Le grand pilonnage - Le Moniteur des Pharmacies n° 2650 du 11/11/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2650 du 11/11/2006
 

Actualité

Enquête

L'affaire des extraits thyroïdiens a révélé les carences en termes sécuritaires dont souffrent les préparations à l'officine. Le rapport de l'IGAS a ensuite enfoncé le clou sur les incohérences réglementaires. Conséquence, l'Afssaps vient de présenter aux représentants de la profession son projet de référentiel de bonnes pratiques opposables dont la publication est prévue en 2007. Une chose est sûre : tous les officinaux ne pourront pas suivre...

On ne peut pas rester dans une situation d'incertitude juridique, avec un bruit de fond d'incidents autour des préparations », lance Xavier Cornil, adjoint au directeur de l'Inspection et des établissements à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), chargé de coordonner le dossier sur les bonnes pratiques de préparation. Nous souhaitons qu'elles soient opposables en droit. » Aujourd'hui, les pharmaciens doivent se référer aux bonnes pratiques de préparation à l'officine (BPPO), parues en 1988, mais qui ne sont pas opposables. « Ne bénéficiant pas d'un arrêté d'application, elles s'apparentent plus à des recommandations qu'à un div légalement imposable, explique Pierre Constantin, pharmacien inspecteur à la DRASS des Pays de la Loire. Bien souvent, les installations sont déficientes en regard des BPPO de 1988. » Rappelons qu'elles reprennent les exigences du Code de la santé publique, soit un emplacement adapté et réservé à l'exécution et au contrôle des préparations.

Des bonnes pratiques communes à l'hôpital et à l'officine.

En 2003, l'ordre des pharmaciens s'était pourtant penché à nouveau sur ce dossier mais le travail de l'Adrapharm (Association pour le développement de la recherche appliquée à la Pharmacopée) en est resté au stade des recommandations. En cause : l'indifférence de la Direction générale de la santé et du ministère. Il aura fallu un décès et le déchaînement médiatique autour des préparations à visée amincissante pour qu'enfin, 26 ans après la loi Talon, les pouvoirs publics réagissent.

Le 17 mai dernier, l'Afssaps interdisait les dérivés d'hormones thyroïdiennes dans les préparations. Hasard du calendrier, l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) publiait dans la foulée son rapport sur les préparations pharmaceutiques à l'hôpital et à l'officine. Le constat pour la ville est sévère mais dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. « L'encadrement juridique de la préparation à l'officine est obsolète, alors qu'il apparaît moderne et adapté à l'hôpital. A l'étranger, comme en Suisse par exemple, l'exercice officinal et l'exercice hospitalier sont moins disjoints », assure Pierre Deloménie, responsable du rapport. Mais le compte a rebours a commencé : un projet de div rédigé par l'Afssaps a été débattu fin octobre. La profession vient tout juste de rendre ses propositions et une mise en ligne du référentiel pour enquête publique est prévue dès la mi-novembre. Avec l'intention de publier ces bonnes pratiques dès le premier trimestre 2007.

Premier changement d'importance, ces bonnes pratiques de préparation seront communes aux établissements de santé et aux officines. L'Ordre travaillait aussi dans ce sens depuis juin dernier. « Nous ne pouvons plus accepter des niveaux de bonnes pratiques différents selon le lieu d'exercice. Notre projet concerne toutes les préparations, quel que soit leur statut : hospitalières, magistrales ou officinales », révèle Xavier Cornil. Conséquence attendue depuis longtemps par les officinaux : le droit de déconditionner toutes les spécialités, comme c'est déjà le cas à l'hôpital. Cette décision devrait mettre fin au casse-tête des préparations pédiatriques et aux adaptations posologiques des spécialités qui sortent de la réserve hospitalière. « Jusqu'à présent, nous étions partagés entre le devoir de respecter la loi et la non-assistance en personne en danger », rappelle Didier Boeuf, titulaire à Pélussin (Loire).

L'officine tiendra un registre des matières premières.

Autre point essentiel : l'exigence de qualité à toutes les étapes. « La plupart des incidents rencontrés émanent d'une erreur au niveau des matières premières ou d'un défaut d'étiquetage. Nous avons le devoir de rassurer les patients. Aucune préparation n'est anodine, tout ce qui est fait doit être tracé et objectivé. Ce qui va, nous n'en doutons pas, être difficile pour certaines officines », avance Xavier Cornil. Et pour cause ! Toute opération devra répondre à des normes de qualité bien précises. A commencer par la réception des matières premières, qui devront recevoir un numéro d'identification et être mises en quarantaine avant l'identification de chaque contenant (lire p. 20).

« La notion de contrôle est souvent mal comprise par l'officinal... Il faudra sans doute attendre que la nouvelle mouture des bonnes pratiques de préparation devienne opposable pour que la démarche qualité s'impose, rappelle Pierre Constantin. Le pharmacien est cependant tenu à l'analyse pharmaceutique de la prescription, il doit donc s'assurer de la cohérence de la formulation et de sa stabilité. Ces renseignements sont accessibles à tous grâce au "Bulletin de contrôle de lot pour les matières premières" et l'identification élémentaire (caractères organoleptiques, essais physicochimiques). » Encore faut-il avoir le matériel approprié, le kit de diagnose Cooper n'étant plus commercialisé ! Si l'on appliquait à la lettre ces règles, la plupart des pharmacies seraient cantonnées aux mélanges de pommades.

Dans le projet de l'Afssaps, tout pharmacien devra tenir à jour un registre des matières premières. Au cours de la réalisation, le volume et la pesée des quantités utilisées feront l'objet d'un enregistrement dans un dossier spécifique pour chaque préparation. L'étiquetage également devient plus exigent : dosage des principes actifs, voie d'administration, date limite d'utilisation, numéro d'inscription à l'ordonnancier et... numéro de lot. Car le référentiel, tel qu'il est proposé par l'Afssaps, ne prévoit pas de différence entre la fabrication d'un lot ou celle d'une seule pommade. « Toute préparation fera l'objet d'une libération de lot par un pharmacien », tient à préciser Xavier Cornil.

Formulaire national décrépi.

Une véritable révolution pour une activité historique et spécifique de la pharmacie devenue avec le temps marginale. D'après le sondage réalisé pour Le Moniteur par Direct Medica, seul un pharmacien sur cinq en réalise fréquemment. Mais lui donne-t-on vraiment les moyens d'en faire plus ? Les modalités pratiques des préparations magistrales se heurtent à une réelle carence de procédures. Aujourd'hui, de nombreuses (pour ne pas dire la majorité) des formules prescrites ne figurent sur aucun référentiel. « Peu de préparations utiles pour l'officine sont inscrites à la Pharmacopée », confirme le rapport de l'IGAS. Le bât blesse aussi au niveau du Formulaire national édité en... 1974 ! « Il est aujourd'hui en décrépitude. Si 60 préparations ont été enlevées ces dernières années, d'autres mériteraient d'y rentrer », suggère Brigitte Vennat, professeur de galénique à Clermont-Ferrand. D'après l'Afssaps, le Formulaire est en cours de révision. « Pourtant, il est possible d'établir une liste de préparations utiles, en étudiant les déclarations - devenues obligatoires - des pharmacies hospitalières. Nous pouvons d'ailleurs constater que dans les deux tiers des cas il s'agit d'adaptations pédiatriques ou gériatriques. Ce qui pose une série de questions à l'industrie pharmaceutique... », indique Pierre Deloménie. Le reste des préparations hospitalières étant constitué de formules « classiques » type vaseline salicylée et de médicaments dont le principe actif est utilisé dans des indications non conventionnelles.

Reste que dans les officines, « c'est la galère », assure Thérèse Dupin-Spriet, responsable du DU Qualité à l'officine (Lille) et coordinatrice du guide sur les préparations magistrales à l'usage des étudiants en sixième année. « Il n'existe pas de manuel officiel à jour sur le bon usage du préparatoire », regrette-t-elle. Quelles incompatibilités avec les excipients ? Quel type d'identification en fonction des matières premières ? Comment les stocker ? Quelle durée de conservation ? Autant de questions qui restent aujourd'hui sans réponses claires. « La date de péremption se trouve souvent sur les matières premières, mais elle ne prend pas en compte les conditions de conservation à l'officine. Il faudrait la réduire d'un an pour les poudres », explique Brigitte Vennat.

Sous-traitance : quand la pratique devance le droit.

Dans les faits, les pharmaciens s'intéressent de moins en moins à la préparation magistrale (mobilisation du personnel, problèmes de stock périmé sans rotation suffisante, activité peu lucrative...) et se tournent de plus en plus vers les sous-traitants (91 % des titulaires selon notre sondage). Alors que les BPPO de 1988 tolèrent la sous-traitance uniquement à titre exceptionnel, elle détient aujourd'hui la majorité du marché de la préparation en France.

Les « façonniers » se sont mis aux normes de la qualité avant qu'on les leur impose. « Nous n'avons pas le choix si nous voulons pérenniser la préparation à l'officine. Car le patient est le même pour tout médicament », avance Dominique Martin-Privat, présidente de la Société des officinaux sous-traitant des préparations. Le but, à terme, étant de pouvoir relayer l'hôpital dans la fabrication de la chimiothérapie à domicile. Et d'y mettre les moyens : prise de commande validée par un pharmacien, logiciel informatique ad hoc, système de code-barre permettant de tracer les étapes et les ingrédients de la préparation finale, 3 000 principes actifs répertoriés avec leurs caractéristiques et incompatibilités, contrôle de masse, hotte à flux laminaire...

Question rentabilité, il faudrait atteindre 300 à 500 préparations par jour pour dégager un bénéfice correct, en raison des investissements en matière d'équipements. Pas de quoi décourager Alain Robert, titulaire au Mans et « passionné de la prep' ». Il a investi près de 125 000 euros - dont 18 000 euros pour des logiciels spécialisés - dans quatre laboratoires flambant neufs, respectivement pour les pâteux, l'aromathérapie, les poudres et l'homéopathie. Un projet qu'il concocte depuis trois ans. « Toutes les salles sont lavables du sol au plafond, je dispose d'une laverie centralisée et d'une pièce de quarantaine pour les matières premières. Parce que nous devons manipuler tout produit de santé avec un sérieux irréprochable. »

La démarche se rapproche carrément des normes industrielles. « On va nous légaliser par un état de fait », prédit Dominique Martin-Privat. Pierre Deloménie (IGAS) ne la dément pas : « La maîtrise de la qualité a comme corollaire indispensable la reconnaissance de la sous-traitance. » Message reçu cinq sur cinq par les autorités. Si, pour la plupart des sous-traitants, le respect des bonnes pratiques préconisées par l'Afssaps ne devrait être qu'une formalité, pour les autres officines la normalisation demandera évidemment plus d'efforts... à moins qu'elles ne fassent appel à un tiers pour exécuter la préparation ou les contrôles « par défaut de moyens techniques adaptés ». Ainsi, le projet cadre les pratiques de la sous-traitance, en attendant une loi ou un décret pour en préciser les conditions exactes. Mais le pharmacien demeure responsable du produit qu'il fabrique ou fait fabriquer.

La spécialisation en ligne de mire.

Si les représentants de la profession accueillent bien cette volonté d'améliorer la qualité des préparations, les syndicats regrettent de ne pas avoir été consultés. « Je crains qu'un tel niveau de qualité décourage nombre de confrères. Se tourner vers la sous-traitance, c'est bien. Mais ça demande du temps. Comment faire en urgence ? In fine, le patient va en pâtir », déplore Danièle Paoli, présidente de la commission Exercice professionnel à la FSPF. Point noir : l'obligation d'échantillonnage prévue pour toute préparation. « Il s'agit d'une usine à gaz ! Pour faire 30 gélules par exemple, il faudra prévoir des quantités pour 33. On impose à tous le même régime, que l'on fabrique une ou mille préparations par jour ! Il faudrait une réponse adaptée selon les cas », estime Jean Kelber, de l'UNPF. Même constat pour l'USPO : « Nous espérons que les impératifs d'échantillothèques pour les principes actifs et les produits finis seront revus. »

L'Afssaps va-t-elle reculer en acceptant des procédures allégées pour les préparations unitaires ? Une chose est sûre : la gestion du préparatoire ne supportera plus l'à-peu-près. « Cela demande du temps et de l'énergie, mais c'est le prix à payer pour faire valoir notre capacité, note Didier Boeuf. Tout le monde ne suivra pas. Mais, après tout, tous les pharmaciens ne sont pas habilités à dispenser du matériel d'orthopédie. » A quand une accréditation ou un DU « Préparations » ?

Contrôle ou identification des matières premières ?

- Les matières premières pharmaceutiques devront provenir de fabricants, de distributeurs ou d'importateurs déclarés auprès de l'Afssaps. En revanche, la qualification d'établissement pharmaceutique n'est pas requise. Dans la mesure du possible, la conformité aux monographies de la Pharmacopée devra être respectée.

Le pharmacien aura l'obligation de demander un bulletin d'analyse pour chaque lot fourni et de procéder à une identification. Mais les bonnes pratiques de préparation n'en précisent ni les modalités ni le matériel nécessaire. En l'absence de bulletin d'analyse, un contrôle complet sera demandé et pourra être sous-traité si besoin. A noter : à la demande de la DGS, une enquête sur la réalité des contrôles en pharmacie de ville est en cours.

Les prix font le grand écart

- Le prix des préparations magistrale ne peut être supérieur à celui du Tarif pharmaceutique national (TPN). Problème, ce dernier n'a pas été révisé depuis 1984. Résultat, les tarifs diffèrent d'une officine à l'autre. Certains pharmaciens rajoutent un forfait, d'autres évaluent le prix en fonction du temps de travail et de la qualification de l'exécutant. La Sécu rembourse en général au vu de la mention PMR. Mais le couperet vient de tomber. Un décret ministériel à paraître limitera le remboursement aux préparations répondant aux trois critères suivants : aucune alternative thérapeutique possible, existence d'un intérêt thérapeutique et principes actifs remboursés. Reste maintenant à s'attaquer à l'actualisation du TPN.

- A titre indicatif, la base de prise en charge des préparations magistrales par le régime général est passé de 20 MEuro(s) en 1998 à près de 120 MEuro(s) en 2005.

Quid des préparations officinales ?

Attention aux confusions ! Toute préparation réalisée à l'officine n'est pas pour autant une préparation officinale. L'Afssaps, qui ne compte pas revoir la définition de cette dernière, devrait toutefois fixer des limites quantitatives. On entend par préparations officinales les préparations fabriquées à l'officine en série (on dit aussi « par lot ») selon les indications de la Pharmacopée. Encore faut-il s'entendre sur cette définition. « Elle ne restreint plus formellement la préparation officinale aux formules inscrites à la Pharmacopée (ou au Formulaire national) », indique le rapport de l'IGAS. Alors, à chacun son interprétation : matières premières inscrites à la Pharmacopée voire seulement forme pharmaceutique conforme à la Pharmacopée.

D'où une certaine « liberté » dans les compositions. « De fait, certains officinaux réalisent des préparations en série d'après d'anciens formulaires ou bien encore à partir de formulaires étrangers non reconnus en France. Certes, les matières premières peuvent être conformes à la Pharmacopée, mais les formules (pertinentes ou non) sont-elles explicitement autorisées à défaut d'être simplement déclarées ? Rappelons par comparaison que le simple fait de conditionner de l'eau de Cologne constitue une opération de fabrication soumise à déclaration... Et qu'exige-t-on d'un pharmacien qui prépare sirops ou gélules à partir de formules exotiques ? Rien, ce qui ressemble fort à un paradoxe si l'on veut réellement s'inscrire dans une logique de sécurité sanitaire », commente Pierre Constantin, pharmacien inspecteur.

Mais l'Afssaps ne compte pas revoir la définition existante de la préparation officinale. En revanche, elle introduit, dans son projet de bonnes pratiques de préparation, des limites quantitatives au-delà desquelles les préparations en série relèvent d'une AMM et des bonnes pratiques de fabrication des médicaments. Ces limites varient selon les formes galéniques (3 millions d'unités par an pour les gélules, 300 000 pour les liquides...), avec des tailles maximales par lot et la production d'un seul lot journalier par préparation.

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