« Des preuves, rien que des preuves » - Le Moniteur des Pharmacies n° 2652 du 25/11/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2652 du 25/11/2006
 

INTERVIEW : LAURENT DEGOS

Cahier spécial

L'annuel

Avec sa récente réévaluation sur les médicaments à service médical rendu insuffisant, prélude à la décision concernant d'éventuels déremboursements, la Haute Autorité de santé s'est retrouvée au centre des préoccupations officinales. Nous avons demandé à son président, le professeur Laurent Degos, de les commenter.

« Le Moniteur » : Les pharmaciens ne comprennent pas toujours les décisions de la HAS, qui leur paraissent plus dictées par des critères économiques que scientifiques. Que leur répondez-vous ?

Laurent Degos : Je leur rappellerai notre rôle. La HAS est là pour aider le décideur (le ministre) ainsi que les financeurs (caisses d'assurance maladie et complémentaires) dans leurs décisions, et enfin pour informer les professionnels de santé et la population. La régulation organisationnelle, planificatrice et de sécurité sanitaire relève du ministre ainsi que de ses agences et directions. La régulation économique et financière incombe aux caisses d'assurance maladie. La HAS incarne une troisième forme de régulation par la qualité des produits, des actes, des établissements, des pratiques professionnelles... Nous n'empiétons pas sur les deux autres, notre travail est indépendant et scientifique, même s'il s'articule évidemment avec celui du décideur et du financeur.

Concernant les vasodilatateurs, comment en êtes-vous arrivés à une recommandation de déremboursement ?

On nous demande d'évaluer des médicaments anciens avec les mêmes critères que les médicaments nouveaux. De ce point de vue, parmi ceux que nous avons évalués récemment [les vasodilatateurs de la troisième vague de SMRI, NdlR], beaucoup présentaient une suspicion d'efficacité dans les troubles cognitifs du sujet âgé. Mais, en fin de compte, ils ne répondent pas aux critères d'exigence requis en l'état actuel de la science. Sur les vasodilatateurs, il n'y a aucun essai clinique, aucun dossier qui permette d'établir cette efficacité. L'hypothèse avait été émise que, parce que ces produits dilatent les vaisseaux, cela devait entraîner plus d'oxygène dans le cerveau et ainsi aider la mémoire. Ce type de raisonnement ne constitue pas une preuve d'efficacité. Je dirais même - vous le savez comme moi - que lorsqu'on tient ce genre de raisonnement avec les médicaments, on aboutit parfois à des résultats loin de ceux qui sont attendus... En tout cas, on ne peut pas dire légitimement qu'un médicament a une efficacité quand on n'en a pas fait la preuve. Si on peut disposer un jour d'un essai thérapeutique montrant qu'il y a une action bénéfique dans cette indication des troubles cognitifs, nous reverrons les choses.

Dans cette indication, on va donc continuer à prendre en charge des produits qui ont un effet placebo ?

Un effet placebo ? Je ne peux pas vous répondre puisque, dans ce dossier, il y a des suggestions mais il n'y a pas de notion d'efficacité. Vous allez me dire que Xavier Bertrand n'a pas suivi les recommandations de la HAS, mais il a bien dit qu'il ne remettait pas en cause nos données scientifiques. Maintenant, je comprends que le décideur ait d'autres critères de jugement : sociologiques, politiques, économiques, etc. Par exemple, si on arrêtait brutalement ces médicaments, des patients pourraient imputer à cet arrêt des ennuis concomitants qui sont en fait dus à tout autre chose. Il est donc peut-être prudent de le faire progressivement.

Vous comptez beaucoup sur les médecins et les officinaux pour expliciter les décisions d'évaluation et de prise en charge. Mais comment expliquer à un assuré social que dérembourser des médicaments (jugés efficaces durant des années) est finalement bon pour lui ?

Des médicaments qui étaient auparavant donnés sur des suggestions, des présupposés, ne peuvent plus aujourd'hui l'être que sur des preuves. Il y a 25 ans, nous n'étions pas encore dans la « médecine fondée sur la preuve ». D'où l'utilité des réévaluations. Ainsi, après une réévaluation, un pharmacien ne devrait plus conseiller à quelqu'un de prendre un médicament alors qu'il sait qu'il n'y a pas, en fin de compte, de preuve d'efficacité dans telle indication. Les médecins, les pharmaciens et les patients doivent être éclairés sur les bases scientifiques les plus récentes. Et la HAS est là pour les y aider. C'est pourquoi j'ai demandé à ce que tous les acteurs, dont l'officine, aident à faire passer le message qu'il y avait bien des suggestions possibles pour ces produits mais qu'on s'aperçoit finalement qu'il n'y a pas de données. Donc on arrête de les prescrire. Les pharmaciens, qui veulent avoir d'autres missions, doivent entrer dans ce dialogue avec le patient sur une base scientifique et non pas sur une base de vente.

Avouez qu'il est difficile d'admettre que votre médecin, votre pharmacien vous ont donné durant des années un médicament qui n'en était pas un !

Ce n'est pas parce que l'on fait une nouvelle évaluation d'un produit que l'on doit dire que tout ce qu'on a fait avant était nul et non avenu. Simplement, on l'avait fait jusque-là sur des critères précédents. Aujourd'hui, il y a de nouveaux critères.

Y a-t-il d'autres évaluations à l'ordre du jour ?

Il n'y en a pas dans le sens des vagues de 1999. En revanche, nous pouvons revoir des médicaments par classes, comme le font d'ailleurs d'autres pays. Après un certain temps de « vie réelle » du médicament : il s'agit de savoir où il se situe par rapport à ce que l'on croyait. Là encore, il y a quelque chose d'attendu à la mise sur le marché et l'on verra en fin de compte le service rendu. Nous sommes en train de revoir le SMR de certaines classes.

A la demande du ministre ?

Non. Nous étudions nous-mêmes des classes pour lesquelles nous nous rendons compte que le service médical prévu n'est pas exactement au rendez-vous.

S'agit-il de classes anciennes ?

Nous reprenons actuellement tous les anciens médicaments mais il ne s'agit pas que d'anciennes classes. Ceux indiqués dans l'Alzheimer sont par exemple en cours de révision.

La modification du libellé SMR « insuffisant » est à l'ordre du jour. Y a-t-il une échéance ?

Cela a été notre première recommandation, dès 2005, et le ministre l'a faite sienne. Cela ne pourra se faire que lorsqu'il y aura un nouveau décret de la Commission de la transparence, courant 2007... En tout cas le terme « insuffisant » sera abandonné. Nous avons plusieurs suggestions mais c'est le ministère qui décidera.

Le libellé « non prioritaire » ?

C'est ce que propose Xavier Bertrand. Ce terme est plus qu'acceptable. Il conviendrait de tester le libellé choisi auprès des différents professionnels et des patients.

Pensez-vous qu'un droit de prescription complémentaire, comme au Royaume-Uni, améliore le système de soins, apporte de la qualité ?...

Si on saisissait la HAS pour cela, nous l'évaluerions. Il y a aussi le pan automédication. Et, dans certains pays il existe un conseil pharmaceutique, soit par un conseil simple, soit via une consultation, en fonction de la classe de médicament. L'Australie a été l'un des premiers pays à faire ce genre de choses avec succès. Au groupe de travail Automédication de rendre ses propositions. Nous ne pouvons pas nous mettre à la place du décideur et du financeur.

Vous a-t-on déjà demandé d'évaluer le rôle du pharmacien en matière de prévention ? Les expériences de transferts de tâches portent surtout sur les infirmières...

Nous étudions effectivement ce qui peut être fait en coopération entre professionnels. L'un avec l'autre ou l'un pour l'autre. Les pratiques professionnelles doivent être partenariales dans l'intérêt du patient.

Aux Pays-Bas, les pharmaciens font des consultations de prévention. Cela vous paraît-il être une piste ?

Je ne pense pas que la prévention puisse être le fait d'un seul métier et d'une seule personne. Il y a donc plutôt une réflexion à mener dans ce pays sur ces activités collectives. On ne convertit pas le citoyen par la simple parole d'une personne. Ce n'est pas parce que le pharmacien aura discuté avec quelqu'un que celui-ci arrêtera de fumer. Par contre, s'il y a de multiples acteurs et moyens tout autour, c'est là qu'il arrêtera. Or, on n'en est pas encore à une réflexion assez mûre dans ce pays pour avancer sur des activités collectives.

Vous élaborez de nombreux outils, documents, fiches, pour le médecin. En développerez-vous aussi pour l'officine ?

Notre travail est disponible pour tous les professionnels de santé, sans distinction. J'engage donc les pharmaciens à consulter tous documents qui peuvent leur être utiles*. Par ailleurs, nous travaillons déjà avec l'officine sur l'évaluation des pratiques professionnelles.

Le sujet est à l'ordre du jour ?

Oui. Nous sommes en contact avec les représentants professionnels sur le sujet et les questions restent ouvertes. Quels seront les référentiels à utiliser pour cela, comment pourra-t-on améliorer la pratique, par quelle démarche qualité et, in fine, comment pourrait-on faire une évaluation des pratiques professionnelles des officinaux ?

C'est quelque chose qui peut inquiéter les pharmaciens. Pouvez-vous en dire plus sur cette notion d'évaluation des pratiques professionnelles ?

Ce que nous appelons évaluation des pratiques professionnelles, c'est s'engager dans une démarche qualité. C'est démontrer que l'on fera mieux demain dans sa pratique quotidienne que ce que l'on a fait hier, et en avoir des preuves. Cela pour obtenir un certificat d'évaluation des pratiques professionnelles. Mais le but n'est pas tant d'avoir un label à afficher que d'analyser sa pratique pour l'améliorer. Cela étant, avant de se lancer réellement dans l'aventure, il faudra créer des référentiels à partir de la pratique elle-même avec les professionnels concernés. Nous commençons à y travailler à partir de démarches qualité existant dans la profession. Mais ce type de référentiel n'a pas vocation à devenir opposable, même si l'idée est de l'intégrer dans sa pratique.

* Voir sur http://www.has-sante.fr

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