous avons rencontré les inspecteurs à plusieurs reprises. Aujourd’hui, nous attendons avec impatience la publication de ce rapport, qui a été achevé en juillet. Il nous paraît très important, en effet, que les constats et recommandations de l’Autorité de la concurrence, comme ceux de l’Inspection générale des affaires sociales, soient largement diffusés pour que la réflexion autour de notre marge s’engage sur des bases indiscutables. Les arbitrages récents qui semblent avoir été réalisés par le gouvernement témoignent de son attachement à un réseau officinal qui irrigue tout le territoire. Ce maillage officinal repose sur le maillage constitué des 181 établissements de répartition. Dans ces conditions, et en bonne logique, l’attachement des pouvoirs publics au maillage officinal doit se traduire par leur souci de garantir la pérennité du réseau de la répartition. Si les orientations des pouvoirs publics devaient se confirmer nous y verrions, au même titre que les pharmaciens, un signal encourageant, voire positif.

1988 Diplômé en pharmacie à l’université de Porto (Portugal).

1994 Entrée dans le groupe Alliance.

2011 Président d’Alliance Healthcare France.

2014 Président de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP).

Des quantités impressionnantes

• 800 millions de lignes de commande reçues et 1,9 milliard de produits distribué chaque année, soit une à trois boîtes par ligne de commande.

• 6,3 millions de boîtes de médicaments manipulées chaque jour.

• Une livraison regroupe, en moyenne, les produits de 18 laboratoires.

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