Un outil professionnel en devenir - Le Moniteur des Pharmacies n° 2614 du 04/02/2006 - Revues - Le Moniteur des pharmacies.fr
 
Le Moniteur des Pharmacies n° 2614 du 04/02/2006
 

DOSSIER PHARMACEUTIQUE

Actualité

Enquête

La partie médicaments du dossier médical personnel, disponible en principe pour chaque Français en 2007, sera enrichie par les pharmaciens. L'Ordre veut en profiter pour créer un outil professionnel au service d'une meilleure dispensation : le dossier pharmaceutique.

C'est désormais une certitude, les pharmaciens seront intégrés dans le dossier médical personnel (DMP). « Alors que le rôle premier du DMP consiste à éviter les interactions médicamenteuses et les examens redondants, je ne vois pas comment on pourrait exclure les pharmaciens, faisait remarquer, fin 2005, le ministre de la Santé Xavier Bertrand. Une action raisonnée dans la lutte contre l'iatrogénie, responsable de 128 000 hospitalisations par an et entre 9 000 et 11 000 décès, ne peut être envisagée si les pharmaciens sont exclus de la partie traitement. » Et l'article L. 161-36-1 du Code de la Sécurité sociale est on ne peu plus clair : « Chaque professionnel de santé exerçant en ville ou en établissement de santé, quel que soit son mode d'exercice, reporte dans le DMP, à l'occasion de chaque acte ou consultation, les éléments diagnostique ou thérapeutique nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge. »

Le pharmacien, comme tous les autres professionnels de santé, est donc concerné. La profession, l'Ordre en tête, a pris ce dossier à bras-le-corps et travaille à la manière dont chaque officinal pourrait compléter le dossier médical de ses patients. « Entre ce que le médecin prescrit et ce qui est réellement dispensé, il existe souvent des différences liées à la substitution ou au changement de traitement après avis médical, remarque Isabelle Adenot, présidente de la section A de l'Ordre, qui pilote le projet. Sans compter que les patients ne repartent pas toujours avec l'intégralité des médicaments prescrits. Nous restons les seuls à savoir ce qui a été réellement dispensé. Même si ce n'est pas forcément ce qui a été avalé, nous sommes au plus proche de la réalité. Les pharmaciens sont donc incontournables dans la lutte contre l'iatrogénie. » La solution retenue passe par la constitution d'un dossier pharmaceutique (DP), outil professionnel dont les informations viendront alimenter la partie médicaments du DMP. Explications.

Qu'est-ce que le dossier pharmaceutique ?

C'est l'« onglet » pharmaceutique du DMP, la partie dans laquelle sont stockées toutes les données concernant les médicaments dispensés au titulaire du DMP. Dans le cadre de la coordination des soins, il permet aux autres professionnels de santé, et notamment aux médecins, de disposer de ces informations pour mieux prescrire. Mais il est aussi conçu pour devenir un véritable outil professionnel utilisable quotidiennement par le pharmacien pour lui permettre d'améliorer encore sa dispensation.

Que contiendra-t-il ?

Le DP intégrera l'historique pharmaceutique du patient, c'est-à-dire tous les médicaments qui lui ont été dispensés dans quelque officine ou hôpital du territoire que ce soit. Un pharmacien de Pau recevant un client résidant ordinairement à Lille disposera ainsi de l'ensemble des médicaments qui lui ont été délivrés depuis neuf mois. La période initialement envisagée de quatre mois a été allongée pour tenir compte des conditionnements trimestriels. Tous les médicaments seront listés : princeps et génériques figureront avec leurs codes CIP, la date et le nombre de boîtes délivrées, mais les posologies ne seront pas renseignées. La possibilité d'inscrire les spécialités prescrites mais non dispensées est à l'étude. Les médicaments conseil devront également être consignés. « Un ibuprofène qu'il soit prescrit ou non a les mêmes contre-indications », relève Isabelle Adenot. Une étude du British Medical Journal, publiée en 2004, montre que sur 18 800 hospitalisations en Grande-Bretagne, 6,5 % sont le fait des effets secondaires d'un traitement. Et les médicaments les plus fréquemment impliqués sont l'aspirine et les AINS... « Néanmoins, il n'est pas question d'inscrire la boîte de paracétamol destinée à l'armoire à pharmacie familiale, reprend Isabelle Adenot. Nous ne mentionnerons que les médicaments conseil qu'un patient vient chercher et dont il nous affirmera que c'est pour son usage propre. » Les compléments alimentaires n'auront pas en revanche leur place dans le DP.

Quelles autres informations du DMP seront accessibles aux pharmaciens ?

Le décret fixant le contenu du DMP est en cours de préparation. La difficulté pour le groupement d'intérêt public qui pilote la mise en place du DMP (GIP DMP) est d'établir l'équilibre entre ce qui est nécessaire, suffisant et utile au patient comme aux différents professionnels de santé qui y auront accès (lire encadré p. 18). Seraient disponibles : le descriptif des pathologies, les compte rendus médicaux, l'imagerie, les résultats d'analyses biologiques, les médicaments dispensés, les facteurs de risque du patient (allergie, hypertension...) et des informations sur la prévention. Tout ne sera pas accessible au pharmacien. « Mais pour bien remplir notre mission, nous devons disposer de l'ensemble des médicaments dispensés à l'hôpital et en ville, mais également des résultats d'analyses biologiques pour permettre un suivi thérapeutique et de l'onglet "facteurs de risque" », assure Isabelle Adenot. Le décret devrait apporter de plus amples précisions.

Comment remplira-t-on le dossier pharmaceutique ?

Tout le travail actuel des responsables du dossier est de créer, avec les SSII, un outil simple et transparent, automatisé, facilement utilisable par les officinaux au quotidien. Le DP du patient apparaîtra sur le poste de travail et sera compatible avec les logiciels professionnels existants. « S'il faut que les confrères utilisent un poste informatique différent pour aller consulter le DMP de leurs patients, cela ne marchera jamais, assure Isabelle Adenot. Il faut qu'il y ait le moins de travail possible pour les pharmaciens, que son utilisation s'intègre dans les processus existants. » L'historique du patient, ses analyses biologiques et ses facteurs de risque seront donc disponibles au comptoir au moment même de la nouvelle dispensation. Pour remplir le DP, rien de plus simple : le passage des médicaments à la « douchette », comme aujourd'hui, suffira. Le DP sera alors abondé avec ces nouvelles informations soit directement après la dispensation, soit, le soir, à la manière des télétransmissions. Les logiciels actuels qui étudient les contre-indications et les interactions ne seront pas modifiés. Simplement, au lieu de travailler par rapport à l'historique de l'officine, ils le feront par rapport à l'ensemble des médicaments délivrés au patient depuis neuf mois. « Nous sommes totalement informatisés et tous nos actes sont codés, à l'inverse d'autres professions de santé. Nous avons tous les atouts pour être le moteur du DMP », se félicite la présidente de la section A.

En quoi le DP est-il particulièrement utile ?

A priori, il devrait permettre d'améliorer le « service pharmaceutique rendu » dans plusieurs domaines.

- L'iatrogénie. C'est l'une des principales raisons qui ont conduit à l'élaboration du DMP. « Le dossier pharmaceutique va nous apporter de la visibilité, explique Isabelle Adenot. Il va nous permettre de stocker l'ensemble des médicaments délivrés à nos patients. Actuellement, nous fonctionnons en aveugle en estimant le risque iatrogénique par rapport aux seuls médicaments que l'on a déjà délivrés dans notre propre officine. » Les médecins, en consultant le DMP de leur patient au moment de rédiger leur prescription, auront également un aperçu complet des traitements déjà dispensés et pourront eux aussi éviter les risques d'iatrogénie.

- Redondance des soins. Exemple : un patient va voir un spécialiste qui lui prescrit un princeps lambda. Quelques jours plus tard, il se rend chez son généraliste qui lui prescrit la même molécule générique. Le patient se retrouve chez lui avec deux boîtes différentes et avale les deux médicaments. « Ce genre de doublon a déjà conduit à des décès, note Isabelle Adenot. Dans ce cas, avec le DP, le pharmacien pourra savoir que le médicament a déjà été dispensé la semaine précédente, pas nécessairement dans son officine, et il refusera une seconde délivrance. »

- Alerte sanitaire et traçabilité. Les alertes des autorités de santé seront directement accessibles par ce biais, d'autant qu'il est désormais acquis que les numéros de lots figureront dans le code CIP. « La traçabilité est une attente forte des confrères qui se plaignent régulièrement auprès de nous d'apprendre tel ou tel retrait de lot par le grand public ou les médias », commente Isabelle Adenot. Une alerte s'afficherait automatiquement dans le dossier du patient au moment de la délivrance. Par ce biais, il sera également possible de retrouver à coup sûr les patients auxquels a été délivré le lot incriminé.

- Suivi thérapeutique. Le DP devrait permettre à la profession d'appuyer son projet de suivi thérapeutique des patients chroniques. « Avec l'accord du prescripteur, elle pourrait assurer le suivi des patients chroniques stabilisés et le renouvellement d'ordonnances, remarque la présidente de la section A. D'où la nécessité de pouvoir accéder aux résultats des analyses biologiques. »

- Opinion pharmaceutique. « Nous voulons profiter de la mise en place du dossier pharmaceutique pour installer l'opinion pharmaceutique dans nos logiciels métier, explique Isabelle Adenot. Aujourd'hui on rencontre un problème parce qu'il faut réécrire cette opinion et que cela prend du temps. Si le logiciel nous demande si oui ou non on veut faire une opinion pharmaceutique et que l'on renseigne le logiciel en cliquant, alors cela marchera. » Le DMP inclurait cette opinion pour permettre au médecin d'y accéder.

En revanche, le DP ne sera d'aucune utilité dans le contrôle ou la limitation des abus de toxicomanie. Pour être accessible au pharmacien, le DP nécessitera, en effet, l'accord du patient. Or, évidemment, les toxicomanes qui viennent dans le but de détourner les traitements de substitution ne donneront pas leur accord. Néanmoins, la loi précise que les taux de remboursement des patients seront diminués s'ils refusent à plusieurs reprises l'accès du professionnel de santé à leur DMP.

Comment cela marche ? La sécurité sera-t-elle assurée ?

Le DP sera hébergé (par un hébergeur agréé de données médicales) sur un serveur national accessible par Internet. Pour que l'utilisation soit optimale au comptoir, qu'elle ne ralentisse pas le travail de dispensation, le passage par un accès Internet haut débit (ADSL) est inévitable. Or, aujourd'hui, encore peu d'officinaux disposent d'une telle installation. « Le dossier pharmaceutique ne sera pas disponible pour tous les confrères le même mois de la même année, remarque Isabelle Adenot. Il y aura une inévitable montée en puissance sur plusieurs années, ce qui permettra à chacun de s'équiper progressivement. »

Côté sécurité, le DP ne sera accessible qu'avec l'accord du patient, sa carte Vitale et la carte CPS du pharmacien. Les informations cryptées circuleront sur un réseau haut débit fermé et sécurisé. « Les informations ne transiteront pas par les concentrateurs, tient à préciser Isabelle Adenot. Avec eux, c'est un flux économique. Le DP empruntera un chemin qui lui est propre. L'Ordre s'engage pour des raisons d'éthique et de déontologie à ce qu'il n'y ait aucune sortie de données vers qui que soit d'autre que le patient. » Les logiciels professionnels ne devraient pas subir de grands bouleversements. Il faudra leur intégrer une couche d'information supplémentaire leur permettant d'aller interroger l'hébergeur et de récupérer le contenu du dossier.

Qui financera le dossier pharmaceutique ?

Impossible de répondre à la question pour le moment. Chargé d'évaluer la faisabilité du dossier pharmaceutique, le comité ad hoc mis en place par l'Ordre fin 2005, comprenant l'Ordre, les syndicats, les autorités de tutelle et les SSII notamment, n'a pas encore rendu sa copie. Et il ne le fera pas avant plusieurs mois. « Tout le travail de conception est pris en charge par l'Ordre, remarque Isabelle Adenot. Je ne peux pas donner d'ordre de grandeur, mais nous sommes évidemment soucieux que le développement du DP soit le moins coûteux pour tout le monde. Nous essaierons de passer par des enveloppes européennes ou françaises type Fonds d'aide à la qualité des soins de ville. » Déjà les syndicats de pharmaciens ont prévenu qu'ils n'étaient pas d'accord pour que les officinaux soient les financeurs directs du DP.

« Nous aurons sans doute à financer les adaptations et modifications de nos logiciels métier, notamment par l'intermédiaire de nos contrats de maintenance avec les SSII. Mais je ne veux pas payer pour le dossier pharmaceutique lui-même », soutient ainsi Claude Japhet, président de l'UNPF. A titre indicatif, la mise en place du DMP devrait coûter entre 300 et 600 millions d'euros, le coût de fonctionnement s'élevant entre 10 et 15 euros par dossier et par an. Enfin, s'agissant des délais de mise en oeuvre, l'Ordre prévoit, après un déploiement de 6 à 8 mois, une mise en place à partir de juillet 2007.

DMP : expérimentations au mois d'avril

Le décret sur l'hébergement des données de santé, paru au Journal officiel du 5 janvier, donne le cadre juridique nécessaire pour autoriser des prestataires à gérer les informations confidentielles inclues dans le DMP. Le décret prévoit notamment que ces hébergeurs doivent garantir « la sécurité, la protection, la conservation et la restitution des données confiées ». Les détails techniques sont donnés dans le cahier des charges du groupement d'intérêt public du DMP (GIP DMP). Tous les prestataires doivent également s'accorder sur une même méthode, compatible avec tous les systèmes des divers professionnels de santé. Le GIP DMP et les six consortiums sélectionnés pour les tests attendaient ce div pour lancer l'expérimentation dans une quinzaine de sites pilotes. Elle débutera en avril et se déroulera sur cinq mois. Le DMP sera testé auprès de 30 000 personnes. Les six consortiums sélectionnés vont proposer plusieurs sites, représentatifs géographiquement et par activité (hôpitaux, médecins, pharmacies...). Ce sont ces professionnels de santé qui proposeront aux patients de tester le DMP. Après analyse des expérimentations, le DMP devrait être réellement lancé fin 2006. Sa généralisation est prévue pour mi-2007.

Prévoyez-vous de fermer votre officine le 30 mai prochain en signe de protestation ?


Décryptage

NOS FORMATIONS

1Healthformation propose un catalogue de formations en e-learning sur une quinzaine de thématiques liées à la pratique officinale. Certains modules permettent de valider l'obligation de DPC.

Les médicaments à délivrance particulière

Pour délivrer en toute sécurité

Le Pack

Moniteur Expert

Vous avez des questions ?
Des experts vous répondent !