Réfléchissez avant de vendre à des groupes financiers ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2711 du 12/01/2008 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2711 du 12/01/2008
 

BENOÎT SÉGUY : PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION NATIONALE DES ÉTUDIANTS EN PHARMACIE DE FRANCE

Le grand entretien

Les étudiants sont inquiets. Au point de descendre dans la rue pour protester contre le projet de libre accès au médicament familial en pharmacie. Mais bien d'autres sujets les préoccupent comme le renouvellement de la profession, la place des adjoints ou encore la trop grande « commercialisation » des officines. Le président de l'Association des étudiants en pharmacie de France, Benoît Séguy, s'en explique.

« Le Moniteur » : Vous avez manifesté à la fin de l'année dernière contre le libre accès du médicament OTC. Pourquoi ?

Benoît Séguy : Nous n'avons pas manifesté, nous avons lancé un mouvement d'information auprès du grand public. Il nous a semblé important de l'informer des dangers pouvant découler d'une éventuelle mise en libre accès de certains médicaments d'utilisation courante. Notre action a été bien reçue dans l'ensemble. De plus, nous avons relevé un réel manque d'information sur les dangers potentiels du médicament.

Les étudiants, futurs professionnels de santé, ont peur des conséquences sur la santé publique de cette mesure, notamment en termes de iatrogénie médicamenteuse. Le médicament n'est pas un simple produit de consommation que l'on peut étaler dans les rayons et laisser à porter de main de n'importe qui. Imaginez une mère qui vole une boîte d'aspirine 1 000 mg ou qui s'en procure sans avis pharmaceutique pour la fièvre de son bébé. Qui sera responsable ?

Nous attendons avec impatience le rapport définitif de l'Afssaps qui doit statuer sur la liste des molécules concernées par cette mesure. Nous savons qu'une préliste de 204 médicaments a été rendue au ministère mais nous n'en connaissons pas encore le contenu. Mille autres doivent, semble-t-il, être étudiées d'ici fin juin. Nous trouvons très préoccupant que le gouvernement souhaite déposer un décret sans avoir la totalité de cette étude.

Il y a également un grand débat actuellement sur l'ouverture du capital ? Quelle est la position de l'ANEPF sur le sujet ? Etes-vous pour ou contre l'ouverture du capital à des non-pharmaciens ?

Le débat sur l'ouverture du capital est un sujet qui est redevenu d'actualité depuis la mise en demeure de la France par l'Union européenne, le 21 mars dernier, de justifier pourquoi le capital des pharmacies était réservé en exclusivité aux pharmaciens. De plus, de nombreux groupes financiers n'attendaient que cela pour rappeler leur volonté d'entrer dans les capitaux des officines. L'ANEPF avait à l'époque publié un communiqué de presse pour exprimer ses craintes. En effet, les conséquences seraient dramatiques puisqu'elles leur donneraient la possibilité de créer des chaînes de pharmacies. Cela remettrait alors en cause l'indépendance et la liberté de jugement du pharmacien dans son exercice professionnel. Nous connaissons des exemples de pharmaciens licenciés pour ne pas avoir atteint un certain objectif de vente dans des pays comme l'Irlande ou l'Angleterre. Nous pouvons aussi rappeler qu'il n'existe actuellement pas de problème de contrefaçon dans le circuit du médicament en France. Connaissant les problèmes de contrefaçon qui existent dans la grande distribution, il est légitime d'avoir des craintes. Entraîner la pharmacie dans un système où le seul objectif serait un souci de rentabilité économique est-il un bon choix ? Alors que notre objectif premier reste le maintien de la santé publique !

Les pharmacies coûtent de plus en plus cher à l'achat. Les jeunes pharmaciens n'auraient-ils pas besoin de capitaux extérieurs pour s'installer plus facilement ?

Les associations entre plusieurs titulaires et l'ouverture du capital aux adjoints ouvriront de nouvelles perspectives d'installation sans que les étudiants aient besoin de capitaux extérieurs. De plus, peut-on imaginer des médecins travailler pour une chaîne ? Nous sommes des professionnels de santé avec des compétences certes différentes mais de même niveau qu'eux... La santé n'est pas un simple bien de consommation que l'on peut vendre dans une grande chaîne.

Que pensez-vous du prix actuel des officines ?

Le calcul des prix de vente est illogique si on regarde la rentabilité réelle de l'officine. Par exemple, les sorties de la réserve hospitalière ont fait grimper les chiffres d'affaires alors que la marge de ces produits est bien inférieure au reste des médicaments vignetés. Pour nous, la valeur d'une officine ne se quantifie pas par le volume de boîtes vendues à la fin d'une année mais par la qualité des services pharmaceutiques proposés. On peut ainsi imaginer une rémunération à l'acte de dispensation pour réussir à changer la donne, revaloriser la petite pharmacie de quartier, limiter les excès de dispensation et donner une vraie valeur à notre diplôme. Tant que le prix de l'officine sera basé uniquement sur le chiffre d'affaires et non pas sur la viabilité de la structure ou sur les services proposés, ce problème est insolvable.

Les jeunes diplômés ont de plus en plus de mal à s'installer. Que proposez-vous pour y remédier ?

Les structures considérées aujourd'hui comme « viables » se vendent à des taux bien au-dessus du chiffre d'affaires. La tendance actuelle va vers un regroupement des officines, ce qui entraîne une augmentation significative de leur chiffre d'affaires et donc de leur valeur. En cas de regroupement, les créations de licences sont désormais gelées pour cinq ans. Le problème actuel devrait donc se résoudre dans les dix prochaines années car on estime que la moitié des titulaires aujourd'hui en exercice prendront leur retraite. Nous serons alors prêts à combler les places vides, pour exercer au mieux dans un perpétuel souci de pérennité de notre profession.

Par ailleurs, un système de rémunération mixte permettrait tout à la fois de payer le stock du pharmacien et de rémunérer l'acte pharmaceutique. L'idée globale étant de mieux rémunérer le pharmacien tout au long de sa carrière, par ses actes professionnels et non par la capitalisation de son commerce. Le prix du fonds de commerce serait alors moins élevé et l'acquisition serait plus facile pour un jeune, d'autant qu'il ne vivrait plus avec des emprunts sur le dos.

Faut-il supprimer le numerus clausus pour permettre plus facilement des créations ?

Le numerus clausus est la seule chose qui permet à la France d'avoir un service de proximité. Le supprimer serait catastrophique pour la santé publique, surtout avec le vieillissement de la population qui va demander que le pharmacien soit encore plus près de ses patients. Aujourd'hui, on risque de diminuer le nombre d'officines en passant à 1 pour 3 500 habitants, ce qui est totalement en désaccord avec la politique actuelle qui veut lutter contre la désertification de certaines régions rurales. La population française est en train de vieillir et le service de proximité va devenir une nécessité de plus en plus importante. Les personnes âgées seront contentes de trouver une pharmacie en bas de chez elles, même si elle ne fait pas du discount ! De plus, on ne peut comparer la répartition des officines en France avec celle d'autres pays car les problèmes démographiques sont tout autres. Combien de pays ont plus de 36 000 communes sur leur territoire ?

Il faut rappeler aussi que le numerus clausus est garant de notre embauche quasi immédiate à la fin de notre cursus universitaire. Même si celui-ci mériterait d'être augmenté pour atteindre un équilibre entre l'offre et le demande. Cette hausse est déjà lancée, car nous nous dirigeons pour les années à venir vers une augmentation de 100 places par an au concours de première année.

Certains adjoints, lassés de ne pas pouvoir s'installer et qui voient leur carrière stagner, en viennent à dire qu'ils auront plus de responsabilités et un meilleur salaire dans un système de chaîne de pharmacies à l'anglaise (type Boots...). Quel est votre point de vue ?

Il est indéniable que la carrière de certains adjoints stagne. Mais l'exemple probant de nos voisins danois, qui sont revenus en arrière sur l'ouverture du capital, montre bien que cela ne solutionnera en aucun cas ce problème. Le marché de la transaction d'officines est en pleine croissance du fait du vieillissement des titulaires et offrira de plus en plus d'opportunités pour les adjoints de s'installer, notamment dans les régions rurales.

Le projet développé actuellement par l'ordre des pharmaciens facilitera l'accès à la propriété puisque les adjoints pourront racheter progressivement des officines. Cette mesure, couplée à l'association, semble résoudre ce problème d'accessibilité.

Aujourd'hui, le pharmacien titulaire n'est plus le nanti qui exploite ses adjoints ! Mais, compte tenu du condiv économique et de la diminution des marges de la pharmacie d'officine, il est difficile de faire évoluer la rémunération des adjoints. Cependant, en changeant le système de rémunération, l'officine pourrait évoluer et développer de nouveaux services qui pourraient engendrer une augmentation de leur rémunération.

Que pensez-vous du niveau de salaires des adjoints en officine ?

Il est trop bas pour la qualification et les responsabilités qu'ils ont. La solution la plus rapide serait de mettre en place un barème pour les adjoints qui leur ouvrirait de réelles perspectives d'évolution. Changer la rémunération des pharmaciens serait là encore une bonne solution, avec notamment un système dans lequel les adjoints toucheraient un pourcentage de la somme versée à la pharmacie pour chaque acte pharmaceutique. Le projet de la section A et D qui prévoit que les pharmaciens adjoints puissent rentrer petit à petit dans le capital de la pharmacie permettrait aussi d'augmenter le niveau des salaires.

Que pensez-vous de l'évolution de carrière au sein de l'officine ?

Pour le moment, une réelle évolution de carrière passe obligatoirement par l'installation. C'est pourquoi favoriser un système où il n'y aurait plus un seul titulaire qui contrôle une pharmacie mais plusieurs jeunes pharmaciens qui se seraient associés pour monter une officine faciliterait l'évolution. Nous devons aussi réfléchir à la spécialisation des adjoints dans des officines qui développeront demain plus de services à la personne, comme le maintien à domicile, le suivi thérapeutique, et bien d'autres.

En attendant, que pensez-vous des postes proposés aux pharmaciens dans la grande distribution ?

Tout d'abord, on ne peut parler de pharmaciens que lorsque la personne est inscrite à l'Ordre et donc exerce dans une pharmacie ou dans tout autre secteur possédant une section ordinale. Je pense que la plupart des pharmaciens ont choisi ce métier pour faire de la santé et non pas du commerce. Si certaines personnes sont satisfaites d'aller vendre des biens de consommation en GMS, ils sont libres de le faire. Les salaires sont plus attractifs, mais faire six ans d'études pour être chef de rayon ne fait vraiment pas envie.

Les études actuelles de pharmacie préparent-elles bien au métier d'aujourd'hui et surtout de demain ?

Le programme enseigné aujourd'hui date de 1987. Il nous apporte un bon savoir universitaire, mais il est vrai qu'il n'est pas assez professionnalisant pour répondre aux attentes d'aujourd'hui. L'officine a beaucoup évolué depuis 20 ans. C'est pourquoi nous sommes en train de réfléchir en Commission pédagogique nationale des études pharmaceutiques à un nouveau programme. Tout d'abord, la pharmacie va rentrer dans le système LMD [NdlR : licence-master-doctorat], le schéma standard d'études universitaires en Europe. Ensuite, le programme entier devra être remanié pour s'orienter vers une approche plus clinique de la pharmacie. Le médicament et la prise en charge du patient doivent être au coeur de notre métier. Par exemple, l'ANEPF demande depuis plusieurs années que des cours de psychologie soient donnés pour faciliter la communication avec les patients souffrant de pathologies lourdes. Les étudiants aimeraient vraiment que l'on ait une approche du patient qui se rapproche de celle du Québec. Nous ferons donc tout pour que nos études s'orientent dans ce sens.

En termes de missions de santé publique, qu'est-ce que les pharmaciens d'officine ne font pas aujourd'hui et que vous voudriez qu'on leur confie demain ?

Le rôle du pharmacien ne doit plus être de faire simplement du conseil au patient mais de délivrer des soins pharmaceutiques qui engloberaient le conseil et le suivi du patient. Ces soins pharmaceutiques permettraient une implication plus spécifique du pharmacien auprès du patient. Ils feraient appel à des mesures préventives telles que des conseils diététiques et un véritable suivi du traitement, tels la vérification de son efficacité, le contrôle de sa tolérance. Ils pourraient également initier certaines thérapies médicamenteuses en recourant le cas échéant aux analyses de laboratoires appropriées car un pharmacien possède toutes les connaissances pour analyser un bilan sanguin.

Pourquoi un pharmacien français ne pourrait-il pas assurer les mêmes actes qu'un pharmacien québécois ou allemand ? Nous avons déjà des outils en France permettant de se rapprocher de ce concept mais ils ne sont pas assez développés. L'opinion pharmaceutique devrait être un véritable outil de communication entre le pharmacien et le médecin.

L'arrivée du dossier médical personel et, dans un premier temps, du dossier pharmaceutique, vont véritablement révolutionner la pratique officinale française. Le suivi du patient grâce à son bilan pharmaceutique facilitera l'évolution de la profession. Le pharmacien de demain devra pouvoir prendre en charge le patient dans sa globalité et ainsi compléter l'acte du médecin. La prévention et la prise en charge ambulatoire du patient seront les défis de demain.

Etes-vous pour ou contre la vente de médicaments sur Internet ?

Autoriser la vente de médicaments sur Internet serait une façon de plus de banaliser son utilisation. J'ai vraiment l'impression que l'objectif actuel est de transformer le médicament en simple bien de consommation. La sécurité de notre système de soins repose sur le contrôle strict du médicament, de la fabrication à la dispensation officinale, par le biais de personnes hautement qualifiées. La vente virtuelle répondra-t-elle à ces exigences ? Comment pourrons-nous alors garantir l'absence de contrefaçons dans notre chaîne pharmaceutique ?

Qu'est-ce qui selon vous fait la force de la pharmacie d'officine ?

Les compétences du pharmacien et sa capacité à évoluer, sa proximité et son accueil privilégié. Le pharmacien reste la profession la plus appréciée en France après les pompiers. Il développe une écoute associée à une disponibilité, qui, je crois, n'a pas d'égal dans d'autres corps de métier. Le pharmacien a un rôle social sous-estimé par beaucoup. Le grand public veut-il perdre cette accessibilité ? N'oublions pas que l'officine constitue un des rares lieux où vous pouvez avoir un conseil gratuit !

A contrario, qu'est-ce qui fait sa faiblesse ?

Le pharmacien ne voit que très peu ses confrères, ce qui induit un manque d'unité dans la profession. Mais sa principale faiblesse est d'avoir pris une orientation commerciale plutôt qu'une orientation médicale lors de ces 20 dernières années. Cela a entraîné les dérives de quelques pharmaciens qui en ont oublié qu'ils étaient des professionnels de santé avant d'être des commerçants. Cela ne fait qu'entacher notre image. De plus, les pharmaciens, depuis plusieurs décennies, n'ont pas su valoriser leurs connaissances ce qui amène aujourd'hui à la remise en cause totale de leurs compétences.

Avez-vous un message à délivrer à vos aînés actuellement en poste ?

Laissez-nous la chance de connaître la joie de gérer une officine comme vous en avez eu la chance. S'il vous plaît, réfléchissez avant de vendre vos officines à des groupes financiers, que ce soit des répartiteurs, des grandes surfaces ou encore des assurances.

Le système doit évoluer dans le bon sens et c'est à nous tous de le faire changer. Le métier du pharmacien, c'est le médicament. Nous faisons six ans d'études pour cela. Aucun médicament ne devrait quitter une officine sans que le patient ait eu un vrai conseil pharmaceutique. Il faut bannir tout acte d'épicerie !

La solution à toutes les attaques que subit la pharmacie actuellement passe par une valorisation de notre diplôme : nous sommes des professionnels de santé. Plutôt que de se battre pour garder des marges, pourquoi ne pas se battre pour obtenir une vraie reconnaissance de notre métier avec une rémunération adaptée ? Le pharmacien doit rester indépendant tout comme l'est un médecin.

Etes-vous optimiste quant à l'avenir de la profession ?

Oui, bien sûr, car de réelles perspectives s'ouvrent à nous. Cependant, nous ne détenons pas la clé des débats. Les étudiants sont la pharmacie de demain et il semble indispensable que notre avis soit écouté. L'union fait la force, et un manque d'unité avec les syndicats et l'Ordre pourrait porter préjudice à l'ensemble de la profession. L'appât du gain est normal dans une société de plus en plus libérale, mais nous devons nous demander quelle pharmacie nous voulons pour demain. Sans reprendre un système étranger comme celui américain qui a montré ses limites et qui voudrait se rapprocher du système français. Ne nous précipitons donc pas dans cette direction. Tous les acteurs de la pharmacie doivent s'asseoir à une table avec le gouvernement et réfléchir pour que la pharmacie se recentre sur le médicament et sur la santé.

La voix de 33 000 étudiants

L'Association nationale des étudiants en pharmacie de France regroupe les associations étudiantes des 24 facultés (les « corpos »), représentant au total 33 000 étudiants. A sa tête, un conseil d'administration composé de onze étudiants. Son président, Benoit Séguy, est de Limoges. L'ANEPF participe notamment aux différentes commissions régissant les études pharmaceutiques (Commission pédagogique nationale des études pharmaceutiques, Commission pédagogique nationale pour la première année des études de santé, Conseil national des maîtres de stage).

Dans la rue !

Suite aux déclarations de Roselyne Bachelot quant au libre-service de médicaments conseil, les étudiants en pharmacie ont organisé en novembre des marches afin d' informer le grand public des risques encourus par de telles mesures. A cette occasion, ils ont distribué des tracts et certaines associations ont même réalisé des sondages auprès des passants. C'est le cas à Dijon où 168 personnes ont été interrogées : 72,6 % ont dit ne pas être prêtes aujourd'hui à choisir leur médicament en libre-service dans la pharmacie. Près de neuf personnes sur dix considérant même cela comme un danger pour la population. A la question « Etes-vous prêt à acheter votre médicament en supermarché ? », seules 16,7 % ont répondu oui.

Vous sentez-vous régulièrement en insécurité dans vos officines ?


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