Couronnes sans joyaux

Alors qu’ils avaient mis les bouchées doubles en termes d’innovation, les acteurs du marché buccodentaire doivent constater une nouvelle érosion des ventes. Figure emblématique de ce rayon dont il représente 27,5 % des achats à l’unité, le dentifrice pour adultes perd à nouveau du terrain, reculant de 4,3 % en 2013. Ce n’est pourtant pas faute de lui donner un nouveau souffle. Après Oral-B Pro-Expert, lancé en janvier 2013, Procter & Gamble rempile un an après avec Oral-B 3D White, paré de promesses blanchissantes. « Nous ciblons davantage l’aspect cosmétique, avec une élimination rapide des taches en sept voire cinq jours et une focalisation sur la blancheur des dents », définit Nathalie Vimar, chargée de la communication de Procter & Gamble. Décliné en plusieurs sous-produits à fonction spécifique (éclat et soins, redensification de l’émail, protections contre les taches…), la gamme est complétée par une brosse manuelle dont la tête flexible contribue à polir les dents et par un fil dentaire spécial blanchiment. De son côté, le groupe Pierre Fabre multiplie les opérations de séduction. « Les produits Elgydium se prêtent à des animations en pharmacie, avec notamment une brosse à dents offerte pour deux dentifrices achetés », affirme Frédérique Dehainault, chef de groupe marketing.

L’officine ne doit pas délaisser le segment de l’hygiène. Le bond de plus de 5 % réalisé sur le chiffre d’affaires des bains de bouche l’an dernier confirme son potentiel d’évolution. Pour autant, le marché buccodentaire en officine ne retrouvera de son éclat qu’en se spécialisant. Depuis quelques années déjà, les pathologies font leur entrée en force sur ce rayon. En témoignent une nouvelle fois les progressions enregistrées dans les traitements des infections buccales, les brosses interdentaires et les accessoires tels que cure-dents et fils dentaires. Des segments où les officinaux jouent leur rôle d’expert. Car à la différence de la grande distribution, où l’offre reste peut lisible, la pharmacie propose une segmentation claire et forte. « Son principal atout réside dans son pouvoir d’offrir à chaque problématique dentaire, voire à chaque pathologie, sa solution », note Marie-Agnès Richard, directrice marketing chez Colgate Professional. De son côté, Frédérique Dehainault relève que les produits ciblés sur des pathologies spécifiques, concernant notamment les gencives, offrent une bonne résistance à l’involution subie par le marché. Pierre Fabre Oral Care confirme ainsi sa position de leader en pharmacie avec 25 % de part de marché.

Désormais, la diversification observée dans le domaine des produits d’hygiène s’applique aux solutions à vocation médicale. « Alors que la prévention de la carie constitue historiquement le cœur du segment, nous assistons à un intérêt croissant du marché pour les dents sensibles, l’érosion dentaire, la perte de salive, le bruxisme. Autant de sujets qui interrogent la profession dentaire », remarque Marie-Agnès Richard.

Le marché est aujourd’hui animé d’innovations déclinées par pathologies. Les marques se positionnent en poussant de plus en plus loin leur recherche scientifique. Il en va de leur crédibilité auprès des professionnels de santé, pharmaciens et prescripteurs comme les chirurgiens-dentistes et, de plus en plus souvent, les sages-femmes. « En pharmacie, parmi nos produits à vocation médicale, ceux recommandés par les prescripteurs sont ceux qui résistent le mieux », indique Frédérique Dehainault. Arthrodont et les brosses à dents Inava en sont des exemples. Les pharmaciens ont un rôle non négligeable à jouer dans le conseil associé pour les diabétiques ou la femme enceinte. « Il y a d’ailleurs une mine d’idées pour l’animation du point de vente, avec notamment des fiches conseil et des brochures », ajoute la chef de groupe Pierre Fabre.

Les brossettes interdentaires s’envolent

Anticipant sur la prise en charge de la visite dentaire pour la femme enceinte au quatrième mois, le laboratoire castrais avait lancé avant novembre 2013, la brosse à dents Inava « spéciale maternité ». Des conférences interdisciplinaires ont également été organisées au cours de l’année dans différentes villes de France sur le thème du tabagisme féminin. L’hygiène buccale et la prévention des interactions hormono-fœtales y étaient évoquées.

Résultat de cette médicalisation du buccodentaire en pharmacie, les ventes de brossettes interdentaires marquent une envolée de 9 % en volume. De même, les recommandations des professionnels se reflètent dans les achats de brosses à dents électriques, dont les volumes de vente ont augmenté de 7,6 % en 2013. Une performance qui est certes loin d’égaler celle de 2011 (+ 28 %), ni même celle de 2012 (+ 10 %), mais qui confirme la lente maturation de ce marché en France.

Si elles ne représentent encore que 3,5 % du chiffre d’affaires du marché buccodentaire en pharmacie, les brosses à dents électriques exercent une fascination sur le consommateur par leur aspect technique et design. Oral-B, qui détient 90 % de ce marché, poursuit sa conquête du haut de gamme avec le lancement en novembre dernier de la Black 7 000 trizone et ses six fonctions. La filiale de Procter & Gamble couronnera son expertise au début de l’été avec la mise sur le marché français d’une application permettant de connecter la brosse à dents par Bluetooth à un smartphone ou un portable. L’enregistrement des données de brossage (durée, fréquence mais aussi localisation par zones) permettra au chirurgien-dentiste de corriger les pratiques en entrant lui-même dans l’application ses directives, communiquées en temps réel au patient via son téléphone portable. Toujours dans la médicalisation de l’approche, le géant de l’hygiène a lancé une crème adhésive pour dentiers antiparticules. L’embout plus fin et la formule plus fluide permettent une meilleure application et donc une barrière renforcée contre les particules alimentaires. Cette innovation suffira-t-elle à relancer un marché en perte de près de 3 % de ses ventes à l’unité tant la concurrence des autres canaux de distribution s’avère rude ?

Les infections buccales, en tête des ventes

Loin de nuire au point de vente, la diversification et la différenciation des gammes profitent aux linéaires. Elles affirment la déclinaison des soins dentaires en trois voire en quatre gestes. Recommandé par les dentistes et soutenu par le conseil officinal, le brossage traditionnel est aujourd’hui complété par le brossage interdentaire, l’usage du fil dentaire et du bain de bouche. Ce dernier réconcilie les gammes d’hygiène et les produits à vocation médicale. Certes, les traitements des infections buccales, bains de bouche antiseptiques en tête, détiennent toujours le palmarès des ventes du rayon buccodentaire. Son chiffre d’affaires est de plus de 104 millions d’euros, soit une progression de 0,6 % en 2013. On notera le lancement l’an dernier du bain de bouche Eludril Perio, renfermant 0,2 % de chlorhexidine, sans alcool. C’est le seul qui détient une indication en traitement préopératoire. Au regard du poids de ce segment avec AMM, les bains de bouche dits cosmétiques n’en sont encore qu’à un chiffre d’affaires annuel de 16,7 millions d’euros. Leur progression, de 17,5 % en 2012, s’est repliée à 5,1 % l’année dernière.

Les fabricants n’en poursuivent pas moins leur lutte contre les effets des bactéries et de l’halitose. A tel point que le bain de bouche s’impose aujourd’hui au détriment des déodorants de l’haleine, qui enregistrent un recul de 6,5 % en valeur et 9,5 % en volume. Aux côtés du spray Fluocaril, la marque Alibi, disponible en pastilles et spray, résiste en restant une galénique de choix parmi les solutions proposées, affirme Frédérique Dehainault. La pression ne s’en fait pas moins ressentir. Chaque fabricant insuffle de nouvelles formules à ce marché, tel Procter & Gamble avec Pro-Expert Multi-Protection Menthe Extra-fraîche, le bain de bouche 3D White n’étant pas encore commercialisé sur le marché français.

Pour sa part, Listérine vient de lancer sa nouvelle version, Fraîcheur intense et le flacon nomade de la version Total Care, à destination des jeunes. Pour Frédéric Noirot, responsable de la marque au sein de Johnson & Johnson, « il s’agit de systématiser un geste encore minoritaire en France. 22 % des consommateurs y achètent un bain de bouche contre 44 % voire 50 % de la population dans les pays anglo-saxons », rappelle-t-il. Selon lui, les trois quarts des acheteurs de Listérine sont fidèles au circuit pharmaceutique. De là à affirmer que l’officine dort sur une mine d’or, il n’y a qu’un pas. La marque, qui détient 36 % du marché du bain de bouche à l’officine s’est fixée pour objectif de doubler la taille de son marché d’ici à 2017. Et de faire rentrer le bain de bouche dans toutes les salles de bain…