Sous les cocotiers, les clichés - Le Moniteur des Pharmacies n° 2674 du 21/04/2007 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2674 du 21/04/2007
 

Témoignages

Derrière l'image idyllique des DOM véhiculée par les clubs de vacances se cache une autre réalité. Du soleil et du sable chaud, certes. Mais aussi des difficultés d'approvisionnement et une pénurie de personnel. Sept domiens racontent.

Un approvisionnement parfois chaotique, même si manifestement des progrès notables ont été réalisés, un coefficient multiplicateur, des disparités socio-économiques importantes dans la population, des difficultés pour trouver des collaborateurs... Les départements d'outre-mer (DOM), au même titre que les autres départements français, possèdent leurs propres particularités. Auxquelles on se fait ou pas...

Au niveau des officines, le turnover est à peu près identique à celui de la métropole. Seulement voilà, l'offre y est plus limitée en raison du nombre relativement minime d'officines : 241 à la Réunion mais seulement 38 en Guyane... Les prix de cession y sont plus élevés qu'en métropole pour cause de coefficient multiplicateur. Ils varient bien sûr en fonction de la localisation : difficile en effet de comparer une petite officine rurale située au fin fond de la Guyane à une autre implantée en plein centre de Saint-Denis de la Réunion. Pour les candidats à l'installation, pas question d'arriver en terrain conquis. Tout titulaire vivant déjà depuis quelques années dans un DOM a vu un jour un confrère repartir déçu parce qu'il était plus avide de rentabiliser rapidement son investissement que de s'intégrer. Mais, dans l'ensemble, ceux qui préparent patiemment leur installation s'ancrent définitivement dans les DOM et pour rien au monde ne repartiraient. « L'exercice est identique - et doit être identique - à celui de la métropole. Il n'y a pas de spécificité particulière », tient à préciser Norbert Scagliola, président du conseil central de la section E de l'Ordre, qui conseille cependant « d'être prudent dans ses investissements. Mais mon conseil vaut aussi pour la métropole... ».

Commencer par travailler comme adjoint

Si l'exercice est comparable en zone urbaine à celui de la métropole, ce n'est pas forcément le cas dès que l'on s'éloigne des grandes villes. Il faut alors une bonne capacité d'adaptation car l'exercice quotidien est forcément bouleversé par les conditions environnementales. C'est par exemple le cas dans certains coins reculés de Guyane, à quelques jours de pirogue de Cayenne, où les titulaires sont, de plus, parfois confrontés à la « concurrence » des dispensaires qui distribuent gratuitement les médicaments.

Quant à connaître la meilleure destination, c'est surtout la disponibilité d'une officine à la portée de votre bourse qui sera déterminante. Mais le conseil de tous ceux qui ont sauté le pas, qu'ils soient restés ou non, est de partir au minimum quelques mois en tant qu'adjoint et, si possible, d'exercer dans plusieurs DOM. D'autant que les pénuries d'adjoints permettent d'accéder à des postes bien rémunérés. Une excellente piste pour cela : faire appel aux grossistes-répartiteurs locaux qui proposent une liste de candidats remise à jour régulièrement.

Une fois sur place, il est plus facile de connaître les « bonnes affaires ». D'autant que les DOM ont cette particularité tout îlienne de vivre en vase clos. Un avantage car tout le monde se connaît et il est alors plus facile de travailler en réseau. Mais un inconvénient pour ceux qui ont besoin de vivre ouvert sur le monde.

L'insularité oblige à posséder de fortes qualités humaines."

Erick Marx, titulaire à Fort-de-France (Martinique)

Je suis parti il y a sept ans en Martinique pour vivre et exercer différemment. Au bout de quatre ans je me suis installé en centre-ville, à Fort-de-France. Ce que je constate, c'est que l'acte pharmaceutique est très intéressant aux Antilles car nous faisons beaucoup plus de conseils qu'en métropole du fait de la sous-population médicale. Fin décembre 2003, pour environ 390 000 habitants, la Martinique comptait seulement 858 médecins. Il faut souvent compter quatre heures d'attente pour consulter. La population se tourne facilement vers nous et nous avons une véritable responsabilité dans le suivi des soins. Nous sommes donc mieux reconnus professionnellement par les patients. Par ailleurs, un quart des Martiniquais touchent la CMU, ce qui influe évidement sur l'exercice car nous avons pour impératif de proposer le bon produit au juste prix.

En revanche, les tâches administratives sont plus lourdes qu'en métropole. Nous travaillons souvent avec les administrations métropolitaines, les caisses, les mutuelles, ce qui engendre quelques difficultés : le décalage horaire ne facilite pas la communication et certaines mutuelles ne comprennent pas que le prix des vignettes soit majoré. Pour les dossiers litigieux, il n'y a guère de continuité territoriale !

L'approvisionnement et la gestion des stocks nous prennent aussi plus de temps que sur le continent. Pour les commandes en direct, il faut compter un à deux mois de délai. Nous avons deux répartiteurs locaux, mais lorsqu'une épidémie importante survient nous sommes assez vite dépassés. Cela a été le cas il y a deux ans avec une épidémie de conjonctivite. En cinq jours, nous avons vidé les stocks disponibles. Si je devais donner un conseil aux pharmaciens qui souhaitent s'installer « dans les îles », je leur dirais de commencer par travailler comme remplaçant ou adjoint. L'insularité oblige à posséder de fortes qualités humaines et une bonne capacité d'adaptation car on vit dans un microcosme. Attention également de ne pas confondre tourisme et migration. La pharmacie est ouverte 55 heures mais j'effectue en moyenne 75 à 80 heures hebdomadaires...

Aujourd'hui, la vie est comparable à celle de la métropole."

Christiane Van de Walle, titulaire aux Avirons (la Réunion)

Nous sommes arrivés en 1969 avec mon époux car nous avons eu l'opportunité de reprendre une officine. Née en Algérie, l'outre-mer me plaisait, même si la Réunion me semblait bien loin de la métropole. J'ai travaillé comme pharmacienne hospitalière plus d'une quinzaine d'années et mon époux s'est installé dans une commune rurale. Puis j'ai eu la possibilité de faire une création dans la même commune. A l'heure de préparer la retraite je ne regrette pas ce choix. Nous avons vécu une période très intéressante professionnellement. Quand nous sommes arrivés il y avait encore beaucoup à faire en termes de prévention et d'éducation sanitaire. Aujourd'hui les choses ont beaucoup changé et la vie est assez comparable à celle de la métropole, mais sous d'autres cieux. La Réunion est un département français comme les autres, à ceci près qu'il est situé à 10 000 kilomètres de Paris !

Il est difficile de fidéliser des adjoints."

Pierre-André Chabre, titulaire au Port (la Réunion)

Je suis arrivé à la Réunion en 1995 et y suis titulaire depuis 1998. C'est le hasard qui m'a conduit ici mais je ne regrette pas mon choix. J'y suis complètement intégré et ma famille m'a rejoint. Je pense que l'exercice est relativement proche de celui de la métropole, la difficulté majeure étant celui du recrutement. Les salaires des adjoints sont plus élevés et il est difficile de les fidéliser car ils viennent en général pour quelques mois. Il y a donc un turnover important. Par contre, nous disposons d'un vivier de candidatures via les grossistes qui ont une liste de pharmaciens qui cherchent un poste.

J'y ai trouvé ma place."

Christophe Droz-Bartholet, titulaire à la Désirade

Mon histoire avec les DOM-TOM a commencé durant mes études par un stage hospitalier à la Réunion. Le diplôme en poche, j'avais envie de soleil et d'« ailleurs ». Je connaissais quelqu'un à la Martinique, j'y suis parti en me disant que c'était bien de commencer par une première expérience d'un mois. Le lendemain j'avais trouvé du travail. Cela fait maintenant quinze ans que je suis outre-mer, dont cinq passés en Martinique avant de m'installer à la Désirade, une île que nous avions découverte auparavant ma femme et moi et qui nous plaisait. Cette officine correspondait à mes prétentions financières, peu élevées. C'était une petite affaire à remonter qu'une dizaine de confrères avaient refusée avant moi. Cela fait 10 ans que je suis ici et j'y ai trouvé ma place. Je n'y vois que des avantages. Outre le cadre de vie qui correspond parfaitement à ma personnalité, nous travaillons naturellement en réseau entre professionnels de santé. Et pour cause : la Désirade est un caillou de 12 kilomètres sur 2 qui compte 1 600 habitants, un médecin, une infirmière et une officine. Nous sommes en contact quotidiennement et nous ne concevons pas, pour le bien-être des malades, de travailler autrement qu'en équipe. Je ne souffre pas de problèmes d'approvisionnement.

Depuis bien longtemps la substitution fait partie du fonctionnement normal. Pour les commandes, j'ai la chance de pouvoir grouper mes achats avec une amie basée en Guadeloupe, ce qui me permet d'améliorer le prix et la qualité du service. L'amplitude horaire n'est pas très importante. En revanche, il est inconcevable de ne pas répondre présent lorsque c'est nécessaire et il est entendu que je descends ouvrir l'officine de nuit comme de jour dès que c'est nécessaire. Je ne le vis pas du tout comme une contrainte, cela fait partie de la vie ici. n

Je n'ai guère de temps libre pour profiter du climat et de la nature."

Liliane Camouilly, titulaire à la Martinique

Originaire de Martinique, j'ai débuté ma carrière en métropole et ai exercé durant 20 ans en région parisienne avant de faire du consulting pour les instances professionnelles, dans le domaine de la formation notamment. Puis j'ai souhaité effectuer une deuxième installation chez moi, à la Martinique. La vision que l'on a des DOM-TOM depuis la métropole - le soleil, la plage et les cocotiers... - est loin de la réalité pour le titulaire. Je n'ai guère de temps libre pour profiter du climat et de la nature. Outre les difficultés inhérentes au management de l'officine, où qu'elle soit située, nous sommes confrontés au problème de l'éloignement. L'approvisionnement par exemple, même si nous bénéficions de deux répartiteurs performants, est loin d'être évident et nous devons parfois gérer des ruptures de stock. Quant aux commandes directes, il faut deux mois à deux mois et demi de délai de livraison ! En outre, notre appartenance à la division export des laboratoires nous pénalise par rapport à nos confrères métropolitains, cantonnés que nous sommes au même régime que les pays étrangers. C'est surprenant pour des départements français ! Autre point épineux : les contrefaçons. Elles se multiplient dans le monde entier et dans tous les secteurs. Il est donc légitime qu'en tant que professionnels de santé responsables de la dispensation du médicament, installés dans des départements éloignés aux frontières largement ouvertes, nous souhaitions le contact le plus direct avec nos fournisseurs afin de renforcer notre vigilance.

L'amplitude horaire est la même qu'en métropole, je pars le matin à 7 heures et rentre de l'officine vers 20 heures. Nous gérons, du fait des conditions climatiques, du mode de vie et des habitudes alimentaires, des pathologies dont le pourcentage est nettement plus important qu'en métropole telles que l'asthme, le diabète, l'hypertension, l'hypercholestérolémie. Des maladies pour lesquelles l'observance est capitale et qui nécessitent un investissement d'autant plus important de notre part qu'elles évoluent à bas bruit. Comment, alors, assister sans réagir à la stratégie développée par des pharmaciens hard discounters qui tentent d'entraîner les confrères dans une spirale de guerre des prix qui risque de peser lourd sur l'équilibre économique des officines martiniquaises ? Soyons solidaires et nous serons reconnus.

repères

Les DOM-TOM en chiffres

Guadeloupe - 159 officines pour 170 titulaires - 86 adjoints

Guyane - 38 officines pour 39 titulaires - 25 adjoints

Martinique - 148 officines pour 163 titulaires - 83 adjoints

Réunion - 241 officines pour 278 titulaires - 260 adjoints

Saint-Pierre-et-Miquelon - 1 officine pour 1 titulaire

Mayotte - 10 officines pour 10 titulaires - 3 adjoints

Wallis-et-Futuna - Pas d'officine - 1 pharmacien de PUI

Source : statistiques de l'Ordre au 1er janvier 2006.

Notre sort est plus enviable que celui des confrères de métropole."

Hervé Nardin, titulaire à Remire-Montjoly (Guyane)

Cela fait un an et trois mois que j'ai acquis cette officine. Elle est située à une dizaine de kilomètres de Cayenne et la clientèle y est plutôt urbaine. J'apprécie sa courtoisie et sa gratitude. J'ai été adjoint deux ans à Marseille avant de venir ici et je ne trouve pas de différence flagrante avec l'exercice en métropole. En revanche, si j'en juge la situation d'amis qui se sont installés en même temps que moi en métropole, j'ai l'impression d'être plutôt privilégié. Les banquiers sont conciliants et les grossistes nous aident. De plus, ici la pharmacie est toujours en croissance. Nous ne connaissons pas les mêmes difficultés économiques. Les prix de vente des officines sont comparables, de 85 à 90 % du chiffre d'affaires, mais avec des chiffres d'affaires plus élevés en raison du coefficient multiplicateur : 1,34 sur le médicament remboursé. Nos horaires d'ouverture sont moindres : de 8 heures à 12 heures 30 et de 16 heures à 19 heures 30 et nous sommes fermés le samedi après-midi. La seule difficulté réside dans la recherche de personnel, en particulier d'adjoints. Partir dans les DOM-TOM est vraiment intéressant mais, pour s'y installer, mieux vaut y travailler d'abord comme adjoint ou chez un grossiste-répartiteur, ce qui permet de tisser un réseau de relations qui sera particulièrement utile lors de la recherche d'une officine en vue d'une acquisition.

Sylvie Chiron, « pharmacienne Nord-Sud »

« Habituée des missions en tant que conseillère technique et formatrice pour une ONG, je suis partie pour un compromis alléchant : devenir adjointe en Guyane. Le salaire était attractif, le logement fourni et la moitié du billet d'avion payée... Ce n'est pas l'attrait des plages et des cocotiers qui m'a fait partir pendant 6 mois, mais bien une situation sanitaire fort médiocre. Je partage donc mon temps entre une officine et un travail de bénévole pour des associations.

A l'officine, plus de 50 % de la clientèle est étrangère et a un statut d'AME pour sa couverture médicale. La majorité sont haïtiens, les autres brésiliens, dominicains, surinamais ou guyanais. Le pouvoir économique est extrêmement faible. Peu maîtrisent le français et la communication avec les médecins est souvent difficile. Le personnel de la pharmacie parle les différents créoles et se débrouille en anglais. Pour travailler dans la région de Saint-Laurent, la pratique du néerlandais peut être utile mais la langue locale est le taki-taki. A Apatou ou à Maripasoula, il faut parler un minimum les langues locales pour exercer ! Je travaille sur l'accompagnement des malades, avec l'équipe officinale, le réseau ville-hôpital local Kikiwi, les infirmières libérales chargées de l'observance et les structures associatives. Mais leurs moyens sont dépassés face à la demande due au fort taux de migration dans cette zone de grande pauvreté. Le contact avec les Créoles n'est pas toujours aisé. Les populations ne se mélangent pas, et c'est la première chose qui choque. Le seul endroit qui échappe à cette règle est le marché de Cayenne, véritable tour de Babel où se côtoie l'ensemble des groupes ethniques dans une harmonie apparente imposée par le travail. Si c'était à refaire, je ne reprendrais pas un poste à Cayenne mais plus sur le fleuve Maroni ou vers le Brésil, là où l'Amérique Latine telle que je l'aime est plus présente. Malgré tout, je ne regrette pas ce choix et l'expérience de Cayenne sera une belle richesse de plus dans mes voyages et mes activités de "pharmacienne Nord-Sud". »

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