SOPHIE TOUFFLIN-RIOLI, UNE PHARMACIENNE HIGH-TECH - Le Moniteur des Pharmacies n° 2989 du 22/06/2013 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2989 du 22/06/2013
 
COMMEQUIERS (VENDÉE)

Reportage

Dans un village de Vendée, une pharmacienne expérimente la télémédecine à travers le programme Télémédinov. Une première ambitieuse en France où la pratique doit faire preuve de ses atouts et trouver son modèle économique. Reportage dans une officine futuriste.

Jean-Marie Langlois souffre d’une plaie chronique d’ulcère à la jambe, d’évolution non satisfaisante. « Lorsque je me donne des coups, je ne sens rien et ne m’en rends compte que dans un second temps », explique-t-il ce matin à Sophie Toufflin-Rioli, sa pharmacienne. Après un coup d’œil à l’état de sa plaie, elle lui propose de revenir l’après-midi pour une téléconsultation à la pharmacie de Commequiers avec une dermatologue libérale de Challans, situé à une douzaine de kilomètres. De retour, il s’installe sur la table d’examen dans la salle de téléconsultation aux côtés de Sophie Toufflin-Rioli, face au grand écran sur lequel apparaît le visage du Dr Christine Brisson. L’examen peut commencer. La pharmacienne soulève le pansement, branche la « caméra dermatologique loupe », la plaie apparaît à l’écran, bien visible. S’ensuivent quelques réglages techniques pour améliorer la qualité de l’image : un bras est fixé à la caméra pour éviter les mouvements, la pharmacienne-technicienne suit les instructions du médecin qui lui demande de bien centrer en bordure de plaie… La consultation se poursuit dans l’échange entre le patient, la pharmacienne et le médecin autour de l’ordonnance et des soins à apporter. Sophie Toufflin-Rioli réceptionne l’ordonnance pour délivrer les produits, replace le pansement de son patient. Celui-ci se dit satisfait de sa première téléconsultation – « Je n’ai pas été gêné par la distance. Et cela m’a permis de voir ma plaie de très près ! » – et apprécie le « vrai service pratique » que lui offre la pharmacie.

De retour d’un tour du monde à la voile avec mari et enfants (où elle suit ses premières téléconsultations en tant que patiente avec le centre de consultation médical des marins à distance basé au SAMU 31 de Toulouse), Sophie Toufflin-Rioli s’installe à Commequiers en 2005. HPST s’annonce, elle investit et agrandit ses locaux en 2010 pour se préparer aux nouvelles missions. Elle apprend alors que deux médecins du village sur trois vont décrocher leur plaque et réfléchit à son avenir. Son mari, Michel Rioli, chargé de mission au ministère de la Santé, a remis en juillet 2009 un rapport intitulé « Le pharmacien d’officine dans le parcours de soin » dans lequel il décline un certain nombre de propositions visant à « mieux utiliser le pharmacien pour une prise en charge efficiente du patient ». L’une d’elles concerne la solution de télémédecine dans les zones rurales afin d’éviter la fermeture des officines dans les déserts médicaux. Le couple Rioli décide de se lancer dans l’aventure.

Un projet parti de la pharmacie

C’est Michel Rioli qui va porter le projet baptisé Télémédinov (Télémédecine interopérable Nord-Ouest Vendée). Il rassemble du matériel en réunissant des industriels dans le consortium Rio-e-Santé, évalue les besoins locaux. Il lance ensuite un embryon d’expérimentation de téléconsultation entre un cabinet médical parisien et la pharmacie, réalise un film en juin 2009 qu’il présente à Roselyne Bachelot, laquelle n’a jamais caché son intérêt pour la démarche. Se rapprochant des hôpitaux de Challans et de Machecoul, il fait une démonstration d’échocardiographie devant une quarantaine de médecins, toutes spécialisations confondues, accueillie favorablement. Un comité de pilotage est créé et l’ARS des Pays de la Loire donne son autorisation en mars 2012 au projet. Lequel est retenu dans le cadre d’un appel à projet national sur l’e-santé lancé par le commissariat général à l’investissement du grand Emprunt national (lire encadré page 5).

C’est une première en France pour cette ambitieuse expérimentation de télémédecine qui en est à sa phase test, sous la forme de téléconsultations gériatriques, psychogériatriques, de soins palliatifs et de dermatologie entre les médecins spécialistes du centre hospitalier Loire-Vendée-Océan (à Challans et Machecoul) et les sites des îles d’Yeu et Noirmoutier, l’EHPAD et la pharmacie de Commequiers, l’EHPAD et les médecins de Saint-Gilles-Croix-de-vie. Pour l’instant, ces téléconsultations ne sont pas rémunérées.

Coopération et recherche de modèle économique

La pratique est cadrée par le décret du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine (à ne pas confondre avec la télésanté qui peut s’appliquer au domicile du patient sans la présence d’un professionnel de santé). La télémédecine est un acte médical à part entière « qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient » et donc engage sa responsabilité médicolégale. C’est un autre professionnel de santé qui réalise cet examen sous le contrôle du médecin : « Nous ne sommes pas dans la délégation de tâches, précise Sophie Toufflin-Rioli. Le médecin a même la main sur la caméra depuis son ordinateur, par le biais d’un boîtier, pour regarder comme il le souhaite. L’opérateur de télémédecine est formé à l’utilisation des outils et l’assiste. » L’opérateur, ce peut être le pharmacien, une préparatrice ou l’infirmière de l’EHPAD qui programme des rendez-vous avec le gériatre de l’hôpital. Un temps d’« expert » en somme : la préparation du patient, du dossier, la rédaction du compte rendu pouvant être faites hors du cabinet médical. « A terme, l’opérateur se connectera avec la régulation des urgences », projette Michel Rioli. Sophie Toufflin-Rioli cite aussi l’organisation possible de séances d’éducation thérapeutique (ETP) ou de concertations pluridisciplinaires autour de décisions de fin de vie : « Les infirmières des EHPAD apprécient de pouvoir se concerter avec l’équipe soignante gériatrique lors d’une visioconférence. »

La salle de téléconsultation de la pharmacienne est bien équipée : un écran, une caméra de bonne qualité avec une transmission en SDSL (technique d’accès permettant une visioconférence en haute définition, à haut débit, donnant une très bonne image pour un abonnement d’environ 100 €/mois), une table d’examen, un saturomètre, un tensiomètre, un thermomètre, un stéthoscope Bluetooth (qui se connecte à l’ordinateur, le son est envoyé par web au médecin qui dirige son propre stéthoscope)… « Je conseille d’utiliser des outils de professionnels de la santé », ajoute Michel Rioli. Avec le cap de la centaine de téléconsultations franchi, Télémédinov se déploie et les participants au programme en sont satisfaits : « Nous avons récemment reçu à la pharmacie un patient présentant une lésion suspecte. Grâce à une téléconsultation le dermatologue a pu dépister une lésion cancéreuse. Ce patient âgé a pu être pris en charge par le dermatologue et le chirurgien qui a pu intervenir rapidement », se félicite Sophie Toufflin-Rioli. Elle souligne en outre l’intérêt du dispositif, lorsqu’un patient tente de faire sortir le pharmacien de son champ de compétence « en vous interpellant lors d’une garde sur le thème “Je fais souvent des infections urinaires et j’ai besoin d’un antibiotique”. On a alors la possibilité de mettre le patient en relation avec un médecin par téléconsultation pour obtenir une prescription après avoir fait une bandelette urinaire avérée positive. »

Autant d’arguments pour attirer les médecins à la télémédecine. Car, nuançons cependant, le programme Télémédinov, lourd à mener, en est à ses débuts, faute de médecins téléconsultants notamment : « Ils s’investiront davantage quand ils pourront facturer la téléconsultation, avec l’envoi d’une téléfacturation sécurisée », assure Michel Rioli. Difficile de penser que l’expérimentation sera reproductible rapidement sur d’autres territoires : « Il est prématuré pour une pharmacie de se lancer dès lors qu’un réseau de médecins téléconsultants n’est pas constitué », convient Michel Rioli. Des évaluations cliniques, sociales (acceptation par le patient et les professionnels de santé) et médicoéconomiques seront menées à l’issue de cette phase test d’ici 2 ans. Télémédinov souhaite être un « démonstrateur des possibles », pour permettre à la télémédecine de se développer en ville. A condition que le médecin, acteur essentiel, s’investisse parce qu’il en voit l’utilité. « Comme le gériatre de Machecoul qui ne reviendrait pas en arrière et y trouve beaucoup d’intérêt, illustre Sophie Toufflin-Rioli. Il mesure à quel point les personnes âgées sont à l’aise devant l’écran. Quand il s’allume, c’est à peine si elles ne se lèvent pas pour saluer le médecin ! »

Sophie Toufflin-Rioli en 4 dates

• 1961 Naissance

• 1985 Diplômée de la faculté de Reims

• 1986 Formation en pharmacocinétique à l’université de Gainesville (Floride)

• 2005 Installation à Commequiers

Si vous avez envie d’essayer

Les avantages

• Nouer une relation de proximité avec son patient.

• Travailler en coopération interprofessionnelle dans l’esprit de la loi HPST.

• Exercer un rôle de pharmacien correspondant.

• Donner une image dynamique du pharmacien.

Les difficultés

• La lenteur de la mise en place du projet, entre la mobilisation des acteurs, la recherche de financements…

• La nécessité d’avoir de l’espace pour aménager une salle de téléconsultation.

Les conseils de Sophie Toufflin-Rioli

• Tisser un réseau avec ses confrères médecins, généralistes ou spécialistes, en cabinet ou en maison de santé.

• Chercher des appuis auprès des collectivités territoriales qui ont tout intérêt à développer ces projets pour lutter contre la désertification médicale.

• Rester motivé tout au long de la démarche pour convaincre !

Financement du projet

Dans Télémédinov, chaque participant souscrit à une location financière pour le matériel mis à disposition par les industriels. A titre d’exemple, la pharmacie de Commequiers consacre 400 € mensuels à cette location. La dotation d’une bourse d’un montant de 720  000 € par le grand emprunt (emprunt de l’Etat français en 2010 sur les investissements d’avenir), a permis de faire baisser le coût de la location. La mise en place d’un modèle économique doit permettre à l’avenir de couvrir en honoraires, la location du matériel, puis de dégager du profit. Aujourd’hui, Siemens France et Arcan, une filiale du groupe Chèque Déjeuner, sont entrés dans le consortium, un bon point pour le idéveloppement futur.

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