DANS LE SECRET DES NÉGOCIATIONS - Le Moniteur des Pharmacies n° 3029 du 26/04/2014 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 3029 du 26/04/2014
 
PRIX DES MÉDICAMENTS REMBOURSABLES

DÉCRYPTAGE

Auteur(s) : Hélène Mauduit

Le processus de fixation des prix des médicaments est souvent critiqué pour son opacité. Tout se passe entre l’industriel et le Comité économique des produits de santé, suivant un cadre assez verrouillé et avec une pression constante sur les prix. Invitons-nous à la table des négociations.

Les écarts de prix entre médicaments remboursables, nouveaux arrivants ou plus anciens, suscitent l’incompréhension ou même des soupçons de complaisance avec les industriels. Pour des raisons de confidentialité, le contenu des discussions reste secret. Seul le prix de vente en officine est rendu public. Mais les règles du jeu, assez complexes, sont définies par la loi ainsi que par l’accord-cadre passé entre les pouvoirs publics et les industriels réunis au sein du Leem (Les Entreprises du médicament). La négociation entre le Comité économique des produits de santé (CEPS) et chaque laboratoire reste le principe de base. A l’issue de ces discussions, le prix fabricant hors taxes (PFHT) est fixé dans une convention signée entre les deux parties. Le CEPS est, comme le définit son président, Dominique Giorgi, un organisme « interministériel et interinstitutionnel ». Sa section médicament comprend donc, outre un président et un vice-président, des représentants ministériels (Economie et Finances, Industrie et Redressement productif, Affaires sociales et Santé), la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et l’Union nationale des organismes d’assurance maladie complémentaire (UNOCAM). « L’objectif est de parvenir à un accord entre le comité et l’industriel », indique le Pr Jean-Yves Fagon, vice-président du CEPS en charge du médicament. Et les discussions peuvent être très longues avant de trouver ce compromis acceptable par toutes les parties… « La fixation du prix sur un mode conventionnel est une force de notre système, estime-t-il. Nous sommes dans un dialogue permanent avec les industriels pour trouver la solution la plus acceptable au regard du financement de l’assurance maladie et de l’accès de la population aux médicaments. » Ceci en totale conformité avec la feuille de route du CEPS, issue du Code de la Sécurité sociale, de l’accord-cadre de décembre 2012 et de la lettre de cadrage envoyée par les ministères de tutelle, la plus récente datant d’avril 2013.

Le prérequis de l’amélioration du service médical rendu

Avant la négociation de prix, un travail préalable et essentiel est effectué par la Commission de la transparence, abritée par la Haute Autorité de santé (HAS) et constituée de professionnels de santé en exercice. C’est cette commission qui donne d’abord un avis sur le taux de remboursement du médicament en fonction du service médical rendu (SMR), la décision finale revenant à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (l’UNCAM regroupe le régime général d’assurance maladie, le régime agricole et le régime social des indépendants). Le second avis rendu par la Commission de la transparence, beaucoup plus déterminant pour la fixation du prix, porte sur l’évaluation du progrès thérapeutique apporté par le médicament. L’amélioration du service médical rendu (ASMR) est déterminée par rapport aux traitements existants. Il existe cinq notes d’ASMR : I pour un progrès majeur, II pour un progrès important, III pour un progrès modéré, IV pour un progrès mineur et V en cas d’absence de progrès. Chaque évaluation est motivée et rendue publique par la HAS. Cette classification primordiale conditionne la fourchette de prix. Un médicament considéré comme « innovant », ce qui est un point fort dans la négociation, est noté de I à III. D’autres critères de prix, moins favorables, sont applicables aux médicaments avec une ASMR IV et V.

La Commission de la transparence, souligne le Pr Gilles Bouvenot, qui l’a présidée d’octobre 2003 à janvier 2014, « a pour mission d’évaluer de manière médicotechnique sans se préoccuper des conséquences financières de ses avis ». Cela n’empêche pas les pressions, mais le président de la commission est là pour veiller à cette neutralité. Un nouveau type d’avis va apparaître en 2014. La commission d’évaluation économique et de santé publique (CEESP), mise en place en octobre 2013 au sein de la HAS, doit donner un « avis d’efficience » sur les médicaments avec ASMR de I à III et qui affectent significativement les dépenses d’assurance maladie (CA prévisionnel supérieur à 20 millions d’euros). « Cet avis portera sur la valeur économique du médicament, estimée par des analyses mettant en regard son coût avec ses avantages », indique Gilles Bouvenot. Le CEPS prend en main le dossier d’un médicament après les avis de la Commission de la transparence et de la CEESP. Il statue en moyenne en trois mois en cas d’accord, plus vite pour un générique (70 jours), dont le dossier est plus simple que pour un médicament princeps (241 jours). En amont de la phase d’instruction, des premiers contacts directs ont lieu entre le président ou le vice-président du CEPS et les représentants du laboratoire pour présenter le dossier. « Une fois qu’il est suffisamment avancé, la proposition est portée devant le CEPS, explique Eric Baseilhac, directeur des affaires économiques du Leem. Il ne s’agit pas d’une notion d’un prix de revient sur lequel on ajouterait une marge. Les impératifs économiques d’un laboratoire sont fixés selon sa capacité à amortir les risques pris lors des phases de recherche et développement, de façon à pouvoir investir dans les innovations à venir. »

Pour chaque dossier, le CEPS travaille sur documents : le dossier d’autorisation de mise sur le marché (AMM), l’avis d’ASMR, éventuellement l’avis de la CEESP, et les données transmises par le fabricant. « L’insistance analyse et délibère toujours en l’absence de l’industriel, précise Jean-Yves Fagon. Les allers-retours, qui sont parfois nombreux pour rapprocher les positions, sont de la responsabilité du président. »

La fixation du prix résulte donc d’une équation intégrant la note d’ASMR, le volume de ventes attendu, le prix du ou des comparateurs et éventuellement l’évaluation médicoéconomique. Chaque composante du CEPS joue sa partition. « Les financeurs veulent des économies, la Direction générale de la santé met en avant les motifs de santé publique nécessitant l’accès à un médicament, et le ministère du Redressement productif veut préserver les emplois en France, énumère Jean-Yves Fagon. C’est le travail du président et du vice-président de faire converger les positions. » Le Comité économique des produits de santé est tenu à un principe d’égalité de traitement des industriels. Ce qui exclut par exemple de favoriser un produit français ou de pénaliser un fabricant étranger.

Pour les ASMR I à III, le prix doit être fixé en référence avec ceux de quatre marchés européens : l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne. Le prix français ne doit pas être inférieur au prix le plus bas des quatre pays. Pour ce type de produits, « les marges de manoeuvre du CEPS sont donc étroites », souligne le vice président du comité. Ces dossiers sont cependant les moins nombreux. Il n’y a eu en 2012 que 16 avis de la Commission de la transparence en première inscription ou extension d’indication. L’industriel a également la possibilité de recourir à une procédure dite de dépôt de prix, dans laquelle il informe le CEPS de son prix. Destinée à accélérer l’accès aux innovations, la procédure est très peu utilisée, soit une à deux fois par an et pas toujours avec succès.

Pour une ASMR IV, la règle est de fixer le prix un peu au-dessus de celui du comparateur, tout en prenant en compte la population concernée par le médicament. Il peut ainsi bénéficier d’un avantage de prix s’il concerne une population plus restreinte. La négociation peut, dans certains cas, tenir compte du niveau de prix européen. L’argument est d’ailleurs de plus en plus souvent avancé par les industriels. Dans le cas d’une ASMR V, qui constitue plus de 80 % des avis rendus par la CT, le prix doit être fixé à un niveau inférieur à celui du comparateur afin qu’il apporte une économie dans le coût du traitement médicamenteux. Le CEPS est alors beaucoup plus libre dans les discussions. En 2012, sur 12 médicaments, le comité a ainsi appliqué des décotes très variables, allant d’un alignement à une décote de 20 %.

Le prix d’un médicament n’est jamais figé

Ce prix de première inscription ou d’extension d’indication n’est valable que quelques années. Tout médicament remboursé doit demander un renouvellement d’inscription tous les cinq ans et même dans cette période, le prix n’est pas figé. Certaines révisions sont même prévues dès le départ. Un accord intègre en premier lieu une clause sur les volumes de vente. Ils sont estimés en fonction de la population concernée et le laboratoire s’engage à verser des remises ou à accepter une baisse de prix en cas de dépassement.

La régulation peut être basée sur le contrôle du coût de traitement journalier, soit en fonction de la posologie moyenne, soit de la consommation de la gamme de dosages. Le prix est alors révisé pour rétablir le coût de traitement visé au départ. L’accord initial peut aussi être considéré comme conditionnel, lié à des critères d’efficacité, qui sont contrôlés par des études en vie réelle. Un point de situation est en général prévu après deux ou trois ans. « La procédure est peu utilisée mais elle a, en général, un fort enjeu économique », pointe Jean- Yves Fagon. Selon lui, pour favoriser une « vérité des prix », le CEPS tend désormais à privilégier une baisse des prix plutôt que le versement de remises de la part du laboratoire.

Le tarif forfaitaire de responsabilité a changé la donne

L’arrivée des génériques déclenche aussi un processus de baisses de prix sur plusieurs années. « Elle intervient désormais généralement après environ huit ans d’exploitation commerciale, contre dix ans auparavant », indique Eric Baseilhac. Le générique entrera sur le marché avec un prix inférieur de 60 % à celui du princeps. Celui-ci voit lui-même son prix réduit de 10 %. Au terme d’une période de 18 mois, le prix du princeps baisse à nouveau de 12,5 % et celui du générique de 7 %. Autre raison de baisse du prix, la fixation d’un tarif forfaitaire de responsabilité (TFR) touchant un groupe générique (y compris le princeps). La décision est prise en cas de faible pénétration des génériques du groupe. Le TFR fixe seulement base de remboursement et non le prix. « Cependant, dans la grande majorité des cas, le laboratoire effectue une modification de prix pour l’aligner sur le TFR », stipule Eric Baseilhac.

Mais les baisses de prix les plus récurrentes sont celles décidées par le gouvernement pour limiter la croissance des dépenses de santé. Sur proposition initiale de l’Assurance maladie, le gouvernement choisit de cibler certains segments thérapeutiques, visant 500 millions à 1 milliard d’euros par an ces dernières années. Chaque industriel est informé individuellement de la baisse envisagée pour ses produits et peut faire valoir ses arguments auprès du CEPS. Ces procédures constituent l’essentiel du travail du comité. Celui-ci mène par ailleurs un travail de « mise en cohérence » des prix au sein des classes thérapeutiques. Ces multiples occasions de baisser le prix, certaines programmées, d’autres plus imprévisibles, ne satisfont pas les industriels. Ils y voient une « précarisation du prix », selon l’expression d’Eric Baseilhac. « On remet la tête de nos médicaments sur le billot chaque année », estime le représentant du Leem. Le raccourcissement de la phase d’exploitation commerciale exclusive des princeps est « un vrai sujet de business model pour les industriels, affirme-t-il. La rentabilisation est obligée de se faire à plus court terme ».

Le prix public du médicament remboursable en officine (PPTTC) résulte de l’addition du prix fabricant (PFHT), des marges du distributeur en gros (grossiste-répartiteur ou laboratoire quand celuici vend directement au pharmacien) et de l’officine, ainsi que de la TVA. Elle reste fixée à 2,1 % sur les médicaments remboursables. La marge brute hors taxe (MBHT) du distributeur en gros atteint 6,68 % du PFHT, avec un minimum de 0,30 euro. Elle s’applique aux médicaments ayant un PFHT inférieur à 450 euros. Aucune marge n’est perçue au-delà. Rappelons que pour le moment, l’officine perçoit un forfait de 0,53 euro par conditionnement et un pourcentage du PFHT en fonction de son niveau : 26,1 % pour un PFHT entre 0 et 22,90 euros, 10 % pour un PFHT compris entre 22,91 euros et 150 euros et 6 % au delà.

Des majorations de margepour les DOM

Les PPTTC des médicaments sont plus élevés dans les départements d’outre-mer. Le PFHT y est identique à celui de la métropole mais une taxe supplémentaire, l’octroi de mer, est ajoutée. La rémunération des pharmaciens et des grossistes-répartiteurs est ainsi supérieure. Deux coefficients de majoration sont fixés par arrêté du 7 février 2008, pour chacun des quatre départements d’outre-mer (Martinique, Guadeloupe, La Réunion, Guyane). Le premier s’applique au PFHT pour rémunérer le distributeur en gros. Il est dégressif en fonction du prix. Le second s’applique au PPTTC, pour rémunérer le pharmacien d’officine. Il s’élève à 1,264 pour la Réunion, 1,323 pour la Martinique et la Guadeloupe, 1,34 pour la Guyane. « Ce supplément est justifié par des contraintes liées aux conditions d’exercice », indique Emmanuel Déchin, délégué général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique. L’approvisionnement en médicaments et leur transport, par mer ou air, se font dans des conditions plus difficiles et les contraintes de distance impliquent des pratiques différentes. Les grossistes-répartiteurs, soumis aux mêmes obligations que leurs confrères de métropole, doivent constituer des stocks plus importants de médicaments. « La taille du marché ne permet pas d’optimiser le réseau et les coûts dans les mêmes conditions », ajoute Emmanuel Déchin. Par ailleurs, la chaîne du froid est plus ardue à respecter, nécessitant des conditionnements spéciaux, comme un packaging opaque contre la lumière. Et il n’est pas rare de devoir jeter des livraisons exposées à de trop fortes températures, indique l’Ordre des pharmaciens.

Hôpital : des prix négociés

Les médicaments utilisés à l’hôpital ont des prix négociés à la fois par les hôpitaux eux-mêmes et avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). La règle générale est que les médicaments destinés aux patients hospitalisés sont financés dans les tarifs des prestations hospitalières. Les établissements se fournissent par appel d’offres, en négociant les prix avec les fabricants. Deux catégories de médicaments échappent à cette règle.

– Les médicaments innovants, particulièrement onéreux, ne pouvant pas être inclus dans les forfaits, sont placés dans la « liste en sus ». Leur prise en charge par l’assurance maladie est alors assurée sur la base d’un tarif de responsabilité. Il est déclaré par le fabricant au CEPS, qui peut s’y opposer et engager des négociations sur des critères similaires à ceux en vigueur pour les médicaments dispensés en ville. Les hôpitaux restant néanmoins libres de négocier en dessous de ce tarif. Le CEPS surveille le niveau des prix réels et, si nécessité, ajuste les tarifs à la baisse.

– La fixation du prix des médicaments de la rétrocession hospitalière, disponibles uniquement à l’hôpital mais pouvant être délivrés à des patients de ville, est identique à ceux de la liste en sus.

Les importations parallèles marginales

Un médicament admis au remboursement peut entrer sur le marché français par importation parallèle. En pratique, il est acheté à l’étranger et revendu en France. Le prix fabricant est alors fixé avec une décote de 5 %, soit 95 % du prix du médicament sur le marché français. L’opération est intéressante financièrement pour l’importateur si le prix français réduit de 5 % reste supérieur au prix sur le marché d’achat. Or, le niveau bas des prix français par rapport à ses voisins européens rend l’opération assez peu rentable.

De fait, les importations parallèles sont peu développées, leur niveau annuel étant estimé par le CEPS à 15 millions d’euros. La part reste minime en comparaison d’un marché total de 25 milliards d’euros. En revanche, pour ces raisons de différence de prix, les exportations parallèles de fabricants français atteignent « au minimum 250 millions d’euros », selon le CEPS. Ce commerce parallèle est encouragé par le droit communautaire, en raison des économies qu’il peut générer. En Allemagne et au Royaume-Uni, les pharmaciens sont ainsi tenus de vendre une part de médicaments provenant d’importations parallèles.

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !