Les chaînes de pharmacies sont-elles inéluctables ? - Le Moniteur des Pharmacies n° 2694 du 29/09/2007 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2694 du 29/09/2007
 

Le grand débat

En Europe, elles se multiplient. Mais, en France, l'idée de chaînes de pharmacies est rejetée en bloc par la majorité de la profession. Pourtant, l'ouverture du capital des officines, demandée par Bruxelles, pourrait favoriser leur émergence. Dix personnalités connaissant bien l'officine débattent pour « Le Moniteur ».

Vous avez dit chaînes ? Ces vastes enseignes, rassemblant plusieurs titulaires dont le pharmacien exploitant ne contrôle pas le capital de son établissement, font fureur chez nos voisins européens. Principal acteur de la répartition, l'Allemand Celesio s'est déjà emparé de 2 100 officines en Europe, dont 1 600 en Grande-Bretagne, pour constituer des chaînes. Son concurrent, Alliance Boots, le devance avec plus de 3 000 pharmacies à l'échelle européenne. Ce nouveau modèle de distribution va-t-il se propager en France ? Les patients y semblent plutôt favorables. D'après un sondage CSA réalisé en 2004 auprès d'un millier de personnes, 69 % attendent la création de chaînes de pharmacies dans l'Hexagone pour profiter d'une baisse significative du prix du médicament.

Les pharmaciens sont-ils prêts à cette révolution ? Rien n'est moins sûr. Selon un sondage Direct Medica mené en septembre sur un échantillon représentatif de 100 pharmaciens, 68 % d'entre eux seraient opposés à l'idée d'intégrer une chaîne. Du côté de certains représentants des officinaux, le sujet reste tabou. Ainsi de l'ordre des pharmaciens, sollicité par le Moniteur, mais qui préfère se taire, arguant « qu'il ne s'agit pas d'un sujet d'actualité pour les pharmaciens ». D'autres, pourtant, y sont plus ouverts : pour l'UNPF, l'ouverture du capital des officines est inéluctable. Du côté des grossistes-répartiteurs, le sujet embarrasse. Craignant la réaction de leurs clients pharmaciens, ce n'est qu'à mots couverts qu'ils déclarent souhaiter l'ouverture du capital. Pourtant, selon nos informations, certains auraient déjà une liste de 200 pharmacies à racheter.

Le monopole entre le marteau et l'enclume

Certes, les contraintes d'actionnariat imposées à la profession par le Code de la santé publique - une officine doit être exclusivement détenue par un pharmacien - constituent un obstacle de taille. Il n'empêche, l'idée d'une ouverture du capital en France, qui permettrait alors à des non-pharmaciens de prendre des parts dans le capital d'une officine, fait son chemin.

Premier signe allant dans ce sens : le fait de réserver le capital des officines aux pharmaciens est dans le collimateur de Bruxelles. En mars dernier, Charlie McGreevy, le commissaire européen en charge du marché intérieur, n'avait-il pas adressé une injonction à l'Etat français, le sommant de lever cet obstacle réglementaire ? Principal reproche fait à la France : cela irait à l'encontre de la liberté d'établissement et serait donc un obstacle à la libre concurrence. Si le gouvernement français a répondu, fin juillet, à l' institution européenne, arguant que le système actuel de distribution permettait un maillage équilibré du territoire, l'affaire ne fait que commencer. La Commission européenne devrait donner un avis motivé début 2008. Si la réponse française ne la satisfait pas, elle pourra saisir la Cour européenne de justice afin de déterminer si le régime français est conforme au droit européen. Mais l'ouverture du capital des pharmacies ne viendra pas forcément de Bruxelles. En effet, les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy, qualifiant certaines professions libérales de « rente de situation », laissent à penser que la reglementation pharmaceutique pourrait être remise en question par le gouvernement français lui-même dans les prochains mois. Pour l'heure, le débat déchaîne les passions.

Sondage

Direct Medica réalisé par téléphone du 11 au 13 septembre 2007 sur un échantillon de 100 pharmacies représentatif de la population des pharmacies françaises en fonction de la répartition géographique et du chiffre d'affaires.

Les chaînes vous paraissent-elles inéluctables ?

Si oui, à quel horizon ?

Compte tenu de la récente prise de position de Nicolas Sarkozy, pensez-vous qu'il favorise les chaînes ?

Pensez-vous que les chaînes feraient varier le prix des pharmacies ?

Seriez-vous prêt à intégrer une chaîne ?

Pour vous, les enseignes existantes en pharmacie sont-elles déjà des chaînes ?

Les chaînes favoriseraient-elles la disparition de pharmacies ?

Des investisseurs extérieurs pourraient être un atout pour :

Seriez-vous prêt à être gérant salarié d'une officine ?

Si oui, pour quel salaire ?

Si vous étiez en position d'ouvrir votre capital, lesquels des investisseurs suivants seriez-vous prêt à accueillir?

Selon vous, le décret sur les SEL serait-il susceptible d'apaiser les autorités nationales et européennes et ainsi d'éviter les chaînes ?

Claude Le Pen, professeur en économie de la santé à l'université Paris-Dauphine

La création de chaînes de pharmacies détenues par des capitaux extérieurs est en marche. En effet, la Commission européenne fait pression sur le gouvernement français pour lever les obstacles réglementaires liés à l'exercice de la profession officinale. Pour elle, les dispositions du Code de la santé publique interdisant l'entrée de non-pharmaciens dans le capital d'une officine sont contraires aux règles européennes de libre concurrence. Le gouvernement français lui donnera raison, je pense, d'ici trois à six ans. Ce n'est pas une mauvaise nouvelle pour les pharmaciens : les jeunes générations d'officinaux voient la création de chaînes détenues par des laboratoires ou des répartiteurs d'un oeil plus favorable que leurs aînés. Ils sont séduits par l'opportunité de faire des économies d'échelle en bénéficiant d'une centrale d'achats commune, d'offres promotionnelles plus avantageuses ou encore de formations à la gestion.

Jean-Marc Wurfel, président du réseau de pharmacies Lafayette

Un vent de libéralisme souffle sur la France. Les propos récents de Nicolas Sarkozy, qualifiant la profession officinale de « rente de situation », ne sont pas anodins : ils devront aboutir, d'ici deux ans, à la libéralisation du capital des pharmacies afin de permettre à un non-pharmacien d'acheter des parts d'une officine. La levée de ces obstacles devrait entraîner une course effrénée au capital des officines. Ainsi, les grossistes-répartiteurs, les laboratoires pharmaceutiques et les fonds de pension se précipiteront pour racheter les plus grandes pharmacies, celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à deux millions d'euros. Il y aura de belles opportunités à saisir pour les officinaux souhaitant être rachetés.

C'est l'objectif du réseau Lafayette, dont les 32 pharmacies proposent des produits discount et réduisent leurs marges pour doper leur chiffre d'affaires, et, ainsi, être en première ligne au moment de l'ouverture du capital. Quant aux plus petites officines, elles survivront très difficilement à ce raz-de-marée car elles ne pourront pas faire face aux prix ultracompétitifs des chaînes et devront mettre la clé sous la porte

Alexandra Bouthelier, déléguée générale de la Fédération du commerce associé

Un changement dans l'exercice de la pharmacie est inéluctable, les pharmaciens doivent s'y préparer. Or, la création de chaînes peut être bénéfique : les pharmaciens pourront mutualiser leurs forces. Une chaîne pourra leur apporter une vraie politique d'achat, un plan marketing pour mettre en valeur leurs points de vente, une assistance et des formations pour gérer leurs stocks et des modèles économiques pour mieux se développer. Bref, cette évolution inéluctable permettra aux officinaux de se professionnaliser et d'être plus forts face à la concurrence. Il y a plusieurs années, les opticiens étaient dans le même cas de figure : libres gestionnaires de leurs points de vente, ils se sont regroupés et ont intégré des chaînes, ce qui leur a donné une puissance de feu supérieure pour se développer.

Je pense que le secteur de la pharmacie va aller dans ce sens. Cette évolution n'interdit pas aux pharmaciens de proposer des limites et des garde-fous à cette libéralisation

Lucien Bennatan, président de PHR

Les pharmaciens français ne pourront pas continuer à faire abstraction du modèle européen des chaînes. Sous la pression européenne, les premières chaînes, appartenant à des non-pharmaciens, devraient apparaître, je pense, à partir de 2010. Mais cette mutation ne pourra s'opérer qu'à la condition de lever d'autres verrous : la pharmacie deviendra alors une entreprise comme une autre, avec le droit de mener des opérations publicitaires, de vendre sur Internet et d'être libre de faire des promotions sans plafonnement de remise. Bref, les officinaux devront se doter d'une vraie politique d'entreprise.

Gilles Thiriez, dirigent de Cofass Conseil, cabinet de conseil en création de franchise

Les pressions européennes vont probablement faire sauter les verrous réglementaires en France. Mais attention : on ne doit pas vendre des médicaments comme des bouteilles de vin ou des vêtements ! L'exercice de la profession de pharmacien doit rester réglementé et l'ouverture du capital être limitée par des garde-fous. Car ce mouvement de libéralisme comporte un risque : les enseignes d'hypermarchés et les grossistes-répartiteurs, futurs actionnaires des chaînes de pharmacies, conditionneront la politique d'achat dans les pharmacies aux différents accords passés avec les laboratoires. Ces intérêts financiers risquent de prendre le pas sur la sécurité du patient et de réduire considérablement l'offre de produits. Un autre inconvénient au système des chaînes réside dans le conseil aux patients, lequel devrait diminuer car ces enseignes commercialiseront des produits à vaste échelle, sur des surfaces de magasins plus importantes

Francis Megerlin, maître de conférences en droit et en économie de la santé à la faculté de pharmacie de Paris-V.

Les chaînes de pharmacies vont apparaître si les arguments français ne parviennent pas à convaincre la Commission européenne. Car trouver des capitaux, de la compétence, réaliser des gains d'organisation, devancer la concurrence dans les services à la personne s'imposent de plus en plus. Or, le modèle économique actuel me semblant à moyen-court terme condamné, la répartition de la richesse devrait être déterminée par la compétence pharmaceutique (actes et suivi de proximité) plus que par le contrôle externe du capital. Dès lors, les chaînes joueraient un tout autre rôle, qui serait le bienvenu : réduction des coûts par mutualisation et développement de capacité, sans pour autant prendre la direction des officines. Cette mutation refonderait les vocations et le monopole, reviabiliserait bien des officines et préserverait notre maillage, un atout français face au papy-boom. Mais elle suppose l'accord des « tribus gauloises » et une transition délicate, et le temps presse

Claude Japhet, président de l'UNPF

Une mutation est en train de s'opérer. La profession ne peut plus rester cantonnée au modèle de l'officine indépendante. Cela dit, la création de chaînes, dont les capitaux seraient extérieurs aux professionnels de santé, ne me semble pas souhaitable : cela créerait, à mon sens, une pression capitalistique pouvant nuire à la liberté de gestion des officinaux. Il n'empêche, il vaut mieux que des chaînes puissent se constituer au sein de la profession, sans capitaux extérieurs. C'est inévitable d'évoluer vers ce modèle. Le statut de la société d'exercice libéral peut permettre de constituer déjà des minichaînes avec une holding reliée à plusieurs points de vente. L'avantage : il n'y a pas de pression capitalistique, comme cela peut être le cas avec des capitaux extérieurs à la profession. En outre, les officinaux auront alors la possibilité de centraliser les achats, les stocks, la comptabilité et, pourquoi pas, de partager leurs salariés

Pierre Leportier, président de la FSPF

L'arrivée des chaînes de pharmacie en France ? Je n'y crois pas. Certes, la Commission européenne a fait pression sur la France pour libéraliser l'exercice de l'officine, mais chaque pays reste maître de l'exercice officinal. Or, le système français répond parfaitement au besoin de la population, et il n'est donc pas utile de le modifier car, actuellement, la pharmacie s'exerce en toute indépendance, ce qui lui permet de résister aux pressions externes, des laboratoires pharmaceutiques notamment.

Ce système a permis également de créer un réseau d'officines réparti sur l'ensemble du territoire, y compris les zones rurales. L'ouverture du capital des officines à des investisseurs extérieurs va, de façon certaine, avoir une influence sur le réseau : la règle du quorum ne sera plus respectée car le réseau se restructurera et se concentrera vers les zones géographiques les plus rentables.

Patrick Brondeau, directeur commercial d'Alliance Healthcare France

Si l'ouverture du capital des officines se fait en France, et la tendance le laisse à penser, nous n'aurons pas d'autre choix que de nous y adapter, comme les autres pays européens. Il sera alors indispensable de créer des garde-fous. A mon sens, il faudrait limiter cette libéralisation aux pharmaciens et aux grossistes-répartiteurs. C'est seulement sous cette condition que les intérêts financiers et l'exercice d'une officine ne seront pas contradictoires. Or, les répartiteurs seront les premiers, de par leur connaissance des officines, sur la ligne de départ au moment de l'ouverture du capital. Alliance Healthcare n'aura pas d'autre choix que d'entrer dans cette course au capital

Gilles Bonnefond, secrétaire général de l'USPO

Les chaînes de pharmacie ? Non, elles ne sont pas inéluctables! Certes, ce nouveau concept existe déjà dans certains pays européens. Mais ce n'est pas une raison pour l'appliquer à tous les pays ! La profession des pharmaciens et le circuit de distribution a, dans l' Hexagone, une vraie spécificité qu'il faut respecter. En outre, notre système actuel de distribution permet d'avoir un service de proximité des officines, y compris dans les zones rurales. Demain, si les chaînes venaient à apparaître en France, il est probable que les officines des zones rurales, où les chaînes ne voudront pas aller par manque de rentabilité, seront délaissées. Comme dans toute enseigne en franchise, les pharmacies devront une redevance à leur enseigne. L'officinal aura également les poings liés : il ne pourra plus acheter et référencer des produits librement, mais dépendra de la politique globale de la chaîne. Les mouvements libéraux, qui existent en France et en Europe, peuvent faire craindre le pire. Mais cet ultralibéralisme ne doit pas s'appliquer à la santé.

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