LES DOULEURS SÉVÈRES - Le Moniteur des Pharmacies n° 2880 du 30/04/2011 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2880 du 30/04/2011
 

Cahiers Formation du Moniteur

Ordonnance

ANALYSE D’ORDONNANCE

M. D. ne supporte plus Actiq

RECEPTION DE L’ORDONNANCE

Pour qui ?

Roger D., 76 ans.

Par quel médecin ?

Le Dr J. Reynaut, médecin oncologue exerçant dans un centre spécialisé.

L’ordonnance est-elle recevable ?

Oui. La prescription comporte 2 médicaments stupéfiants : Skenan et Instanyl. Elle est réalisée sur une ordonnance sécurisée, et ce pour une durée inférieure à 28 jours. Les posologies et les dosages sont indiqués en toutes lettres. Le carré dans l’angle inférieur droit est correctement rempli en adéquation avec le nombre de médicaments prescrits.

QUEL EST LE CONdiv DE L’ORDONNANCE ?

Que savez-vous du patient ?

Roger D. est un senior actif qui marchait beaucoup et avait une vie sociale riche avant la découverte de son cancer.

Quel était le motif de la consultation ?

Roger D. avait rendez-vous pour une séance de chimiothérapie et devait rencontrer l’oncologue pour qu’il renouvelle son traitement antalgique. Il lui a aussi signalé des lésions buccales provoquées par la prise d’Actiq, qui le gênent pour manger.

Que lui a dit le médecin ?

« Je vais vous prescrire une autre forme galénique de fentanyl pour permettre la cicatrisation des ulcérations buccales. Instanyl est une solution nasale.

Vous pourrez traiter 4 pics douloureux paroxystiques par jour grâce à une ou deux pulvérisations espacées de 10 minutes pour chaque accès. »

Vérification de l’historique patient

Roger D. n’a pas de traitement chronique délivré à la pharmacie, ce qui limite le risque d’interactions.

LA PRESCRIPTION EST-ELLE COHERENTE ?

Que comporte la prescription ?

La prescription comporte :

• Skenan LP 60 : sulfate de morphine d’action prolongée sur 12 heures, utilisé en traitement de fond de la douleur.

• Instanyl 200 : fentanyl d’action rapide, administré par voie nasale, pour soulager les accès paroxystiques douloureux.

Est-elle conforme aux référentiels ?

Oui et non !

• Oui, car elle assure la prise en charge de la douleur (Code de la santé publique loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, recommandations HAS de décembre 2008, recommandations OMS 2002, SOR traitement des douleurs cancéreuses). Le patient est déjà traité par un morphinique d’action prolongée, et sa douleur est provoquée par les métastases osseuses.

• Non, par l’absence de prescription d’un traitement laxatif associé.

Y a-t-il des médicaments à marge thérapeutique étroite ?

Non.

Y a-t-il des contre-indications pour ce patient ?

Non. Le patient ne présente pas d’insuffisance respiratoire décompensée, d’insuffisance hépatocellulaire, d’antécédents de radiothérapie du visage ou d’épisodes récurrents d’épistaxis (qui contre-indiqueraient Instanyl).

Les posologies sont-elles cohérentes ?

• La posologie de Skenan LP 60 mg est conforme aux recommandations.

• La posologie d’Instanyl pose un problème.

La dose de fentanyl nasal nécessaire à Mr D. n’est pas corrélée à la dose d’Actiq qu’il prenait précédemment. Une titration est systématiquement nécessaire.

Roger D. n’a pas été hospitalisé ce qui laisse penser que cette titration n’a pas été réalisée. Il faut toujours débuter par Instanyl 50 (réponse 1).

Y a-t-il des interactions ?

Non.

La prescription pose-t-elle un problème particulier ?

• Oui, car il manque le laxatif et la titration. Le pharmacien décide donc d’appeler le prescripteur.

Appel au prescripteur

– « Bonjour docteur, je suis le pharmacien de M. Roger D. : il me présente une ordonnance d’Instanyl 200. La titration. a-t-elle été réalisée ?

– Non. Nous avons parlé des modalités d’utilisation et des effets indésirables et j’ai omis la titration !

– C’est ennuyeux car il a besoin d’une ordonnance et cela l’oblige à revenir dans le service qui est assez éloigné de son domicile.

– L’ordonnance ne doit pas obligatoirement émaner de notre centre, son médecin généraliste peut la rédiger. Il faut prescrire Instanyl 50 µg/dose pendant 2 jours et Instanyl 100 µg/dose au cas où il y ait un recours systématique aux 2 pulvérisations. Le traitement sera ensuite adapté à l’effet antalgique. En attendant, je peux vous faxer une ordonnance.

– J’ai remarqué aussi que vous n’aviez pas prescrit de laxatif, peut-être en a-t-il encore ?

– Oui, en effet, nous en avons discuté et il lui reste du macrogol. »

La délivrance de fentanyl transmuqueux est soumise à un fractionnement à 7 jours (réponse 2).

Le traitement nécessite-t-il une surveillance particulière ?

Oui. Il est nécessaire de surveiller l’apparition d’éventuels signes de surdosage (somnolence, dépression respiratoire, confusion). Il convient également d’évaluer régulièrement les fonctions hépatique et rénale.

QUELS CONSEILS DONNER ?

Concernant Instanyl

Instanyl est un nouveau traitement pour M. D. Or, l’administration de fentanyl d’action rapide peut s’avérer délicate chez un patient âgé et nécessite une explication spécifique.

Utilisation du médicament

L’administration se fait par voie nasale. Après avoir ôté le capuchon protecteur, amorcer la pompe 3 à 4 fois jusqu’à l’apparition d’une brume fine. Se placer en position assise ou debout, tenir le flacon droit, pencher la tête légèrement en avant. Insérer l’embout du flacon à 1 cm dans une narine (l’autre est fermée). Appuyer une seule fois sur la pompe en inspirant par le nez.

Quand débuter le traitement ?

Dès le premier accès douloureux. Le patient commence par 1 dose d’Instanyl 50 µg/dose dans une narine et attend 10 minutes. S’il n’y a pas de soulagement, répéter l’administration d’une dose dans l’autre narine.

Si l’effet antalgique n’est pas obtenu, passer au dosage supérieur au prochain accès paroxystique.

Le patient pourra-t-il juger de l’efficacité du traitement ?

Oui. Le soulagement doit apparaître 10 minutes après la pulvérisation et l’efficacité est maintenue pendant 1 heure. Il est nécessaire de réajuster la dose d’Instanyl chez le patient n’obtenant pas un soulagement satisfaisant après une deuxième dose. Lorsqu’il y a plus de 4 accès de douleur paroxystique par jour, le traitement de fond doit être revu.

Quels sont les principaux effets indésirables ?

La somnolence, les vertiges, les céphalées, les bouffées de chaleur, l’irritation de la gorge, les épistaxis, les nausées, les vomissements, la constipation et l’hyperhydrose font partie des effets indésirables les plus fréquents.

Ils disparaîtront ou diminueront lors de la poursuite du traitement. D’autres effets indésirables moins fréquents mais plus graves peuvent apparaître : dépression respiratoire ou circulatoire, hypotension et état de choc.

Quels sont ceux gérables à l’officine ?

Ceux liés à la constipation.

En cas d’absence de selles depuis 3 ou 4 jours, la constipation peut être traitée par un laxatif stimulant associé à un laxatif rectal.

Quels signes nécessiteraient d’appeler le médecin ?

• En cas d’apparition de signes de surdosage : diminution de la fréquence respiratoire ou ventilatoire, accentuation de la fatigue, somnolence, sédation, convulsions, désorientation.

• Lorsque les effets indésirables provoquent des malaises ou lorsqu’il y a apparition d’épisodes récurrents d’épistaxis.

Concernant Skenan

Il s’agit d’un renouvellement du traitement antalgique de fond. Il faut s’assurer que les accès paroxystiques ne sont pas trop fréquents.

Effets indésirables

• Vérifier la disparition des nausées induites par Skenan.

• Inciter le patient à prendre un laxatif osmotique et y associer des règles hygiéno-diététiques pour prévenir ou traiter la constipation induite.

• La baisse de vigilance, la somnolence doivent régresser lors de la poursuite du traitement.

Observance

Il est impératif de respecter des heures de prise fixes.

Modalités de prise

Si la gélule ne peut pas être avalée, on peut l’ouvrir et la mélanger à l’alimentation.

Signes d’alerte

La réapparition de la douleur, signant une efficacité insuffisante du traitement doit amener à contacter le médecin, tout comme des signes de mauvaise tolérance : rétention urinaire, absence de selles depuis plus de 4 jours, signes de surdosage (somnolence, hallucinations, dyspnées). Dans certains cas, il est difficile de différencier une somnolence induite par le traitement de celle induite par la fatigue due à la maladie.

Demande du patient

– Je voudrais aussi un spray nasal car j’ai, comme chaque année, un rhume des foins.

– Je vous conseille de ne pas utiliser de spray car il pourrait modifier l’effet de l’Instanyl.

– C’est dommage car je trouve ça efficace, je crois qu’il me reste Dérinox à la maison.

– Non, ce vasoconstricteur peut diminuer de moitié l’action d’Instanyl. Je vais vous conseiller plutôt de l’homéopathie.

CONSEILS COMPLÉMENTAIRES

• Apprendre à manipuler correctement le flacon avant de l’utiliser. Conserver le flacon en position verticale à l’intérieur de son emballage extérieur, hors de portée des enfants dans un endroit sécurisé.

Ramener les flacons usagés à la pharmacie.

• S’assurer que le médecin a remis au patient un carnet de bord, comportant des informations sur Instanyl et des fiches de suivi de la douleur. Le pharmacien peut le cas échéant en commander auprès du laboratoire Nycomed au 01 47 04 51 14.

• Prévenir la constipation : hydratation suffisante, alimentation riche en fibres, essayer d’aller aux toilettes à heures fixes, maintenir une activité physique suffisante comme la marche à pied, masser le ventre, utiliser un laxatif osmotique systématiquement.

PATHOLOGIE

Les douleurs sévères en 5 questions

Une douleur aiguë est un signal d’alarme dont il faut rechercher la cause. Lorsqu’elle devient chronique, la douleur est une véritable maladie qui entraîne des répercussions négatives importantes chez le patient (dépression, déconditionnement physique…).

1 COMMENT DEFINIR LA DOULEUR ?

L’International Association for the Study of Pain (IASP) définit la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle, ou décrite en termes évoquant une telle lésion ».

La douleur est donc un phénomène subjectif qui doit être pris en charge dès lors qu’une personne affirme ressentir une douleur, que sa cause soit identifiée ou non.

On distingue :

• la douleur aiguë : associée à un processus pathologique récent (traumatisme, inflammation, geste chirurgical…), on la considère comme un signal d’alarme qui a pour but de protéger l’organisme. Elle doit engager une démarche diagnostique.

• la douleur chronique : elle est généralement définie comme une douleur évoluant depuis au moins 3 à 6 mois. Elle est souvent plurifactorielle et n’est plus considérée comme un signal d’alarme mais devient une pathologie en soi.

2 QUELLES SONT LES ETIOLOGIES ?

• La douleur est liée à une pathologie dans environ un tiers des cas : douleurs rhumatologiques, ORL, cancéreuses, musculaires, ligamentaires et tendineuses.

• La douleur provoquée vient en deuxième position : interventions chirurgicales (15 %), douleurs induites au cours d’actes diagnostiques ou thérapeutiques (14 %).

• Les accidents sont à l’origine de 20 % des douleurs (accidents de la voie publique, du sport, du travail ou domestiques…).

• D’autres facteurs peuvent contribuer à la douleur : stress, efforts physiques, âge et vieillesse, mauvaises positions, mouvements répétitifs et faux mouvements.

3 QUELS SONT LES DIFFERENTS TYPES DE DOULEURS ?

• Douleurs nociceptives : ce sont les plus fréquentes. Elles naissent de la stimulation d’un nocicepteur par un stimulus nociceptif, c’est-à-dire par une lésion des tissus périphériques (infection, traumatismes, rhumatismes chroniques, cancers…). L’influx douloureux est véhiculé par un système nerveux intact, d’abord à la moelle épinière puis au cerveau.

• Douleurs neuropathiques : elles surviennent en l’absence de stimulus nociceptif et ont pour origine une lésion ou un dysfonctionnement du système nerveux. Les patients décrivent des brûlures, des décharges électriques, des coups de couteau, des picotements ou des fourmillements… Il s’agit par exemple de douleur de sciatique ou de cruralgie, des douleurs de zona, des neuropathies diabétiques, de certaines douleurs chroniques postchirurgicales ou des douleurs rencontrées lors de maladies neurologiques (AVC, sclérose en plaque…). Elles ne répondent pas (ou peu) aux antalgiques classiques et nécessitent une prise en charge particulière (certains antidépresseurs ou antiépileptiques).

• Douleurs mixtes : associant à la fois un mécanisme nociceptif et neuropathique. Les douleurs cancéreuses sont majoritairement mixtes.

• Douleurs idiopathiques : il s’agit de syndromes douloureux pour lesquels les mécanismes physiopathologiques sont encore mal identifiés, comme la fibromyalgie ou les douleurs myofasciales.

4 COMMENT EST PORTÉ LE DIAGNOSTIC ?

L’interrogatoire

Il explore :

• Les circonstances d’apparition de la douleur, sa topographie (siège, douleur diffuse ou localisée…), sa description qualitative (élancements, brûlures…), sa périodicité (intermittente ou continue, horaire inflammatoire ou mécanique), son retentissement sur la vie quotidienne (répercussions sur le sommeil, l’alimentation, la vie sociale, professionnelle…), les facteurs de soulagement ou d’aggravation de la douleur.

• L’évolution de la douleur et/ou le parcours déjà suivi par le patient : consultations, examens complémentaires, traitements antalgiques, résultats et effets indésirables.

• L’état psychique du patient : une douleur persistante peut provoquer un tableau dépressif et inversement une maladie dépressive peut s’exprimer sur un mode douloureux.

• Les antécédents et pathologies (personnels et familiaux).

L’évaluation de l’intensité de la douleur

Il n’existe pas de lien entre l’intensité de la douleur et la gravité des lésions. L’évaluation de la douleur n’a donc pas d’intérêt diagnostique mais permet d’apprécier l’effet des antalgiques. Aussi est-il nécessaire d’utiliser toujours la même échelle d’évaluation.

• Echelle visuelle analogique (EVA) :

C’est la plus utilisée. Dans sa forme classique, elle comporte une ligne horizontale de 10 cm de long. Le patient indique l’intensité de sa douleur en déplaçant un curseur le long de cette ligne entre une extrémité correspondant à « absence de douleur » et une autre correspondant à « douleur maximale imaginable ». Côté évaluateur, une graduation permet de chiffrer l’intensité de la douleur entre 0 et 10. La forme réglette est utilisable chez l’enfant à partir de 6 ans. Mais il est toutefois conseillé, pour un enfant, de tenir la réglette verticalement (le curseur est alors déplacé vers le haut). Une douleur est dite modérée lorsque son intensité est supérieure à 4. Elle est dite intense si elle est supérieure à 7.

• Echelle verbale simple (EVS) : Le patient choisit un qualificatif correspondant à l’intensité de sa douleur. Généralement cinq niveaux sont proposés : douleur absente, faible, modérée, intense, extrêmement intense.

• Echelle numérique (EN) : le patient attribue un chiffre (généralement de 0 à 10) pour noter sa douleur. Chez le jeune enfant, il convient de restreindre l’échelle numérique qui variera de 0 à 3, ou 0 à 5, selon l’âge.

• Echelle des visages (ou FPS pour Facial Pain Scale) : utilisée surtout en pédiatrie, elle consiste pour le patient à choisir, parmi plusieurs expressions allant du visage très joyeux au faciès très malheureux, celle correspondant à ce qu’il ressent.

• Hétéro-évaluation : une tierce personne (médecin, infirmier, aide-soignant…) évalue la douleur du patient en utilisant des échelles d’observation comportementale.

Elles permettent de dépister et d’évaluer la douleur chez les patients non communicants (enfant de moins de 3-4 ans, personnes ayant des troubles cognitifs ou dysphasiques…) : échelle Doloplus ou Algoplus chez le sujet âgé, échelle DEGR (Douleur enfant Gustave-Roussy) utilisée en cancérologie.

Les questionnaires d’appréciation

• Ils apprécient à la fois l’intensité de la douleur et son vécu et sont utilisés pour évaluer la douleur chronique.

• Le Questionnaire douleur Saint-Antoine (QSDA) est la version française du MacGill Pain Questionnaire (MGPQ). Il regroupe 61 qualificatifs de la douleur, de type sensoriels (éclairs, élancements, brûlures, chaleur, froid, fourmillement, démangeaisons…) et affectifs (nauséeuse, oppressante, gênante, pénible…). Il aide au diagnostic de la douleur neuropathique.

5 QUEL EST SON IMPACT ?

En postopératoire, la douleur engendre un stress et retarde les fonctions de récupération de l’organisme.

Au cours d’un cancer, il est démontré qu’un patient dont le traitement antalgique est bien équilibré tire un meilleur bénéfice des anticancéreux.

Une douleur aiguë négligée, mal ou insuffisamment prise en charge peut évoluer vers la chronicité. Une douleur chronique modifie le comportement : la personne se décourage, et peut « s’enfermer » dans la douleur, les relations avec les autres étant perturbées (absence de projet, limitation des activités, dépression…).

THÉRAPEUTIQUE

Comment traiter les douleurs sévères ?

Si la morphine reste le principe actif de référence dans le traitement des douleurs nociceptives sévères, ces dernières années, l’arsenal thérapeutique s’est considérablement enrichi, permettant une prise en charge mieux adaptée à chaque patient.

Stratégie thérapeutique

Recommandations de l’OMS

• L’objectif thérapeutique est d’abaisser l’intensité de la douleur, d’améliorer la qualité de vie du patient, et de prévenir un passage à la chronicité.

• Le traitement antalgique médicamenteux s’appuie encore sur les recommandations de l’OMS publiées en 1986 : prescription d’un traitement per os chaque fois que possible, avec des doses à intervalles réguliers en respectant l’échelle des paliers de l’OMS et l’adaptation personnalisée des doses. Il doit anticiper les accès douloureux et les effets indésirables et être régulièrement réévalué.

• On veillera à ne pas utiliser simultanément 2 médicaments de même classe présentant le même profil cinétique. Si l’échelle thérapeutique de l’OMS indique que les antalgiques répartis en 3 niveaux doivent être utilisés de manière croissante, la prescription d’opioïdes forts d’emblée est possible en cas de douleur très intense.

La morphine

La morphine orale est l’opioïde de palier III de première intention. Chez un malade traité auparavant par un autre opioïde fort, la dose initiale de morphine doit être adaptée selon les coefficients de conversion de doses équianalgésiques (cf. tableau). Le recours supplémentaire à une forme à libération immédiate (LI) est indispensable pour le traitement des accès douloureux chez un patient ayant un traitement de fond à libération prolongée (LP). Lorsque la voie orale est impossible, l’administration transcutanée ou parentérale continue avec antalgie autocontrôlée est privilégiée, les autres voies étant plus rares.

Les autres antalgiques de palier III

• L’utilisation des patchs de fentanyl à 12 g/h est une option thérapeutique dans l’initiation d’un traitement opioïde en cas de douleurs stables, notamment lorsque l’utilisation de la voie orale est impossible.

• Le fentanyl transmuqueux est aujourd’hui indiqué uniquement dans le traitement des accès douloureux paroxystiques.

• L’hydromorphone et l’oxycodone sont indiquées en cas de résistance ou d’intolérance à la morphine.

Quant à la buprénorphine, son profil d’agoniste-antagoniste lui confère un effet plafond gênant, ne lui permettant pas d’être recommandée dans la prise en charge des douleurs chroniques, mais elle peut être intéressante pour traiter des douleurs aiguës.

La rotation des opioïdes

La rotation des opioïdes se justifie en cas de baisse du rapport bénéfice/risque (survenue d’effets indésirables rebelles ou en cas de résistance). Il est alors possible de réaliser une rotation parmi les agonistes purs et il n’existe pas de critères de choix validés permettant de privilégier l’ordre ou le choix en dehors des précautions d’emploi et contre-indications de chaque principe actif.

La rotation doit tenir compte des doses équianalgésiques et privilégier la sécurité en se plaçant à la valeur la plus basse des coefficients de conversion.

Profils particuliers

Le patient insuffisant rénal

Une insuffisance rénale provoque un allongement des effets de la morphine, quelle que soit sa voie d’administration, avec persistance de la dépression respiratoire au-delà de la durée d’action. Ainsi, les dernières recommandations d’utilisation des morphiniques chez l’insuffisant rénal (2004) indiquent de ne pas utiliser la morphine et d’utiliser avec prudence l’hydromorphone et l’oxycodone.

La femme enceinte ou allaitante

• La morphine est l’antalgique de palier III le mieux connu chez la femme enceinte. Son utilisation au premier trimestre ne pose pas de problème malformatif. En revanche, son utilisation en fin de grossesse peut être responsable d’un syndrome de sevrage ou d’une détresse respiratoire néonataux. Ainsi, il est possible d’utiliser la morphine quel que soit le terme de la grossesse, mais il faut prévoir un accueil adapté du nouveau-né, si le traitement est poursuivi jusqu’à l’accouchement.

• L’allaitement est compatible en cas d’analgésie autocontrôlée en postcésarienne, c’est-à-dire 24 à 48 heures après l’accouchement. Au-delà de cette période, il est préférable de suspendre l’allaitement, pour le reprendre environ 4 heures après la dernière prise de morphine.

L’arrêt du traitement

Les antalgiques de palier III ne doivent pas être arrêtés brutalement, pour éviter un syndrome de sevrage. Si aucun protocole n’est validé à ce jour, une diminution progressive sur une semaine environ, par paliers de 30 à 50 %, est couramment pratiquée.

Traitements

Les principes actifs

La morphine

• Son action centrale se fait au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière, avec une action sur les récepteurs µ, aboutissant à une diminution de la libération des médiateurs impliqués dans la transmission du message nociceptif (substance P) et de la mise en mémoire de ce message. Au niveau du tronc cérébral, elle est capable d’activer les voies bulbo-spinales inhibitrices qui se projettent au niveau de la corne postérieure de la moelle épinière, réduisant le message nociceptif à ce niveau.

• Posologies et titration

• La titration est réalisée de préférence avec 10 mg LI toutes les 4 h, augmentée par paliers progressifs jusqu’à soulagement de la douleur, ou par 20 mg LP toutes les 12 h avec d’éventuelles interdoses. En cas d’antalgie insuffisante, la somme des doses LI et LP administrées sur 12 h majorée de 30 à 50 % donne la dose LP à administrer pour les 12 h suivantes. Les interdoses sont calculées en fonction de la dose journalière, sachant que chaque interdose LI correspond à 10 % de la dose journalière LP. Après obtention d’un état stable pendant 2 à 3 jours, le recours à la morphine LP est préconisé. En sous-cutanée, la dose de morphine par 24 h est égale à la moitié de la dose orale.

• La morphine est éliminée par voie rénale pour 10 % sous forme inchangée et pour 90 % sous forme de métabolites, dont le morphine 6 glucuronide (M6G) qui est actif et capable de passer la barrière hémato-encéphalique pour provoquer analgésie, dépression respiratoire et troubles du SNC. En cas d’altération de la fonction rénale, le M6G s’accumule fortement, il est donc recommandé de réduire la dose de 25, 50 voire 75 % en fonction de la sévérité de l’insuffisance rénale. Cette adaptation de posologie est malheureusement rarement réalisée en pratique.

• PCA

• L’analgésie autocontrôlée ou « PCA » (Patient Controlled Analgesia) est un système d’administration avec pompe de perfusion permettant d’établir un débit continu programmé et l’autoadministration de doses supplémentaires dans le respect d’une dose quotidienne maximale. La voie d’administration peut être sous-cutanée, intraveineuse directe ou par cathéter central.

Le fentanyl

• Le fentanyl est un agoniste morphinique environ 100 fois plus puissant que la morphine.

• Sa cinétique est très peu modifiée par l’insuffisance rénale. En revanche, sa clairance est diminuée chez le sujet âgé ou cachectique. On restera donc méfiant quant à l’utilisation de doses pleines chez le sujet insuffisant hépatique grave, en cas de cachexie ou de fièvre (une hyperthermie accélérant le passage transcutané du principe actif).

• Fentanyl transdermique

• Les patchs sont mis en place pour 72 h (parfois 48 h si l’effet analgésique diminue trop rapidement). Le délai d’obtention du plateau avec les formes transdermiques est de 12 à 24 h lors de la pose du premier patch. Une couverture par antalgique de palier II ou III est alors envisageable, sur une période de 12 heures.

A l’arrêt du traitement, les concentrations sériques de fentanyl diminuent progressivement, en chutant d’environ 50 % en l’espace de 13 à 22 h chez l’adulte et de 22 à 25 h chez l’enfant.

• Lors du retrait, le dispositif usagé doit être plié en deux, face collante tournée vers l’intérieur. Soulever le rabat autocollant du système de récupération situé dans l’étiquette au dos du sachet et retirer le film protecteur. Placer le dispositif usagé au centre de la face collante du système de récupération et refermer le rabat autocollant. Rapporter le sachet contenant le dispositif usagé à la pharmacie.

• Fentanyl transmuqueux

• Dans le traitement des accès paroxystiques, le fentanyl peut s’administrer par voie transmuqueuse buccale ou nasale. Ces traitements s’adressent aux patients considérés comme tolérants au traitement morphinique de fond de la douleur cancéreuse chronique, c’est-à-dire recevant au moins 60 mg de morphine par jour par voie orale, ou au moins 25 µg de fentanyl par heure par voie transdermique ou une dose équianalgésique d’un autre morphinique depuis une semaine minimum.

• Le délai d’action des formes transmuqueuses est de quelques minutes, mais la durée d’action est courte (1 à 2 heures).

• L’utilisation de décongestionnants nasaux et d’autres traitements par voie nasale doit être évitée, pour ne pas modifier l’exposition globale au fentanyl nasal.

L’hydromorphone

• L’hydromorphone possède une durée d’action de 12 h et une activité 7,5 fois plus forte que la morphine. Elle est indiquée en cas de résistance ou d’intolérance à la morphine.

• Elle est excrétée par voie urinaire après avoir été métabolisée par le foie en 3 métabolites, dont l’un est inactif mais responsable de neuroexcitation, et deux sont actifs. Il convient donc de diminuer les doses et d’espacer les prises en fonction de la clairance rénale.

L’oxycodone

• L’oxycodone est indiquée dans le traitement des douleurs sévères. Ses indications ont été élargies aux douleurs non cancéreuses au début de l’année 2011. Les formes LP possèdent une durée d’action de 12 h et les formes LI s’administrent toutes les 4 à 6 h.

• L’oxycodone est métabolisée en oxymorphone, qui est un métabolite actif mais en quantité négligeable, ainsi qu’en noroxycodone métabolite inactif. Chez l’insuffisant rénal la demi-vie est augmentée. Il est donc proposé de diminuer les doses et d’espacer les prises.

La buprénorphine

• La buprénorphine est un agoniste partiel, 30 fois plus puissant que la morphine. Son principal avantage est son administration perlinguale, en 2 à 3 prises par 24 h et son principal inconvénient réside dans son effet plafond caractéristique de tous les agonistes-antagonistes.

• Entraînant moins de dépendance que la morphine, la buprénorphine est inscrite en liste I, soumise à la réglementation des stupéfiants. La forme IV est réservée à l’usage hospitalier.

La nalbuphine

La nalbuphine est un agoniste-antagoniste, 2 fois plus puissant que la morphine orale. Elle n’est disponible que sous forme injectable (IV, IM ou SC), classée en liste I. Sa durée d’action de 2 à 4 h en fait un antalgique utile dans le traitement des douleurs aiguës.

Effets indésirables des antalgiques morphiniques

• Nausées, vomissements, somnolence, dysurie, sueurs et prurit (par histamino-libération) souvent transitoires.

• La constipation est inévitable et doit être systématiquement prévenue. En cas de constipation sévère, il est intéressant d’utiliser le bromure de méthylnaltrexone (Relistor), un antagoniste sélectif des récepteurs µ périphériques. Il permet d’obtenir une reprise du transit dans les 30 à 60 minutes qui suivent son injection sous-cutanée.

• Les formes perlinguales peuvent provoquer des lésions buccales et le fentanyl en spray nasal, des épistaxis.

• Le myosis est un signe d’imprégnation morphinique.

• Le surdosage se manifeste par la persistance ou la réapparition d’une somnolence et une baisse de la fréquence respiratoire. Il nécessite alors une diminution de la posologie ou une rotation d’opioïde, voire l’arrêt du traitement, l’instauration d’une oxygénothérapie, et parfois une injection IV de naloxone.

Perspectives

Deux spécialités ayant une AMM européenne sont en cours de commercialisation :

• Targinact est une association fixe d’oxycodone et de naloxone qui présente des effets indésirables moindres sur le transit. La naloxone orale possède un effet de premier passage hépatique très important. Ainsi, dans Targinact, elle n’exerce son activité antagoniste que sur les récepteurs intestinaux (diminuant les effets indésirables de l’oxycodone), mais pas au niveau central.

• Pecfent, fentanyl nasal, comporte de la pectine, limitant son écoulement dans l’arrière-gorge.

ACCOMPAGNER LE PATIENT

Valérie, 42 ans, sans profession.

« Je suis diabétique depuis des années et je suis traitée par insuline. Mes gencives s’infectent très souvent à cause du diabète et je prends des antibiotiques. Je suis allergique à beaucoup de médicaments contre la douleur et lorsque cette dernière est trop intense, mon médecin me prescrit Skenan pendant quelques jours. A la pharmacie, on ne me donne que le nombre de gélules dont j’ai besoin, car on m’a expliqué que c’était de la morphine ! C’est vrai que c’est plus efficace que Doliprane ! Je le supporte assez bien à part la constipation. La première fois, j’ai été obligée d’utiliser un microlavement car je n’allais plus aux toilettes. Maintenant, le médecin me prescrit Forlax en même temps. Heureusement que ce traitement antidouleur existe car je ne pourrais pas me soigner ! Je n’utilise ce médicament qu’une fois par an environ mais je sais que je peux être soulagée rapidement et ça me rassure ».

LA DOULEUR VUE PAR LES PATIENTS.

Ressentir une douleur entraîne des modifications du comportement qui vont témoigner de la présence de cette douleur.

Impact psychologique

La douleur chronique peut être associée à une pathologie grave comme un cancer. Cela induit un questionnement du patient sur l’évolution et le pronostic de sa maladie. Elle génère un repli sur soi, une désadaptation au monde qui l’entoure. Parfois, le malade préfère cacher sa douleur pour ne pas inquiéter, mais aussi pour ne pas être perçu comme une « personne faible ». Une prise en charge psychologique est parfois nécessaire pour évacuer les angoisses liées au stress de la maladie.

Certaines douleurs sont tellement intenses qu’elles peuvent entraîner des idées suicidaires (notamment les douleurs neurologiques).

Impact sur la vie quotidienne

La douleur induite par la mobilisation oblige le patient à réduire ses activités ce qui provoque une perte d’autonomie. Le malade a tendance à moins sortir, à réduire sa vie sociale, ce qui l’isole un peu plus.

Impact sur la vie familiale

• La douleur bouleverse le fonctionnement et l’équilibre familial, et le malade ressent une incompréhension de l’entourage, parfois bien impuissant. Ce dernier peut nier la douleur et instaurer alors une forme de maltraitance envers le malade.

Au contraire, dans certains cas, une plainte continuelle du malade provoque un acharnement antalgique de la part de la famille.

• Par ailleurs, participant moins aux activités quotidiennes ou aux événements familiaux du fait de sa douleur, le patient peut ressentir une forme de culpabilité qui renforce sa souffrance psychologique.

A DIRE AU PATIENT

A propos de la douleur

• Il existe plusieurs types de mécanismes de la douleur, d’où la nécessité d’établir un diagnostic précis pour une prise en charge optimale. La douleur est subjective : elle varie d’un individu à l’autre, d’un jour à l’autre. Le malade doit pouvoir la décrire (localisation, type).

• Le concept de « douleur totale » intègre en plus du facteur physique, les facteurs psychiques et environnementaux (« Global Pain » de Cicely Saunders) : l’écoute et la prise en charge psychologique sont essentielles.

• Insister sur l’importance de l’autoévaluation. Il existe plusieurs méthodes d’évaluation (échelle numérique, échelle visuelle, échelle EVA, fiches de suivi de la douleur…). L’objectif est d’obtenir une douleur tolérable permettant de garder des activités. Le patient doit pouvoir « vivre avec sa douleur » et la gérer.

• Expliquer que la douleur évolue de façon asynchrone avec la maladie et que, malgré la recrudescence de la douleur, la pathologie peut rester stable.

• Appuyer sur la nécessité de ne pas laisser s’installer la douleur car elle a tendance à s’inscrire dans la mémoire. Expliquer que l’on ne s’habitue pas à la douleur mais au contraire que, mal soulagée, elle entraîne l’apparition d’autres douleurs par activation de neurotransmetteurs au niveau de la moelle épinière.

• Préciser que les douleurs sont souvent augmentées la nuit ou lorsque le malade rencontre des problèmes familiaux ou sociaux.

• Exprimer sa douleur à son entourage permet de mieux la gérer ensemble.

• Soigner l’apparence générale (toilette, rasage, coiffure, tenue vestimentaire) reste nécessaire pour prévenir un syndrome dépressif.

A propos du traitement

• L’image péjorative des morphiniques provoque des réticences à leur utilisation (peur de dépendance, d’effets indésirables). Expliquer que les opioïdes ne provoquent pas de perte de contrôle ou de maîtrise de soi.

• Prévenir et traiter rapidement la constipation par des laxatifs osmotiques et par des règles hygiéno-diététiques appropriées. Prévoir un environnement propice à l’exonération (toilettes, chaise garde-robe…). Pratiquer une activité physique, et si le patient est peu actif, essayer de le passer au fauteuil ou de le verticaliser.

• Prévoir des médicaments antinauséeux en début de traitement.

• Avertir l’entourage que le soulagement de la douleur par les opioïdes peut entraîner une somnolence associée à une certaine euphorie et un détachement de la réalité.

• Eviter la conduite automobile en première semaine. Conduire ensuite seulement avec l’autorisation du médecin.

• Déconseiller la consommation d’alcool.

• Savoir reconnaître les signes de surdosage et ne pas hésiter à alerter les secours en cas de prise exagérée.

• En référer rapidement lorsque les douleurs ne sont plus correctement soulagées, afin d’adapter le traitement, ou de mettre en place une analgésie autocontrôlée (PCA).

• Le médecin traitant doit penser à utiliser des médicaments coantalgiques comme le paracétamol, les corticoïdes, les AINS, les anxiolytiques, les antidépresseurs…

• Conserver une activité physique régulière adaptée à l’état général. Apprendre grâce à la kinésithérapie à mobiliser progressivement des groupes musculaires.

• Trouver des petites astuces pour soulager la douleur : serviette ou bain chauds, massage… S’occuper l’esprit, se ménager des moments calmes, pratiquer la relaxation (psychologie, sophrologie, hypnose) ; ces techniques devant toutefois s’inscrire dans un schéma thérapeutique cohérent.

• Faire appel à une équipe mobile et pluridisciplinaire (médecins, infirmiers, psychologues) de prise en charge de la douleur ou de soins palliatifs qui apporte un regard globalisant sur la maladie.

Délivreriez-vous ces ordonnances ?

ORDONNANCE 1 : NON. L’utilisation de fentanyl en même temps qu’un antalgique opioïde agoniste/antagoniste partiel n’est pas recommandée car elle favorise la survenue de syndrome de sevrage. D’autre part, Abstral ne s’utilise pas lorsqu’il n’y a pas de traitement opioïde de fond, instauré depuis au moins une semaine.

ORDONNANCE 2 : NON.. Le fentanyl est principalement métabolisé par l’isoenzyme 3A4 du cytochrome P450 : il existe donc des interactions potentielles avec des molécules qui sont des puissants inhibiteurs du cytochrome P450, comme les macrolides. Cela peut entraîner une augmentation de la concentration plasmatique en fentanyl et une majoration des effets morphiniques, pouvant se manifester par une dépression respiratoire. Il convient également de déconseiller aux patients sous fentanyl l’ingestion concomittante de jus de pamplemousse.

MÉMO-DÉLIVRANCE

L’ordonnance est-elle conforme à la législation ?

• Tous les antalgiques opioïdes forts, à l’exception de la nalbuphine, doivent être prescrits sur une ordonnance sécurisée.

• Les dosages, posologies et durées de traitement doivent être écrits en toute lettre.

• Le carré dans l’angle inférieur droit doit être bien rempli.

Quelles sont les modalités particulières de dispensation ?

• S’assurer que la prescription date de moins de 3 jours pour la délivrer en totalité.

• Fractionner la délivrance de fentanyl transmuqueux à 7 jours et celle de fentanyl transdermique à 14 jours.

• Enregistrer la dispensation à l’ordonnancier des stupéfiants et tenir à jour le registre des stupéfiants.

• Conserver une copie de l’ordonnance pendant 3 ans.

Le patient sait-il quand prendre son traitement ?

• Les formes orales LP destinées au traitement de fond de la douleur, se prennent à heures fixes, toutes les 12 heures.

• Les formes orales LI s’administrent toutes les 4 heures, ou en interdoses pour soulager un accès douloureux paroxystique.

• Les patchs de fentanyl sont mis en place pour 72 heures, et assurent un traitement de fond.

• Le fentanyl transmuqueux se prend au moment des accès paroxystiques douloureux (traitement de 4 pics/j max).

Connaît-il les modalités d’administration ?

• Durogésic et Matrifen Gé : appliquer les patchs sur une peau glabre, propre et sèche, non irritée. Varier les sites.

• Instanyl : administrer dans une narine du patient assis ou debout. Si l’accès douloureux n’est pas soulagé, seconde pulvérisation dans l’autre narine 10 min plus tard. Eviter l’utilisation concomittante d’autres sprays ou vasoconstricteurs nasaux.

• Effentora : pour extraire les comprimés du conditionnement, peler la feuille de couverture. Dissolution perlinguale en 14 à 25 min. Au-delà de 30 min, avaler les morceaux restants avec de l’eau.

• Actiq : badigeonner la face interne de la joue avec le comprimé au moyen de l’applicateur pendant 15 min. En cas de dissolution incomplète, dissoudre le restant sous l’eau chaude.

• Abstral : boire un peu d’eau avant la prise. Administration sublinguale, ne pas mâcher ni sucer les comprimés.

Et les principaux effets indésirables ?

• Nausées et vomissements en début de traitement, pouvant justifier une coprescription d’antiémétique.

• Somnolence, qui, si elle perdure au-delà de 3 à 4 jours doit être signalée au médecin.

• Constipation, qui doit être systématiquement prévenue par un laxatif doux.

Quels principaux conseils donner aux patients ?

• Rassurer les patients : bien utilisés, les morphiniques ne provoquent pas de dépendance et il n’y a pas de corrélation entre intensité de la douleur et gravité de la pathologie.

• Ne pas consommer d’alcool pendant le traitement.

• Ne conduire que sur accord médical.

• Conseils hygiéno-diététiques pour prévenir la constipation.

LE CAS : M. Roger D. est atteint d’un cancer de la prostate métastasé aux os depuis 2 ans. Les douleurs occasionnées par la maladie sont soulagées par Skenan et les pics paroxystiques par Actiq 200, mais ce dernier entraîne des ulcérations buccales. Aujourd’hui, M. D. signale que son traitement est modifié et souhaite aussi un médicament pour traiter sa rhinite allergique saisonnière.

Vous avez été confronté à une ordonnance à problème ?

Contactez-nous :

ordonnance@wolters-kluwer.fr

Qu’en pensez-vous

Quel est le problème lié à la prescription d’Instanyl ?

1 – Il faut systématiquement débuter le traitement par Instanyl 50 g.

2 – M. D. était auparavant sous Actiq 200 g, le médecin aurait dû lui prescrire une seule pulvérisation d’Instanyl 200 g à chaque crise paroxystique.

3 – Chez l’adulte, la posologie est de une pulvérisation dans chaque narine lors d’un accès douloureux.

Qu’en pensez-vous

Instanyl peut-il être délivré pour 14 jours, comme Skenan ?

1 – Oui

2 – Non

TITRATION

Recherche de la dose efficace et adaptée individuellement au patient.

HYPER-HYDROSE

production excessive de sueur, permanente et symétrique, des paumes des mains, de la plante des pieds ou des aisselles.

EN CHIFFRES

• Prévalence de la douleur chronique : 31,7 ?%. Les femmes sont plus touchées que les hommes. La douleur augmente avec l’âge, surtout après 65 ans.

• Prévalence de la douleur chronique sévère évaluée à 11 % chez l’adulte et à 8 % chez l’enfant.

• Les douleurs d’origine rhumatologique sont au premier plan des douleurs chroniques.

• Plus de la moitié des patients atteints de cancer souffriront de douleurs à un moment ou à un autre de leur maladie.

Comprendre la douleur nociceptive

• Le message douloureux résulte de la stimulation des nocicepteurs de manière directe (lésion tissulaire) ou indirecte par des médiateurs libérés par les tissus lésés (bradykinine, prostaglandines, histamine…).

• Le message est ensuite véhiculé jusqu’à la corne postérieure de la moelle épinière par les fibres A delta et C. A ce niveau, différents neurotransmetteurs interviennent : substance P, somatostatine, acides aminés excitateurs (aspartate, glutamate) qui sont eux-mêmes facteurs d’activation de nocicepteurs et assurent la transmission de l’influx nerveux jusqu’au thalamus, puis au cortex où il est analysé et interprété en douleur.

• Différents systèmes de contrôle modulent le message douloureux :

– les voies ascendantes faisant intervenir les enképhalines, qui, en se fixant sur les récepteurs opioïdes m des fibres A delta et C, bloquent la libération de substance P, ce qui empêche la transmission du message nociceptif au cerveau ;

– les voies descendantes inhibitrices supraspinales sérotoninergiques et noradrénergiques qui libèrent les endorphines.

NOCICEPTEUR

Terminaison libre amyélinique située sur le tissu cutané, les muscles, les articulations ou les viscères.

FIBROMYALGIE

Syndrome caractérisé par des douleurs musculo– squelettiques diffuses, chroniques, associées à une asthénie importante et à des troubles du sommeil.

DOULEURS MYOFASCIALES

Douleurs des tissus musculaires et squelettiques plus localisées que dans la fibromyalgie.

SUPRASPINAL

Situé au niveau du bulbe rachidien ou des hémisphères cérébraux.

ROTATION DES OPIOÏDES

Changement d’un opioïde par un autre.

RÉSISTANCE AUX OPIOÏDES

Absence d’efficacité et d’effet indésirable malgré une augmentation massive et rapide de dose.

CE QUI A CHANGÉ

APPARU

• Fentanyl dispositif transdermique à 12 mg/h (mai 2006).

• 3 formes de fentanyl LI pour la prise en charge des accès douloureux paroxystiques : Abstral, comprimé sublingual (juillet 2009), Effentora comprimé gingival (février 2010), Instanyl solution pour instillation nasale (avril 2010).

• Oxynormoro, forme orodispersible d’oxycodone (octobre 2009).

• Oxynorm injectable à 10 et 50 mg/ml, forme injectable (IV ou SC) d’oxycodone (septembre 2009, usage hospitalier).

DISPARU

• Morphine Aguettant, sirop à 5 mg/ml (arrêt de commercialisation en janvier 2008).

• Kapanol LP, morphine orale à libération prolongée sur 24 heures (retrait du marché mai 2009).

Prescription et délivrance des morphiniques

• Prescription sur ordonnance sécurisée répondant aux spécifications fixées par l’arrêté du 31 mars 1999, limitée à 28 jours pour les formes orales, transdermiques et transmuqueuses (sauf buprénorphine : 30 jours), et 7 jours pour les formes injectables (sauf PCA : 28 jours).

• L’ordonnance doit être présentée dans les 3 jours, pour être délivrée en totalité.

• Chevauchement interdit sauf mention expresse.

• Déconditionnement obligatoire.

• Fractionner la délivrance du fentanyl transdermique à 14 jours et à 7 jours pour les formes transmuqueuses, sauf mention expresse.

• Enregistrer la délivrance à l’ordonnancier des stupéfiants et tenir à jour le registre comptable.

• Si le porteur de l’ordonnance n’est pas le malade, enregistrer ses nom et adresse.

• Conserver une copie de l’ordonnance durant 3 ans.

POINT DE VUE Dr Stéphane Erat, médecin coordinateur du réseau de soins palliatifs Association pour les soins palliatifs, Vaucluse (APSP 84)

« Il faut dédramatiser la morphine »

« Il faut dédramatiser la morphine »

Que pensez-vous des nouvelles formes galéniques de dérivés morphiniques ?

Leur gros avantage est la rapidité d’action, ce qui en fait le traitement de choix des accès paroxystiques. Leurs inconvénients sont liés à leur durée d’action courte et à la voie d’administration : les formes sub et perlinguales ne sont pas utilisables en cas de xérostomie (sécheresse buccale). Or, ce problème est fréquent en soins palliatifs. Par voie nasale, il semblerait que les patients n’aient pas la sensation de délivrance, ce qui peut les amener à réitérer la prise. Par ailleurs, ce sont des formes difficiles à manipuler par un patient âgé ou par un patient en soins palliatifs, et dont les titrations justifient l’intervention d’une IDE et le passage du médecin, si elles sont faites à domicile.

Quel rôle le pharmacien peut-il jouer auprès des patients ?

Un rôle d’éducation thérapeutique sur le pourquoi et le comment du traitement. Il est important de dédramatiser la morphine et de savoir dissocier la mise sous morphine de l’évolution de la maladie. Egalement un rôle dans la surveillance des traitements, non seulement en termes de tolérance, mais aussi d’efficacité. En cas d’abandon de traitement ou de demande de renouvellement anticipé, le pharmacien doit se poser la question d’une éventuelle inefficacité : avant de penser au mésusage, il faut penser à l’antalgie ! Un traitement de fond sans interdose doit amener le pharmacien à interroger le patient sur son soulagement, et à prendre contact avec le prescripteur. La communication interdisciplinaire est donc ici très importante.

Autre exemple : le pharmacien doit interpeller le médecin sur les titrations si elles n’ont pas été réalisées.

C’est une « bataille » à ne pas abandonner : halte au patch posé d’emblée !

VIGILANCE !!!

Les contre-indications aux dérivés morphiniques sont nombreuses.

Morphine, péthidine : enfant < 6 mois, insuffisance respiratoire décompensée, insuffisance hépatocellulaire sévère, traumatisme crânien et hypertension intracrânienne en l’absence de ventilation contrôlée, épilepsie non contrôlée, allaitement (traitement au long cours).

Fentanyl : dépression respiratoire sévère ou obstruction sévère des voies aériennes, douleur aiguë ou postopératoire, radiothérapie antérieure du visage et épisodes récurrents d’épistaxis (voie nasale).

Hydromorphone : patient < 7 ans, insuffisance respiratoire décompensée, insuffisance hépatique sévère, épilepsie non contrôlée, allaitement.

Oxycodone : patient < 18 ans, insuffisance respiratoire décompensée, insuffisance hépatique sévère, allaitement.

Nalbuphine : enfant < 18 mois, syndrome chirurgical abdominal, allaitement.

Buprénorphine : enfant < 7 ans, insuffisance respiratoire sévère, insuffisance hépatique grave, intoxication alcoolique aiguë et delirium tremens.

QUESTION DE PATIENT « J’ai une sciatique terrible qui m’empêche de marcher et de dormir. Pourquoi mon médecin ne me prescrit-il pas de la morphine ? »

Certaines douleurs sont neurologiques et résistent aux traitements opioïdes et il est parfois nécessaire de prescrire des antidépresseurs ou des anti-épileptiques, qui sont plus efficaces sur ces douleurs que les antalgiques.

QUESTION DE PATIENT « Mon médecin a mis mon mari sous morphine, est-ce que cela veut dire que sa maladie est de plus en plus grave ? »

Non, l’évolution de la douleur est indépendante de celle de la maladie. L’utilisation de la morphine est liée à l’intensité de la douleur et non à la gravité de la maladie.

LIVRE

Traitements antalgiques médicamenteux des douleurs cancéreuses par excès de nociception chez l’adulte, éditions John Libbey.

Cet ouvrage très complet, écrit entre autres partenariats avec la Ligue contre le cancer, aborde la définition de la douleur, ses étiologies et ses différents types, mais aussi les paliers antalgiques de l’OMS, la rotation des opioïdes, les effets indésirables des morphiniques et la conduite à tenir en cas de surdosage. Il s’achève sur des fiches pratiques permettant au pharmacien de mieux informer et mieux conseiller le patient douloureux sur son traitement.

Prévoyez-vous de fermer votre officine le 30 mai prochain en signe de protestation ?


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