Plumée ! - Le Moniteur des Pharmacies n° 2641 du 16/09/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2641 du 16/09/2006
 

Actualité

Enquête

La pharmacie accuse le coup des récentes mesures gouvernementales et du plafonnement des marges arrière. Les effets sur l'activité et l'évolution des marges sont palpables, surtout depuis avril dernier. Du jamais vu depuis quinze ans ! L'officine va y perdre des plumes.

Le plan médicament 2006 a été on ne peut plus brutal pour l'officine : déremboursements, grands conditionnements, baisse des prix, plafonnement des marges arrière... Dès avril, les dépenses de médicaments remboursables ont baissé (rarissime !) de 1,1 % par rapport au même mois de l'année précédente et les dépenses de soins de ville n'ont évolué que de 0,8 %. « C'est un véritable coup de semonce pour les pharmaciens, beaucoup d'entre eux ont accusé une baisse de CA de 10 % sur ce mois », révèle Michel Watrelos, expert-comptable (Conseils et Auditeurs Associés). « Avril est le mois de la rupture, le CA a chuté de 15 % à 20 % pour certaines officines, même s'il faut un peu relativiser la baisse en raison d'un nombre de jours de travail inférieur par rapport à la même période de 2005 », corrobore Dominique Leroy, expert-comptable (Norméco). Pour Stéphane Poivre, lui aussi expert-comptable (Revigestion), « sur avril, la baisse ressort en moyenne à 5,78 % mais culmine pour certains titulaires à 29 % ! ».

Les principaux intéressés confirment : « La pharmacie a pris une secousse sur mars et avril, déplore Jean-Pierre Hervoir, titulaire à La Tremblade (Charente), alors que le CA de mai s'est maintenu in extremis par rapport au même mois de l'année précédente. » Exerçant en centre commercial à Thiers (Puy-de-Dôme), Patrick Gaillat se dit moins touché par le plan puisque le conseil sans ordonnance représente 30 % de son activité et plus de 40 % de sa marge.

De prime abord seulement. Car une analyse plus approfondie des données fournies par le concentrateur Ospharm révèle des résultats plus inquiétants. Patrick Gaillat constate en effet une rupture : « Avant le 1er mars, je gagnais de la marge avec les génériques. Après, avec l'encadrement des coopérations commerciales et les baisses de prix, de marge et de remises sur le générique, je perds entre 450 et 600 Euro(s) de marge par mois, alors que le volume des ventes de génériques progresse légèrement et que je me situe à un taux de substitution de 78 %. »

Sur mai, selon les moyennes professionnelles communiquées par Revigestion sur 50 pharmacies, le CA a régressé de 0,37 %. Le bilan des cinq premiers mois de l'année est peu glorieux. En effet, l'évolution du CA cumulé depuis le 1er janvier n'est que de 0,49 % par rapport à la même période de 2005. Philippe Becker, directeur du département pharmacie de Fiducial Expertise, note également un « ralentissement dans l'augmentation », mais « il n'y a pas encore de baisse générale. En revanche, la marge baisse dans une fourchette de 0,3 à 0,5 point ».

Perte de marge en valeur !

Si cette tendance se maintient, Michel Watrelos s'attend à une progression moyenne du CA 2006 des officines de 1 % à 2 %, et une baisse importante de leur rentabilité, avec une marge globale à 25-26 %. « De tout temps, l'augmentation du CA compensait la baisse du taux de marge tandis que l'augmentation de la marge en valeur absorbait la hausse des charges d'exploitation. Or cela risque de ne plus être le cas en 2006. »

Dominique Leroy craint que le cumul des mesures soit difficile à digérer et pense que la pharmacie file tout droit vers une baisse de la marge brute en valeur. « Cela risque d'être difficilement supportable sur le plan de la trésorerie pour les pharmaciens qui ont à la fois un endettement et un train de vie importants. »

Pour les syndicats, cette évolution des courbes était attendue. « Sur les douze derniers mois, la progression de la marge sur le médicament remboursable arrêtée à fin avril n'est que de 1,2 % et, sur les cinq premiers mois de 2006, elle régresse de 3,5 % par rapport à la même période de l'année précédente », constate, sans surprise, Jean-Marc Yzerman, président de la commission Economie de la FSPF. En cumul annuel mobile, le gain de marge en valeur pour le réseau sur les spécialités remboursables n'était plus que de 122 MEuro(s) en avril 2006, contre 284 MEuro(s) en 2005 et 146 MEuro(s) en 2004 (voir ci-dessus). Ce gain de marge sur 12 mois se réduit depuis le début de l'année comme une peau de chagrin. « Nous avions gagné 65 millions de plus à fin mai par rapport aux cinq premiers mois de 2005, nous devrions passer à zéro à la fin du premier semestre pour terminer à - 200 millions à fin décembre », poursuit Jean-Marc Yzerman. Quant à la marge en valeur sur 2006, elle était en baisse de 3,4 % à fin juillet selon les syndicats !

Depuis l'instauration de la MDL en 1990, la pharmacie n'avait jamais connu une telle déconvenue. « Il faut remonter à 1996 pour voir la marge des pharmaciens aussi malmenée (+ 0,4 %) », se souvient Jean-Marc Yzerman. « Les différentes mesures gouvernementales sur le médicament vont entraîner 500 millions d'euros de perte de marge pour l'officine. Elle ne sera pas complètement compensée par l'évolution habituelle, que l'on évalue chaque année à 300 millions d'euros environ (coût élevé des nouveaux médicaments mis sur le marché, sorties de la réserve hospitalière, glissement des prescriptions vers des produits plus chers), explique Pierre Leportier, président de la FSPF. Le réseau va donc devoir supporter une perte de marge estimée à 200-250 millions d'euros. »

En prenant l'hypothèse basse (200 millions de manque à gagner), Dominique Leroy estime qu'elle équivaut à une perte sèche d'EBE de 0,73 point, soit en valeur à 9 000 Euro(s) environ pour une pharmacie moyenne de 1,2 MEuro(s) de CA (voir encadré ci-dessous).

La pharmacie doublement pénalisée.

Pour Jean-Marc Yzerman, la pharmacie souffre de deux phénomènes qui se cumulent : les déremboursements et la baisse de consommation des Français en soins médicaux. « Le nombre d'actes médicaux a sérieusement diminué et le nombre de boîtes remboursables prescrites est en chute de 9 % depuis le début de l'année. Sur les douze derniers mois, la baisse des volumes s'établit à 1,4 %. »

Ces chiffres confortent Gilles Bonnefond dans ses certitudes, le secrétaire général de l'USPO martelant que l'ensemble des mesures serait insoutenable pour l'officine et balayerait trois ans de croissance : « L'économie de l'officine subit le double impact des mécanismes propres au médicament et de ceux de la maîtrise médicalisée. La seule possibilité de compenser les pertes de marge repose sur le générique, mais cela est difficile en raison des baisses de prix et de remises sur celui-ci. Seules les sorties de la réserve hospitalière tirent aujourd'hui le CA, mais, du fait de leur taux de marge réduit, cela ne fait qu'illusion. »

« Les économies pour l'assurance maladie se traduisent par des pertes de marge beaucoup plus importantes que prévu, signale Claude Japhet, président de l'UNPF. En effet, la pharmacie est pénalisée une première fois par la baisse des prix sur des produits à forte marge (compensée par le CA réalisé sur des produits très chers et à marge réduite). Elle l'est une seconde fois parce que les baisses de prix décidées prenaient en compte un marché pharmaceutique en croissance de 2 à 3 % en valeur et stable en volume, or, depuis le début de l'année, le CA des officines a crû d'à peine 1 %. » Il faut dire que le nombre de consultations médicales a baissé cinq mois de suite. « On ne peut que constater les dégâts car il est impossible pour l'instant de quantifier la part de responsabilité de chaque mesure dans ces évolutions », poursuit Claude Japhet. Parmi les facteurs importants de baisse des volumes, il cite « la mise en place du médecin référent, un véritable goulot d'étranglement sur les consultations de spécialistes ».

Les disparités entre officines vont s'accroître.

Pour Gilles Bonnefond, le plus dur reste encore à venir : « Les déremboursements des médicaments des pathologies hivernales sont intervenus en fin de saison et n'ont pas encore produit leur plein effet, nous n'avons vu jusqu'ici arriver sur le marché que le dixième des grands conditionnements, les baisses des tarifs de remboursement de la LPPR vont se poursuivre et, depuis qu'elles sont en place, seuls les pharmaciens les supportent en baissant leur prix de vente. Je n'ai pas vu un industriel baisser son prix ni un grossiste rogner sa marge... »

Lorsque les conditions économiques se dégradent, on s'inquiète immédiatement pour les jeunes installés. Selon Philippe Becker, seront davantage affaiblies les petites officines qui sont déjà dans une situation précaire et les jeunes titulaires qui ont acheté trop cher leur officine. « Ceux qui se sont installés depuis deux à trois ans et qui se sont lourdement endettés pour acquérir des pharmacies sans un potentiel de développement élevé ont du souci à se faire », souligne Gilles Bonnefond. Selon Patrick Gaillat, « les titulaires qui réalisent 85 % de leur CA en TVA 2,1 % et qui ont un ratio endettement/EBE supérieur à 3,5 sont condamnés à rembourser leur boutique pendant 30 ans. »

Naturellement, les pharmacies bénéficiant de conditions d'achat favorables et d'un plus faible taux de médicaments remboursables dans l'ensemble des ventes seront celles qui souffriront le moins.

Licencier, la pire des solutions.

Les prévisions à moyen terme doivent désormais prendre en compte une érosion très significative du taux de marge et des performances économiques moindres. « Certes, les pharmaciens peuvent toujours augmenter leurs ventes de produits conseil ainsi que leurs heures d'ouverture, acheter davantage en direct pour obtenir de meilleures remises, travailler plus étroitement avec leur groupement, développer de nouveaux marchés ou encore optimiser leur merchandising, mais ils ont déjà beaucoup entrepris depuis quelques années et se défendent bien dans ces différents domaines », constate Michel Watrelos. A force de s'améliorer, la capacité à faire progresser sa marge brute globale se réduit.

« La plupart des pharmaciens travaillent déjà ces secteurs, il est illusoire de penser pouvoir compenser facilement des mesures qui pèsent sur 80 % de l'activité, estime Philippe Becker. Aujourd'hui il n'y a pas de sources d'économies possibles pour faire face à une éventuelle baisse de la marge commerciale en volume, sauf à licencier. » Une solution, toutefois, à utiliser en dernière extrémité. « Le licenciement n'est pas légitime si le pharmacien a bien géré les années précédentes et fait fructifier son trésor de guerre, avertit Michel Watrelos. Pour licencier économiquement, il faut que la baisse de rentabilité s'accompagne d'un problème financier grave. En revanche, le titulaire va devoir être vigilant sur les embauches, surveiller que son ratio "frais de personnel", rapporté au chiffre d'affaires hors taxes, n'excède pas 10 %, être prudent sur les investissements, vérifier qu'il a en trésorerie en permanence un mois d'achats répartiteur principal sur le compte bancaire, revoir le cas échéant ses emprunts et négocier un réétalement de sa dette à long terme... »

« La restructuration des crédits a pour but d'alléger les échéances de remboursement, mais la remontée des taux de 0,6 à 0,7 point rend incertains les effets d'allégement escomptés », met en garde Dominique Leroy. Et Stéphane Poivre de compléter dans le même sens : « Le réétalement de l'emprunt n'a d'intérêt que si le pharmacien s'est désendetté depuis plusieurs années, réétaler un emprunt de 10 ans sur 12 ans n'apportera rien. » Il est tout aussi circonspect sur les manoeuvres de licenciement ou de réduction des stocks : « Moins de personnes au comptoir, c'est moins de temps à consacrer aux clients, aux ventes conseil, les services vont en pâtir tant sur le plan qualitatif que quantitatif, et une réduction des stocks va engendrer plus de manquants et d'insatisfaction dans la clientèle qui risque à terme d'aller voir ailleurs. » Les délais de règlement des factures de tiers payant sont réduits à 4-5 jours et il est difficile de descendre plus bas. Bref, « les voies d'économies à explorer dans un compte de résultat sont rares », conclut Stéphane Poivre.

« On peut s'attendre à des dépôts de bilan. »

Le recul manque pour pouvoir dégager des tendances dans un sens ou dans un autre. Cependant, les chiffres qui viennent de tomber sur la période mai-juillet sont plus qu'alarmants, avec une baisse de 10 à 12 % des consultations et des volumes, selon l'UNPF : « Le second semestre sera encore plus catastrophique. On peut s'attendre à des dépôts de bilan », estime Claude Japhet.

Gilles Bonnefond, qui s'attend à une douche froide avec la clôture des bilans de septembre, donne un conseil : « Jetez-vous à fond sur le générique, c'est le seul moyen pour récupérer aujourd'hui de l'économie, ne le gâchez pas avec les TFR ! » Pour Claude Japhet, la solution n'est que trop évidente. « Les seules possibilités de compenser les pertes liées aux mesures du plan médicament reposent soit sur la croissance, soit sur l'augmentation des conditions commerciales. La première solution étant compromise, il ne reste donc que la second solution : la libéralisation des remises. »

En attendant, au sein de l'officine, faire le dos rond en serrant la gestion (scruter ses indicateurs) et en réduisant la vanne des rémunérations du titulaire (salaires, dividendes) reste sans doute pour l'instant la seule parade. Le regroupement pourrait bien faire reparler de lui...

L'EBE baisse de 8 760 euros par officine

« Le pharmacien ne peut guère économiser sur les charges externes, frais de personnel, impôts et taxes. De fait, la dégradation du taux de marge brute se retrouve intégralement au niveau de la baisse d'EBE et de la capacité d'autofinancement, explique Dominique Leroy, expert-comptable au cabinet Norméco. Le réseau des 23 000 officines réalise un CA de [23 000 x 1,2 MEuro(s)] = 27,6 MdEuro(s). Une perte de marge de 200 MEuro(s) représente en pourcentage une baisse de [(200/27 600) x 100] = - 0,73 % d'EBE, soit, en valeur et par officine : [0,73 % x 1,2 MEuro(s)] = 8 760 Euro(s). Pour 2006 et 2007, les pharmaciens vont donc devoir être extrêmement gestionnaires pour garder une capacité d'autofinancement en adéquation avec leurs impôts, remboursements d'emprunt et prélèvements pour leur train de vie. »

Et il reste encore le PLFSS 2007...

L'an prochain, le gouvernement prévoit 720 MEuro(s) d'économies supplémentaires (baisses de prix et de la marge des répartiteurs). Ceci en plus des 623 MEuro(s) attendus via la maîtrise médicalisée et des 820 MEuro(s) du plan médicament. Dans le même temps, troisième vague de déremboursements annoncée sur 143 médicaments, tous à prescription obligatoire, devrait venir corser la note.

Patrick Gaillat, exerçant à Thiers (Puy-de-Dôme), se dit pessimiste en songeant, outre au PLFSS de 2007, à la montée en puissance des conditionnements de trois mois, au nouveau plafond de marges arrière à 15 % en 2007 : « Je m'attends à perdre 15 000 Euro(s) de résultats lors de l'exercice clôturé en 2007. »

« Il est hors de question de toucher encore au médicament ! », s'exclame Jean-Marc Yzerman, président de la commission Economie à la FSPF, qui craint de la casse dans les officines dès 2006. Gilles Bonnefond, secrétaire général de l'USPO, se montre également affirmatif sur ce point : « Le réseau ne peut plus absorber des mesures supplémentaires. » Il réclame un mécanisme de rattrapage.

Cela commence mal : en guise de rattrapage, le ministre de la Santé Xavier Bertrand vient de décider un train de mesures supplémentaires sur 2006 dont 50 MEuro(s) de surtaxation de la Répartition, qui ne cache pas qu'elle partagera le fardeau avec l'officine (voir Le Moniteur n° 2640).

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