Doc Morris, l'épouvantail européen - Le Moniteur des Pharmacies n° 2652 du 25/11/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2652 du 25/11/2006
 

INTERNATIONAL - E-COMMERCE

Cahier spécial

L'annuel

En six ans de présence sur la Toile, Doc Morris est devenu en Allemagne le chouchou des politiques et des caisses d'assurance maladie et le cauchemar des officinaux. Avec la crainte de voir ses différents recours judiciaire - s'il les gagne - faire jurisprudence européenne. D'autant que Doc Morris souhaite s'attaquer à d'autres marchés, après avoir rodé ses méthodes, ses arguments juridiques et sa communication outre-Rhin.

En six ans, Doc Morris est parvenu à abattre nombre de barrières. L'industrie, autrefois méfiante à son égard, livre aujourd'hui en direct entre 45 et 50 % du stock de celui qui se dit « gros comme 100 officines » outre-Rhin. Les caisses d'assurance maladie voient dans la vente par Internet une source d'économies substantielles estimées entre un et deux milliards d'euros. Le pharmacien vépéciste peut aussi compter sur l'appui des Chrétiens-démocrates sarrois et sur celui des Verts au niveau fédéral, partisans d'une dérégulation du marché. Quand à la Fédération de l'industrie allemande, tout comme la plupart des juristes du pays d'ailleurs, elle est convaincue que le droit restrictif allemand va à l'encontre du droit européen.

Pignon sur rue

Mais Doc Morris avoue être parvenu aux limites de la vente par Internet. « Nous avions de nombreux appels et des questions par e-mails. Le fait d'être à l'étranger, et en plus uniquement accessibles par téléphone ou par courriers électroniques, déstabilisait de nombreux clients. Il leur fallait une devanture, un interlocuteur à laquelle adresser leur demande, leurs réclamations, etc. », explique Ralf Däinghaus.

Au début de l'été 2006, Doc Morris décide de déterrer à nouveau la hache de guerre en ouvrant sa première officine en Allemagne, avec la bénédiction du gouvernement sarrois. Les feux croisés entre l'Ordre, les pharmaciens voisins, le gouvernement sarrois et Ralf Däinghaus, patron de Doc Morris, ont perduré jusqu'en septembre, date à laquelle l'officine a été fermée sur décision du tribunal administratif. L'Allemagne interdit en effet à toute personne morale la détention d'une officine. L'ouverture de cette officine « en dur » était aussi la condition sine qua non pour implanter en Allemagne un entrepôt, lequel aurait généré 300 emplois.

Les frontaliers français vigilants

Installé depuis deux ans à Merten, en Moselle, près de la frontière sarroise, Eric André ne cache pas l'inquiétude qui a été la sienne à l'annonce de l'ouverture de l'officine Doc Morris. « Une partie de notre clientèle vient de Sarre car les assurances de santé privées allemandes incitent leurs adhérents à s'approvisionner à moindre coût. Or 90 % des médicaments listés sont moins chers en France. Les pharmacies virtuelles vont changer la donne. » En sens inverse, « 25 000 Mosellans franchissent quotidiennement la frontière pour travailler en Sarre, mais la couverture sociale française les rend fidèles aux professionnels de santé français, du moins pour les médicaments remboursables, relativise Pierre Gangloff, pharmacien à Sarreguemines. Par contre, pour l'automédication, ils seraient tentés de s'approvisionner moins cher dans une pharmacie Doc Morris. Son implantation sur la frontière n'était pas innocente. Elle s'inscrit dans une stratégie de conquête de marchés. Nous devons être vigilants ».

« Miner » la législation du pays

Même en cas de succès, Sarrebruck devrait toutefois rester un point de vente unique, la législation allemande interdisant les chaînes. Mais allez savoir avec Doc Morris ! Par deux fois déjà, il a fait plier le législateur allemand. En 2004, le gouvernement légalisait la vente par Internet. Dans la foulée, il libérait également le prix de l'OTC. Deux mesures qui lui ouvraient la voie. Aujourd'hui, il s'agit pour Ralf Däinghaus d'obtenir la levée de l'interdiction à une personne morale, ou à une personne physique non titulaire d'un diplôme en pharmacie, de détenir une officine. « Oui, je suis hors la loi !, déclare, un brin provocateur, le patron de Doc Morris. Mais la législation allemande a ses failles et je les utilise pour démontrer l'absurdité d'un système plus que centenaire. » En effet, comme ne manque pas d'objecter son allié, Wolfgang Schild, secrétaire d'Etat sarrois à la Justice, à la Santé et aux Affaires sociales, « la législation permet bien à une veuve de titulaire de conserver la propriété d'une pharmacie pendant près de trente ans, le temps qu'un descendant prenne la relève ! ». Ou encore, plus récemment, la levée de l'interdiction de la propriété multiple permet désormais à tout pharmacien de détenir jusqu'à... quatre officines et d'exploiter une société de vente par Internet.

Second volet de la plaidoirie de Doc Morris et du ministère sarrois de la Justice et de la Santé qui ont porté recours contre la fermeture de la pharmacie : « Le droit européen a prééminence sur le droit national. » Enfin, Doc Morris réfute les soupçons de manquements à la sécurité du médicament : « Nos produits proviennent exclusivement de laboratoires allemands et non de réimportations, comme on nous en a souvent accusés. »

Le cas Doc Morris va-t-il créer un précédent ?

Magdalene Linz, présidente de l'Ordre fédéral, rétorque que la santé ne constitue pas un bien commerçant et qu'on ne saurait y appliquer les directives européennes de libre circulation des biens et des personnes. Manfred Saar, président de l'Ordre sarrois, craint quant à lui que, si elle aboutissait, l'affaire Doc Morris ne crée un précédent : « Le marché allemand s'ouvrirait alors aux sociétés étrangères tandis que les pharmaciens allemands seraient encore tenus par leur loi nationale sur la pharmacie. » Pendant ce temps, Ralf Däinghaus s'apprête à se battre jusqu'au bout, fût-ce jusqu'à la Cour européenne de justice. Une fois de plus, il aura lancé un pavé dans la mare européenne et contribué à relancer le débat sur la vente par Internet et, indirectement, sur les chaînes de pharmacies.

Doc Morris en chiffres

-#gt; CA 2005 : 150 MEuro(s) (prévisionnel 2006 : + 20 %).Euro(s)-#gt; 80 % de ses clients sont des malades chroniques. Ils reçoivent un reporting par trimestre sur leurs prescriptions qu'ils peuvent communiquer à leur médecin traitant.

-#gt; 20 % du CA est réalisé en OTC, produits sur lesquels une remise est effectuée (jusqu'à 35 % des prix moyens des pharmacies allemandes).

-#gt; 20 % des commandes sont passées par Internet, le reste par téléphone/fax ou courrier.

-#gt; 2 jours : délai de livraison.

-#gt; Doc Morris facture directement aux caisses d'assurance maladie. Le client obtient une remise de 50 % sur son ticket modérateur.

Tout sauf la France !

S'il n'était aussi occupé par ses affaires en justice, Ralf Däinghaus se concentrerait davantage sur l'expansion en Europe de Doc Morris, société qu'il dirige. Car si l'Allemagne et ses 80 millions d'habitants recèle, en raison du coût élevé de ses médicaments, le plus grand potentiel pour le vépéciste, la Scandinavie, la Grande-Bretagne, l'Europe de l'Est et désormais l'Italie, depuis la libéralisation de son marché, sont autant de marchés attrayants pour de futures implantations. La France et son marché très monopolisé de la pharmacie agit en revanche comme un repoussoir sur le pharmacien du web. Ralf Däinghaus se souvient avec une certaine rancune que dans l'affaire qui l'opposait en 2003 à la Fédération des pharmaciens allemands auprès de la Cour de justice européenne, le gouvernement français avait fourni les arguments les plus acérés contre lui !

Six ans d'offensives

2000 création d'une pharmacie virtuelle par l'Allemand Ralf Däinghaus et un pharmacien néerlandais de Landgraaf (Pays-Bas) dans la région dite « des trois frontières ».

2001 L'ABDA, la fédération des pharmaciens allemands, lance une contre-offensive avec son portail http://www.aponet.de à partir duquel chaque officinal peut créer son propre site.

2002-2003 L'ABDA porte plainte. La VPC est alors interdite en Allemagne.

11 décembre 2003 La Cour de justice européenne rend un arrêt selon lequel l'article 30 du traité de la Communauté européenne ne saurait être invoqué pour justifier une interdiction absolue de la VPC de médicaments qui ne sont pas soumis à une prescription médicale dans l'Etat membre concerné.

Janvier 2004 La loi de réforme de l'assurance maladie autorise la vente de médicaments prescrits sur Internet. La multipossession est autorisée jusqu'à quatre officines par pharmacien.

2005 La part de marché de Doc Morris reste inférieure à 2 % mais le pharmacien en ligne est bénéficiaire depuis 2003. Son « échec » : un manque de notoriété auprès du public.

29 juin 2006 S'appuyant sur le droit européen garantissant à tout ressortissant et société le droit de s'installer dans un pays de l'UE, le ministère sarrois de la Justice et de la Santé (!) autorise Doc Morris à ouvrir une pharmacie « en dur » à Sarrebruck.

9 août 2006 Les fédérations de pharmaciens sont déboutées de leur plainte contre Doc Morris auprès du tribunal du Land.

12 septembre 2006 Saisi par trois pharmaciens riverains, le tribunal administratif de Sarrelouis ordonne en référé la fermeture de l'officine.

Novembre 2006 La juridiction sarroise doit statuer définitivement sur le sort de la pharmacie de Sarrebruck dans les prochaines semaines, avec un éventuel recours devant la Cour de justice européenne.

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