IGAS La culture de la discrétion - Le Moniteur des Pharmacies n° 3036 du 14/06/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3036 du 14/06/2014
 

Décryptage

Auteur(s) : Hélène Mauduit

Le rapport sur le Mediator, c’est elle. Celui sur la rémunération de la pharmacie d’officine, ses missions et son réseau, aussi. Idem pour la suppression de la vignette ou l’évaluation de la politique française des médicaments génériques. L’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) a beau cultiver la discrétion, l’affaire Aquilino Morelle, accusé d’avoir cumulé une activité de conseil auprès de laboratoires pharmaceutiques avec ses fonctions d’inspecteur, a bousculé l’institution.

Les noms des inspecteurs de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) sont en première page des rapports mais ces inspecteurs apparaissent peu sur le devant de la scène. Et ne parlent souvent que sous couvert d’anonymat, ce que confirme ce dossier. Toujours très attendus, leurs rapports sont plus souvent mis en ligne par communiqué que rendus publics lors d’une conférence de presse. Et, si c’est le cas, le ministre s’en sert comme tremplin pour ses propres annonces. Les inspecteurs n’y trouvent rien à redire, au contraire. Quand un inspecteur s’exprime, c’est au nom de l’institution. Il est de notoriété publique que l’esprit maison y est solide, renforcé par une collégialité du travail. Une des exceptions notables a été la publication, en janvier 2011, du rapport sur l’affaire du Mediator, dont le coordinateur était Aquilino Morelle. La conférence de presse se voulait spectaculaire et le ton employé tranchait avec le style policé de l’institution. Mais l’enjeu était de taille, car le ministre de la Santé de l’époque, Xavier Bertrand, voulait frapper fort, pour signifier que l’Etat réagissait à la détresse des victimes.

Souvent qualifiée de « bras armé du ministère de la Santé », l’IGAS est un service interministériel plus vaste, couvrant tout le champ du social.

Réalisant environ 200 missions par an, les inspecteurs interviennent sur quatre domaines : la cohésion sociale (personnes vulnérables, mineurs en danger, personnes âgées dépendantes, personnes souffrant d’un handicap, citoyens en situation d’exclusion sociale, accès aux droits sociaux), la santé et l’organisation des soins, la protection sociale (l’organisation et le fonctionnement des régimes de sécurité sociale), le travail, l’emploi et la formation professionnelle. Les ministres ont alors recours à l’IGAS pour « éclairer la décision publique » ou démêler une situation complexe dans la gestion d’un établissement.

Après la réception de la lettre de mission du ministre, dont le contenu a déjà été discuté avec le chef de l’IGAS, intervient la désignation des membres de la mission. Elle fait l’objet d’un savant dosage effectué par le chef de l’IGAS et son adjoint. Il s’agit de composer un groupe de deux à quatre inspecteurs, en tenant compte des compétences spécifiques de chacun, de leur « séniorité » mais aussi de leur disponibilité.

Il est d’usage de prendre un « connaisseur » du sujet et un « naïf ». La direction de l’IGAS est au fait de l’expérience de chaque inspecteur mais aussi de ses souhaits. « Tout se passe en bonne intelligence pour la réussite de la mission », assurent plusieurs inspecteurs. Un jeune énarque a évidemment moins de marge de négociation mais il est apprécié pour son « abattage » (notamment « la gestion de la liasse » de documents à éplucher).

Ce choix tient aussi compte des fonctions occupées par le passé, pour exclure tout lien d’intérêt, tient à souligner l’organisme. La question est abordée à chaque affectation et lors d’entretiens professionnels annuels. De plus, depuis 2013, lorsqu’un ordre de mission leur est transmis, les inspecteurs doivent attester par écrit de l’absence de « situation d’interférence » qui serait de nature à compromettre « l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions ».

Une fois l’équipe constituée, elle rédige rapidement, en relation avec le comité des pairs compétent sur son domaine – une dizaine de « co-pairs » – et la direction de l’IGAS, une note de cadrage définissant le plan de travail et les limites de la mission.

Les inspecteurs missionnés choisissent un relecteur-référent qui apporte ses conseils et effectue une relecture du div et de l’ensemble des documents. La phase d’investigation commence, d’abord par une partie documentaire puis par des déplacements sur le terrain. « Nous sommes des inspecteurs, nous sommes sur le terrain la plupart du temps, c’est le cœur de notre travail », souligne une inspectrice, qui indique « ne fonctionner qu’avec un téléphone portable ».

Un droit d’accès total à tout document

Un inspecteur de l’IGAS a droit d’accès à tout document administratif et de gestion, toute entrave pouvant être sanctionnée pénalement. Le risque de dissimulation existe – notamment dans les inspections-contrôles – mais, dans les faits, « nous voyons très vite les situations louches, témoigne cette même inspectrice. Nous questionnons tout le monde, sans exception, on ne peut pas nous cacher les choses. Mais nous ne sommes pas des policiers. Si nous soupçonnons une infraction, nous devons, comme tout fonctionnaire en vertu de l’article 40 du code pénal, la signaler à la justice, qui, elle, enquêtera ». Après la phase de terrain, les inspecteurs se lancent dans la rédaction du rapport. « C’est une phase très prenante. On est plongé dans le sujet, il faut trouver les réponses aux questions posées et les formulations pour se faire comprendre », poursuit l’inspectrice.

Les co-pairs accompagnent l’équipe et apportent, en début et en fin de mission (et plus si nécessaire) un regard critique, afin d’améliorer la rédaction et la cohérence des recommandations. Ils n’orientent pas les conclusions mais améliorent la qualité du rapport, y compris pour trouver des bons titres de chapitre. Les inspecteurs n’y voient aucune pression mais « un processus de qualité ». Peaufiner un rapport peut demander jusqu’à un mois.

En cas de mission de contrôle, le rapport provisoire est soumis à une phase contradictoire pour recueillir les observations des organismes, qui sont incluses dans le rapport définitif avec les réponses des inspecteurs et d’éventuelles modifications.

Une fois le rapport achevé et la réunion de fin de mission avec la direction de l’IGAS tenue, le rapport est transmis au ministre commanditaire avec une lettre du chef de l’IGAS, qui met des points en exergue ou peut apporter des commentaires. Les inspecteurs insistent sur le fait qu’ils s’engagent personnellement en signant leur rapport et mais que la collégialité du travail en fait une « production de l’IGAS ».

Des rapports publics… ou pas

La publicité donnée à un rapport dépend de beaucoup d’éléments, qui échappent à ses divs. C’est le ministre qui décide si et quand il est divulgué, et ses critères restent souvent opaques.

Au final, fait valoir l’IGAS, les rapports sont accessibles, soit par une mise en ligne via la Documentation française, soit sur demande à la Commission d’accès aux documents administratifs (Cada). Les rapports sont expurgés d’éléments personnels ou soumis au secret, notamment en cas de contrôle d’établissement. Il n’est pas rare que des mois s’écoulent entre la remise et la divulgation « officielle ». Le délai s’explique parfois politiquement. Le ministre garde le rapport sous le coude parce que ses conclusions ne vont pas dans son sens. Ce fut le cas du rapport IGAS-IGF sur l’aide médicale d’Etat rendu public le 31 décembre 2010, une fois promulguée la loi qui instaurait un droit d’entrée, que les inspecteurs déconseillaient. Ces délais et le manque de transparence ont le don d’irriter les parties intéressées au sujet, qui reprochent au ministère de cacher les éléments de sa décision. Le député socialiste Gérard Bapt cite le rapport sur la réorganisation des agences sanitaires, dont une première version aurait été rendue en mars 2013 mais reste inaccessible, ou le fait que la Cada oppose le statut de « document de travail » à certains rapports – au motif que la décision n’a pas encore été prise – et pas à d’autres.

Ce responsable de l’ex-Agence française de sécurité sanitaire environnementale se rappelle avec effroi avoir appris d’un journaliste, qui le contactait pour un témoignage, l’existence d’un rapport « cinglant » concernant la déontologie d’une expertise portant sur la téléphonie mobile. « Catastrophique pour la gestion des suites », conclut-il.

« Nous n’avons pas une mission d’information du public, nous sommes là pour aider le ministre à prendre des décisions, répond une inspectrice à cette objection. Sur des sujets sensibles ou quand la décision n’est pas prise, il est utile de retenir le rapport. Quand une personne doit partir, il est humainement préférable de lui laisser du temps. Quand les éléments peuvent influencer une négociation tarifaire, il est bon d’attendre pour ne pas la perturber. » Qu’est-ce qu’un bon rapport? Celui qui a répondu à toutes les questions posées, s’accordent à dire les inspecteurs. Le fait qu’il aboutisse ou non immédiatement à une prise de décision ne remet pas en cause sa qualité, c’est plutôt une affaire de circonstances. « Un rapport est toujours utile, notamment à moyen terme. Certains sujets nécessitent du temps pour mûrir, le rapport fait entendre une petite musique ou crée un débat qui aboutit quand les politiques sont prêts. » Les inspecteurs restent philosophes. « C’est un grand privilège de pouvoir influencer la prise de décision, nous avons un droit à la parole, ce n’est pas négligeable », reconnaît l’un d’entre eux.

Ça bouge

Sur les 177 membres du corps de l’IGAS, une grosse moitié seulement (95) sont présents dans le service. 82 inspecteurs sont « hors du service », en détachement dans la sphère publique ou en disponibilité dans le privé – durée pendant laquelle ils ne sont plus rattachés au service de l’IGAS.

Le détachement et la disponibilité sont « le fruit d’une démarche personnelle de l’agent » et l’IGAS y voit un apport à la richesse des travaux.

Les inspecteurs du corps ont au moins une fois une obligation de mobilité (deux à quatre ans après la sortie de l’ENA). Ces mouvements font que, chaque année, un tiers environ des inspecteurs du corps quittent le service et un tiers y reviennent.

Ces mouvements donnent lieu parfois à des situations cocasses où l’inspecteur en détachement met en œuvre, dans ses nouvelles fonctions, ses propres recommandations. Cela a été récemment le cas de Bruno Maquart, directeur de cabinet de Marisol Touraine, concernant la suppression de la vignette pharmaceutique, sur laquelle il avait écrit un rapport en juillet 2012 ! « Il a modifié certaines modalités, en prenant en compte l’impact économique de la mesure. Cela montre la différence qu’il y a entre la parole d’expert et la parole politique », remarque Philippe Besset, vice-président de la FSPF.

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