LES LABORATOIRES PHARMACEUTIQUES À L’ASSAUT DES PROJETS RÉGIONAUX DE SANTÉ - Le Moniteur des Pharmacies n° 3032 du 17/05/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3032 du 17/05/2014
 

Dossier

Auteur(s) : François Pouzaud

Par le biais de partenariats régionaux, davantage de laboratoires pharmaceutiques investissent le champ de la santé publique afin d’être reconnus comme nouveaux acteurs à l’optimisation du système de soins et de santé. Voyage au cœur de nouvelles stratégies.

La loi HPST (hôpital, patients, santé et territoires) aura marqué un tournant majeur dans le processus de régionalisation du système de santé. L’une des grandes avancées de cette loi est de donner un cadre légal à des initiatives locales de coopération inter­professionnelle répondant aux besoins de santé des patients et aux nécessités du terrain. Dans ce vaste chantier, les agences régionales de santé (ARS) sont devenues la clef de voûte de la nouvelle organisation de l’offre de soins et du décloisonnement des secteurs, permettant ainsi le développement d’actions cohérentes.

Cette refonte en profondeur du système de santé s’accompagne d’une redéfinition de la carte des pouvoirs en région et des interactions entre acteurs. En effet, la loi permet à ces derniers de nouer des partenariats entre eux, dans un cadre contractuel qui définit le rôle de chacun. Le condiv de crise économique et de maîtrise des dépenses oblige à une plus grande coordination des soins, à la mutualisation des moyens et des compétences au niveau loco­régional et à une diversification des financements des actions de santé publique.

Estimant qu’ils ne peuvent rester à l’écart de ces évolutions et de tels partenariats, un nombre croissant de laboratoires pharmaceutiques choisissent d’intégrer la dimension régionale dans leur réflexion stratégique et leurs actions de santé publique. Ce qui a conduit certains d’entre eux à revoir leur organisation sur le terrain et à l’adapter à la nouvelle cartographie du système de santé. Si leurs initiatives sont louables, d’aucuns s’interrogent sur la place et le rôle effectif des industriels du médicament en matière de politique régionale de santé publique. Ont-ils une légitimité à mener des actions auprès des autorités de santé ? Dans quels domaines ou pour quelles problématiques ? Quels objectifs poursuivent-ils ? Quel retour sur investissement peuvent-ils attendre de leurs actions ? Cet investissement est-il mesurable ?

Une participation régionale qui divise

Près de cinq ans après la promulgation de la loi HPST, les avis divergent toujours sur la place susceptible d’être occupée par l’industrie pharmaceutique dans le système de santé. Les ARS sont loin d’être unanimes sur son rôle et son utilité dans l’atteinte des objectifs régionaux aux côtés des autres acteurs. Leurs réactions vont de la réticence par principe à toute forme de coopération, à la prise de position favorable d’ARS « pragmatiques » qui considèrent que toute expertise, tous savoir-faire et moyens financiers sont bons à prendre, en passant par la neutralité bienveillante d’autres ARS qui donnent leur accord à des projets régionaux portés par les industriels, mais sans les cautionner officiellement. Ce manque d’ouverture des ARS à leur égard tient aussi au fait que les fabricants de produits de santé n’ont pas été retenus par le législateur comme partenaires à part entière dans la mise en œuvre des projets régionaux de santé (PRS).

Au sein même des laboratoires, les avis sont également partagés. Certains comme Sanofi, Novartis, Pfizer, Bayer Healthcare, Boehringer Ingelheim, Baxter… y voient une opportunité – en dehors de toute velléité promotionnelle – de faire évoluer leur positionnement dans le système de soins et d’asseoir une légitimité en tant qu’acteur de santé publique contribuant à l’amélioration de l’efficience des soins. À l’inverse, d’autres (Astellas France par exemple) sont plus réservés sur ces partenariats, compte tenu du peu d’autonomie et de pouvoir de décision dont les ARS disposent à l’égard des autorités de tutelle.

« De manière générale, les directions des laboratoires restent circonspectes, et ce pour plusieurs raisons, explique Hélène Charrondière, directrice du pôle Pharmacie-Santé des Échos Études à qui l’on doit justement une étude très fouillée sur le sujet, intitulée « Les stratégies de partenariat entre industries des produits de santé et acteurs de santé en région ». « Tout dépend de la lecture que ces directions font de la loi HPST. Est-ce une loi de déconcentration ou à l’inverse d’étatisation donnant à l’Etat tous les moyens d’une reprise en main du système de santé ? Par ailleurs, certaines directions sont sensibles au fait qu’une organisation régionalisée des Affaires publiques renforce l’exposition de leur laboratoire sur le terrain, ce qui n’est pas opportun dans le climat actuel de suspicion à l’égard de l’industrie pharmaceutique. Enfin, certaines considèrent qu’il est prématuré de mettre en place des organisations régionales tant que les ARS ne détiennent pas les leviers de la régulation économique des soins. Cette vision se défend car la loi HPST et la future Stratégie nationale de santé ne conduisent pas à une décentralisation de notre système de santé. Celui-ci reste piloté au niveau national. Son financement et les arbitrages budgétaires ne sont pas délégués aux régions, contrairement à ce que l’on observe au Royaume-Uni, en Allemagne, en Espagne ou en Italie… ».

La régionalisation facilitée pour les laboratoires leaders, déjà implantés

L’intégration de cette nouvelle dimension territoriale se retrouve davantage chez les laboratoires leaders, pour certains ancrés de longue date dans les régions françaises à travers leurs centres de R&D et leurs sites de production (Sanofi notamment). Leurs responsables y voient une opportunité pour amorcer un changement culturel. Pour être promue au rang « d’entreprise de santé », celle-ci doit être capable de proposer, en marge des solutions thérapeutiques, des services associés destinés à améliorer la prise en charge des patients, le suivi et la coordination des soins. La structure des portefeuilles de produits, centrés sur les médicaments réservés à l’hôpital et/ou aux maladies graves et ou chroniques, conditionne aussi largement la détermination des industriels à intégrer des enjeux régionaux dans leur organisation interne. Sans compter la question des moyens financiers, car la mise en place d’une organisation type « Affaires publiques » en région représente un investissement qui n’est pas à la portée de tous les laboratoires.

À l’instar de Bayer, Baxter, téméraires, qui va piano va sano (fi)

Les entreprises pharmaceutiques qui ont amorcé ce virage le font donc avec une prudence de circonstance. Elles restent dans une phase d’observation et de test, menant dans une logique d’expérimentation des actions en coopération avec des URPS (Unions régionales des professionnels de santé), des établissements de soins, des réseaux de professionnels de santé, des associations de patients… Elles le font quand même en l’absence d’un cadre défini par les autorités car très peu d’industriels sont parvenus à contractualiser des partenariats avec les ARS. L’apprentissage est commun et se déroule au fil des expériences et d’un processus d’ajustement nécessaire, avec le soutien ou pas des ARS.

Bayer figure parmi les plus téméraires. Ce laboratoire a mis en place onze projets en région en partenariat avec une ARS en 2012 et pas moins de vingt-deux avec quatorze ARS différentes en 2013. Sanofi n’est pas en reste avec une quinzaine de projets. Baxter s’est lancé également en concluant des partenariats avec des acteurs de santé, mais sans contractualiser avec les ARS qui se contentent de donner leur assentiment sur les projets. En Bretagne, ce laboratoire a par exemple financé avec l’accord de l’ARS une campagne grand public incitant la population du Finistère à aller se faire vacciner contre la méningite C, répondant ainsi à un problème spécifique rencontré dans cette région. En terra incognita, les industriels avancent donc à pas comptés et proposent des projets sur un certain nombre de thèmes pour lesquels ils se sentent légitimes d’intervenir tels le bon usage du médicament, l’observance des traitements, la prévention, le dépistage, l’éducation à la santé… thèmes qui correspondent à des zones d’intérêt commun avec les acteurs de santé en région. « L’article 84 de la loi HPST a exclu les industriels du médicament des programmes d’éducation thérapeutique du patient mais elle laisse des ouvertures pour les actions d’accompagnement des patients », indique Hélène Charrondière. En revanche, la coordination des parcours de soins, sujet d’actualité s’il en est, reste un domaine complexe à aborder, même si Bayer Healthcare s’y investit courageusement. Ce laboratoire a ni plus ni moins l’ambition d’initier ou de participer à des projets destinés à éliminer les zones de rupture des parcours de soins, afin d’améliorer la prise en charge des maladies chroniques et l’efficience globale du système de santé.

Les principales pathologies concernées sont les maladies graves (AVC, sclérose en plaques) et/ou chroniques. À titre d’exemple, Sanofi, en lien avec les URPS des médecins libéraux d’Aquitaine, a conduit un projet pilote en faveur de la mise en place d’un carnet de surveillance des personnes âgées à domicile afin d’optimiser la coordination des soins entre l’hôpital et la ville. Bayer s’est rapproché de l’association France AVC et de la société française neurovasculaire pour monter une campagne de sensibilisation « AVC, vite le 15 ! » Objectif, sensibiliser la population aux symptômes de cette urgence médicale pour une prise en charge précoce. De son côté, Boehringer Ingelheim a monté un programme régional d’organisation de la filière FA (acronyme de fibrillation auriculaire) répondant aux priorités régionales de santé et décliné dans dix-sept villes.

Les ARS de plusieurs régions ont été impliquées dans le programme de BMS intitulé « Horizon et santé » qui a pour but de perfectionner le parcours de soins des patients complexes souffrant de maladies graves et/ou chroniques, dans le projet « Maladie chronique et territoire », de Sanofi visant à améliorer le taux de dépistage du cancer du sein des populations vulnérables de Picardie, ou encore dans celui de Bayer déployé en Bourgogne et Aquitaine pour organiser avec l’aide d’infirmières coordinatrices le suivi des patients en post-AVC à leur sortie de l’unité neurovasculaire de l’hôpital.

Des actions qui restent à évaluer

La plupart des projets qui ont démarré il y a deux ans vont entrer prochainement dans une phase d’évaluation, l’objectif étant bien sûr de les pérenniser et de les étendre à d’autres régions, voire au niveau national. Un peu partout, les régions deviennent donc des laboratoires d’essais et les premiers projets développés ont pour objectif de défricher le terrain et de baliser la voie, pour que demain un plus grand nombre d’entreprises s’y engage, passant du rôle d’observateurs à celui d’acteurs. Autant dire que l’évaluation de ces projets et la démonstration de leurs bénéfices pour la collectivité sont très attendues. Et pour les laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes, quel retour sur investissement attendre de ces démarches ? Les bénéfices attendus peuvent être de plusieurs ordres et s’analyser principalement ainsi: en termes de valorisation de leur image, de reconnaissance de leur légitimité à devenir « un acteur de santé responsable » ; accessoirement, en termes de retombées directes sur le CA régional des produits concernés (par exemple, par une action d’amélioration de l’observance des traitements) ou futures sur des lancements à venir qui bénéficieraient de la préférence des prescripteurs et des décideurs régionaux. « La finalité de ces projets ne peut pas, et ne doit pas être commerciale. Ils doivent s’inscrire dans la perspective de restaurer une relation de confiance mise à mal ou perdue avec les professionnels et les autorités de santé. Et ils doivent promouvoir des services ou des solutions à valeur ajoutée. Ils sont, à l’échelon territorial, la traduction concrète du nouveau business model de l’industrie pharmaceutique. Ils revêtent donc à la fois des enjeux d’image forts et une dimension stratégique de long terme », conclut Hélène Charrondière

CHRISTIAN GOETGHEBEUR, DIRECTEUR GRANDS COMPTES ET RELATIONS INSTITUTIONNELLES CHEZ MSD

« Rendre les médicaments plus efficients en vie réelle »

« La prise en compte de la régionalisation de la santé permet de se rapprocher au plus près des centres de décisions, de proposer une offre globale de services répondant aux problématiques particulières de santé et de prise en charge des patients qui ne sont pas les mêmes selon les régions. Par exemple, certains régions sont plus rurales que d’autres, ou plus exposées à la désertification médicale, les temps d’accès aux spécialistes peuvent être allongés… Dans le Nord, l’espérance de vie de la population est inférieure de 4 à 5 ans par rapport à la moyenne nationale, la problématique de l’accès plus précoce est plus forte. Ainsi, en partenariat avec La Maison du diabète, MSD participe dans cette région à l’opération du Diabétobus, une antenne itinérante qui a pour vocation de favoriser le dépistage et la prise en charge précoce des patients diabétiques ayant des difficultés d’accès aux offres de soin. L’objectif de MSD à travers des projets régionaux, est donc de contribuer à l’amélioration de la prise en charge des patients, en lien avec les besoins locaux, et en collaboration avec les professionnels de santé, de rendre les médicaments plus efficients en vie réelle, en facilitant leur bon usage et en améliorant leur observance. »

Sondage directmedica

Sondage réalisé par téléphone du 31 mars au 2 avril 2014 sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens titulaires en fonction de leur répartition géographique et de leur chiffre d’affaires.

JEAN BOURHIS, DIRECTEUR NATIONAL DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES ET ÉCONOMIQUES CHEZ NOVARTIS

« Permettre une modification des indicateurs de santé dans une région donnée »

« Depuis cinq ans, Novartis est engagé dans le développement de projets et partenariats utiles au développement d’actions de santé publique en fonction des priorités de chaque région. Notre soutien n’est pas forcément financier. Les ressources que nous allouons aux régions peuvent s’apprécier davantage en termes de temps, de compétences en gestion de programmes, d’expertise méthodologique, de capacité à mailler les différents acteurs régionaux et locaux et mettre en place des synergies entre eux. Par exemple, nous travaillons en transversal avec les institutionnels et les professionnels de santé à l’analyse des parcours de soins, à l’identification des zones de rupture et à la mise en œuvre d’améliorations de ces zones de rupture. Sur d’autres projets en rapport avec les aires thérapeutiques où nous sommes présents, nous participons à des programmes d’amélioration de prise en charge de pathologies qui vont permettre une modification des indicateurs de santé dans une région donnée. »

DOMINIQUE AMORY, ASSOCIÉ DE NEXTEP, AGENCE CONSEIL EN AFFAIRES PUBLIQUES

« Restaurer une image de partenaire largement ternie par les dernières affaires à scandale »

« Le développement par les laboratoires de stratégies de partenariat en régions est une tendance lourde. Dans un condiv contraint de régulation des prix industriels et de marché fortement concurrentiel, et avec la raréfaction des innovations (90 % des nouveaux médicaments commercialisés ont une ASMR V), les laboratoires n’ont pas d’autres alternatives que de se différencier par les services et notamment par des programmes d’accompagnement et de suivi thérapeutique des patients. Un retour en termes de business est extrêmement difficile à évaluer. En revanche, ces partenariats permettent de restaurer une image de partenaire largement ternie par les dernières affaires à scandale et un climat apaisé, d’avoir des relations plus stables avec les autorités de santé et un meilleur déroulement dans le cycle de vie de leurs produits. Par exemple, un service supplémentaire apporté à un hôpital peut faire la différence au moment d’un appel d’offres.

Cette stratégie répond également à une exigence des autorités de santé pour le bon usage du médicament auquel les laboratoires sont prêts à souscrire en utilisant l’échelon régional comme pilote. Le corps médical est aussi preneur de services de la part de l’industrie car, au-delà du produit de prescription, il a besoin d’informations de vie réelle et d’accompagnement des patients dans leur parcours de soins. »

RENAUD NADJAHI, PRÉSIDENT DE L’URPS-PHARMACIENS ILE-DE-FRANCE ET TITULAIRE À RAMBOUILLET (YVELINES)

« Bénéficier du savoir-faire et du soutien financier et logistique des laboratoires »

« Dans le cadre de l’URPS, plusieurs industriels du médicament nous ont accompagnés sur une série d’actions: GSK dans le programme “Pharmaciens prévention et vaccination” visant à améliorer la couverture vaccinale anticoquelucheuse des adultes, Sanofi dans le suivi des pathologies chroniques, BMS dans l’organisation de la journée nationale de l’URPS, Léo Pharma dans la mise en place d’un programme d’initiation et de formation de tous les professionnels de santé sur le thème thrombose et cancer… C’est une véritable opportunité que de travailler avec des partenaires industriels qui nous apportent leur expertise, leur savoir-faire, leur soutien financier et logistique, leur capacité à mettre en relation les professionnels de santé, à les mobiliser autour de projets de coopération et de coordination des soins (éducation thérapeutique du patient, suivi des pathologies chroniques…) »

NATHALIE BESSARD, TITULAIRE À SAULIEU (CÔTE-D’OR), PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ DU MORVAN

« Réunir entre eux les professionnels de santé, décloisonner les rapports »

« Le leitmotiv de l’association est de réunir les professionnels de santé entre eux et une façon de décloisonner les rapports consiste à monter des formations communes et de proximité sur le terrain. Ces réunions sont régulièrement organisées avec le concours de laboratoires qui nous apportent non seulement leur soutien financier mais aussi leur connaissance des acteurs de santé locaux. Ils nous trouvent souvent le bon intervenant pour nos soirées de formation que nous organisons quatre à cinq fois par an. Grâce à leur aide, nous avons pu nous former ensemble sur l’addictologie, organiser localement la prise en charge multidisciplinaire des patients concernés ou encore, dans le domaine des anticoagulants, de protocoliser la prise en charge des INR hors limites. Aujourd’hui, l’association est sollicitée par Novartis pour participer à une enquête d’évaluation sur le suivi des patients atteints de BPCO et la bonne observance des traitements. »

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